Déclaration de Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes, sur l'action européenne en matière de développement durable, Paris le 28 novembre 2002.

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Circonstance : Séminaire gouvernemental sur le développement durable, Paris le 28 novembre 2002

Texte intégral

Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Conçu dans un temps de pénurie et de reconstruction, le projet européen s'est construit initialement sur le paradigme du marché. Afin de satisfaire les besoins essentiels des populations et leur aspiration à une société de consommation, il fallait produire toujours davantage et à moindre coût et, pour cela, réduire au maximum les entraves aux initiatives et aux échanges.
Ce paradigme trouve depuis quelques années ses limites dans la prise de conscience collective que le marché, guidé par la recherche d'un profit rapide, n'intègre pas spontanément dans ses calculs l'intérêt des générations futures ou le coût des atteintes portées à l'environnement, de la pollution de l'air que nous respirons à l'appauvrissement de la diversité biologique.
Nous assistons ainsi à l'émergence d'un nouveau paradigme - le développement durable - qui nous oblige à réorienter, voire à réinventer, le projet européen. Ce paradigme peut se résumer en deux mots : solidarité et responsabilité.
Solidarité entre les générations, entre les riches et les pauvres, entre les territoires au sein de l'Union, y compris entre les membres actuels et les membres futurs qui nous rejoindront bientôt avec l'élargissement. Solidarité enfin entre le Nord et le Sud, par exemple pour l'accès aux médicaments où la France joue aujourd'hui à Bruxelles et à l'OMC un rôle exemplaire.
Responsabilité envers la nature et envers le vivant, selon le principe de précaution, qui ne saurait constituer une excuse à l'inaction mais au contraire un repère éthique pour toute décision politique en situation d'incertitude scientifique. Et je pense ici tout particulièrement aux biotechnologies et aux OGM, qui peuvent constituer une grande chance pour l'Europe, à condition d'être envisagés de manière raisonnée et responsable.
La communication de la Commission sur le développement durable, présentée en juin 2001 dans le cadre de la préparation du Sommet mondial sur le développement durable de Johannesburg et les conclusions du Conseil européen de Göteborg ont placé le développement durable au cur de la définition des politiques communautaires.
L'Europe est aujourd'hui, dans bien des domaines, le niveau pertinent en matière de développement durable.
Progressivement, l'Union européenne intègre de plus en plus cette dimension. Le dernier élargissement à la Finlande, la Suède et l'Autriche avait fait sentir ses effets. De même, les traités d'Amsterdam et de Nice ont également joué un rôle, notamment au travers de l'extension de la procédure dite de co-décision. Le Parlement européen, nous le savons, est une institution particulièrement attachée aux questions environnementales.
Une norme environnementale mise en uvre de manière isolée par un Etat membre est non seulement moins efficace mais peut également constituer un désavantage compétitif, alors que la même norme, adoptée au niveau communautaire, sera à la fois plus efficace et moins discriminante d'un point de vue économique. A titre d'exemple, je citerai les législations communautaires dans le domaine de l'eau, du recyclage des déchets industriels ou de la réduction des pollutions automobiles, ou, en référence à une actualité dramatique, la sécurité maritime
Dans ce dernier domaine, nous voyons bien que la réduction des risques passe par une action déterminée au niveau européen.
L'élargissement, qui nous permettra d'étendre à 10, puis 12 voire 13 nouveaux pays le niveau d'exigence de l'Union européenne en matière de sécurité maritime, de sécurité nucléaire ou de sécurité alimentaire, contribuera de manière significative à la réduction des risques pour nos propres citoyens et au développement durable de l'ensemble de l'Europe. La France a été particulièrement vigilante à cet égard dans les négociations avec les pays candidats, qui ont dû consentir des efforts considérables - et parfois coûteux politiquement, comme en Bulgarie avec la fermeture des unités anciennes de la centrale nucléaire de Kozloduy - pour se mettre à niveau.
A cet égard, il me faut relever, pour le déplorer, le retard de la France dans la transposition des directives environnementales, dont 20 sont actuellement en souffrance. Il nous faut, pour rester crédible, honorer sans plus tarder nos engagements et mettre notre action en rapport avec notre ambition. Mes services et moi-même sommes à votre disposition pour vous y aider.
Si le développement durable doit désormais être une référence constante dans la définition des politiques communautaires, il convient de prendre en compte cette dimension le plus en amont possible de la négociation des règlements et directives. A cet égard, il serait souhaitable que cette dimension soit intégrée de manière plus systématique au cours du processus interministériel dans l'élaboration de la position française.
Il convient aussi d'éviter un écueil. Le thème du développement durable est parfois instrumentalisé par certains de nos partenaires pour faire avancer leurs positions dans la négociation des politiques internes. L'agriculture, où les affirmations du Groupe de Cairns sont relayées par certains de nos partenaires au sein même de l'Union, en constitue le meilleur exemple. A cet égard, je crois que nous devons être mieux préparés aux débats, ce qui passe notamment par l'élaboration d'argumentaires et de contre-argumentaires.
Je me tiens, bien évidemment, à la disposition de mes collègues pour les aider sur ce point et pour, si nécessaire, appuyer leurs démarches, notamment auprès du Parlement européen.
En conclusion, le développement durable doit aujourd'hui être au cur de la refondation du projet européen, si l'on veut que l'Europe réponde aux attentes et aux aspirations de ses citoyens et s'affirme comme un levier efficace pour humaniser la mondialisation. L'expérience démontre amplement, de Kyoto à Johannesburg, en passant par Doha, que rien ne peut se faire si l'Union européenne n'est pas unie et déterminée.
C'est pourquoi l'action internationale de la France doit prendre en compte, d'abord, le cercle européen.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 décembre 2002)