Interview de M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, à LCI le 12 septembre 2002, sur l'assouplissement des 35 heures, la baisse des charges sociales, l'harmonisation des différents SMIC et la réforme de la loi de modernisation sociale.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser - Le 18 septembre prochain, vous présenterez votre projet de loi relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi. Il y aura beaucoup de choses là dedans, dont l'assouplissement des 35 heures - qui vont revenir à 39, en gros -, la réduction des charges pour les entreprises. Cet assouplissement des 35 heures a donné lieu à une controverse avec le patronat, qui semble maintenant réglée. Et le problème porte maintenant sur l'abaissement des charges et la hausse des Smics, puisque le patronat dit que la hausse des Smics va à peine compenser l'abaissement des charges que vous aviez promis, sur lequel vous vous êtes engagé. Est-ce vrai ou pas ?
- "Nous avons maintenant à réparer les erreurs commises par nos prédécesseurs avec les 35 heures. Les 35 heures ont eu trois conséquences sur l'économie française. D'abord, cela a gelé les salaires pendant trois ans, et je pense que dans la crise sociale et politique que traverse notre pays, cette question du niveau des salaires est une question importante. Cela a pénalisé les entreprises françaises, et notamment les petites et moyennes entreprises qui sont dans l'incapacité de s'adapter à ce système extrêmement rigide. Et cela a perturbé, au fond, le climat social du pays, car il n'y a pas eu de dialogue pour leur mise en place. Donc, que faisons-nous, nous ? Nous augmentons les bas salaires pour compenser ce gel, et donc 80 % des Français qui sont au Smic vont voir leur salaire augmenter plus que si l'on appliquait les mécanismes normaux d'indexation. Deuxièmement, on va assouplir les 35 heures, ce qui ne veut pas dire revenir aux 39 heures, car on les assouplit par les heures supplémentaires. Les heures supplémentaires dans toutes les entreprises au dessus de 20 salariés sont payées 25 % plus cher que les heures normales, 10 % dans les entreprises de moins de 20. C'était déjà le cas du temps de nos prédécesseurs. C'est quand même du travail qui est plus cher et qui ne peut pas être assimilé à un retour aux 39 heures. Et enfin, nous allons alléger les charges. L'allégement de charges va compenser la hausse du Smic, et même au-delà, puisqu'aujourd'hui, dans le budget de l'Etat français, il y a 15 milliards d'euros d'allégements de charges, à la fin du plan que je propose, c'est-à-dire que dans trois ans, il y aura 21 milliards d'euros d'allégements de charges."
C'est-à-dire que les entreprises vont payer moins de charges ?
- "C'est-à-dire que les entreprises vont globalement supporter la hausse du Smic, qui est incontestable, qui est aussi du pouvoir d'achat supplémentaire et donc de la consommation supplémentaire. Certaines de ces entreprises - celles qui emploient beaucoup de personnes avec des salaires plutôt bas - vont être bénéficiaires dans cette opération, les entreprises qui sont passées à 35 heures depuis déjà un certain temps et qui emploient beaucoup de salariés avec des revenus plus élevés seront un peu moins gagnantes, mais dans l'ensemble, c'est une opération qui bénéficie à l'entreprise, parce qu'en échange, il y a plus de souplesse sur l'usage des heures supplémentaires."
Alors, quand E.-A. Seillière conteste, c'est faux ?
- "Non..."
Il a mal fait ses calculs ?
- "Non, il est dans son rôle..."
Mais est-ce que c'est uniquement un jeu de rôles, ce genre de débat ?
- "C'est un jeu de rôles au sens noble du terme. C'est-à-dire que M. Seillière défend les entreprises et voudrait que l'on donne encore plus de libertés aux entreprises..."
Il faut dire que vous vous y êtes un peu engagés pendant les élections, pendant la campagne électorale !
- "Non. J'applique le programme du président de la République à la lettre. On a dit dans le programme que l'on assouplirait les 35 heures par la négociation, c'est ce qu'on fait. On a dit qu'on aurait une politique vis-à-vis des bas salaires, parce qu'on ne peut pas rester dans un gel comme celui que les socialistes avaient imposé à notre pays, et on a dit qu'on allégerait les charges des entreprises. Et on a cinq ans devant nous. Le budget 2003 n'est pas facile à boucler, parce qu'il faut aussi payer l'héritage du gouvernement précédent, mais on reprendra en 2004, en 2005, en 2006, des politiques spécifiques d'allégements des charges. J'ajoute que j'ai fait voter par le Parlement un texte pour l'embauche des jeunes sans qualification, avec un allégement de charges complet, donc il y a plusieurs politiques d'allégement de charges."
Et quand le Premier ministre a dit que la baisse des charges était sa priorité, ce n'était pas la priorité du président de la République ?
- "21 milliards d'euros de baisse des charges en 2005, c'est donc une vraie priorité pour le Gouvernement. Simplement, il faut qu'on conduise la politique de baisse de l'impôt, la politique de baisse des charges. Dans un contexte budgétaire difficile, il faut qu'on la conduise avec une certaine prudence. C'est donc ce que nous faisons."
Vous passez un peu sur la rigueur budgétaire quand même !
- "Vous savez, on est dans une situation économique difficile - pas seulement en France, dans tous les pays développés. C'est relatif par rapport à des croissances qu'on a connues dans le passé qui étaient moins importantes, mais enfin, on a une croissance moins élevée que celle qu'on souhaitait obtenir. Dans ce contexte-là et compte tenu du climat économique et social Français, il ne faut pas qu'une politique trop rigoureuse vienne complètement stopper l'initiative et l'investissement. C'est pour cela que nous tenons nos engagements dans la limite du déficit acceptable."
Acceptable, mais non fixé, ce déficit....
- "Acceptable. Le déficit "acceptable" est une notion qui varie en fonction de l'environnement économique européen et international."
Et le montant de ce déficit va donc être redéfini ?
- "C'est au ministre des Finances de débattre de cela avec ses collègues."
Et il y a un grand débat au Gouvernement là-dessus ?
- "Il y a toujours un débat quand on prépare le budget, puisque les ministres souhaitent avoir de l'argent pour agir et puisque le ministre des Finances souhaite respecter les grands équilibres. C'est la règle du jeu."
Votre deuxième étape sera la réforme de la loi de modernisation sociale, que vous voulez lier à une obligation de formation. C'est difficile de se recaser quand on est licencié, quand on a 30 ans de maison, comme on le voit pour les Moulinex...
- "C'est l'impasse dans laquelle la loi de modernisation sociale a engagé les entreprises. On a voulu rendre le licenciement le plus difficile possible, au mépris des réalités économiques. Aujourd'hui, les entreprises contournent la loi de modernisation sociale en déposant leur bilan, ce qui est évidemment pire pour tout le monde, y compris pour les salariés. On veut substituer à ces règles économiquement absurdes le renforcement des obligations de formation, de reconversion pour les salariés. Mais c'est un sujet sur lequel on va discuter avec les partenaires sociaux au mois d'octobre et sur lequel j'ai l'intention de leur proposer de proposer eux-mêmes des solutions qui permettent de sortir de cette impasse."
Tout le monde sait que votre préférence aurait été la Défense. C'est un secteur qui vous intéresse beaucoup. L'augmentation du budget et la loi de programmation militaire, je suppose que vous applaudissez. Est-il possible pour la France de construire seule un deuxième porte-avions ?
- "Bien sûr, c'est possible. C'est une question de choix d'ensemble des investissements militaires français. Je me réjouis que le président de la République ait eu l'autorité et la volonté pour redresser un budget de la Défense, qui était sur une pente très grave par rapport à la situation internationale. On va redonner, avec les Britanniques, le signal de l'effort en matière de Défense en France et en Europe. J'espère que l'on sera suivi par d'autres pays européens, car les budgets de Défense des autres pays européens sont très bas. Après, pour le reste, s'il peut y avoir plus de coopération européenne, ce sera évidemment beaucoup mieux."
Une question concernant M. Bon. Vous le connaissez bien, puisque vous l'avez nommé. Il va partir. On le charge de tous les maux. Son départ est acquis ?
- "Il y a un Conseil d'administration de France Télécom aujourd'hui. Vous comprendrez que je ne veuille pas m'exprimer sur ce sujet. Je dirais simplement qu'au moment où l'opinion juge le président de France Télécom, il ne faut pas oublier les succès de l'entreprise et il ne faut pas oublier la situation des autres opérateurs de télécommunication en Europe, qui ont tous connu un retournement de conjoncture extrêmement grave, mais qui sont globalement dans un secteur qui est un secteur porteur."
(source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 12 septembre 2002)