Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, en réponse à une question sur la situation au Kosovo, notamment le bombardement de l'ambassade de Chine à Belgrade, et sur la responsabilité du Gouvernement dans l'affaire de l'incendie de la paillote en Corse, Paris le 11 mai 1999.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Réponse à une question de M. B. Roman, député PS, au sujet du conflit du Kosovo et notamment sur le bombardement accidentel de l'ambassade de Chine à Belgrade le 8 mai 1999

Texte intégral

Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Madame le député,
Est-ce que nous sommes à la veille d'une nouvelle étape en ce qui concerne le conflit du Kosovo ? Je ne saurais le pronostiquer. Ce que je peux vous dire, c'est que nous y travaillons. Par la détermination que l'Alliance continue à manifester dans les frappes contre les forces militaires et de répression serbes ; par l'engagement clair que notre objectif de guerre est bien le retour des réfugiés et des déportés dans leur pays et dans un pays voué à la démocratie où ils vivront en sûreté. Par la volonté de ne négliger aucune piste de caractère diplomatique qui permette d'avancer l'issue de ce conflit, nous préparons ce que vous espérez être un prélude.
Demain, j'aurai à nouveau l'occasion de recevoir à Matignon les présidents des groupes parlementaires de l'Assemblée nationale et du Sénat et les présidents des commissions des Affaires étrangères de la Défense de l'Assemblée nationale et du Sénat. Mais dès aujourd'hui, puis-je, devant la représentation nationale, à l'Assemblée, donner quelques éléments.
D'abord je souhaiterais m'associer aux très profonds regrets que le Président de la République a exprimé, hier, en Finlande, à l'attention des autorités chinoises à la suite du bombardement par erreur de leur ambassade. Un message de condoléances a d'ailleurs été envoyé par le ministre des Affaires étrangères, H. Védrine, au nom des autorités françaises, à l'intention des autorités chinoises. J'espère très profondément que cet accident malheureux ne remettra pas en cause les progrès substantiels qui ont été opérés au cours des huit derniers jours dans le champ diplomatique.
Vous le savez, dans la semaine qui s'est écoulée, les ministres des Affaires étrangères des Huit, après les directeurs politiques de ces mêmes huit pays, ont pu adopter une importante déclaration commune, énumérant sept principes généraux considérés comme nécessaires pour aboutir à une solution de cette crise :
- cessation immédiate et vérifiable de la violence et de la répression au Kosovo
- retrait des forces militaires de police et paramilitaires
- déploiement dans la province de présence internationale civile et de sécurité, efficace, endossée et adoptée par les Nations-Unies
- établissement d'une administration intérimaire au Kosovo, décidé par le Conseil de sécurité des Nations-Unies
- liberté et sécurité de retour pour l'ensemble des déportés et des réfugiés au Kosovo
- processus politique pour établir un accord-cadre prévoyant une autonomie substantielle pour le Kosovo
- approche globale du développement économique et social pour la stabilisation de la région.
H. Védrine est aujourd'hui à Moscou pour s'entretenir avec son homologue russe. Le 13 mai prochain, le Président de la République se rendra également dans la capitale russe pour y rencontrer son homologue, le Président Eltsine. Moi-même, les 24 et 25 mai, dans le cadre de la rencontre entre les deux Premiers ministres et les deux commissions, j'aurai l'occasion d'aborder ces problèmes du processus de paix dans lequel la Russie jouera un rôle essentiel. Les directeurs politiques des Huit sont désormais en train de travailler à l'élaboration d'un projet de résolution qui pourrait être déposé conjointement par les huit pays au Conseil de sécurité des Nations-Unies, afin de fournir la base d'une issue politique à ce conflit si les autorités serbes et M. Milosevic veulent bien accepter - ou bien si nous les y conduisons par la force et c'est la politique que nous menons - les bases raisonnables d'un compromis.
Le secrétaire général des Nations-Unies s'est lui-même mobilisé ; il a désigné deux hauts représentants : M. K. Bild et M. E. Kukan. Nous souhaitons que les travaux entrepris par la diplomatie russe se poursuivent et nous sommes prêts, de ce point de vue, à leur voir jouer pleinement leur rôle de partenaires.
Dans cette dynamique diplomatique, au sein de laquelle d'ailleurs, la présence désormais, en Europe, et libre, de M. Rugova, peut être un élément positif, nous venons d'apprendre que les autorités serbes faisaient l'annonce d'un début de retrait au Kosovo. Nous avons écouté cela avec attention, mais nous accueillons cette nouvelle avec la plus grande prudence. D'abord, parce que, au moment où je vous parle il n'y a nulle confirmation sur le terrain d'un réel retrait au Kosovo. D'autre part, parce que, instruits par l'expérience, nous savons que M. Milosevic n'a pas été avare de promesses qu'il n'a pas tenues. Nous nous souvenons encore du siège de Sarajevo à cet égard. Enfin parce qu'en tout état de cause, il ne s'agirait que de la réalisation - si elle était mise en oeuvre - d'une seule des conditions que la Communauté internationale a mises à la solution du problème du Kosovo : détermination dans l'action militaire ; ouverture pour rechercher une issue diplomatique. Tout cela n'a de sens que si cela est fait en direction des hommes et des femmes kosovars, chassés de leur pays, en Macédoine, en Albanie, au Monténégro et ailleurs.
Et je renouvelle ici, l'engagement solennel que nous les reconduirons chez eux, dans des conditions dignes d'une vie véritablement humaine ! Je confirme que la France reste au premier rang de l'action humanitaire pour faire face à la situation d'urgence actuelle. Et je rappelle, comme le ministre de la Défense et le ministre des Affaires étrangères ont eu l'occasion de le dire au procureur du Tribunal pénal international, Mme Arbour, que ce Tribunal aura le soutien résolu de la France pour que, dans l'avenir, justice soit rendue aux victimes de la tragédie et que pour ces auteurs soient châtiés !
Réponse à une question de M. H. De Charette (Groupe UDF), au sujet de l'affaire de la paillote incendiée en Corse.
- "Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Monsieur le député,
Quand un Premier ministre, quand un ministre de la Défense, quand un ministre de l'Intérieur, quand un Gouvernement - à la suite d'un acte grave, d'actes graves, de destruction d'une paillote, en Corse dans des conditions illégales -, quand ce Gouvernement et le Premier ministre s'expriment devant l'Assemblée nationale, répondant aux questions, aux interpellations et aux critiques ; lorsque la presse, à travers ses colonnes, établissant des faits, souvent, montant des spéculations, parfois, interpelle, critique, débat ; lorsque le Premier ministre juge qu'il est nécessaire de s'exprimer plus massivement et en direct vers nos concitoyens et le fait devant dix millions de personnes, devant les écrans et les médias de télévision ; lorsque ce Premier ministre et ce Gouvernement font cela, ils sont en plein dans l'exercice de leurs responsabilités. Et ils sont en plein dans l'exercice de leurs responsabilités politiques.
Et je souhaite que toute personne détentrice d'une autorité, ayant assumé des responsabilités, où que ce soit, soit prête à en assumer simplement devant l'opinion la responsabilité politique ! C'est ce que j'ai fait, c'est ce que le Gouvernement a fait. En ce qui concerne la nomination du préfet Bonnet, je vous rappelle que ce haut-fonctionnaire a été nommé préfet de Corse, le 7 février 1998, quelques heures après l'assassinat du préfet de Corse, parce que les autorités de l'Etat pensaient que nous devions marquer immédiatement que l'Etat était à nouveau représenté symboliquement et physiquement en Corse, par un préfet. C'est en quelques heures que nous avons pris cette décision. Et comment a-t-elle été prise ? Sur une proposition du ministre de l'Intérieur, avec l'acceptation du Premier ministre et l'acceptation du Président de la République, nommé en Conseil des ministres .
Messieurs, la responsabilité, la responsabilité elle est partagée par ceux qui exercent les décisions !
Pour le reste, le Gouvernement a laissé la justice exercer son action. Et la justice établit librement la vérité. Les Corses peuvent eux-mêmes se convaincre que désormais la loi s'applique pour tous. Et effectivement, si dans des conditions exceptionnelles, un préfet peut se trouver sous mandat de dépôt et des gendarmes également, alors les Corses peuvent penser que la loi est la même pour tous. Et nous serons d'autant plus fondés à demander que la loi soit respectée par tous.
C'est ainsi que le Gouvernement fonctionne. Je pense que l'opinion le comprend ainsi et c'est elle que je veux pour juge dans la responsabilité politique et je n'ai pas peur de son jugement !"
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 12 mai 1999)