Texte intégral
Interview à Europe 1, le 7 novembre 2002 :
Q - Merci d'être ici. Le Conseil de sécurité des Nations unies va pouvoir dire son fait, maintenant, à l'Iraq. Le projet de résolution serait, cette fois, au point. Le compromis ou l'accord est-il prêt ?
R - Un énorme travail a été fait au cours des dernières semaines et je crois que nous approchons du terme de la négociation. Nous pensons qu'un vote pourrait intervenir d'ici la fin de la semaine ou au tout début de la semaine prochaine. La France, vous le savez, a beaucoup contribué à uvrer pour rendre ce texte acceptable par tous. Nous pensons que nous sommes tout prêt d'un accord.
Q - Après six semaines d'âpres négociations, est-ce la France qui a lâché du lest ou reste-t-elle sur sa ligne et l'Amérique aurait fait quelques concessions ?
R - La France a beaucoup travaillé d'abord pour que puisse être acceptée l'idée d'une démarche en deux temps. C'est-à-dire que le Conseil de sécurité reste le point de passage obligé, à chaque étape. C'est un principe de responsabilité collective des Nations unies auquel nous sommes attachés. Mais, surtout, nous refusions toute clause d'automaticité du recours à la force.
Q - Et vous l'avez maintenant ?
R - Nous l'avons. Nous avons une résolution qui prévoit très clairement que s'il y a une difficulté, s'il y a une violation patente par l'Iraq de la résolution, il y a retour vers le Conseil de sécurité des Nations unies.
Q - Pour faire la guerre à Saddam Hussein, il faudrait un nouveau texte des Nations unies et en tout cas, il n'y a pas de guerre préventive ?
R - Il n'y a pas de guerre unilatérale, il n'y a pas de guerre préventive. Rappelons-nous où nous étions au mois de septembre, lorsque l'on craignait, à tout moment, qu'une guerre puisse être déclenchée.
Aujourd'hui, je ne dis pas que la guerre n'aura pas lieu. Je dis qu'elle peut être évitée et qu'il appartient à Saddam Hussein - et le message que va lui adresser la communauté internationale est un message clair et ferme - de satisfaire aux obligations de cette résolution.
Q - La résolution peut-elle être votée par la France, dès vendredi, s'il y a encore des modifications aujourd'hui ?
R - Nous continuons à souhaiter encore des clarifications.
Q - Sur quoi ?
R - Notamment sur les clauses d'automaticité du recours à la force. Nous pensons que ce texte peut encore être amélioré et, en liaison avec l'ensemble de nos partenaires, nos amis russes, l'ensemble des membres du Conseil de sécurité, nous continuons à faire des propositions. Nous souhaitons que les choses soient le plus claires et le plus fortes possibles. Je crois que ce texte est, aujourd'hui, tout près d'un juste équilibre et nous continuons à souhaiter - pour l'efficacité future de cette résolution, de l'action de la communauté internationale - que ce texte puisse être voté à l'unanimité ou, en tout cas, recueille un quasi-consensus. Le message sera d'autant plus ferme vis-à-vis de Saddam Hussein et deuxièmement, tout au long de la crise, quand nous aurons parfois à faire face à des difficultés, le fait d'avoir une résolution largement soutenue par le Conseil de sécurité rendra plus facile la gestion de ces difficultés et des épreuves à venir.
Q - Ce matin vous dites que l'Iraq et Saddam Hussein n'ont pas d'autre choix que d'obéir ?
R - Absolument, l'Iraq doit se conformer à la légalité internationale. C'est le message très fort que nous adressons à Saddam Hussein. Nous ne pouvons pas accepter qu'il y ait des entorses commises à la non-prolifération et nous voulons donc lutter contre ce risque.
Q - La dernière phrase de la résolution, c'est "le Conseil a prévenu à plusieurs reprises l'Iraq qu'il fera face à de sérieuses conséquences s'il continue à violer ses obligations". Cela veut-il dire l'intervention militaire ?
R - Le président de la République l'a dit, à plusieurs reprises : le Moyen-Orient n'a pas besoin d'une nouvelle guerre. Vous connaissez la conviction française : la force ne peut être qu'un dernier recours mais nous ne pouvons pas accepter une situation où un Etat défie la communauté internationale. Il doit donc accepter d'appliquer la résolution, c'est tout le sens du message que nous lui adressons.
Q - Quel délai lui donnez-vous ?
R - Il a un délai de sept jours pour accepter la résolution et il devra, dans les 30 jours qui suivront l'adoption de la résolution, faire un rapport. Nous souhaitons que les inspecteurs des Nations unies puissent retourner le plus vite possible sur le terrain pour commencer leur travail.
Q - Et j'ai noté que 2002 ne sera pas, pour les inspecteurs, 1998. Leur mission est donc plus précise, plus dure ?
R - Nous avons un atout dans cette affaire, c'est la qualité des négociateurs. Nous avons deux personnes, M. Blix qui dirige la CCVINU, M. El Baradeï, qui est le responsable de l'Agence internationale de l'énergie atomique. Ils ont des équipes de professionnels, des équipes multinationales qui donnent des garanties d'efficacité.
Nous pensons qu'avec ces inspecteurs, nous avons là un atout et nous avons veillé à ce que tout au long de l'application de la résolution, ils puissent faire rapport au Conseil de sécurité et que ce soit sur la base des informations qu'ils trouveront sur place que le Conseil de sécurité puisse se déterminer. C'est une garantie de légitimité et d'efficacité.
Q - Etes-vous d'accord avec cette phrase que j'ai lu ce matin dans "le Parisien" : "l'intervention contre l'Iraq pourrait se produire dans le premier semestre 2003" ? C'est signé Xavier de Villepin.
R - Non, il n'a pas dit cela. Je ne crois pas du tout que le risque de guerre soit absolu aujourd'hui. Nous avons tout fait pour l'éviter, nous voulons véritablement que la force ne puisse être employée qu'en dernier recours.
Q - Autrement dit, la guerre s'éloigne, elle peut être retardée, elle peut ne pas avoir lieu ?
R - La communauté internationale est dans son rôle. Elle veut faire appliquer la résolution internationale, elle veut que la légalité soit appliquée. Elle se donne tous les moyens de le faire. Il appartient maintenant à l'Iraq de respecter et de se conformer. La balle est dans leur camp.
Q - le président Bush qui vient d'obtenir une victoire électorale sans précédent, a-t-il besoin d'une guerre aujourd'hui ?
R - Je ne crois pas, il a justement la liberté que lui donne un grand succès, un succès historique sur le plan électoral. Il peut, à partir de là, avoir justement, la liberté d'essayer d'obtenir, par des moyens pacifiques, par le biais de la sécurité collective, des résultats dans ce dossier si difficile qu'est l'Iraq.
Q - Comment le président de la République, le gouvernement ont-ils salué les résultats exceptionnels de M. Bush ?
R - Ce sont des résultats historiques, il est très rare que, dans des élections à mi-parcours, un président puisse obtenir un tel succès. En général, il y a au contraire un effritement. C'est l'inverse qui s'est produit. Il sort renforcé, il aura d'autant plus de latitude pour comprendre les situations difficiles et complexes de la situation internationale et travailler avec l'ensemble des membres de cette communauté.
Je le redis, pour être efficaces, il faut être unis. Nous le voyons bien, le risque terroriste est encore fort sur la scène internationale, le risque de prolifération ne se limite pas à l'Iraq. Il y a un risque intégriste et toutes ces difficultés impliquent la mobilisation. Face à des crises qui durent depuis trop longtemps, qui nourrissent un sentiment d'injustice, je pense au conflit israélo-arabe, nous devons faire en sorte d'être capables de nous mobiliser pour régler ces crises. Il ne s'agit pas uniquement de mettre des bandages sur les plaies. Il s'agit de trouver les moyens d'un solution. Nous avançons sur l'Iraq, nous devons également avancer sur d'autres crises.
Q - Par exemple, la Tchétchénie et la Russie, pensez-vous que c'est, là aussi, une injustice ?
R - Nous l'avons dit, et nous l'avons dit les premiers : il faut une solution politique à la crise tchétchène. Nous sommes convaincus aujourd'hui qu'une approche uniquement sécuritaire des problèmes du monde et des crises ne peut rien résoudre. Nous l'avons vu au Proche-Orient, l'insécurité ne se combat pas uniquement par une politique de sécurité. Il faut un espoir, une perspective politique, il faut répondre à la frustration et à l'humiliation.
Q - Lorsque vous parlez de terrorisme et de vigilance, c'est plus que de la forme. Sentez-vous que la menace existe, qu'elle se manifeste partout au Yémen, à Bali et que peut-être elle rôde en France et en Europe ?
R - C'est une évidence. Il y a aujourd'hui une menace, il y a des réseaux qui profitent à la fois des moyens technologiques énormes, et en même temps d'une capacité et d'une mobilité d'un autre âge. Tout cela fait que cette menace est difficile à appréhender.
Nous avons fait beaucoup de progrès, il y a des coopérations policières, des coopérations judiciaires; dans le domaine du renseignement, nous marquons des points. Il y a beaucoup d'arrestations qui ont été effectuées, mais tout cela n'est pas suffisant. Il faut apporter une réponse, c'est ma conviction, à toutes ces situations qui peuvent nourrir le terrorisme, l'alimenter et c'est pour cela qu'il faut répondre à ces grandes questions d'injustice à travers la planète.
Q - On l'observe des vieux conflits, des conflits qui s'éternisent, de nouveaux risques qui se développent et qui montent, une incertitude qui croît. Quel est le rôle des ministres des Affaires étrangères de l'Europe et d'un pays comme la France ?
R - C'est d'être présent partout, c'est d'avoir une voix forte, de développer un certain nombre de propositions et de faire preuve d'imagination pour faire avancer les choses.
Q - Même face à une grande puissance comme l'Amérique ?
R - Surtout face à une grande puissance. J'ai travaillé, tout au long des dernières semaines, tous les jours avec Colin Powell, tous les jours avec les ministres des Affaires étrangères représentés au Conseil de sécurité, justement pour essayer, dans l'unité, avec beaucoup d'humilité mais aussi avec beaucoup de conviction, de faire avancer les choses. Il y a une menace, nous devons tenter de la réduire.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 novembre 2002)
Interview à TF1 le 8 novembre 2002 :
Q - Est-ce que cette résolution, qui est très importante, laisse encore une porte entrouverte, je dirais, à la guerre, ou est-ce qu'elle ferme la porte à la guerre ?
R - Elle donne une chance à la paix, une dernière chance à la paix, elle adresse un message de grande fermeté à Saddam Hussein pour accepter le retour des inspecteurs des Nations unies et éliminer les armes de destruction massive. Nous parlons d'armes biologiques, d'armes chimiques, voire d'armes nucléaires. Mais elle marque surtout l'unité, l'unanimité du Conseil de sécurité. C'est dire que toute la communauté internationale est aujourd'hui soudée, mobilisée pour faire appliquer cet accord.
Q - Mais est-ce qu'il y a des garde-fous suffisants contre cette guerre, puisque désormais donc le Conseil de sécurité sera consulté, mais n'aura pas au fond de vote à refaire et l'emploi de la force pourra être quasi automatique. George Bush parle de menaces, de conséquences graves si Bagdad refuse.
R - La France s'est battue, le président de la République a clairement affirmé que nous attachions la plus grande importance à deux principes qui sont parfaitement intégrés dans cette résolution : tout d'abord le principe de respect de la légalité internationale et ensuite le respect de la morale internationale, le respect de la justice. Or, que prévoit-on dans cette résolution ? D'abord, une démarche en deux temps, c'est à dire qu'effectivement le Conseil de sécurité sera saisi à chaque étape et que le Conseil de sécurité appréciera la situation...
Q - Il ne votera pas ?
R - Sur la base du rapport des inspecteurs des Nations unies, et il peut voter à tout moment, il peut proposer une résolution et cette résolution peut passer au vote. Donc, en cas d'entorse grave, le Conseil de sécurité réuni peut décider l'ensemble des options à sa disposition, y compris bien sûr, l'usage de la force. Le deuxième élément, c'est qu'effectivement il n'y a pas dans cette résolution d'automaticité, il n'y a pas d'action unilatérale et préventive. Nous avons écarté ce scénario et rappelez-vous le chemin parcouru, quand on se souvient qu'au début du mois de septembre, tout le monde parlait d'une guerre inévitable. Il y a bien, dans cette résolution, une chance qui est donnée à la paix. La France pense - et c'est le sentiment partagé très largement par la communauté internationale - que la force ne peut être qu'un dernier recours. Le président de la République l'a dit très fortement à Beyrouth, le Moyen-Orient n'a pas besoin d'une nouvelle guerre.
Q - Est-ce que vous pensez que l'Iraq est de bonne foi dans cette affaire aujourd'hui ? Maintenant que l'Iraq est au pied du mur ?
R - Nous pensons que l'Iraq doit accepter. J'ai réuni l'ensemble des ambassadeurs arabes à Paris, pour leur adresser ce message. Nous faisons des démarches dans l'ensemble des capitales arabes pour leur demander de relayer ce message de la communauté internationale...
Q - Le vote de la Syrie est d'ailleurs une bonne indication.
R - Le vote de la Syrie montre bien, et le président de la République a eu longuement le président Bachar Al Assad, j'ai eu mon homologue syrien, et nous avons bien ensemble abordé la situation. Nous souhaitons tous que l'Iraq satisfasse à ses obligations parce que c'est la seule façon d'éviter le recours à la force. Il est important donc que Saddam Hussein comprenne que c'est là l'intérêt même de son pays, l'intérêt de son peuple.
Q - Et si jamais le recours à la force existe, est-ce que la France suivrait les Etats-Unis ?
R - La France fait tout pour que la paix puisse l'emporter. Et c'est donc dans ce sens que nous travaillons. S'il y avait des violations graves, bien évidemment, le Conseil de sécurité se réunirait à nouveau et nous prendrions alors bien sûr nos responsabilités.
Q - Vous pensez que les inspecteurs des Nations unies vont pouvoir partir le 18 novembre?
R - Je pense que les inspecteurs des Nations unies doivent partir le plus vite possible, doivent retourner sur le terrain. Ils sont un atout pour le Conseil de sécurité car nous avons des personnes expérimentées et professionnelles représentant l'ensemble des nations. Ils vont pouvoir aller à tout moment, partout, sur le terrain, vérifier la présence d'armes de destruction massive. Ils feront rapport au Conseil de Sécurité et donc le Conseil de sécurité pourra à tout moment être informé de la situation sur place.
Q - Alors, Dominique de Villepin, après une résolution importante, un autre point aujourd'hui : la Turquie. Valéry Giscard d'Estaing dit que ce n'est pas un pays européen et qu'elle n'a pas vocation à rentrer dans l'Europe. Quelle est votre position ?
R - La Turquie est candidate à l'Union européenne depuis maintenant 3 ans...
Q - Officiellement depuis 1999.
R - Il y a eu récemment des élections en Turquie qui ont marqué une nette victoire du parti de la Justice et du Développement. Cette victoire a conduit les dirigeants de ce parti à dire clairement leur volonté d'appartenir à l'Europe. A Copenhague, il sera adressé un message fort en direction de Turquie. Mais bien sûr nous jugerons le nouveau gouvernement sur ses actes.
Q - Donc candidat à l'Europe possible, malgré la présence d'un parti islamique au pouvoir.
R - Absolument.
Q - Merci beaucoup./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 novembre 2002)
Interview dans "Le Figaro Magazine" du 8 novembre 2002 :
Q - Fermeté face aux Etats-Unis pour l'Iraq, rôle apaisant au Proche-Orient, relance du couple franco-allemand, élargissement de l'Europe, redéfinition d'une politique africaine : la France est-elle de retour dans le jeu mondial ?
R - Je l'espère. En tout cas, il le faut, car elle a rôle à jouer. Un rôle à sa mesure. Grand, noble. Nous sommes à une période charnière de l'Histoire, caractérisée par les doutes et les troubles. Le 11 septembre n'en finit pas de propager ses secousses sismiques. Tout se fissure autour de nous. Le monde semble hésiter entre ces deux mouvements contradictoires : d'un côté, l'aspiration à l'unité, via la mondialisation et les communications ; de l'autre, le repli sur soi et le rejet de l'autre. Nous devons ainsi faire face à des menaces planétaires. Regardez l'actualité de ces derniers mois : Karachi, Djerba, Kaboul, Bali, le Yémen Manifestement, il est nécessaire de définir de nouveaux équilibres afin d'assurer une paix durable et la sécurité pour tous. Mais si le terrorisme doit être combattu (et nous l'avons fait avec les Etats-Unis et certains pays européens en Afghanistan), la seule réponse militaire ne fournira pas de solution à long terme. C'est la raison pour laquelle la France se bat afin de faire prévaloir le droit et la justice dans le dossier iraquien. Certes, nous souhaitons le retour des inspecteurs de l'ONU, car la prolifération des armes de destruction massive est lourde de périls. Mais leur mission doit être légitimée et encadrée par la communauté internationale. Toute action unilatérale doit être proscrite. Je crois que l'approche de la France est aujourd'hui largement partagée sur la scène internationale.
Q - Ce rôle de contrepoids face à l'hyperpuissance américaine n'est-il pas trop difficile à assumer ? La France a-t-elle les moyens de ses ambitions ?
R - Bien sûr. Partout où je me déplace, je constate un énorme désir de France, comme d'Europe. Nous voulons une France forte dans une Europe forte. En Afrique, en Asie, au Proche-Orient, en Amérique latine, mes interlocuteurs sont tous dans l'attente. Il y a là un véritable défi de civilisation à relever. Dans le grand chantier de cet univers en recomposition, la France se doit d'être en première ligne. Il faut se montrer originaux, imaginatifs, inventifs. Mettre en place de nouvelles associations, de nouveaux partenariats (comme le Nepad en Afrique). S'en prendre aux injustices qui nourrissent les frustrations : les épidémies, la pauvreté. Ainsi, nous avons décidé d'augmenter notre aide publique au développement de moitié dans les cinq ans à venir. Vous semblez mettre en doute les capacités de la France. Détrompez-vous : la puissance d'une nation n'est pas seulement dans sa démographie ou ses arsenaux. Il existe autre chose, quelque chose qui transcende ces données purement quantitatives : les valeurs, les principes, la générosité, la solidarité, la liberté ! Voilà ce que la France représente pour nombre de pays, qu'ils soient francophones ou non. Nous n'avons pas le droit de les décevoir./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 novembre 2002)
Q - Merci d'être ici. Le Conseil de sécurité des Nations unies va pouvoir dire son fait, maintenant, à l'Iraq. Le projet de résolution serait, cette fois, au point. Le compromis ou l'accord est-il prêt ?
R - Un énorme travail a été fait au cours des dernières semaines et je crois que nous approchons du terme de la négociation. Nous pensons qu'un vote pourrait intervenir d'ici la fin de la semaine ou au tout début de la semaine prochaine. La France, vous le savez, a beaucoup contribué à uvrer pour rendre ce texte acceptable par tous. Nous pensons que nous sommes tout prêt d'un accord.
Q - Après six semaines d'âpres négociations, est-ce la France qui a lâché du lest ou reste-t-elle sur sa ligne et l'Amérique aurait fait quelques concessions ?
R - La France a beaucoup travaillé d'abord pour que puisse être acceptée l'idée d'une démarche en deux temps. C'est-à-dire que le Conseil de sécurité reste le point de passage obligé, à chaque étape. C'est un principe de responsabilité collective des Nations unies auquel nous sommes attachés. Mais, surtout, nous refusions toute clause d'automaticité du recours à la force.
Q - Et vous l'avez maintenant ?
R - Nous l'avons. Nous avons une résolution qui prévoit très clairement que s'il y a une difficulté, s'il y a une violation patente par l'Iraq de la résolution, il y a retour vers le Conseil de sécurité des Nations unies.
Q - Pour faire la guerre à Saddam Hussein, il faudrait un nouveau texte des Nations unies et en tout cas, il n'y a pas de guerre préventive ?
R - Il n'y a pas de guerre unilatérale, il n'y a pas de guerre préventive. Rappelons-nous où nous étions au mois de septembre, lorsque l'on craignait, à tout moment, qu'une guerre puisse être déclenchée.
Aujourd'hui, je ne dis pas que la guerre n'aura pas lieu. Je dis qu'elle peut être évitée et qu'il appartient à Saddam Hussein - et le message que va lui adresser la communauté internationale est un message clair et ferme - de satisfaire aux obligations de cette résolution.
Q - La résolution peut-elle être votée par la France, dès vendredi, s'il y a encore des modifications aujourd'hui ?
R - Nous continuons à souhaiter encore des clarifications.
Q - Sur quoi ?
R - Notamment sur les clauses d'automaticité du recours à la force. Nous pensons que ce texte peut encore être amélioré et, en liaison avec l'ensemble de nos partenaires, nos amis russes, l'ensemble des membres du Conseil de sécurité, nous continuons à faire des propositions. Nous souhaitons que les choses soient le plus claires et le plus fortes possibles. Je crois que ce texte est, aujourd'hui, tout près d'un juste équilibre et nous continuons à souhaiter - pour l'efficacité future de cette résolution, de l'action de la communauté internationale - que ce texte puisse être voté à l'unanimité ou, en tout cas, recueille un quasi-consensus. Le message sera d'autant plus ferme vis-à-vis de Saddam Hussein et deuxièmement, tout au long de la crise, quand nous aurons parfois à faire face à des difficultés, le fait d'avoir une résolution largement soutenue par le Conseil de sécurité rendra plus facile la gestion de ces difficultés et des épreuves à venir.
Q - Ce matin vous dites que l'Iraq et Saddam Hussein n'ont pas d'autre choix que d'obéir ?
R - Absolument, l'Iraq doit se conformer à la légalité internationale. C'est le message très fort que nous adressons à Saddam Hussein. Nous ne pouvons pas accepter qu'il y ait des entorses commises à la non-prolifération et nous voulons donc lutter contre ce risque.
Q - La dernière phrase de la résolution, c'est "le Conseil a prévenu à plusieurs reprises l'Iraq qu'il fera face à de sérieuses conséquences s'il continue à violer ses obligations". Cela veut-il dire l'intervention militaire ?
R - Le président de la République l'a dit, à plusieurs reprises : le Moyen-Orient n'a pas besoin d'une nouvelle guerre. Vous connaissez la conviction française : la force ne peut être qu'un dernier recours mais nous ne pouvons pas accepter une situation où un Etat défie la communauté internationale. Il doit donc accepter d'appliquer la résolution, c'est tout le sens du message que nous lui adressons.
Q - Quel délai lui donnez-vous ?
R - Il a un délai de sept jours pour accepter la résolution et il devra, dans les 30 jours qui suivront l'adoption de la résolution, faire un rapport. Nous souhaitons que les inspecteurs des Nations unies puissent retourner le plus vite possible sur le terrain pour commencer leur travail.
Q - Et j'ai noté que 2002 ne sera pas, pour les inspecteurs, 1998. Leur mission est donc plus précise, plus dure ?
R - Nous avons un atout dans cette affaire, c'est la qualité des négociateurs. Nous avons deux personnes, M. Blix qui dirige la CCVINU, M. El Baradeï, qui est le responsable de l'Agence internationale de l'énergie atomique. Ils ont des équipes de professionnels, des équipes multinationales qui donnent des garanties d'efficacité.
Nous pensons qu'avec ces inspecteurs, nous avons là un atout et nous avons veillé à ce que tout au long de l'application de la résolution, ils puissent faire rapport au Conseil de sécurité et que ce soit sur la base des informations qu'ils trouveront sur place que le Conseil de sécurité puisse se déterminer. C'est une garantie de légitimité et d'efficacité.
Q - Etes-vous d'accord avec cette phrase que j'ai lu ce matin dans "le Parisien" : "l'intervention contre l'Iraq pourrait se produire dans le premier semestre 2003" ? C'est signé Xavier de Villepin.
R - Non, il n'a pas dit cela. Je ne crois pas du tout que le risque de guerre soit absolu aujourd'hui. Nous avons tout fait pour l'éviter, nous voulons véritablement que la force ne puisse être employée qu'en dernier recours.
Q - Autrement dit, la guerre s'éloigne, elle peut être retardée, elle peut ne pas avoir lieu ?
R - La communauté internationale est dans son rôle. Elle veut faire appliquer la résolution internationale, elle veut que la légalité soit appliquée. Elle se donne tous les moyens de le faire. Il appartient maintenant à l'Iraq de respecter et de se conformer. La balle est dans leur camp.
Q - le président Bush qui vient d'obtenir une victoire électorale sans précédent, a-t-il besoin d'une guerre aujourd'hui ?
R - Je ne crois pas, il a justement la liberté que lui donne un grand succès, un succès historique sur le plan électoral. Il peut, à partir de là, avoir justement, la liberté d'essayer d'obtenir, par des moyens pacifiques, par le biais de la sécurité collective, des résultats dans ce dossier si difficile qu'est l'Iraq.
Q - Comment le président de la République, le gouvernement ont-ils salué les résultats exceptionnels de M. Bush ?
R - Ce sont des résultats historiques, il est très rare que, dans des élections à mi-parcours, un président puisse obtenir un tel succès. En général, il y a au contraire un effritement. C'est l'inverse qui s'est produit. Il sort renforcé, il aura d'autant plus de latitude pour comprendre les situations difficiles et complexes de la situation internationale et travailler avec l'ensemble des membres de cette communauté.
Je le redis, pour être efficaces, il faut être unis. Nous le voyons bien, le risque terroriste est encore fort sur la scène internationale, le risque de prolifération ne se limite pas à l'Iraq. Il y a un risque intégriste et toutes ces difficultés impliquent la mobilisation. Face à des crises qui durent depuis trop longtemps, qui nourrissent un sentiment d'injustice, je pense au conflit israélo-arabe, nous devons faire en sorte d'être capables de nous mobiliser pour régler ces crises. Il ne s'agit pas uniquement de mettre des bandages sur les plaies. Il s'agit de trouver les moyens d'un solution. Nous avançons sur l'Iraq, nous devons également avancer sur d'autres crises.
Q - Par exemple, la Tchétchénie et la Russie, pensez-vous que c'est, là aussi, une injustice ?
R - Nous l'avons dit, et nous l'avons dit les premiers : il faut une solution politique à la crise tchétchène. Nous sommes convaincus aujourd'hui qu'une approche uniquement sécuritaire des problèmes du monde et des crises ne peut rien résoudre. Nous l'avons vu au Proche-Orient, l'insécurité ne se combat pas uniquement par une politique de sécurité. Il faut un espoir, une perspective politique, il faut répondre à la frustration et à l'humiliation.
Q - Lorsque vous parlez de terrorisme et de vigilance, c'est plus que de la forme. Sentez-vous que la menace existe, qu'elle se manifeste partout au Yémen, à Bali et que peut-être elle rôde en France et en Europe ?
R - C'est une évidence. Il y a aujourd'hui une menace, il y a des réseaux qui profitent à la fois des moyens technologiques énormes, et en même temps d'une capacité et d'une mobilité d'un autre âge. Tout cela fait que cette menace est difficile à appréhender.
Nous avons fait beaucoup de progrès, il y a des coopérations policières, des coopérations judiciaires; dans le domaine du renseignement, nous marquons des points. Il y a beaucoup d'arrestations qui ont été effectuées, mais tout cela n'est pas suffisant. Il faut apporter une réponse, c'est ma conviction, à toutes ces situations qui peuvent nourrir le terrorisme, l'alimenter et c'est pour cela qu'il faut répondre à ces grandes questions d'injustice à travers la planète.
Q - On l'observe des vieux conflits, des conflits qui s'éternisent, de nouveaux risques qui se développent et qui montent, une incertitude qui croît. Quel est le rôle des ministres des Affaires étrangères de l'Europe et d'un pays comme la France ?
R - C'est d'être présent partout, c'est d'avoir une voix forte, de développer un certain nombre de propositions et de faire preuve d'imagination pour faire avancer les choses.
Q - Même face à une grande puissance comme l'Amérique ?
R - Surtout face à une grande puissance. J'ai travaillé, tout au long des dernières semaines, tous les jours avec Colin Powell, tous les jours avec les ministres des Affaires étrangères représentés au Conseil de sécurité, justement pour essayer, dans l'unité, avec beaucoup d'humilité mais aussi avec beaucoup de conviction, de faire avancer les choses. Il y a une menace, nous devons tenter de la réduire.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 novembre 2002)
Interview à TF1 le 8 novembre 2002 :
Q - Est-ce que cette résolution, qui est très importante, laisse encore une porte entrouverte, je dirais, à la guerre, ou est-ce qu'elle ferme la porte à la guerre ?
R - Elle donne une chance à la paix, une dernière chance à la paix, elle adresse un message de grande fermeté à Saddam Hussein pour accepter le retour des inspecteurs des Nations unies et éliminer les armes de destruction massive. Nous parlons d'armes biologiques, d'armes chimiques, voire d'armes nucléaires. Mais elle marque surtout l'unité, l'unanimité du Conseil de sécurité. C'est dire que toute la communauté internationale est aujourd'hui soudée, mobilisée pour faire appliquer cet accord.
Q - Mais est-ce qu'il y a des garde-fous suffisants contre cette guerre, puisque désormais donc le Conseil de sécurité sera consulté, mais n'aura pas au fond de vote à refaire et l'emploi de la force pourra être quasi automatique. George Bush parle de menaces, de conséquences graves si Bagdad refuse.
R - La France s'est battue, le président de la République a clairement affirmé que nous attachions la plus grande importance à deux principes qui sont parfaitement intégrés dans cette résolution : tout d'abord le principe de respect de la légalité internationale et ensuite le respect de la morale internationale, le respect de la justice. Or, que prévoit-on dans cette résolution ? D'abord, une démarche en deux temps, c'est à dire qu'effectivement le Conseil de sécurité sera saisi à chaque étape et que le Conseil de sécurité appréciera la situation...
Q - Il ne votera pas ?
R - Sur la base du rapport des inspecteurs des Nations unies, et il peut voter à tout moment, il peut proposer une résolution et cette résolution peut passer au vote. Donc, en cas d'entorse grave, le Conseil de sécurité réuni peut décider l'ensemble des options à sa disposition, y compris bien sûr, l'usage de la force. Le deuxième élément, c'est qu'effectivement il n'y a pas dans cette résolution d'automaticité, il n'y a pas d'action unilatérale et préventive. Nous avons écarté ce scénario et rappelez-vous le chemin parcouru, quand on se souvient qu'au début du mois de septembre, tout le monde parlait d'une guerre inévitable. Il y a bien, dans cette résolution, une chance qui est donnée à la paix. La France pense - et c'est le sentiment partagé très largement par la communauté internationale - que la force ne peut être qu'un dernier recours. Le président de la République l'a dit très fortement à Beyrouth, le Moyen-Orient n'a pas besoin d'une nouvelle guerre.
Q - Est-ce que vous pensez que l'Iraq est de bonne foi dans cette affaire aujourd'hui ? Maintenant que l'Iraq est au pied du mur ?
R - Nous pensons que l'Iraq doit accepter. J'ai réuni l'ensemble des ambassadeurs arabes à Paris, pour leur adresser ce message. Nous faisons des démarches dans l'ensemble des capitales arabes pour leur demander de relayer ce message de la communauté internationale...
Q - Le vote de la Syrie est d'ailleurs une bonne indication.
R - Le vote de la Syrie montre bien, et le président de la République a eu longuement le président Bachar Al Assad, j'ai eu mon homologue syrien, et nous avons bien ensemble abordé la situation. Nous souhaitons tous que l'Iraq satisfasse à ses obligations parce que c'est la seule façon d'éviter le recours à la force. Il est important donc que Saddam Hussein comprenne que c'est là l'intérêt même de son pays, l'intérêt de son peuple.
Q - Et si jamais le recours à la force existe, est-ce que la France suivrait les Etats-Unis ?
R - La France fait tout pour que la paix puisse l'emporter. Et c'est donc dans ce sens que nous travaillons. S'il y avait des violations graves, bien évidemment, le Conseil de sécurité se réunirait à nouveau et nous prendrions alors bien sûr nos responsabilités.
Q - Vous pensez que les inspecteurs des Nations unies vont pouvoir partir le 18 novembre?
R - Je pense que les inspecteurs des Nations unies doivent partir le plus vite possible, doivent retourner sur le terrain. Ils sont un atout pour le Conseil de sécurité car nous avons des personnes expérimentées et professionnelles représentant l'ensemble des nations. Ils vont pouvoir aller à tout moment, partout, sur le terrain, vérifier la présence d'armes de destruction massive. Ils feront rapport au Conseil de Sécurité et donc le Conseil de sécurité pourra à tout moment être informé de la situation sur place.
Q - Alors, Dominique de Villepin, après une résolution importante, un autre point aujourd'hui : la Turquie. Valéry Giscard d'Estaing dit que ce n'est pas un pays européen et qu'elle n'a pas vocation à rentrer dans l'Europe. Quelle est votre position ?
R - La Turquie est candidate à l'Union européenne depuis maintenant 3 ans...
Q - Officiellement depuis 1999.
R - Il y a eu récemment des élections en Turquie qui ont marqué une nette victoire du parti de la Justice et du Développement. Cette victoire a conduit les dirigeants de ce parti à dire clairement leur volonté d'appartenir à l'Europe. A Copenhague, il sera adressé un message fort en direction de Turquie. Mais bien sûr nous jugerons le nouveau gouvernement sur ses actes.
Q - Donc candidat à l'Europe possible, malgré la présence d'un parti islamique au pouvoir.
R - Absolument.
Q - Merci beaucoup./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 novembre 2002)
Interview dans "Le Figaro Magazine" du 8 novembre 2002 :
Q - Fermeté face aux Etats-Unis pour l'Iraq, rôle apaisant au Proche-Orient, relance du couple franco-allemand, élargissement de l'Europe, redéfinition d'une politique africaine : la France est-elle de retour dans le jeu mondial ?
R - Je l'espère. En tout cas, il le faut, car elle a rôle à jouer. Un rôle à sa mesure. Grand, noble. Nous sommes à une période charnière de l'Histoire, caractérisée par les doutes et les troubles. Le 11 septembre n'en finit pas de propager ses secousses sismiques. Tout se fissure autour de nous. Le monde semble hésiter entre ces deux mouvements contradictoires : d'un côté, l'aspiration à l'unité, via la mondialisation et les communications ; de l'autre, le repli sur soi et le rejet de l'autre. Nous devons ainsi faire face à des menaces planétaires. Regardez l'actualité de ces derniers mois : Karachi, Djerba, Kaboul, Bali, le Yémen Manifestement, il est nécessaire de définir de nouveaux équilibres afin d'assurer une paix durable et la sécurité pour tous. Mais si le terrorisme doit être combattu (et nous l'avons fait avec les Etats-Unis et certains pays européens en Afghanistan), la seule réponse militaire ne fournira pas de solution à long terme. C'est la raison pour laquelle la France se bat afin de faire prévaloir le droit et la justice dans le dossier iraquien. Certes, nous souhaitons le retour des inspecteurs de l'ONU, car la prolifération des armes de destruction massive est lourde de périls. Mais leur mission doit être légitimée et encadrée par la communauté internationale. Toute action unilatérale doit être proscrite. Je crois que l'approche de la France est aujourd'hui largement partagée sur la scène internationale.
Q - Ce rôle de contrepoids face à l'hyperpuissance américaine n'est-il pas trop difficile à assumer ? La France a-t-elle les moyens de ses ambitions ?
R - Bien sûr. Partout où je me déplace, je constate un énorme désir de France, comme d'Europe. Nous voulons une France forte dans une Europe forte. En Afrique, en Asie, au Proche-Orient, en Amérique latine, mes interlocuteurs sont tous dans l'attente. Il y a là un véritable défi de civilisation à relever. Dans le grand chantier de cet univers en recomposition, la France se doit d'être en première ligne. Il faut se montrer originaux, imaginatifs, inventifs. Mettre en place de nouvelles associations, de nouveaux partenariats (comme le Nepad en Afrique). S'en prendre aux injustices qui nourrissent les frustrations : les épidémies, la pauvreté. Ainsi, nous avons décidé d'augmenter notre aide publique au développement de moitié dans les cinq ans à venir. Vous semblez mettre en doute les capacités de la France. Détrompez-vous : la puissance d'une nation n'est pas seulement dans sa démographie ou ses arsenaux. Il existe autre chose, quelque chose qui transcende ces données purement quantitatives : les valeurs, les principes, la générosité, la solidarité, la liberté ! Voilà ce que la France représente pour nombre de pays, qu'ils soient francophones ou non. Nous n'avons pas le droit de les décevoir./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 novembre 2002)