Déclaration de M. Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale, sur l'entente franco-allemande depuis la seconde guerre mondiale, Paris le 30 novembre 1999.

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Circonstance : Visite parlementaire officielle de M. Gerhard Schröder, chancelier d'Allemagne, le 30 novembre 1999

Texte intégral

Monsieur le Chancelier,
Monsieur le Premier Ministre,
Chers collègues,
Après tant d'épreuves terribles, tout a été dit sur la réconciliation entre l'Allemagne et la France. On ne se réconcilie vraiment qu'à l'instant où on comprend que celui qu'on prenait pour un ennemi est un frère : les Allemands et les Français sont désormais des frères. Et pourtant jamais notre hémicycle n'avait accueilli le Chancelier d'Allemagne. Vous êtes aujourd'hui parmi nous : triple signe que nos liens sont forts, que l'histoire bouge et notre Assemblée aussi.
Depuis 50 ans, des temps nouveaux sont advenus qu'ensemble Allemands et Français ont construits. La voiture sombre du chancelier Adenauer crissant sur le gravier pour s'arrêter devant la porte du Général de Gaulle à la Boisserie. La simplicité du dialogue ininterrompu entre le Chancelier Schmidt et le Président Giscard d'Estaing. La main d'Helmut Kohl serrant celle de François Mitterrand devant les tombes de Verdun. La monnaie unique. Nous ne doutons pas que, comme les dirigeants français d'aujourd'hui, vous vous inscriviez dans cette lignée.
Mais les pères fondateurs, les Jean Monnet, les Robert Schuman sont partis. Les générations qui n'ont pas vécu la guerre, et pour lesquelles la réconciliation est acquise, forment désormais la majorité. Nous parlons de moins en moins souvent la belle langue de l'autre. Comment avancer avec l'enthousiasme indispensable sans nous laisser enliser dans l'ordinaire du pragmatique et parfois une certaine lassitude ? Je reste optimiste.
Je reste optimiste parce que l'amitié franco-allemande a été et doit demeurer le noyau actif de la construction européenne. Bien sûr, comme dans les vieux couples nous cherchons parfois à nous provoquer. Parfois même nous cassons un peu de vaisselle sociale démocrate. Les clichés ont la vie dure, d'un côté celui d'une France hyperétatisée, de l'autre celui d'une Allemagne anglo-américanisée. Il faut dans tous les cas rétablir les faits, réinstaller entre nous non seulement la courtoisie conjugale nécessaire, mais, mieux, avancer des symboles et des réalités communes fortes. L'essentiel, c'est que nous avons en partage les valeurs du droit et de la démocratie, celle qui nous ont poussés à agir ensemble par exemple dans les Balkans. L'essentiel, c'est que nous dépendons largement les uns des autres, que nous sommes les piliers de la construction de l'Europe dont nous avons, et le monde avec nous, besoin. Là sont la loi et le sens de notre union qui nous ont permis de progresser ensemble dans l'Europe divisée puis unie.
De l'expérience acquise, nous savons que nous devons en toute occasion préserver le réflexe de la concertation. Il y eut quelques exceptions. Nos liens doivent s'appuyer sur des convergences vivantes entre nos gouvernements, nos parlements, nos sociétés civiles, nos peuples. De ce point de vue, l'automne a connu plusieurs événements heureux : les premiers pas de l'université franco-allemande de Sarrebrück, l'accord créant le groupe mondial aéronautique et de défense EADS, votre venue aujourd'hui.
Notre proximité implique que nous parvenions à préciser également ensemble le modèle de société que nous voulons. De même que la France se modernise, c'est, 10 ans après la chute du Mur, une Allemagne nouvelle qui se développe sous votre autorité. Economiquement puissante, toujours soucieuse d'environnement, très attentive à ses régions, ouverte à la fois vers l'Est et l'Ouest, avec bien sûr aussi ses problèmes et ses divisions. Une Allemagne dont on doit souligner qu'elle porte avec elle une vague nouvelle sur le plan de la littérature, de la musique ou de la philosophie. Nous partageons avec vous le souci des équilibres sociaux et de l'emploi, de la justice et de l'égalité des chances, de la formation et de l'éducation, de la liberté des esprits dans la diversité culturelle. Nous savons comme vous qu'un grand marché ne fait pas seul une grande communauté. En ce jour où s'ouvrent les débats de l'OMC à Seattle, nous voulons avec vous que la mondialisation dont on parle tant soit d'abord une humanisation du monde. Bref, il y a des moments où l'ambition n'est pas de l'orgueil, mais une condition de survie.
Dans cette perpective, seule la réalisation d'une Europe forte au dedans et au dehors nous permettra de maîtriser notre destin. J'ai dit que nous en étions les piliers, dirigés d'ailleurs contre personne. L'Union va devoir franchir une étape nouvelle pour renforcer sa légitimité démocratique et donner sens à un élargissement qui ne pourra évidemment pas fonctionner à l'identique. Nous Français, avec notre diversité interne, nous sommes pour la plupart persuadés que cette Europe ne pourra se développer sans d'abord une entente solide, intime, entre nos deux pays. L'édification d'une Europe politique impliquera des progrès rapides au moins dans deux domaines : les institutions où on peut redouter une réforme qui resterait trop timide ; notre rôle international, avec les moyens de sécurité et de défense correspondants, ce qui n'est pas toujours le cas.
Monsieur le Chancelier, l'entente franco allemande est un fait nouveau capital de la deuxième moitié du XXème siècle. Elle est essentielle à nos deux nations. Elle est la base de la construction de l'Europe. C'est pourquoi nous sommes particulièrement heureux de vous accueillir. La parole est à M. Gerhard Schröder, chancelier de la République fédérale d'Allemagne.
(Source : http://www.assemblee-nationale.fr, le 2 décembre 1999)