Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur la mise en examen de gendarmes du GPS (Groupement de peloton de sécurité), suite à l'incendie d'une "paillote" en Corse du Sud, Paris le 28 avril 1999.

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Circonstance : Réponse à une question de J. Rossi, président du groupe DL à l'Assemblée nationale, au sujet de la mise en examen de gendarmes du GPS en Corse

Texte intégral

Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Monsieur le président,
En Corse, un peloton de gendarmerie fait l'objet d'une enquête judiciaire dans le champ de la sécurité. Cela veut dire que le ministre de la Défense, le garde des Sceaux, le ministre de l'Intérieur pourraient répondre à vos questions, et le feront peut-être, s'il y en a d'autres qui sont posées. Mais compte tenu de la gravité de l'événement, je commencerai par le faire moi-même.
Quels sont les faits ?
Dans la nuit du 18 au 20 avril, un restaurant - une paillote, dit-on - installé dans le domaine public maritime a été détruit par un incendie. Ce bâtiment construit sans autorisation sur le domaine public maritime, comme beaucoup d'autres constructions, en application d'une décision de justice définitive intervenue en 1995, devait être démoli après sursis à exécution par son propriétaire à la fin de la prochaine saison estivale. Si je dis cela, c'est qu'il en va aussi, ici, du respect de l'Etat de droit.
Les circonstances de la destruction de ce bâtiment ont conduit les autorités judiciaires à mettre en examen et à écrouer plusieurs officiers et sous-officiers de la gendarmerie nationale dont des membres du Groupement de peloton de sécurité, dit GPS, qui se trouvaient à ce moment-là à proximité de l'établissement et qui pourraient, - et qui pourraient - se trouver impliqués dans cette destruction. Je précise, et il n'est sans doute pas inutile de le faire, que c'est une unité de gendarmerie, qui, informée et ayant découvert les faits, les a communiqués à la justice.
Une enquête judiciaire est donc en cours. Ces faits, s'ils étaient avérés, constitueraient à l'évidence, dans leur gravité, une atteinte à l'Etat de droit. Mais à condition, mesdames et messieurs les députés, d'ajouter que dans le cours même de ces dysfonctionnements, se trouve aussi confirmée l'existence de l'Etat de droit. Immédiatement une enquête judiciaire a été diligentée. Des responsables sont entendus et mis en cause. Les services de l'Etat agissent bien en Corse sous le contrôle stricte de la justice.
Ces événements sont bien une affaire de l'Etat, puisque certains de ses services sont mis en cause mais ce n'est pas une affaire d'Etat, car aucun des responsables politiques de l'Etat, qu'il s'agisse du Premier ministre qui vous parle, qu'il s'agisse du ministre de la Défense ou qu'il s'agisse du ministre de l'Intérieur, n'est en quelque façon que ce soit intervenu dans ces événements, je vous le confirme, Monsieur Rossi.
Il en va de même du garde des Sceaux, s'agissant aujourd'hui de l'enquête judiciaire.
Cela ne veut pas dire, bien sûr, que l'Etat et le Gouvernement en particulier ne doivent pas prendre toute leurs responsabilités. Outre l'enquête judiciaire et à la lumière de celle-ci, sans en même temps interférer avec elle, des sanctions seront prises et elles se situeront au niveau, quel qu'il soit, où s'est exercée la responsabilité dans les erreurs commises.
Deux enquêtes administratives sont lancées, l'une dirigée par un inspecteur général de l'Administration placé auprès du ministre de l'Intérieur, mais à caractère interministériel. Elle portera sur les services administratifs de l'Etat. L'autre, conduite par un inspecteur général des armées, concernera la gendarmerie et portera notamment sur l'organisation et le contrôle du GPS. Les deux responsables de ces missions d'inspection ont été désignés aujourd'hui et seront en Corse demain.
Le ministre de la Défense a en outre décidé la suspension du commandant de la Légion de Corse et des officiers concernés par l'enquête judiciaire qui sont de toute façon, je le rappelle, hors d'état d'exercer leur commandement. Ils seront remplacés par d'autres officiers de façon à assurer la continuité du service.
A l'issue de l'enquête administrative, nous verrons s'il est souhaitable de maintenir la structure particulière du GPS. Au moment de sa création, elle était justifiée par le contexte exceptionnel de l'époque. Dois-je vous rappeler, mesdames et messieurs les députés, qu'on a assassiné un préfet en Corse, que des menaces ont été proférées contre des personnalités, que des exactions ont été conduites ?
La nécessité d'interpellation dans des conditions particulièrement difficiles, la nécessité d'assurer la protection des hauts responsables de l'Etat et de hautes personnalités a été une des justifications de cette décision. Compte tenu de ce qui vient de se produire, elle doit faire l'objet, cette structure particulière, et rapidement d'un réexamen ; nous allons le faire.
Mais puisque vous évoquez, mesdames et messieurs, la gendarmerie, j'observe que l'enquête a été confiée par les magistrats à d'autres militaires de la gendarmerie - Inspection technique et section de recherches judiciaires - ce qui démontre que les autorités judiciaires ne manifestent aucune défiance à l'égard de la gendarmerie nationale en tant que corps. J'affirme la même confiance.
Nous avons tous constaté, mesdames et messieurs les députés, à quel point il est difficile d'agir en Corse. Et les problèmes que nous avons évoqués aujourd'hui n'auraient pas à se poser si certains n'utilisaient pas systématiquement la violence en Corse contre la loi républicaine.
L'objectif de la politique du Gouvernement en Corse est l'établissement de l'Etat de droit dans le cadre de la République, sans aucune stigmatisation - contrairement à ce que j'entends dire - à l'égard des Corses que j'aime et que je respecte personnellement, dans le respect justement de la personnalité corse, mais pour lutter contre les activités criminelles et mafieuses, assurer le développement économique, social et culturel de l'Ile, telle est notre politique.
C'est cette politique qu'a conduite en Corse le préfet Bonnet qui a accepté cette mission, je veux le rappeler, après qu'un préfet de la République ait été assassiné. Les moyens que nous avons employés et que nous employons sont ceux de l'Etat de droit. Au-delà des fautes ou des dysfonctionnements qui seront ou pas constatés et sur lesquels nous entendons faire toute la lumière, ce sont ces seuls moyens de l'Etat de droit que nous entendons utiliser.
Pour conclure, mesdames et messieurs les députés, je voudrais souligner devant vous l'extrême difficulté de la tâche que doivent accomplir les autorités administratives, les services de police et les services de gendarmerie dans l'île. Vous n'ignorez pas les mitraillages de gendarmerie, vous n'ignorez pas les atteintes aux biens de l'armée, vous n'ignorez pas les atteintes aux bâtiments civils, vous n'ignorez pas les menaces contre les personnes. Je souhaiterais que tout cela ne soit pas oublié.
Je partage la rigueur des exigences formulées à l'attention des services de l'Etat dans l'exercice de leurs missions. Je ne voudrais pas qu'elle s'accompagne d'une sorte de fatalisme ou parfois de complaisance à l'égard de ceux qui utilisent la violence dans la transgression constante de la loi. Voyons dans cet événement, mesdames et les messieurs les députés, et je m'adresse ici à l'ensemble des forces politiques et, comme vous, monsieur le président, sans aucun souci de polémique, oui, voyons dans cet événement une raison non pas d'affaiblir l'Etat de droit comme certains peuvent l'espérer en Corse, mais une raison de le renforcer.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 29 avril 1999)