Interview de Mme Tokia Saïfi, secrétaire d'Etat au développement durable, à RFI le 28 novembre 2002, sur l'action gouvernementale en faveur du développement durable et le lancement d'une campagne de sensibilisation auprès des consommateurs et des entreprises.

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Circonstance : Séminaire gouvernemental sur le développement durable à Paris le 28 novembre 2002

Média : Radio France Internationale

Texte intégral

P. Ganz -. Le Gouvernement réunit donc aujourd'hui un séminaire consacré au développement durable, avec, d'ailleurs, en avant propos hier, les termes du président de la République en Conseil des ministres, qui souhaitait que le développement durable s'incarne dans la vie quotidienne de chaque Français. Il faut une réunion spéciale du gouvernement pour cela ?
- "Oui, c'est un signe fort qui va être envoyé aujourd'hui à l'égard de nos concitoyens. Comme vous l'avez dit, le président de la République s'est beaucoup investi dans ce thème du développement durable, le Premier ministre également. Ce séminaire gouvernemental aujourd'hui au grand complet sera présidé par le Premier ministre."
Au grand complet, il ne manquera personne ?
- "Il en manquera quelques-uns mais ils ont des excuses très valables."
C'est-à-dire que vous avez, le Premier ministre et le Président ont vraiment insisté pour que tout le monde soit là, c'est la mobilisation générale ?
- "C'est la mobilisation générale, et je peux vous dire que le président de la République a été très clair en disant que chaque ministre devrait être présent et que ceux qui ne seraient pas présents devaient avoir une excuse très valable. C'est pareil pour le Premier ministre, il a bien insisté sur notre séminaire auprès des ministres et secrétaires d'Etat la semaine dernière, à Matignon."
Cela veut dire quoi ? Que certains au Gouvernement ne sont pas convaincus de la nécessité de cette stratégie ?
- "Vous savez je crois qu'aujourd'hui c'est vraiment une étape décisive, c'est une nouveauté. C'est la première fois, depuis des années, qu'un gouvernement au grand complet va se réunir sur le thème du développement durable, c'est un signe fort qui est envoyé. Aujourd'hui, le développement durable c'est - pour vous donner la définition classique - concilier le développement économique, la cohésion sociale et la préservation de l'environnement."
Mais excusez-moi, ça c'est un projet, c'est presque un peu incantatoire, concrètement ça sera quoi ?
- "Nous, nous quittons l'incantation, nous voulons en faire un thème de vie quotidienne, de vie quotidienne pour tous les Français. Ce séminaire gouvernemental va servir à décliner les actions de développement durable dans tous les thèmes de société, à savoir l'économie, l'information. L'important c'est d'abord de responsabiliser nos concitoyens et pour les responsabiliser, il faut les informer, et pour les informer il ne faut pas les culpabiliser. Alors, j'explique, c'est vrai que moi quand je suis arrivée à ce secrétariat d'Etat au développement durable, tout était à faire, parce que ce thème était plutôt dans un cercle d'initiés, un cercle d'experts. J'ai décidé de l'ouvrir à la majorité, parce que vous savez, si on veut avancer, c'est la majorité de nos concitoyens qui doit être concernée. Alors j'ai placé ça sous le signe de la solidarité également, la solidarité entre les générations parce qu'aujourd'hui, nous ne pouvons pas continuer à vivre comme nous vivons notre manière de consommer, si on continue comme ça, il nous faudra deux planètes de plus d'ici 2007."
Et ça, techniquement, ce n'est pas possible...
- "Ce n'est pas possible. Et entre les peuples, parce qu'il y a aussi un problème entre pays riches et pays pauvres : 80% des ressources naturelles sont consommées par 20% de la population mondiale, qui est concentrée"
C'est un constat que vous avez raison de rappeler. Concrètement, par exemple, pour que ceci, avec le temps, commence à diminuer, qu'est-ce qu'on peut proposer ? Donnez-nous des exemples de ces mesures qui vont faire que ce ne seront plus 80% des ressources consommées par les pays riches, mais 79, 78 et de moins en moins.
- "Par exemple, si je prends des départements très importants, nous avons réussi quand même, aujourd'hui, à faire bouger Bercy, l'économie, ce mastodonte de l'économie, sur plusieurs thèmes : d'abord sur la sensibilisation des entreprises, parce beaucoup d'entreprises sont impliquées dans la pollution ; dans la sensibilisation du consommateur. Le consommateur, il faut l'informer des produits qu'il achète, d'où ils viennent, quels dégâts ils peuvent occasionner..."
Et l'information suffit ou est-ce qu'à un moment donné, il faudra peut-être des incitations fiscales ?
- "Oui, les incitations fiscales, et je dis bien incitations, pas taxation."
Pas d'écotaxe ?
- "Voilà, pas d'écotaxe. Des incitations fiscales, oui, ça viendra. Mais ce que je veux dire, c'est que l'important c'est que le message, c'est le plan de bataille aujourd'hui, le plan de bataille du Gouvernement pour le développement durable. A la sortie de ce séminaire, chaque ministre va sortir avec sa feuille de route. A l'issue de ce séminaire, plus de 64 actions à court terme vont démarrer, vont être lancées."
Vous nous mettez en appétit, donnez-nous un exemple.
- "Déjà, ce qui me tient à cur, c'est l'Etat exemplaire. Aujourd'hui, l'Etat demande un certain nombre d'efforts à nos concitoyens, demande des efforts au niveau environnemental aux entreprises, par contre l'Etat, lui, ne fait aucun effort."
Qu'est-ce qu'il peut faire ?
- "D'abord, dans sa gestion quotidienne. Vous avez tous l'occasion de passer devant des bâtiments publics la nuit et vous voyez que toutes les lumières sont allumées ; c'est inadmissible ! C'est une consommation d'énergie qui est un gaspillage. Donc, il doit donner l'exemple. L'Etat doit donner l'exemple dans sa prise de décisions, intégrer le développement durable dans sa prise de décisions, c'est-à-dire quand on décide d'installer une ligne TGV ou une ligne électrique, on doit mesurer les conséquences d'ici à 10 ou 20 ans, on arrête le court terme, maintenant c'est le long terme. C'est ça le développement durable. C'est l'éducation des enfants : aujourd'hui, le Premier ministre a missionné le professeur Ricard (phon.) pour qu'on puisse intégrer l'enseignement de l'éducation à l'environnement dès septembre 2003."
Tout cela demande du temps, est-ce que vous pensez, y compris budgétairement, qu'on pourra tenir la durée ?
- "Il ne faut pas chercher à avoir des résultats dans les mois qui viennent, le développement durable c'est le long terme, on réfléchit pour les générations futures. Alors, quand on parle de budget, je dis que j'ai le budget de l'Etat à ma disposition, parce que maintenant, c'est tous les ministres, donc j'aurai le budget de tous les ministères..."
Il y aura quand même à un moment donné des arbitrages entre des revendications sociales, par exemple, et puis des investissements pour le long terme.
- "Oui, mais c'est une de mes batailles. Qu'est-ce que vous voulez, je ne vous ai jamais dis que cela allait être facile, que ça allait être simple, que tout allait couler. Aujourd'hui, on va avoir des débats avec les collègues, des vrais débats, parce que ce sont des décisions qui vont avoir des conséquences sur leur propre budget et sur leurs propres actions ministérielles."
Ça démarre aujourd'hui et si ce n'est pas vite suivi par des choses concrètes vous ne craignez pas que les Français prennent ça pour un gadget ?
- "Des choses concrètes, il va y en avoir et ça ne sera pas un gadget, ça je peux vous l'affirmer."
Sur ces 64 mesures, est-ce qu'il y en a, dès les semaines qui viennent, qui vont toucher la vie quotidienne des Français ?
- "Je peux déjà vous annoncer d'ailleurs cette sensibilisation aux consommateurs, une grosse impulsion sur le commerce équitable, une annonce de semaine du développement durable, en juin, où il y aura vraiment des actions très importantes qui vont être entamées. Pour l'éducation des enfants, comme je vous l'ai dis, dès janvier, je sors un petit livre que je vais inciter à distribuer dans les écoles, sur des actes de vie quotidienne. Il y a un certain nombre d'actions qui vont être déclinées et les Français vont avoir une visibilité très rapide du développement durable."
Par rapport à l'international, il y a eu la prise de position très nette du président de la République au sommet de Johannesburg, il y a l'engagement d'augmenter l'aide publique au développement. Est-ce qu'il ne faudrait pas aussi regarder, par exemple, nos relations agricoles, modifier la Politique agricole commune pour qu'elle gêne moins les pays du Sud ?
- "Oui, c'est envisagé. Je vous dis que le développement durable c'est le long terme et c'est une vraie lutte. Alors, c'est vrai que sur des dossiers lourds tels que l'agriculture, les transports, tout ne se fera pas en un jour. Le signe qui est envoyé aujourd'hui, c'est que maintenant la donne a changé, il faut changer nos habitudes et des signes forts vont être envoyés, notamment sur l'agriculture et sur les transports."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 28 novembre 2002)