Interview de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, à RTL le 7 janvier 2003, sur l'attaque des forces françaises en Côte d'Ivoire, la mission de ces forces et le risque d'une nouvelle guerre en Irak.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

RTL :
Bonjour Michèle Alliot-Marie.
Michèle Alliot-Marie :
Bonjour.
Bonne année et merci d'être avec nous ce matin.
Très bonne année à vous aussi et à tous les auditeurs.
En Côte d'Ivoire hier, les positions françaises ont été attaquées, à Duékoué. Est-ce que cet incident est de nature à remettre en cause la réunion de conciliation qui est prévue pour le 14 ou 15 janvier à Paris ?
Non. Il s'agit là d'une opération où une quarantaine d'hommes en arme se sont approchés des troupes françaises et ont ouvert le feu soit avec des armes individuelles soit avec un mortier. C'est d'ailleurs par les éclats d'obus de mortier que les soldats ont été blessés. En réalité, il semble que même celui qui contrôle théoriquement la zone du côté des rebelles n'ait pas été au courant de cette attaque.
Un incident donc très isolé ?
Il semblerait qu'il s'agisse effectivement de l'uvre d'incontrôlés. Dès que les troupes françaises ont réagi, tout ce groupe s'est égayé dans la nature. Il est évident qu'il n'y a pas de comparaison entre le professionnalisme de nos troupes et ces différents groupes.
Mais néanmoins, on a une situation évidemment en Côte d'Ivoire entre les rebelles du MPCI et les troupes du président Gbagbo qui est très lourde et très tendue. Les troupes françaises ont déjà tiré sur les rebelles. Elles n'ont jamais tiré sur les troupes du président Gbagbo. Mais aujourd'hui il y a un cessez-le-feu. Est ce que pour faire respecter ce cessez-le-feu à tout prix, les troupes françaises auraient pour consigne de tirer sur n'importe quelle troupe, y compris celle du président Gbagbo ?
La situation est extrêmement claire. Elle a été répétée aux uns comme aux autres. Les troupes françaises sont là pour protéger les ressortissants français et étrangers. Si elles étaient attaquées, ou si les ressortissants français ou étrangers étaient attaqués, elles pourraient tirer.
Donc sur toutes les troupes, y compris celle du président en place ?
Bien sûr, dès lors qu'il y aurait une attaque, c'est tout à fait normal. D'autre part, les troupes françaises sont là pour faire respecter un cessez-le-feu. Cela leur a d'ailleurs été demandé par les deux parties en attendant que les forces de la CEDEAO, c'est à dire les forces africaines des autres pays, puissent se mettre en place. Elles ont pour mission de faire respecter ce cessez-le-feu par tous les moyens.
Alors, Michèle Alliot-Marie, cette année, elle commence drôlement, puisqu'on a le sentiment que c'est l'année d'une guerre annoncée, mais qui ne dit pas son nom, et il y a un malaise. Pourquoi le président Chirac n'en a que très discrètement parlé finalement pendant ses vux ? Certains le lui ont reproché. Evidemment, je parle de la guerre en Irak que les Américains préparent apparemment.
Je ne crois pas que cela soit une bonne chose que de faire monter la tension par des supputations. Aujourd'hui, la situation est claire. Le conseil de sécurité des Nations Unies a décidé à l'unanimité que les inspecteurs des Nations Unies devaient aller sur place pour vérifier si l'Irak détient des armes de destruction massive et pour, si c'est le cas, faire procéder à l'élimination de ces armes. Nous sommes dans ce cas de figure et pas dans un autre. C'est donc aux inspecteurs de faire ensuite leur rapport devant les Nations Unies.
Vers la fin janvier ?
Oui, c'est cela. En fonction de ce que les inspecteurs diront sur ce rapport, une décision sera alors prise.
Oui, mais Michèle Alliot-Marie, vous êtes ministre de la Défense, vous êtes un membre important du gouvernement français, vous savez bien que les Américains ont envoyé des milliers d'hommes dans le Golfe, presque la date de la guerre est annoncée vers le 15 février qu'on multiplie, on dit même que les pays européens se résigneraient finalement à cette guerre ça va très loin..
Non. On dit beaucoup de choses, mais entre ce que l'on dit et la réalité, vous le savez bien Ruth Elkrief, il y a parfois beaucoup de nuances et même plus que des nuances. Aujourd'hui c'est fait, il y a des soldats américains dans le Golfe. On a dit que c'était cette présence et la menace qu'ils représentaient qui avait permis d'obtenir de Saddam Hussein qu'il laisse revenir les inspecteurs et que ceux-ci puissent faire leur travail dans de bonnes conditions. Je ne sais pas ce qu'il en est.
Donc vous dîtes que c'est un genre de pression quoi, ce n'est pas encore la guerre, c'est de la pression ?
C'est effectivement de la pression. Je répète, et je crois que la plupart des pays et notamment des pays européens sont tout à fait d'accord sur ce point, la guerre est toujours la pire des solutions. Elle ne peut être qu'un ultime recours, s'il n'y avait pas d'autres moyens de savoir ce qui se passe en Irak en terme d'armes de destruction massive ou s'il n'était pas possible d'obtenir leur élimination. Ce que nous voulons, c'est faire disparaître ces armes qui peuvent constituer une menace à l'extérieur comme à l'intérieur du pays. C'est notre objectif.
Vous avez vu que Saddam Hussein est très virulent, qu'il accuse les inspecteurs d'espionnage, qu'il multiplie les louanges sur les kamikazes palestiniens. Enfin, on a le sentiment qu'il est en train de mobiliser ses troupes lui aussi.
Ce que nous constatons aujourd'hui, c'est ce que disent Monsieur Blix et les inspecteurs. Ils n'ont eu aucune entrave à l'inspection qu'ils sont en train de mener en Irak selon le mandat des Nations Unies. C'est cela le but essentiel. Toutes les gesticulations autour n'ont pas beaucoup d'importance. Vous savez une guerre, c'est quelque chose de grave. Cela peut avoir des conséquences considérables. Non seulement sur les populations irakiennes, mais également sur tous les pays et sur toute la stabilité de cette zone du monde. Cela peut également avoir des conséquences graves sur une explosion du terrorisme qui aurait certainement lieu dans ces conditions. Il ne faut ni prendre les choses à la légère, ni se laisser impressionner par des discours. Ce qui doit compter, ce sont les faits. Ce qui doit compter, c'est le sérieux de cette situation.
Michèle Alliot-Marie parlons des faits. Est-ce que l'armée française se prépare à cette guerre ? Quelle place elle prendrait dans une guerre éventuelle ? Est-ce qu'il y a une stratégie déjà préparée par les états-majors ?
Encore une fois, nous sommes dans le cadre du mandat des Nations Unies.
Mais tout de même, vous vous préparez non, il y a quelque chose qui se passe ?
Non. Ce serait une mauvaise chose que de dire que nous nous y préparons. Ce qui est vrai, c'est que nous voulons que les inspecteurs puissent faire leur travail. Ce qui est vrai aussi, c'est que l'armée française est prête à faire face à toutes les situations quand besoin en est. Il n'y a qu'à voir ce qui s'est passé en Côte d'Ivoire. Le rôle du ministère de la Défense, c'est d'être prêt en toute situation et en toute occasion à faire face à ses obligations pour la protection de ses ressortissants, pour la protection de ses intérêts dans le monde et pour répondre aux obligations internationales acceptées sur le plan politique.
Vous êtes la première femme ministre de la Défense en France. Il paraît qu'au cours de votre dernier voyage aux Etats-Unis, Ronald Rumsfeld qui est votre homologue américain, qui n'est pas un tendre, on le sait, a dit : c'est Thatcher c'est la dame de fer. Vous l'avez pris comme un compliment ?
Dans son esprit, cela voulait sans doute dire que je lui avais tenu tête dans un certain nombre de circonstances et qu'il pensait que j'avais un certain caractère. Je suppose que c'est ce que cela veut dire.
C'est votre secret pour vous faire respecter par les militaires car apparemment c'est tout à fait le cas aujourd'hui ?
D'abord, j'ai beaucoup de plaisir à travailler avec les militaires et, d'une façon générale, avec l'ensemble du personnel du ministère de la Défense. Ce sont des gens d'une très grande compétence. Le ministère de la Défense est le ministère où l'on trouve les technologies les plus en pointe. Dans le même temps, ce sont des hommes et des femmes qui ont une très grande éthique et qui ont le sens du service. C'est donc très agréable.
Vous avez du changer, vous vous êtes adaptée, vous avez changé de look ?
Non. Cela n'a pas été ma préoccupation. Ma préoccupation est très banale. Je me suis par exemple coupé encore un peu plus court les cheveux, simplement parce que, quand on met un casque dans un avion ou un hélicoptère, vous devez savoir cela Ruth Elkrief, quand on l'enlève, il faut pouvoir se recoiffer rapidement. C'était donc limité à peu près à cela. Je dois dire que les fonctions que j'avais occupées notamment dans le domaine sportif, m'ont aussi aidé dans certaines occasions.
Merci beaucoup Michèle Alliot-Marie, ministre de la Défense.
(propos recueillis par Ruth Elkrief)
(Source http://www.défense.gouv.fr, le 8 janvier 2003)