Déclaration de Mme Marie-George Buffet, secrétaire nationale du PCF, sur l'actualité du communisme et les enjeux du prochain congrès du parti communiste, à Paris le 16 novembre 2002.

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Circonstance : Réunion des animateurs de section à Paris le 16 novembre 2002.

Texte intégral

Chers camarades,
Il n'est d'issue que collective face aux défis qui nous attendent. Aucune vérité pour l'avenir n'est écrite à l'avance dans le marc de café ou sur le marbre de l'histoire passée. Il n'y a pas d'homme ou de femme providentiels, nous devons faire face ensemble. Et ce n'est pas flatter que dire cela, c'est donner simplement sa place à chacun-chacune. C'est pourquoi il est important que nous nous retrouvions ensemble, avec vous qui faites vivre notre collectif humain, car je suis convaincue qui rien ne peut se faire au Parti communiste sans les militants et militantes. Plus que jamais, nous avons besoin d'échanger, de travailler ensemble, de confronter nos expériences, d'évaluer ce que nous avons fait, de prendre nos responsabilités et j'assume les miennes, de réfléchir, de débattre. Il nous faut mettre en place les meilleurs chemins pour trouver les réponses, car notre débat est bel et bien lancé. C'est pourquoi il était important de nous pencher ensemble sur les chantiers de la transformation sociale, les forum citoyens, la mobilisation des communistes, la vie du parti, qui ont été au cur de vos échanges entre animateurs, animatrices de sections.
Nous traversons une période difficile de notre histoire qui nous presse de comprendre les causes de notre échec et de faire preuve d'audace pour faire vivre des perspectives, une alternative, un idéal. Mais nous ne voulons pas réfléchir dans une bulle à l'écart du monde. Comment résister et construire un vrai changement ? C'est la question posée lors de nos forum citoyens. C'est l'une des questions centrales de notre congrès. Les deux dimensions sont intimement liées, sans quoi notre résistance serait vaine en ne portant aucun espoir, sans quoi notre projet serait tout simplement invraisemblable car déconnecté de la réalité. Nous voulons poser les questions sur la table pour que le plus grand nombre se les approprie, parce que nous savons qu'il est insoutenable de vouloir faire le bonheur des hommes et des femmes sans eux. Parce que nous contestons le système existant, nous voulons affronter le rouleau compresseur de la droite au gouvernement et celui du capitalisme mondialisé. Nous voulons dessiner une alternative, un vrai changement.
Chers camarades,
La situation du monde et de la France nous appellent à être pleinement communistes dans la riposte.
1. Est-il besoin de dresser la liste et de montrer l'ampleur des ravages du capitalisme mondialisé ?
Le système s'emballe et se nourrit de sa propre crise. La Bourse oscille et capte indéfiniment les richesses, tandis que les entreprises ferment, refusent d'investir pour se développer ou augmentent leurs bénéfices sur le dos des travailleurs. Le chômage repart de nouveau à la hausse et la précarité aussi. Combien de plans sociaux sont dus à cette course aux profits hystérique qui caractérise le monde dans lequel nous vivons ? Les inégalités se creusent en France et dans le monde. La guerre devient plus que jamais un moyen de gouvernement, une constante dans la marche du monde. C'est une guerre sans fin, qui n'a d'autre but que d'assurer l'emprise de l'empire marchand sur les hommes et les femmes de la planète.
2. La droite au pouvoir assume pleinement la désolation que produit le système : après six mois de gouvernement, le bilan est déjà lourd.
Aggravation des inégalités sociales, abolition des trente-cinq heures, risque d'un Etat-policier, casse du système éducatif, amputation du service public, suppression des mesures anti-licenciements économiques de la loi de modernisation sociale, stigmatisation des minorités, guerre contre les pauvres Jean-Pierre Raffarin met le social à la casse et les droits au rebut. Le gouvernement a beau brouiller les pistes par des déclarations volontairement contradictoires, ce sont autant d'indications sur les ambitions qu'il se fixe de mettre à bas ce qui existe de justice sociale dans notre pays. Les menaces s'accumulent sur notre système de protection sociale, nos retraites, notre santé. Jean-Pierre Raffarin s'en prend à la République comme on a brisé le vase de Soissons. Sa décentralisation est une vaste opération de dilution des responsabilités, de segmentation et de privatisation des services publics, de déréglementation des droits, d'atteinte aux principes de solidarité et d'égalité entre les citoyens. L'obsession sécuritaire du gouvernement et ses velléités répressives centrent le climat sur des peurs pour éviter tout débat de fond. Insidieusement, il remplace la référence à la liberté par la référence à l'ordre, la référence aux droits par la référence à la sécurité, la référence à l'égalité par la référence à la concurrence, la référence à l'éducation par la référence à la répression. Ainsi, les valeurs fondamentales de la vie en société sont dévoyées. Sous des airs rassurants, Jean-Pierre Raffarin veut installer une société socialement et humainement insécuritaire.
La rupture est nette avec la période passée : le gouvernement mène une politique qui livre notre peuple aux soubresauts ravageurs du capitalisme, et qui accentue le morcellement de la société jusqu'à l'individualisme le plus exacerbé. Par tous les moyens, il cherche à diviser les Françaises et les Français pour mener sa barque comme il l'entend : sans eux et contre eux. Il fait mine de s'adresser aux oubliés, en affirmant que le système de retraites est injuste pour le démanteler, en affirmant s'attaquer au mal des cités pour se contenter de le cacher, en affirmant parler à la France profonde pour mieux la livrer au marché. Souhaite-t-il seulement convaincre ? Il tente en réalité de faire rentrer le libéralisme dans les murs. Sous couvert de pragmatisme, c'est le retour de la pensée unique. On va nous expliquer qu'on ne peut pas faire autrement, qu'il n'y a pas de solutions, pas d'alternative. Il s'agit tout simplement de dépolitiser la société. Nous croyons que rien de ce que propose la droite n'est inéluctable. Malgré le vent mauvais qui souffle sur l'Europe et le monde, nous croyons qu'il existe d'autres perspectives à construire avec les hommes et les femmes, et à faire grandir, voilà notre tâche de communistes.
3. Les communistes sont décidés au combat
Nous avons pour ambition de montrer le but de cette politique, sa cohérence dévastatrice et de la combattre. Mais engager la riposte n'est pas simple. D'abord parce que nous sommes encore sous le choc du 21 avril, qui a modifié durablement le paysage politique. La gauche a été particulièrement ébranlée. Elle est aujourd'hui en question. Pour sortir de la nasse, il faut proposer autre chose que ce qui a déjà été fait, de plus convaincant, et surtout de plus juste. Ensuite parce que même si nous avons beaucoup travaillé ces dernières années, aux yeux des citoyens, nous avons perdu de notre pertinence, et peut-être de notre impertinence. La politique dans son ensemble est de plus en plus frappée de désertion et d'isolement. Nos relations avec le mouvement social sont compliquées, et pourtant, nous avons tant à bâtir ensemble. Enfin, parce que la droite déploie une énergie folle pour s'engouffrer dans les failles qui ont marqué l'action de la gauche plurielle. Les communistes ont choisi de ne pas rester les bras ballants, empêtrés dans les querelles de personnes ou les discussions mondaines. Contre le flot prévu de privatisations, nous avons enclenché la riposte pour faire vivre des solutions alternatives pour un service public efficace et citoyen. Contre les licenciements, nous nous mobilisons pour travailler avec les salariés en lutte à la sauvegarde de l'emploi, au maintien et au développement des protections qui les concernent. Contre la mascarade de la décentralisation telle que nous la présente le gouvernement et pour un nouvel âge de la démocratie. Pour que les citoyens décident, nous demandons un référendum !
Oui, chers camarades,
Nous ne pouvons pas nous résoudre à l'ordre existant ; nous ne pouvons pas nous résoudre à ce système qui n'a de sens que pour la minorité dominante ; nous ne pouvons nous résoudre à cette société qui broie les hommes et établit entre eux des rapports d'oppression. Cette réalité est insupportable à bien d'autres qu'à nous, qu'ils aient décidé de la combattre où qu'ils s'en accommodent par fatalisme. Je pense à ceux et celles avec qui nous étions réunis la semaine dernière à Florence, et à ceux et celles qui sont frappés par les salaires de misère, le chômage, les conditions de vie difficiles, les discriminations. Je pense à tous ces hommes et ces femmes que la politique désespère autant que le monde dans lequel ils vivent. Je pense à tous ces jeunes à qui l'on n'offre pas d'autre horizon que celui de la précarité et de la galère. Je pense à tous ces hommes et ces femmes engagés dans un syndicat, ou une association. Les charpentes du monde travaillent, et nous pouvons être un ferment dans la pâte. Il y a donc un espace pour une alternative politique audacieuse, encore faut-il qu'elle existe. Trois raisons principales me font croire à cette hypothèse. D'abord, les potentialités du mouvement social sont un atout considérable pour la transformation de la société. Je pense par exemple aux mouvements féministes, et antiraciste par exemple qui jouent un rôle essentiel dans ce combat. Je pense également au mouvement altermondialiste. A Florence, nous avons été partie prenante de ce mouvement très divers et très contestataire. Des questions s'y creusent, des recherches avancent, une revendication de dignité et de démocratie y grandit. Mais il faut que se dessine désormais une alternative politique qui fasse place à ces aspirations. Si la rencontre parvient à se faire, à égalité, entre mouvement social, citoyen et politique, cette alternative devient possible. Ensuite, les rapports de force dans une gauche ébranlée et mise fortement en question ne sont pas immuables. Le risque de la bipolarisation existe forcément, mais il nous reste à développer une capacité d'entraînement sur des idées, un espoir, des pratiques audacieuses qui peuvent faire bouger les lignes. Enfin, si rien n'est naturel en la matière, je crois en la capacité des hommes et des femmes à redresser la tête, à prendre conscience des failles qui parcourent ce monde, et à inventer une autre suite que cette perpétuelle faillite.
Bien sûr, pour riposter efficacement, notre parti doit proposer une alternative audacieuse, c'est l'objet de notre congrès.
1. Le débat du congrès est profond
Nous avons décidé de nous réunir en avril. C'est tout simplement une question vitale qui nous occupe, celle de la possibilité ou non de dépasser le capitalisme, de changer la vie quotidienne, de façonner un monde plus juste, plus solidaire et plus fraternel. Ce congrès, nous ne voulons surtout pas le préparer en vase clos. Ce serait réduire les chances de parvenir à changer le monde, ce serait oublier d'où nous venons, ce serait faire fi de l'histoire, parfois passionnée, aujourd'hui douloureuse qui nous lie à notre peuple et parfois nous en délie. Ce congrès, nous voulons qu'il respire les aspirations, les critiques, les reproches, les idées, les énergies qui sont à l'uvre autour de nous. Nous voulons qu'il prenne conscience du monde avec les chantiers de la transformation sociale. Nous voulons un congrès qui nous permette de nous regarder droit dans les yeux dans un miroir, qui pose les questions qui fâchent. Nous voulons un congrès qui enclenche un mouvement au-delà de nous-mêmes. Avec tous ceux et celles qui nous entourent, avec tous ceux et celles qui veulent, nous voulons contribuer à définir les contours et les contenus d'une alternative politique porteuse d'avenir. Il s'agit de permettre aux hommes et aux femmes de se réapproprier le monde et son devenir, et donc de porter avec audace la visée communiste qui nous habite, celle de l'alternative politique au cur des milieux populaires, du monde du travail. Voilà pourquoi nous avons lancé dans toute la France ces forum citoyens. A mes yeux, ce sont des moments essentiels qui nécessitent un investissement massif de notre part car ils sont le lieu où peuvent s'amorcer de nouveaux départs.
J'ai participé à plusieurs forum à travers la France. A chaque fois, j'ai senti la profondeur des questions, des réflexions et la qualité du débat, mais aussi la colère, l'exigence, le doute sur la période passée comme sur celle à venir. Ces échanges sont sains et riches pour aller de l'avant. Tout cela me donne espoir, car je crois que notre débat peu à peu se hisse à la hauteur de l'enjeu. C'est un débat en évolution. Plusieurs étapes vont rythmer notre réflexion, mais d'ores et déjà toutes les questions du congrès sont sur la table. Le texte qui dresse l'état des débats livre une photographie des débats, mais ce n'est pas pour les figer, bien au contraire, c'est pour leur permettre de progresser. Il fait apparaître des divergences, mais aussi du commun que nous devons savoir apprécier à sa juste valeur. A chaque fois que j'ai participé à des forum, j'ai ressenti la nécessité de poursuivre les échanges plus loin, de leur donner de l'ampleur et du souffle, une résonance nationale. Il nous faut élucider la source de nos échecs, évaluer sereinement ce que nous avons fait et réfléchi. Il nous faut continuer à construire un communisme de notre temps, courageux et audacieux. Il nous faut définir les chemins que nous proposons pour qu'il prenne corps. Il nous faut enfin nous dire ce qui nous rassemble et ce que nous voulons faire ensemble.
Permettez-moi, à partir des rencontres publiques, des échanges avec les adhérents que j'ai pu avoir dans une dizaine de fédérations depuis la rentrée, de vous faire part de quelques réflexions personnelles qui peuvent, bien évidemment, évoluer au cours du débat.
2. Nous devons comprendre aussi comment nous en sommes arrivés là
Lorsque nous avons enclenché la mutation, c'était en d'autres termes, et avec sans doute une autre acuité, déjà ces défis-là qui se posaient à nous. Au cours de cette période, il y a eu des tâtonnements et des erreurs. Nous nous sommes parfois mal compris, et mal fait comprendre. Un retour critique s'impose donc : je crois qu'à partir d'une évaluation de la période passée, nous devons savoir tirer le meilleur de cette expérience. Toute fuite en avant aurait pour effet immédiat de masquer les problèmes rencontrés. Toute tentative de retour en arrière serait une reculade suicidaire. Avec la mutation, les communistes ont voulu prendre les moyens d'être mieux en phase avec la société, de rompre avec une attitude avant-gardiste, de considérer tous les combats qui se mènent contre les dominations comme des éléments essentiels du dépassement du système, de commencer par les fins, de nous mettre en conformité jusque dans notre organisation avec notre idéal. Je crois que ces intuitions demeurent justes et indispensables : il faut les faire vivre dans leur vérité, dans leur plénitude : être pleinement communistes. Nous avons beaucoup travaillé, nous avons franchi des étapes essentielles. Je dis cela pour que nous soyons lucides et conscients qu'il n'est pas d'évidence lorsque nous sommes dans la tempête et que la réalité n'est pas écrite en noir et blanc.
La mutation a également été marquée, aux yeux des citoyens, par notre participation au gouvernement. Je crois qu'elle est loin de s'y réduire et de se confondre avec cette expérience du pouvoir. Dans notre échec au pouvoir, dans notre échec électoral, il y a une pluralité de causes. Il y a des causes immédiates qui pèsent fortement sur nous aujourd'hui : je pense notamment à la manière dont nous avons géré notre participation au gouvernement, à notre difficulté à porter devant ceux qui nous faisaient confiance les obstacles et les questions qui nous étaient posées. Nous avons rencontré dans cet exercice des difficultés conséquentes, qui trouvent leur source dans la période concernée, mais aussi plus loin que ces seules dernières années. Elles nous renvoient à notre conception de l'union depuis plusieurs décennies. Notre positionnement a peu à peu été conditionné par celui du Parti socialiste et notre ambition a pu se résumer à ces quelques mots : peser sur le PS. Comment alors mobiliser à partir d'une espérance relative et indéfiniment déçue ? Dans la complexité des rapports de force politique et des évolutions des mentalités dans la société, nous ne sommes pas parvenus à rendre un idéal communiste visible et croyable, nous ne sommes pas parvenus à donner la parole au plus grand nombre, aux milieux populaires, au monde du travail. Dans notre situation actuelle et celle plus large de la société française, nous avons une responsabilité importante, et c'est ce constat qui peut aujourd'hui nous permettre de croire qu'il est possible de renverser la vapeur. Bien sûr, rien n'est simple aujourd'hui comme hier, et parmi les paramètres à prendre en compte, il faut je crois mesurer la difficulté du chemin à gravir. Le capitalisme, même s'il est en crise, est un modèle dominateur qui écrase les hommes et les femmes jusque dans leur dignité et leur volonté de libération. Nous voulons résolument faire appel à l'intelligence de chacun et chacune et de tous, nous voulons engager des démarches de construction collectives, nous voulons co-élaborer le monde en conscience. C'est un défi dont il nous faut mesurer l'audace.
3. Nous devons reconstruire une cohérence qui nous permette de porter haut notre idéal et d'être pleinement communistes
A mon sens, ce défi exige à la fois de faire vivre une visée communiste audacieuse, des perspectives de rassemblement respectueuses où la confronter et la faire avancer, une proximité renouvelée et courageuse avec notre peuple pour des rassemblements majoritaires, et un parti capable d'assumer cette démarche. Or dans chacun de ces quatre domaines, il y a beaucoup à faire.
D'abord, pour rendre crédible un idéal qui nous porte et qui montre notre engagement, nous devons être à même de définir de grandes réformes susceptibles d'en indiquer le sens et d'en prendre le chemin. C'est cela dépasser le capitalisme, si ce mot peut nous parler : inventer les voies d'une alternative qui transforme radicalement l'ordre existant, la place de chacun et chacune dans le développement de la société, les rapports entre les personnes, les relations d'échanges économiques, notre capacité à maîtriser la destinée collective. La société que nous voulons, c'est une société où chacun a sa place où l'homme et la femme sont au centre : une société du partage des avoirs, des savoirs, des pouvoirs, bâtie par les hommes et les femmes eux-mêmes. Dans notre monde, tout cela est en gestation, tout cela existe déjà par bribes. Oui, vraiment, ce qu'il nous faut inventer ensemble, c'est une société du partage ! Je dis ensemble parce qu'il n'est pas d'émancipation possible de tous, sans émancipation de chacun et chacune. Sans doute faut-il porter le féminisme. Un monde partagé doit l'être jusqu'au bout dans la conception de son développement, de ses projets, des décisions. Quelles réformes peuvent porter aujourd'hui cette ambition et constituer les piliers d'une alternative ? Sans doute faut-il s'appuyer sur la sécurité emploi-formation, comme un moyen de libération des salariés. Sans doute faut-il développer une démocratie participative audacieuse. Sans doute faut-il définir de nouveaux champs et de nouveaux modes de service public susceptibles de dépasser le cadre national. Sans doute faut-il chercher à redéfinir l'Europe et les structures internationales. Sans doute faut-il inventer des nouveaux modes d'échange et de coopération, des nouveaux modes de marché, des nouveaux critères de gestion mettant l'homme au centre. Sans doute faut-il s'attaquer fermement au règne de l'argent. Sans doute d'autres ont-ils en tête des idées qui sont pour nous porteuses de cette visée communiste. Est-il illusoire de mettre cela en débat ? Non, je ne le crois pas.
Nous ne pensons pas pouvoir changer la société seuls et nous ne le voulons pas. Le rassemblement est nécessaire pour traduire politiquement une ambition. Pour être vrai et efficace, il doit se faire sur des contenus et non pas dans des accords de sommet déconnectés du peuple et de la réalité. Pourquoi irions-nous nous enfermer dans un regroupement protestataire qui réduirait à la fois notre démarche et notre visée ? Pourquoi irions-nous renoncer à notre espoir pour nous ranger derrière une bannière social-démocrate ? Décidément, dans le paysage politique mouvant d'aujourd'hui, nous devons donc travailler à faire naître du neuf. Dans chaque cas de figure la question qui se pose à nous est celle de notre stérilité ou de notre fécondité : quelle peut être notre efficacité au regard de nos objectifs et notre utilité concrète ? Pour y répondre, il nous faut engager des processus en profondeur, de conviction, de construction, de co-élaboration, à partir du mouvement de la société qui déjà cherche à abolir le réel. Ce que nous voulons mettre en débat, ce sont les contenus de notre visée pour vérifier leur pertinence, les enrichir, les faire grandir, les débattre, les partager. Sans cette recherche du rassemblement, nous ne serions qu'une secte au discours pseudo révolutionnaire. Nous devons être disponibles pour le rassemblement avec tous ceux et celles qui refusent ce système et veulent changer réellement le monde. Il devra se construire au fil de l'histoire par des initiatives ponctuelles et parfois plus durables. C'est ainsi que peut naître, à mon sens, un rassemblement respectueux de chacun. Si le verrou sautait qui maintient la séparation entre la politique et le mouvement populaire, l'énergie qui pourrait alors se déployer serait considérable. Le mouvement social doit pour moi être un acteur incontournable dans la construction de l'alternative politique. Ensemble, il nous faut chercher encore comment. J'ajoute avec insistance que nous ne devons jamais oublier que l'abstention est le premier parti de France. C'est pour nous une blessure ouverte.
Ce fossé qui s'est creusé avec la majorité de ceux et celles que nous entendons défendre et promouvoir ne peut pas nous laisser indifférents. C'est pourquoi j'ai parlé d'une proximité renouvelée et courageuse. Nous ne sommes pas aujourd'hui ce que nous étions hier, et nous ne le redeviendrons pas. Mais face à tous ceux qui veulent confisquer la politique, nous devons être ceux qui la portent sur la place publique. Pour être forts dans les rassemblements futurs, pour donner de l'écho à notre visée, cette proximité est indispensable. Etre à l'écoute bien sûr, mais surtout être en dialogue et en confrontation, porter nos idéaux, dire ce qui nous anime. Beaucoup d'hommes et de femmes des milieux populaires, du monde du travail ont le sentiment que nous les avons abandonnés, beaucoup se sentent à l'écart de la politique et de la société, beaucoup sont résignés à ce monde et le subissent. D'aucuns ont théorisé la mort de la classe ouvrière et nous avons eu, nous-mêmes, du mal à appréhender les conséquences des mutations sociologiques de ces trente dernières années. Mais qui sont ces centaines de milliers de salariés qui continuent à vendre leur force de travail dans de grandes entreprises ou dans des plus petites ? Qui sont ces centaines de milliers de femmes et d'hommes employés de bureau ou de commerce qui subissent la loi du système ? On cherche aujourd'hui à les diviser et il est vrai que la conscience du " tous ensemble " se fait moins évidente. Parce que nous sommes des leurs, nous devons parvenir à incarner ce qui les rassemble et la force de cette identité. Nous devons faire place à la voix de tous ces hommes et de toutes ces femmes, à leurs colères, à leurs révoltes, à leurs aspirations. Avec eux.
Le processus est parfois long qui conduit à la prise de responsabilité politique. Appréhender le monde, le comprendre, s'y situer parmi les rapports de force sociaux, sont des éléments essentiels pour cela. Nous devons investir le terrain de l'éducation populaire par laquelle les hommes et les femmes entre eux se forment, s'informent, se lèvent, s'élèvent, prennent conscience d'eux-mêmes et de leur immense capacité transformatrice. Au plus près nous devons travailler cette proximité, une proximité qui donne la parole, qui rend digne, qui rend libre. Communistes, nous devons être profondément ce que nous sommes par essence : nous devons être du peuple.
Enfin, le parti que nous avons construit au fil des ans est parfois en difficulté pour porter l'ensemble de ces exigences. Or il a une place de premier rang à tenir pour faire vivre une alternative. Nous pouvons parfois avoir le sentiment que des communistes sont démobilisés, qu'ils vivent mal les orientations de leur parti, qu'ils voient mal que faire pour être utiles. La direction nationale n'est pas sans responsabilités dans ce trouble. J'entends de la bouche de nombreux responsables du parti, de militants que nous devons réapprendre des gestes simples. Les actes militants peuvent-ils encore faire bouger les choses, ont-ils encore une utilité ? Beaucoup de communistes ont parfois eu le sentiment que la question était posée, que finalement la politique était désormais ailleurs. Mais les idées sont incarnées par des hommes et des femmes, elles doivent trouver vie. Si les peuples font l'histoire, l'engagement est la première des valeurs collectives. Je crois à la portée du militantisme. Je crois à ces actes du quotidien, à cette façon d'être à la fois attentif et moteur. A cette façon de prendre à bras le corps la réalité locale et quotidienne, à cette façon d'interpeller, d'aller à la rencontre de ceux qui nous entourent. C'est cette générosité et cette conviction qui doivent continuer à être notre force. L'audace de notre projet ne peut pas se passer d'un militantisme courageux, car c'est par lui que passe la construction d'une visée communiste enracinée dans la réalité des hommes et des femmes. Cela nécessite un parti qui fournit la matière à ce militantisme. La matière, c'est à dire d'abord la clarté dans le débat et les prises de positions, mais aussi la formation nécessaire. Cela nécessite également un parti qui met en cohérence l'activité communiste. Ainsi se pose la question du rôle des directions, car nous avons un devoir d'efficacité. Les directions doivent être mieux au service de l'activité et des communistes. Je sais que chacun,- chacune, d'entre vous est confronté à cette question au quotidien et nous devons encore y travailler. Nous avons cherché autour des cellules, des réseaux, des collectifs, les formes les plus adaptées à notre activité aujourd'hui, je crois qu'il n'y a pas de recette miracle. Nous avons de nouveaux statuts, je crois qu'il faut désormais pousser les feux de leur mise en uvre, car ils offrent une variété de possibilités et ouvrent la voie à une démocratisation de notre fonctionnement. La souveraineté des communistes, n'a aucun sens dans la cacophonie, mais dans la construction de commun, c'est à quoi nous devons désormais travailler. A mon sens, le problème majeur de notre organisation ne peut pas simplement se régler par des textes, il est un problème de pratiques. Quel type d'activité voulons-nous développer ? Quel type de rencontres entre communistes adaptées aux objectifs que l'on se fixe ? Il nous faut encore au plus près du terrain réfléchir à notre manière d'être et à nos manières de faire. Autour de nous, beaucoup qui ne nous ont pas forcément fait confiance ces derniers temps, n'ont pas mis une croix sur le Parti communiste pour préserver la possibilité que quelque chose vienne de nous. Je sais la richesse de notre collectif humain, je sais la force qu'il représente lorsque la même flamme l'anime, je sais aussi ses doutes parfois. C'est à cause de ce collectif que j'ai confiance pour l'avenir.
Chers camarades,
En cette période où des réalités prennent fin et où d'autres se cherchent, nous pouvons représenter un espoir. Notre congrès a du pain sur la planche. Si nous continuons à le préparer dans l'esprit qui est celui que je ressens aujourd'hui, je crois que nous pouvons avancer, ouvrir des pistes, ouvrir des brèches. Plus que jamais nous avons besoin de tous et toutes pour donner force et pertinence à une visée communiste enracinée dans la société d'aujourd'hui et les aspirations qui y germent. Avec tous les communistes. Avec tous ceux et celles qui ne se résignent pas à ce système capitaliste prédateur. Avec tous ceux et celles qui rêvent de justice, de solidarité, de liberté, de paix, de fraternité. Avec tous ceux et celles qui n'osent plus mais qui ont envie de rêver. Avec tous ceux et celles qui pensent qu'il faut changer le monde. Avec tous ceux et celles qui aimeraient mais doutent que ce soit possible. Oui, avec eux et elles, parce que nous ne pouvons nous résigner à la réalité d'aujourd'hui, nous voulons inventer une alternative forte. Ensemble, car pleinement communistes, relevons ce défi. Celui de conjuguer la révolte et le rêve au quotidien. Malgré les coups, cet engagement a un sens : une société où les hommes et les femmes vivent libres et égaux. Un tel objectif, camarades, cela vaut le coup, malgré toutes nos difficultés d'être les militants et les militantes des lendemains qui chantent.
(Source http://www.pcf.fr, le 19 novembre 2002)