Editoriaux de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière dans "Lutte ouvrière" les 11, 15 et 25 octobre 2002 sur le conflit en Côte-d'Ivoire, l'attentat de Bali et sur "l'Etat au service des possédants".

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Média : Lutte Ouvrière

Texte intégral


11 ctobre 2002 - Irak, Côte-d'Ivoire...
Ces guerres qu'on fait payer aux classes populaires
La crise qui secoue depuis quelques semaines la Côte-d'Ivoire peut apparaître lointaine. La télévision rapporte des images d'une rébellion militaire, et on fait état de la mort de plusieurs centaines de personnes, des civils surtout. Parfois, on nous montre aussi comment, dans la ville principale, Abidjan, le gouvernement officiel qui se prétend socialiste fait déguerpir - c'est le mot utilisé là-bas - des bidonvilles entiers de pauvres sous prétexte que leurs habitants sont originaires du pays voisin, le Burkina, ou du nord du pays dont on accuse les habitants de prendre fait et cause pour les rebelles.
Oui, la Côte-d'Ivoire et ses drames apparaissent lointains, comme apparaît lointaine la pauvreté qu'on entrevoit dans les images. Et pourtant, ce qui s'y passe nous concerne très directement. Car l'armée française, présente en permanence dans ce pays, est en train de renforcer ses effectifs pour intervenir dans le conflit.
Cette intervention a été présentée comme une intervention humanitaire pour sauver les étrangers, en particulier français, nombreux dans ce pays. Puis le gouvernement français a annoncé qu'il fournissait un appui logistique à l'armée gouvernementale. Mais l'appui est maintenant plus que logistique : les troupes françaises prennent parti en se déployant entre les deux camps de façon à empêcher les mutins de progresser vers Abidjan. L'armée française est en réalité de plus en plus engagée dans une opération militaire dont personne ne peut garantir aujourd'hui qu'elle ne sera pas durable. On nous expliquera ensuite que cette intervention, menée au nom du " peuple français ", était destinée à aider le gouvernement légal et, par conséquent, le peuple ivoirien.
Dans la réalité, le gouvernement en place a été élu suite à des élections notoirement truquées, au milieu d'un climat de violence imposé par les militaires et par les milices supplétives du régime.
Et surtout, si l'armée française intervient, ce n'est certainement pas en faveur de la majorité pauvre de la Côte-d'Ivoire qui croupit dans la misère, mais pour défendre ces grandes entreprises françaises qui ont de gros intérêts là-bas et qui ont largement contribué à la pauvreté de la population.
Car si la Côte-d'Ivoire n'est plus officiellement une colonie, comme elle l'a été pendant longtemps, elle fait quand même partie de la chasse gardée du grand capital français. De Bouygues à Bolloré, des travaux publics au négoce du café ou du cacao, en passant par les chaînes commerciales et les banques, nombre de groupes français s'enrichissent là-bas grâce aux salaires bas et au pillage du pays. Et si les Français sont nombreux en Côte-d'Ivoire, peu d'entre eux sont des médecins, des enseignants ou des spécialistes en agriculture pour aider la population de ce pays, et bien plus sont des entrepreneurs petits et grands ou des cadres d'entreprises françaises venus pour mieux l'exploiter.
Combien de millions d'euros coûtent les bases militaires françaises en Afrique, maintenues pour protéger les intérêts des groupes capitalistes ? Combien coûtera l'intervention en Côte-d'Ivoire ?
Et combien coûterait l'intervention militaire bien plus importante si les rodomontades guerrières des États-Unis se transformaient en guerre et si, sous prétexte de chasser le dictateur Saddam Hussein, on massacrait son peuple ? Car si les États-Unis se lançaient dans la guerre, la France serait partie prenante. Parce que tel est l'intérêt du pays ? Non, mais parce que tel est l'intérêt de Total, de triste mémoire, ou de quelques autres grandes entreprises françaises qui ne veulent pas être écartées d'un éventuel règlement par des concurrentes américaines ou anglaises.
Et, pendant qu'on engloutit des centaines de milliards dans un porte-avions et des sous-marins nucléaires de plus pour préparer de telles aventures guerrières, on nous dit qu'il n'y a pas assez d'argent pour les hôpitaux ou pour les écoles, pas assez pour financer l'aide aux personnes dépendantes.
Et la Côte-d'Ivoire ou l'Irak ont beau être loin, on fera payer les interventions aux classes populaires, financièrement ici et avec du sang et de la souffrance là-bas.
Arlette LAGUILLER
(Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 18 octobre 2002)
15 octobre - LA MONTEE DE LA BARBARIE ET SES RESPONSABLES
On ne peut qu'être horrifié par le carnage de l'île de Bali, qui a fait 187 morts et des centaines de blessés. Quels qu'en soient les auteurs, rien n'excuse ou ne justifie cet acte terroriste, aveugle et odieux.
Les commentateurs rappellent avec nostalgie que cette île lointaine passait pour un véritable paradis. Paradis peut-être, mais pour touristes argentés seulement. Car l'archipel indonésien auquel elle appartient est une des régions pauvres de la planète dont la population vit dans la misère.
Eh oui, il n'y a plus de paradis, fût-il factice, à l'abri sur cette planète ! Mais comment pourrait-il y en avoir ?
Bien sûr, il suffit de quelques individus dépourvus de conscience et d'humanité pour perpétrer un attentat à la voiture piégée, comme celui perpétré à Bali. Mais pourquoi la multiplication des attentats ? Pourquoi la multiplication des guerres locales, des affrontements ethniques ? Pourquoi cette barbarie que l'on sent monter un peu partout sur la planète, en même temps que monte le désespoir ?
Poser ces questions, c'est en poser d'autres. Pourquoi l'aggravation de la misère dans la majeure partie de la planète ? Pourquoi, alors que la capacité productive de l'humanité s'accroît, que progressent les sciences et les technologies, plusieurs centaines de millions de personnes sont-elles condamnées à la faim, privées même d'eau potable et menacées de mourir de maladies que l'on peut guérir facilement ?
Pourquoi la croissance économique elle-même ne résorbe-t-elle pas la pauvreté ? Pourquoi, au lieu d'atténuer les inégalités, les aggrave-t-elle au contraire ? Les richesses s'accumulent au profit de quelques milliers de groupes industriels et financiers. Leurs propriétaires et les gros actionnaires ont des fortunes individuelles dont certaines dépassent les revenus nationaux de pays entiers ! Et les Etats des quelques grands pays impérialistes, les Etats-Unis mais aussi la France ou la Grande-Bretagne et quelques autres, dont la bourgeoisie concentre ces richesses entre ses mains, imposent leur ordre et leur domination au monde entier, suscitant des haines, des colères qui peuvent être capitalisées par toutes sortes de fanatismes.
Oui, le carnage de Bali est odieux. Mais celui dont Bush menace en ce moment même l'Irak le sera bien plus encore. Car Bush n'utilisera pas les méthodes artisanales de l'attentat de Bali, mais les moyens les plus sophistiqués de la technique moderne : des missiles ou des bombes guidées par des satellites. Combien de civils, combien d'enfants mourront sous les bombes si Bush déclenche sa guerre, avec le soutien de Blair et de Chirac ? Combien sont déjà morts simplement de malnutrition à cause de l'embargo que les puissances occidentales imposent à ce pays ?
Et combien d'autres morts, victimes du terrorisme d'Etat d'Israël avec le soutien des puissances occidentales, dans les rangs du peuple palestinien ?
Et si l'armée française intervient plus ouvertement en Côte-d'Ivoire, combien de morts s'ajouteront à ceux de la violence ethniste, manipulée par le régime de ce pays soutenu par le gouvernement français ?
La domination de la bourgeoisie sur l'économie se traduit, même ici, dans un des pays considérés comme les plus riches de la planète, par des inégalités croissantes, par l'appauvrissement des classes populaires, par le démantèlement de tout ce qui, dans cette économie basée sur le profit individuel, sert quand même un peu la collectivité.
Mais la misère est infiniment plus grande dans les classes populaires de la partie pauvre de la planète. Voilà ce qui alimente la haine contre l'Occident riche. Et voilà ce qui alimente les repliements religieux ou ethnistes.
Et les bombes qu'on enverra sur l'Irak ne pourront qu'attiser un peu plus le désespoir et la haine.
A la barbarie à laquelle la bourgeoisie impérialiste conduit l'humanité, il n'y a nul échappatoire. Sauf à mettre fin à la domination de la bourgeoisie sur le monde et au système dément dont elle se nourrit.
Arlette Laguiller
(Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 17 octobre 2002)
25 octobre 2002 - Ouvertement ou hypocritement, l'État est au service des possédants
Fort de la royale élection que les partis de gauche ont offerte à Chirac en mai dernier et de la confortable majorité dont l'UMP dispose à la Chambre, le tandem Chirac-Raffarin s'emploie à donner aux capitalistes encore plus de moyens de s'enrichir, quitte à appauvrir encore les classes laborieuses.
Ce n'est certes pas une politique fondamentalement différente de celle que Jospin a menée durant cinq ans. C'est au contraire dans la continuité de celle-ci, comme Jospin n'avait fait, dans bien des domaines, que poursuivre ce que Juppé avait entrepris. Mais comme les prochaines élections nationales sont lointaines, la droite au gouvernement n'a même pas à se soucier des réactions électorales possibles des milieux populaires.
Alors, dans tous les domaines, on voit se multiplier les mesures en faveur du patronat ou défavorables à la population.
La courbe du chômage a repris son ascension. De nombreuses entreprises annoncent leurs nouveaux " plans sociaux ", c'est-à-dire des licenciements et des suppressions d'emplois. Et que fait le gouvernement ? Il s'apprête à suspendre les articles de la pourtant très timide " loi de modernisation sociale ", qui avait quelque peu allongé les délais concernant les licenciements collectifs (sans évidemment les interdire). Faciliter la tâche de ceux qui fabriquent des chômeurs supplémentaires, voilà la politique du gouvernement.
On peut en outre être sûr que, lorsque cette décision sera entrée en vigueur, bien d'autres entreprises, dont les patrons n'attendent que cela, annonceront de nouveaux plans de licenciements.
Ces mesures prises en faveur du patronat sont parfois plus ou moins habilement présentées comme des mesures " sociales " ou " démocratiques ". Il en est ainsi, par exemple, de la politique dite de décentralisation, inaugurée par le gouvernement socialiste Mitterrand-Mauroy en 1982, et poursuivie par la droite. Elle concerne en particulier le transfert de certaines décisions aux Conseils régionaux. Et on voudrait nous faire croire qu'elle est destinée à rapprocher les centres de décision du public. Mais si la volonté des différents gouvernements qui se sont succédé depuis vingt ans avait vraiment été de faire en sorte que la volonté des habitants de chaque région, département ou commune soit mieux prise en compte, on n'aurait pas assisté à ces suppressions de lignes de chemins de fer, de classes ou d'écoles, de bureaux de poste dans des villages ou des quartiers, d'hôpitaux de proximité, qui accompagnent l'incessante dégradation des services publics.
Ce qui intéresse l'État, dans la décentralisation, c'est au contraire de pouvoir se désengager d'un certain nombre de dépenses pourtant indispensables à la collectivité, et de pouvoir consacrer l'essentiel de son budget à soutenir les intérêts de la bourgeoisie et à entretenir une armée capable de défendre les intérêts de l'impérialisme français aux quatre coins du monde.
Les hommes politiques qui dirigent les Conseils régionaux sont tout à fait conscients que les transferts de compétences envisagés ne s'accompagneront pas d'un transfert de moyens suffisant. Ils protestent d'ailleurs de temps en temps, surtout s'ils appartiennent à l'opposition. Mais ils ne s'y opposent pas, car de toute manière ils auront ainsi plus d'argent à gérer, et plus de moyens pour favoriser les capitalistes de leur région.
De même, au niveau des départements, aucun des politiciens qui expliquent, par exemple, qu'ils vont avoir bien du mal à financer " l'allocation personnalisée d'autonomie ", destinée aux personnes âgées, n'envisage de réduire le budget considérable des subventions qu'ils accordent aux entreprises.
Le problème fondamental n'est pas celui des compétences respectives de l'État, des régions et des départements. C'est que tout le système est au service des seuls possédants. Et c'est cela que les travailleurs devront changer, en unissant leurs forces pour le faire.
Arlette LAGUILLER
(Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 25 octobre 2002)