Déclaration de Mme Dominique Voynet, ministre de l'environnement, sur la création d'un sanctuaire pour les mammifères en Méditerranée, Rome le 25 novembre 1999.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Signature de l'accord international portant création du premier sanctuaire pour les mammifères en Méditerranée, à Rome le 25 novembre 1999

Texte intégral

Monsieur le ministre,
Monsieur le ministre conseiller,
Mesdames, messieurs
Je me réjouis que l'Italie, la principauté de Monaco et la France soient parvenues, ensemble, à faire reconnaître la nécessité de préserver l'habitat des baleines et des dauphins qui peuplent, sans doute depuis des temps immémoriaux, cette partie de la Méditerranée - la mer ligurienne -, entre Côte d'Azur, Corse et Riviera italienne.
Il s'agit d'une démarche essentielle qui, au-delà de la seule protection des espèces, privilégie l'action sur le milieu marin et sur les facteurs susceptibles d'influer, de manière néfaste, sur les conditions de vie des cétacés dans une zone vitale pour leur alimentation.
Cette richesse marine est surprenante : plus de 1000 baleines - des Rorquals communs- et 25000 dauphins bleus et blancs, selon les premières estimations, évoluent à quelques milles des côtes de nos trois pays. Dans cette zone pélagique, ils y trouvent tout le plancton - le Krill - nécessaire à leur alimentation.
La fréquentation de ce secteur par les cétacés n'est pas un scoop. Les baleines et les dauphins sont connus depuis longtemps des riverains comme des scientifiques. Et il n'est pas rare que d'un ferry reliant l'Ile de Beauté au continent on puisse longuement les observer.
Mais le développement des activités humaines en milieu marin, les risques liés à la pollution par les hydrocarbures, la pollution des villes nécessitent aujourd'hui l'adoption de mesures spécifiques pour maintenir intactes les conditions qui ont toujours permis aux mammifères marins d'évoluer dans cette partie de la Méditerranée.
D'où la décision de nos trois pays de créer un sanctuaire. Je dois l'avouer : ce terme de sanctuaire n'est pas pour me plaire. Il ne s'agit en effet pas de définir un lieu saint de l'écologie interdit aux profanes mais, bien au contraire, par la protection de ce milieu exceptionnel, de permettre aux générations futures de profiter de ce patrimoine.
Je souhaite que cette démarche puisse servir d'exemple. Si nous étions sur le continent et que nous disposions d'une telle richesse biologique, nous aurions adopté des mesures de protection strictes de type parc national ou réserve naturelle. Mais ce n'était ni utile ni possible.
En effet, en Méditerranée, au-delà des limites territoriales, à 12 milles nautiques, c'est déjà la haute mer avec toutes les difficultés pour un État de prendre, de manière unilatérale, des mesures de conservation.
Nous avons surmonté l'obstacle en créant un " sanctuaire " qui dépasse nos frontières maritimes et couvre aussi la zone de haute mer. Évidemment, cela signifie que nous ne pourrons ériger de barrières. Mais notre méthode ne repose pas sur l'interdiction. Elle s'appuie sur la sensibilisation et la concertation.
La signature de ce sanctuaire, c'est un appel, un signal fort à celles et ceux qui exercent des activités de pêche, de transport maritime, de plaisance, de sports nautiques, ou d'observation dans cet espace marin pour qu'ils respectent les cétacés.
Nous devons privilégier bien entendu la négociation et l'élaboration de codes de bonne conduite et nous ne doutons pas de réussir à convaincre avant de réglementer, voire interdire certaines activités.
Dans ce domaine plus que dans tout autre, il vaut mieux prévenir que guérir. C'est pourquoi il faudra tenter de déterminer, avec les pêcheurs et les scientifiques, les conséquences du développement des nouvelles techniques et engins de pêche. De même, il faudra chercher à éviter l'abandon ou la perte d'engins de pêche dans les fonds marins.
Je sais, par exemple, que les compagnies maritimes se préoccupent des déplacements des cétacés dans la zone afin d'éviter, dans leurs intérêts bien compris, la collision avec les baleines, notamment à certaines périodes de l'année où elles sont spécialement nombreuses.
De même, nous devons contrôler le développement des compétitions motorisées comme nous devons convaincre les communes du littoral et les exploitants agricoles d'adopter des stratégies appropriées de lutte contre la pollution d'origine terrestre afin que les cétacés ne souffrent pas de l'accumulation de métaux lourds ou de pesticides.
J'attends beaucoup par ailleurs de la présentation que nous ferons ensemble du sanctuaire aux Parties de la Convention de Barcelone afin qu'elles le reconnaissent par consensus comme une aire spécialement protégée d'intérêt méditerranéenne (ASPIM). Ce sanctuaire pourra alors faire école ailleurs.
L'originalité de notre démarche prendra toute sa valeur, lorsqu'après avoir fait connaître les mesures adoptées dans le sanctuaire à l'Organisation maritime internationale (l'OMI) et à l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), nous verrons, je l'espère, des navires des pays tiers qui exercent des activités dans le bassin méditerranéen, respecter les mesures adoptées dans le sanctuaire.
Il nous faudra être en tous cas vigilant et faire jouer la réprobation internationale si, par malheur, certains refusaient d'adopter ces nouvelles règles de protection.
Je tiens à vous informer à ce propos que la France a engagé le processus de ratification du protocole relatif aux aires spécialement protégées et à la diversité biologique en Méditerranée.
Je vois aussi dans cette démarche l'amorce d'une gestion intégrée des mers et océans, réclamée depuis longtemps déjà dans les enceintes internationales. Il faut une approche patrimoniale, commune aux États riverains, pour parvenir à gérer l'ensemble des activités humaines ayant un impact sur la mer afin de préserver les écosystèmes et la richesse biologique.
Il faut cesser de considérer la haute mer comme un espace où tout serait permis. Les rejets de toute nature et des prélèvements halieutiques souvent excessifs ont conduit à un appauvrissement de nos océans, entraînant de forts déséquilibres que l'absence de gestion coordonnée aggrave.
La vulnérabilité du Mare Nostrum n'est plus à démontrer. Mais je suis confiante : avec le sanctuaire, nous montrerons l'exemple tout en respectant le droit et les usages de la mer.
Enfin je souhaite rappeler le rôle joué par les scientifiques et les organisations non gouvernementales pour l'établissement du sanctuaire. Ils seront bien sûr associés à la mise en uvre des mesures de gestion et plus particulièrement aux actions de sensibilisation et d'information du public et des différents acteurs. Leur contribution a été essentielle. Elle ne soit pas cesser.
Je vous remercie.
(Source : http://www.environnement.gouv.fr, le 6 décembre 1999)