Texte intégral
C'est évidemment le fait du hasard si la première intervention que je prononce au titre de mes nouvelles fonctions est consacrée aux enjeux internationaux, et si c'est l'IFRI qui m'en offre l'occasion : je remplace ici Dominique Strauss-Kahn, un homme exceptionnel qui a démissionné pour se laver d'un soupçon qui portait atteinte à son honneur. Je pense à lui ce matin. Mais c'est pour moi un singulier hasard : il y a vingt ans, en effet, je dirigeais un institut cousin de l'IFRI, le CEPII, où, comme l'entreprenaient avec talent Thierry de Montbrial et son équipe, nous nous efforcions de comprendre ce qu'on n'appelait pas encore la mondialisation. C'est dire le plaisir que j'ai à être avec vous aujourd'hui pour réfléchir, ainsi que nous y invite le thème de ce colloque, à l'entrée dans le XXI° siècle.
Les circonstances prêtent évidemment à cette réflexion, puisque après les questions financières internationales, qui ont largement occupé ces deux dernières années, les questions commerciales reviennent sur le devant de la scène. Je voudrais donc vous dire ce matin quelles sont mes convictions et les convictions de la France sur trois sujets d'actualité :
les enjeux de l'ouverture économique de la France ;
les conditions d'une mondialisation réussie ;
nos objectifs pour Seattle.
Les enjeux de l'ouverture économique de la France
Une étrange fièvre saisit régulièrement certains de nos concitoyens à l'approche des négociations commerciales multilatérales : notre pays, entend-on, serait menacé de perdre tout à la fois sa prospérité, sa cohésion et ses valeurs - bref, son âme. Peu importe alors l'enjeu réel des discussions, qui est évidemment plus trivial que ne le suggèrent les commentateurs. Peu importe la mission effective des institutions internationales, tout à coup dépeintes comme des officines acharnées à détruire la nation. La rationalité ne semble plus avoir cours, et les métaphores les plus extravagantes - ou les plus indécentes - font florès sous la plume d'intellectuels ou d'hommes politiques.
Cette excitation périodique pourrait être prise à la légère si elle ne nous renvoyait pas à un passé que nous ne pouvons oublier. Car le parti du repli, qui rêve d'une France cultivant ses rentes à l'abri des mutations du monde, et réduit son message aux dimensions de l'hexagone n'est pas né avec les négociations du GATT et de l'OMC. Il remonte à Jules Méline, il a progressé dans l'entre-deux-guerres, il a triomphé sous Pétain. Il a résisté pied à pied au marché commun, il a tenté de préserver le commerce colonial, il a pourfendu l'ouverture commerciale. Et il a fallu le courage du général de Gaulle pour ouvrir les frontières.
Je voudrais dire tout nettement ma conviction que ce parti du repli fait fausse route et qu'à se draper dans l'intérêt national, il se trompe et nous trompe. Nous devons rejeter ce nouveau millénarisme comme nous avons rejeté le protectionnisme. Car depuis un demi-siècle, le meilleur servant de l'intérêt national a été, au contraire, le parti de la modernisation et de l'ouverture : celui qui, avec Mendès France, Monnet, de Gaulle, Mitterrand et Delors, a fait le pari d'une insertion internationale réussie s'appuyant sur une construction européenne renforcée. Celui qui a compris que la France n'est jamais plus elle-même qu'en s'ouvrant au monde, qu'elle dispose d'une capacité de conquête et qu'elle est capable de se transformer. En cinquante ans, ce mouvement a fait d'une économie rurale menacée de déclin une puissance industrielle et une terre d'innovation.
La réalité de l'économie française d'aujourd'hui témoigne en effet des succès de son internationalisation. Contre tous les prophètes de malheur, notre pays a su s'ouvrir en restant diversifié et sans renoncer à ses valeurs essentielles, en particulier culturelles et sociales. Il a su organiser sa mutation vers des secteurs d'avenir, surmonter l'obsession de ce qu'il y a vingt ans on nommait la contrainte extérieure, affirmer sa présence internationale, retrouver une capacité et une volonté de croissance. A ceux qui en doutent, je suggère de se reporter aux excellents travaux de l'IFRI, qui font la chronique de cette insertion réussie. Alors bien sûr, nous ne devons oublier ni le déclin des chantiers navals, ni les difficultés du textile. Mais n'imputons pas à l'extérieur ce qui a trop souvent été l'effet d'erreurs de politique industrielle ou d'une gestion routinière des affaires. Ne laissons pas se répandre les idées fausses qui imputent notre chômage à la mondialisation. Depuis deux ans et demi, l'économie française croît, -et même vite, puisque le FMI annonce pour 2000 la meilleure croissance du G7-, elle crée des emplois et réduit le chômage. Elle le doit aussi à notre choix de l'Europe et de l'euro, et je voudrais ici saluer la performance de Dominique Strauss-Kahn, qui a qualifié la France pour l'euro. C'est de nous qu'il dépend qu'elle continue à le faire, pour tendre vers l'objectif du plein emploi. C'est à nous qu'il appartient de conduire les politiques correspondantes. J'appartiens à un gouvernement de la volonté, pas de la résignation.
Les conditions d'une mondialisation réussie
Le débat n'est plus aujourd'hui de savoir si nous voulons, ou pas, de la libéralisation des échanges et de la mondialisation des économies. Il y a vingt ans, la question pouvait encore se poser. Mais la libéralisation et la mondialisation sont aujourd'hui largement accomplies. Les trois-quarts des échanges mondiaux de biens sont totalement libéralisés ou soumis à des droits de douane négligeables. Il en va de même de la quasi-totalité des mouvements de capitaux et de l'essentiel de l'investissement direct. Quant à l'étendue de ce qu'on nomme l'économie mondiale, et qui ne comprenait il y a vingt ans que les pays riches et une poignée de pays émergents, elle couvre aujourd'hui la quasi-totalité de la planète, à l'exception d'une poignée de dictatures repliées sur elles-mêmes.
Un jugement sur la mondialisation ne peut donc être que rétrospectif. Je crois pour ma part que nous ne devons en aucun cas regretter ce grand mouvement qui a transformé l'économie de la planète : n'oublions pas, dix ans après la chute du mur de Berlin, qu'ouverture économique et émancipation politique sont souvent allées de pair. N'oublions pas non plus que l'ouverture de nombreux pays émergents et en développement est née de leur volonté de rompre avec des stratégies de développement autarcique qui avaient pu les conduire à l'échec. N'oublions pas, enfin, ce que la mobilité des biens et des techniques a apporté à notre mode de vie.
Dire cela ne doit évidemment pas nous conduire à verser dans la célébration béate de l'ordre existant. Ce n'est pas la vision de la gauche, et cela ne correspondrait pas aux problèmes du moment. Dominique Strauss-Kahn aimait à dire qu'il nous fallait inventer des régulations pour l'économie mondiale du XXI° siècle, et il y a consacré beaucoup de son énergie. Avec d'autres mots, le dernier rapport Ramsès de l'IFRI dit la même chose, dans un chapitre de Pierre Jacquet sur " gouverner l'économie mondiale ". Chacun voit bien que les enjeux décisifs ne sont plus dans la discussion tarifaire.
Que faut-il pour gouverner l'économie mondiale ? Je distinguerai quatre niveaux, qui sont aujourd'hui inégalement développés :
Un corpus de principes reconnus par les plus puissants comme par les plus faibles. Le socle est ici plus riche qu'on ne le dit souvent, mais encore insuffisant au regard des nécessités. Le GATT et l'OMC organisent l'échange international autour de principes éprouvés comme la transparence des règles, la consolidation des engagements ou la non-discrimination. Les politiques de change et les transactions financières font l'objet de régulations d'inspiration voisine sous l'égide du FMI. Avec l'extension de la sphère de la mondialisation, nous devons travailler à enrichir ce corpus, en particulier, je veux le souligner, pour organiser la coexistence entre les normes de l'échange et d'autres systèmes de normes, tout aussi légitimes. Je pense évidemment ici à des notions comme la diversité culturelle ou le principe de précaution, qui doivent prendre toute leur place dans le corpus international, ou encore à la question des normes environnementales et sociales. C'est dans le cadre de l'OMC, mais en coopération avec les institutions compétentes, qu'il faut réfléchir et répondre à cette difficile question de la coexistence des normes, afin d'éviter que prévalent des réponses unilatérales ou que faute de règles communes, la jurisprudence privilégie à l'excès les seules préoccupations commerciales.
Les outils de l'état de droit. Il n'est pas d'économie mondiale solide et équitable sans institutions fortes, légitimes, et dotées des moyens de faire prévaloir le droit. C'est le sens du combat conduit par la France pour renforcer la légitimité politique des institutions de Bretton Woods, c'est de la même manière le sens de notre soutien à l'Organisation mondiale du commerce. Je poursuivrai dans cette voie parce que je suis persuadé que là est notre intérêt, et que c'est l'intérêt général. Concrètement, cela implique d'abord d'étendre la juridiction de l'OMC à l'ensemble des pays qui participent à l'échange international. Ensuite de poursuivre l'adaptation ou l'élaboration des règles multilatérales dans les nouveaux domaines de l'échange. Enfin, évidemment, de réprimer toutes les pratiques délinquantes, en matière commerciale comme nous le voulons en matière financière en luttant contre les centres offshore.
Les instruments de l'action collective. Je ne suis pas de ceux qui pensent que des lois et une police suffisent à assurer le bon fonctionnement de l'économie. Nous avons, en matière internationale, besoin de renforcer les instruments de l'action conjointe. C'est le cas en Europe, où la coordination des politiques économiques est maintenant reconnue comme partie intégrante du dispositif de l'union économique et monétaire. C'est largement le cas entre les pays du G7, dont il faut se féliciter qu'ils aient su répondre au choc de la crise financière par des actions concrètes et rapides. Ce doit être de plus en plus le cas avec les pays émergents, qu'il faut associer plus étroitement au pilotage de l'économie mondiale. Je me félicite à cet égard de la création du G20.
Les espaces de la démocratie. La mondialisation est un défi pour les démocraties, qui doivent tout à la fois s'en saisir par le canal de leurs institutions nationales, et trouver des formes nouvelles pour que ce " gouvernement " de l'économie mondiale soit aussi un " gouvernement " démocratique. Cela suppose beaucoup de transparence, une reconnaissance du rôle des institutions autonomes de la société civile et un dialogue avec elles, le renforcement de la légitimité politique des institutions internationales. La négociation de Seattle nous offre l'occasion de progresser dans cette voie, comme Dominique Strauss-Kahn et François Huwart ont commencé à le faire. J'entends prolonger et amplifier leur effort et je serai particulièrement attentif à la qualité du dialogue avec les organisations non gouvernementales. Je prends d'ailleurs cette occasion pour saluer la démarche des confédérations syndicales françaises, qui se sont saisies du dossier de l'OMC avec réalisme et exigence.
Nos objectifs pour Seattle
Seattle n'est qu'une étape. La focalisation sur cette conférence de l'actualité ne doit pas nous faire oublier l'ampleur du travail accompli quotidiennement par l'OMC depuis sa création en 1995. Je retiendrai donc trois objectifs en sus de l'objectif traditionnel de poursuite de l'ouverture commerciale internationale :
1. Une OMC plus régulatrice. Dans le respect de l'identité européenne, ce nouveau cycle devra être large de manière à assurer l'équilibre entre les pays et entre les différents sujets et soumis au principe de l'engagement unique. Il devra s'accompagner d'un renforcement des règles sur les nouveaux enjeux du commerce.
Au-delà de règles sur l'investissement et la concurrence, l'OMC doit mieux intégrer la protection de l'environnement pour que les ressources de notre planète ne soient pas mises en péril et pour que les engagements internationaux en matière l'environnement soient bien pris en compte dans les règles commerciales.
Cela signifie aussi que les États puissent appliquer, de manière non protectionniste mais rigoureuse, le principe de précaution quand les effets sur l'environnement ou la santé d'un produit suscitent de réels doutes. Cela signifie également que l'OMC doit intégrer les nouvelles dimensions de la politique agricole européenne qui place par la multifonctionnalité cette activité au service des attentes des citoyens en matière de l'environnement et d'aménagement du territoire.
Enfin, l'OMC doit pouvoir, en collaboration avec l'OIT, apporter sa contribution à un meilleur respect des normes sociales fondamentales au travail et doit laisser les États définir librement leur politique culturelle et audiovisuelle. Je ne détaillerai pas ces points, mais j'insiste sur le fait que la France les considère comme essentiels.
2. Une OMC plus légitime. Avant 1996, les négociations commerciales se passaient dans une confidentialité organisée et la société civile, et parfois même les Gouvernements, découvraient quelques années après des résultats qu'ils n'avaient pas souhaités. La France considère que ce mode de fonctionnement doit disparaître. Je suis décidé à y mettre fin.
Un de mes objectifs principaux à Seattle sera d'obtenir de la transparence dans les négociations. Les nouvelles technologies de l'information, et particulièrement Internet, sont un des moyens d'y parvenir. Mais cela veut dire aussi pour les Gouvernements une meilleure consultation de tous les acteurs de la société. C'est ce que nous avons fait depuis 1998, cela comprend beaucoup de rencontres, en particulier des débats au Parlement très nourris et bien préparés qui ont apporté une clarification de nos objectifs.
Enfin, l'OMC doit trouver sa place dans l'architecture internationale en travaillant mieux avec les institutions de Breton Wood et avec celles en charge de la sécurité alimentaire et de la protection de la santé, nous allons nous y employer à la fois au G8 et à Seattle.
3. Une OMC plus généreuse. Les vingt dernières années ont malheureusement vu certains pays les moins fortunés avoir une faible croissance et une diminution de leur présence internationale. Je soutiens sans aucune réserve l'initiative généreuse de l'Union visant à accorder un accès libre pour la quasi-totalité des produits issus des PMA. Je crois, en effet, qu'il est dans la responsabilité des pays les plus fortunés de la planète de se mobiliser pour concourir au développement des PMA et promouvoir un meilleur partage au niveau international des richesses.
L'accession à l'OMC de la Chine comme de la Russie sera aussi un des moyens de rééquilibrer une organisation qui avait un peu trop l'habitude de travailler essentiellement avec les pays du Nord. Il faudra, soit d'ici Seattle, soit plus tard trouver avec ces grands pays les modalités d'une intégration réussie à l'OMC.
L'ouverture internationale et les négociations multilatérales ne sont ni un instrument de régression sociale et culturelle ni un blanc-seing donné à ce qu'on appelle en France une vision américaine de la société. Elles permettent, au contraire, si elles sont maîtrisées et progressives, d'intégrer durablement la France dans l'économie mondiale, insertion qui est garante du maintien et de l'élargissement de notre influence. Par l'introduction des nouvelles dimensions des échanges, nous avons la possibilité - et c'est un défi auquel je me consacrerai personnellement - d'orienter les nouvelles règles commerciales vers plus de générosité pour les pays les plus pauvres, plus d'attention à la qualité de l'environnement et de notre alimentation, plus de respect des normes sociales et de la diversité culturelle.
(Source http://www.finances.gouv.fr, le 5 novembre 1999)
Les circonstances prêtent évidemment à cette réflexion, puisque après les questions financières internationales, qui ont largement occupé ces deux dernières années, les questions commerciales reviennent sur le devant de la scène. Je voudrais donc vous dire ce matin quelles sont mes convictions et les convictions de la France sur trois sujets d'actualité :
les enjeux de l'ouverture économique de la France ;
les conditions d'une mondialisation réussie ;
nos objectifs pour Seattle.
Les enjeux de l'ouverture économique de la France
Une étrange fièvre saisit régulièrement certains de nos concitoyens à l'approche des négociations commerciales multilatérales : notre pays, entend-on, serait menacé de perdre tout à la fois sa prospérité, sa cohésion et ses valeurs - bref, son âme. Peu importe alors l'enjeu réel des discussions, qui est évidemment plus trivial que ne le suggèrent les commentateurs. Peu importe la mission effective des institutions internationales, tout à coup dépeintes comme des officines acharnées à détruire la nation. La rationalité ne semble plus avoir cours, et les métaphores les plus extravagantes - ou les plus indécentes - font florès sous la plume d'intellectuels ou d'hommes politiques.
Cette excitation périodique pourrait être prise à la légère si elle ne nous renvoyait pas à un passé que nous ne pouvons oublier. Car le parti du repli, qui rêve d'une France cultivant ses rentes à l'abri des mutations du monde, et réduit son message aux dimensions de l'hexagone n'est pas né avec les négociations du GATT et de l'OMC. Il remonte à Jules Méline, il a progressé dans l'entre-deux-guerres, il a triomphé sous Pétain. Il a résisté pied à pied au marché commun, il a tenté de préserver le commerce colonial, il a pourfendu l'ouverture commerciale. Et il a fallu le courage du général de Gaulle pour ouvrir les frontières.
Je voudrais dire tout nettement ma conviction que ce parti du repli fait fausse route et qu'à se draper dans l'intérêt national, il se trompe et nous trompe. Nous devons rejeter ce nouveau millénarisme comme nous avons rejeté le protectionnisme. Car depuis un demi-siècle, le meilleur servant de l'intérêt national a été, au contraire, le parti de la modernisation et de l'ouverture : celui qui, avec Mendès France, Monnet, de Gaulle, Mitterrand et Delors, a fait le pari d'une insertion internationale réussie s'appuyant sur une construction européenne renforcée. Celui qui a compris que la France n'est jamais plus elle-même qu'en s'ouvrant au monde, qu'elle dispose d'une capacité de conquête et qu'elle est capable de se transformer. En cinquante ans, ce mouvement a fait d'une économie rurale menacée de déclin une puissance industrielle et une terre d'innovation.
La réalité de l'économie française d'aujourd'hui témoigne en effet des succès de son internationalisation. Contre tous les prophètes de malheur, notre pays a su s'ouvrir en restant diversifié et sans renoncer à ses valeurs essentielles, en particulier culturelles et sociales. Il a su organiser sa mutation vers des secteurs d'avenir, surmonter l'obsession de ce qu'il y a vingt ans on nommait la contrainte extérieure, affirmer sa présence internationale, retrouver une capacité et une volonté de croissance. A ceux qui en doutent, je suggère de se reporter aux excellents travaux de l'IFRI, qui font la chronique de cette insertion réussie. Alors bien sûr, nous ne devons oublier ni le déclin des chantiers navals, ni les difficultés du textile. Mais n'imputons pas à l'extérieur ce qui a trop souvent été l'effet d'erreurs de politique industrielle ou d'une gestion routinière des affaires. Ne laissons pas se répandre les idées fausses qui imputent notre chômage à la mondialisation. Depuis deux ans et demi, l'économie française croît, -et même vite, puisque le FMI annonce pour 2000 la meilleure croissance du G7-, elle crée des emplois et réduit le chômage. Elle le doit aussi à notre choix de l'Europe et de l'euro, et je voudrais ici saluer la performance de Dominique Strauss-Kahn, qui a qualifié la France pour l'euro. C'est de nous qu'il dépend qu'elle continue à le faire, pour tendre vers l'objectif du plein emploi. C'est à nous qu'il appartient de conduire les politiques correspondantes. J'appartiens à un gouvernement de la volonté, pas de la résignation.
Les conditions d'une mondialisation réussie
Le débat n'est plus aujourd'hui de savoir si nous voulons, ou pas, de la libéralisation des échanges et de la mondialisation des économies. Il y a vingt ans, la question pouvait encore se poser. Mais la libéralisation et la mondialisation sont aujourd'hui largement accomplies. Les trois-quarts des échanges mondiaux de biens sont totalement libéralisés ou soumis à des droits de douane négligeables. Il en va de même de la quasi-totalité des mouvements de capitaux et de l'essentiel de l'investissement direct. Quant à l'étendue de ce qu'on nomme l'économie mondiale, et qui ne comprenait il y a vingt ans que les pays riches et une poignée de pays émergents, elle couvre aujourd'hui la quasi-totalité de la planète, à l'exception d'une poignée de dictatures repliées sur elles-mêmes.
Un jugement sur la mondialisation ne peut donc être que rétrospectif. Je crois pour ma part que nous ne devons en aucun cas regretter ce grand mouvement qui a transformé l'économie de la planète : n'oublions pas, dix ans après la chute du mur de Berlin, qu'ouverture économique et émancipation politique sont souvent allées de pair. N'oublions pas non plus que l'ouverture de nombreux pays émergents et en développement est née de leur volonté de rompre avec des stratégies de développement autarcique qui avaient pu les conduire à l'échec. N'oublions pas, enfin, ce que la mobilité des biens et des techniques a apporté à notre mode de vie.
Dire cela ne doit évidemment pas nous conduire à verser dans la célébration béate de l'ordre existant. Ce n'est pas la vision de la gauche, et cela ne correspondrait pas aux problèmes du moment. Dominique Strauss-Kahn aimait à dire qu'il nous fallait inventer des régulations pour l'économie mondiale du XXI° siècle, et il y a consacré beaucoup de son énergie. Avec d'autres mots, le dernier rapport Ramsès de l'IFRI dit la même chose, dans un chapitre de Pierre Jacquet sur " gouverner l'économie mondiale ". Chacun voit bien que les enjeux décisifs ne sont plus dans la discussion tarifaire.
Que faut-il pour gouverner l'économie mondiale ? Je distinguerai quatre niveaux, qui sont aujourd'hui inégalement développés :
Un corpus de principes reconnus par les plus puissants comme par les plus faibles. Le socle est ici plus riche qu'on ne le dit souvent, mais encore insuffisant au regard des nécessités. Le GATT et l'OMC organisent l'échange international autour de principes éprouvés comme la transparence des règles, la consolidation des engagements ou la non-discrimination. Les politiques de change et les transactions financières font l'objet de régulations d'inspiration voisine sous l'égide du FMI. Avec l'extension de la sphère de la mondialisation, nous devons travailler à enrichir ce corpus, en particulier, je veux le souligner, pour organiser la coexistence entre les normes de l'échange et d'autres systèmes de normes, tout aussi légitimes. Je pense évidemment ici à des notions comme la diversité culturelle ou le principe de précaution, qui doivent prendre toute leur place dans le corpus international, ou encore à la question des normes environnementales et sociales. C'est dans le cadre de l'OMC, mais en coopération avec les institutions compétentes, qu'il faut réfléchir et répondre à cette difficile question de la coexistence des normes, afin d'éviter que prévalent des réponses unilatérales ou que faute de règles communes, la jurisprudence privilégie à l'excès les seules préoccupations commerciales.
Les outils de l'état de droit. Il n'est pas d'économie mondiale solide et équitable sans institutions fortes, légitimes, et dotées des moyens de faire prévaloir le droit. C'est le sens du combat conduit par la France pour renforcer la légitimité politique des institutions de Bretton Woods, c'est de la même manière le sens de notre soutien à l'Organisation mondiale du commerce. Je poursuivrai dans cette voie parce que je suis persuadé que là est notre intérêt, et que c'est l'intérêt général. Concrètement, cela implique d'abord d'étendre la juridiction de l'OMC à l'ensemble des pays qui participent à l'échange international. Ensuite de poursuivre l'adaptation ou l'élaboration des règles multilatérales dans les nouveaux domaines de l'échange. Enfin, évidemment, de réprimer toutes les pratiques délinquantes, en matière commerciale comme nous le voulons en matière financière en luttant contre les centres offshore.
Les instruments de l'action collective. Je ne suis pas de ceux qui pensent que des lois et une police suffisent à assurer le bon fonctionnement de l'économie. Nous avons, en matière internationale, besoin de renforcer les instruments de l'action conjointe. C'est le cas en Europe, où la coordination des politiques économiques est maintenant reconnue comme partie intégrante du dispositif de l'union économique et monétaire. C'est largement le cas entre les pays du G7, dont il faut se féliciter qu'ils aient su répondre au choc de la crise financière par des actions concrètes et rapides. Ce doit être de plus en plus le cas avec les pays émergents, qu'il faut associer plus étroitement au pilotage de l'économie mondiale. Je me félicite à cet égard de la création du G20.
Les espaces de la démocratie. La mondialisation est un défi pour les démocraties, qui doivent tout à la fois s'en saisir par le canal de leurs institutions nationales, et trouver des formes nouvelles pour que ce " gouvernement " de l'économie mondiale soit aussi un " gouvernement " démocratique. Cela suppose beaucoup de transparence, une reconnaissance du rôle des institutions autonomes de la société civile et un dialogue avec elles, le renforcement de la légitimité politique des institutions internationales. La négociation de Seattle nous offre l'occasion de progresser dans cette voie, comme Dominique Strauss-Kahn et François Huwart ont commencé à le faire. J'entends prolonger et amplifier leur effort et je serai particulièrement attentif à la qualité du dialogue avec les organisations non gouvernementales. Je prends d'ailleurs cette occasion pour saluer la démarche des confédérations syndicales françaises, qui se sont saisies du dossier de l'OMC avec réalisme et exigence.
Nos objectifs pour Seattle
Seattle n'est qu'une étape. La focalisation sur cette conférence de l'actualité ne doit pas nous faire oublier l'ampleur du travail accompli quotidiennement par l'OMC depuis sa création en 1995. Je retiendrai donc trois objectifs en sus de l'objectif traditionnel de poursuite de l'ouverture commerciale internationale :
1. Une OMC plus régulatrice. Dans le respect de l'identité européenne, ce nouveau cycle devra être large de manière à assurer l'équilibre entre les pays et entre les différents sujets et soumis au principe de l'engagement unique. Il devra s'accompagner d'un renforcement des règles sur les nouveaux enjeux du commerce.
Au-delà de règles sur l'investissement et la concurrence, l'OMC doit mieux intégrer la protection de l'environnement pour que les ressources de notre planète ne soient pas mises en péril et pour que les engagements internationaux en matière l'environnement soient bien pris en compte dans les règles commerciales.
Cela signifie aussi que les États puissent appliquer, de manière non protectionniste mais rigoureuse, le principe de précaution quand les effets sur l'environnement ou la santé d'un produit suscitent de réels doutes. Cela signifie également que l'OMC doit intégrer les nouvelles dimensions de la politique agricole européenne qui place par la multifonctionnalité cette activité au service des attentes des citoyens en matière de l'environnement et d'aménagement du territoire.
Enfin, l'OMC doit pouvoir, en collaboration avec l'OIT, apporter sa contribution à un meilleur respect des normes sociales fondamentales au travail et doit laisser les États définir librement leur politique culturelle et audiovisuelle. Je ne détaillerai pas ces points, mais j'insiste sur le fait que la France les considère comme essentiels.
2. Une OMC plus légitime. Avant 1996, les négociations commerciales se passaient dans une confidentialité organisée et la société civile, et parfois même les Gouvernements, découvraient quelques années après des résultats qu'ils n'avaient pas souhaités. La France considère que ce mode de fonctionnement doit disparaître. Je suis décidé à y mettre fin.
Un de mes objectifs principaux à Seattle sera d'obtenir de la transparence dans les négociations. Les nouvelles technologies de l'information, et particulièrement Internet, sont un des moyens d'y parvenir. Mais cela veut dire aussi pour les Gouvernements une meilleure consultation de tous les acteurs de la société. C'est ce que nous avons fait depuis 1998, cela comprend beaucoup de rencontres, en particulier des débats au Parlement très nourris et bien préparés qui ont apporté une clarification de nos objectifs.
Enfin, l'OMC doit trouver sa place dans l'architecture internationale en travaillant mieux avec les institutions de Breton Wood et avec celles en charge de la sécurité alimentaire et de la protection de la santé, nous allons nous y employer à la fois au G8 et à Seattle.
3. Une OMC plus généreuse. Les vingt dernières années ont malheureusement vu certains pays les moins fortunés avoir une faible croissance et une diminution de leur présence internationale. Je soutiens sans aucune réserve l'initiative généreuse de l'Union visant à accorder un accès libre pour la quasi-totalité des produits issus des PMA. Je crois, en effet, qu'il est dans la responsabilité des pays les plus fortunés de la planète de se mobiliser pour concourir au développement des PMA et promouvoir un meilleur partage au niveau international des richesses.
L'accession à l'OMC de la Chine comme de la Russie sera aussi un des moyens de rééquilibrer une organisation qui avait un peu trop l'habitude de travailler essentiellement avec les pays du Nord. Il faudra, soit d'ici Seattle, soit plus tard trouver avec ces grands pays les modalités d'une intégration réussie à l'OMC.
L'ouverture internationale et les négociations multilatérales ne sont ni un instrument de régression sociale et culturelle ni un blanc-seing donné à ce qu'on appelle en France une vision américaine de la société. Elles permettent, au contraire, si elles sont maîtrisées et progressives, d'intégrer durablement la France dans l'économie mondiale, insertion qui est garante du maintien et de l'élargissement de notre influence. Par l'introduction des nouvelles dimensions des échanges, nous avons la possibilité - et c'est un défi auquel je me consacrerai personnellement - d'orienter les nouvelles règles commerciales vers plus de générosité pour les pays les plus pauvres, plus d'attention à la qualité de l'environnement et de notre alimentation, plus de respect des normes sociales et de la diversité culturelle.
(Source http://www.finances.gouv.fr, le 5 novembre 1999)