Interview de Mme Marie-George Buffet, secrétaire nationale du PCF, à LCI le 3 février 2003, sur la situation et les perspectives du Parti communiste, celles de la gauche et les propositions du parti pour la réforme des retraites.

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Texte intégral

A. Hausser -. R. Hue n'a pas réussi à rassembler une majorité de voix sur son nom, hier, à Argenteuil. Est-ce que cet échec signifie que le Parti communiste poursuit son déclin ? Est-ce que cela appelle à un renouvellement des hommes ?
- "C'est vrai que le PC connaît une période très difficile. Il n'y aura pas une remontée immédiate des scores du PCF."
Il y en aura une, un jour ?
- "Je l'espère. Nous sommes en train de préparer notre Congrès, nous travaillons à une visée communiste du XXIème siècle. Ensuite, dans la circonscription de R. Hue, où il a mené une campagne remarquable, avec l'ensemble des militants, rassemblant la gauche, on a une droite qui est extrêmement forte, qui surfe sur des discours populistes et qui a vraiment recyclé l'ensemble des voix de l'extrême droite, ce qui cause cette défaite de la gauche. Mais R. Hue, à travers cette campagne, a défendu les valeurs de gauche, a montré la nécessité de riposter à cette droite. Et je crois que cette campagne laissera des traces positives."
Quelle est la place de R. Hue, à l'avenir, au Parti communiste ?
- "Il l'a dit : il ne souhaite plus avoir une responsabilité à la présidence ni à l'exécutif du parti. Mais les communistes ont besoin de son expérience et il doit continuer à jouer un rôle au PCF."
Hier et avant-hier, le PCF réunissait son conseil national, pour la préparation du congrès. On a l'impression qu'au moment où le PC se démocratise, invente les tendances même si cela n'en dit pas le nom - certains parlent même "d'usine à gaz" -, O. Besancenot, lui, veut "réinventer la révolution". Est-ce que vous ne vous êtes pas un peu trompés ? Est-ce que vous ne vous faîtes pas déborder ?
- "Non, nous avons instaurer le pluralisme de droit, c'est-à-dire que chacun peut vraiment défendre ses opinions. Nous avons discuté, jusqu'à tôt ce matin, pour adopter la base commune qui va être maintenant discutée par tous les communistes, en préparation du congrès."
C'est-à-dire un texte commun ?
- "Oui, un texte commun qui va être mis à disposition de tous les communistes. Ce texte est marqué par un fil conducteur : c'est justement la réaffirmation que le PCF porte une révolution, parce qu'il conteste la société capitaliste, parce qu'il veut créer de nouveaux rapports sociaux, de nouveaux rapports entre les individus, de nouveaux rapports entre les peuples. Ce PC est en train de travailler à la préparation de son congrès, à une réponse d'actualité..."
Vous aussi, vous voulez "réinventer la révolution" ?
- "La réinventer ? Je voudrais simplement la faire vivre au XXIème siècle, c'est-à-dire faire en sorte que toutes les luttes émancipatrices, les luttes sociales, les luttes féministes, les luttes pour un autre monde, les luttes contre toutes les discriminations, contre le racisme, convergent pour faire en sorte que tout ce qu'il y a de neuf, tout ce qu'il y a de positif dans cette société prenne le dessus sur les ravages du capitalisme."
Vous avez entendu le président du CRIF parler d'une alliance "brun, vert, rouge", la semaine dernière. Vous vous êtes sentie visée ?
- "Je trouve cela extrêmement choquant ; je me suis même sentie blessée. Nous menons un combat très important pour la paix, pour le respect du peuple palestinien, pour la vie en sécurité et en liberté des peuples israéliens et palestiniens, pour la coopération des peuples. Assimiler cela à de l'antisémitisme est une erreur grossière. Il est même très grave qu'on veuille transposer le conflit du Moyen-Orient ici, en France. En France, il faut que chacun se respecte, c'est aussi le combat que nous menons. Et monsieur Cukierman a fait une erreur en tenant ce propos."
L. Jospin a fait sa rentrée politique, dans Le Monde daté de samedi dernier. Il revient sur son échec et celui de la gauche, qui n'était pas présente au deuxième tour. Il impute cet échec à J.-P. Chevènement, pour qui il a des mots très durs, mais aussi au PC et aux Verts, qui ont eu des mots plus durs à l'égard du Gouvernement qu'à l'égard de la droite. On ne vous a pas entendu là-dessus ?
- "Je suis un peu étonnée, sidérée... Qu'on puisse tenir ces propos-là, quelques jours après une élection, en disant qu'il y a eu les autres partis et qu'on a perdu à cause de cela... Mais plusieurs mois après, si on écoute un peu ce que nous disent les hommes et les femmes des milieux populaires, les salariés : ils nous disent que nous n'avons pas fait les grandes réformes quoi auraient permis de changer vraiment leur vie. Pour la feuille de paie, pour le chômage, pour leurs conditions de travail, pour leurs conditions de vie dans les cités, les choses n'ont pas fondamentalement changé pendant cinq ans de gouvernement de gauche plurielle. C'est cela qu'ils ont voulu nous dire en ne votant pas pour nous. Il faut entendre cela. Parce que si la gauche n'entend pas que c'est sur le fond qu'elle s'est trompée pendant ces cinq années, elle ne va pas construire une alternative qui répondra vraiment aux attentes populaires d'aujourd'hui. Si on cherche la faute chez le voisin, on ne regarde pas ce qui n'a pas été dans la gestion de ce gouvernement de gauche plurielle. Les communistes, nous essayons vraiment de débattre avec les salariés, avec beaucoup d'hommes et de femmes à travers nos forums - on a réuni déjà plus de 10.000 personnes dans toute la France -, et on cherche à tirer enseignement de nos erreurs, pour justement construire du neuf et faire en sorte que, demain, la gauche puisse répondre aux attentes."
Est-ce que l'heure est à l'union de la gauche ?
- "L'heure est au débat avec les électeurs et les électrices de gauche, pour savoir quelle politique ils veulent qu'on mette en oeuvre, pour voir avec eux les conditions du rassemblement et des alliances... Hier, dans nos débats au sein du parti, nous avons vraiment décidé que nous ne voulions, à aucun moment, dessaisir le peuple, y compris des alliances électorales. C'est à lui de prendre en main ses affaires ; les partis doivent justement alimenter cette intervention citoyenne."
C'est-à-dire pas de candidature commune ?
- "Si ! Cela ne vaut pas dire "pas ceci, pas cela". Laissons nos concitoyens en discuter, faisons en sorte que les partis soient mis sous la responsabilité de nos concitoyens."
Une riposte commune à la gauche contre la réforme des modes de scrutin également ?
- "Oui, nous avons lancé, la semaine dernière, un appel. Plusieurs personnalités de gauche nous ont rejoints sur la base de cet appel. C'est un appel à tous les démocrates, simplement pour le respect du pluralisme et de la démocratie."
Et pourquoi ne pas s'allier alors avec ceux qui, à droite, refusent également cette réforme ?
- "C'est aussi un des enseignements du 21 avril : il faut avoir beaucoup d'honnêteté et de transparence en politique. Ne faisons pas d'alliances superficielles, contre natures. Je ne vois pas très bien ce que j'irai discuter avec monsieur de Villiers. Nous n'avons peut-être pas tout à fait la même conception de la démocratie, notamment de la démocratie participative."
Vous avez beaucoup manifesté samedi : à Noyelles-Godault pour les femmes et aussi pour la sauvegarde des retraites ?
- "Oui, j'étais, le matin, aux côtés des salariés de Metaleurop et l'après-midi, pour les retraites."
Concernant cette réforme des retraites : il n'en faut pas du tout ? Il en faut une ?
- "Si, il faut une réforme, pour aller vers plus d'égalité et de justice pour les retraites. Il faut que tout le monde puisse bénéficier des 37,5 ans, il faut revaloriser les retraites, il faut faire en sorte que certaines catégories - je pense par exemple aux femmes dans l'agriculture - voient leur pension vraiment remontée, pour pouvoir vivre dignement. Certaines pensions sont en dessous du seuil de pauvreté. Oui, à la réforme des retraites, mais dans le bon sens..."
On les finance comment ?
- "On les finance d'abord en lançant une vraie politique de l'emploi, parce ce que plus on fait reculer le chômage, plus la question du financement des retraites avance. Et puisque les entreprises ont pris le choix de la financiarisation, il faut taxer les revenus financiers, pour financer les retraites. Et avec cela, on trouvera les solutions pour la retraite soit à 60 ans, soit à taux plein, sans rallonger la durée de travail. J'entends dire que monsieur Raffarin va nous parler - enfin, "nous parler", comme d'habitude : il nous parle, et après, il décide tout seul. Cela a été le cas pour la décentralisation, cela va être le cas pour les retraites -, mais la presse semble dire ce matin qu'on s'en prendre aux femmes, c'est-à-dire qu'on va remettre en cause tous les acquis des femmes concernant les bonifications sur la retraite lorsqu'on a trois enfants, etc. Ce serait très grave et vraiment, cela montre bien comment ce Gouvernement s'en prend à tous ceux qui ont besoin de se défendre, ont besoin d'avoir des acquis pour vivre correctement."
La bataille va durer des mois, on aura donc l'occasion d'en reparler.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 3 février 2003)