Texte intégral
Que pensez-vous du projet de loi Fillon ?
Le gouvernement est parti d'une analyse erronée des 35 heures. Il affirme que la réduction du temps de travail a mis les entreprises en difficulté et entravé le dialogue social. C'est faux. Le ministre du travail lui-même a récemment remis aux partenaires sociaux une étude officielle prouvant que, là où il y a eu négociation, chacun y a gagné et ni les salariés ni les employeurs ne veulent revenir en arrière. Il y a des problèmes dans deux cas : quand le passage aux 35 heures s'est fait sur décision unilatérale de l'employeur, sans négociation ni réorganisation du travail ; et quand les entreprises sont restées aux 39 heures. Il s'agit en général de petites entreprises avec de nombreux salariés à temps partiel et payés au smic horaire. Ils se sentent les dindons de la farce. Or le projet Fillon n'arrange rien. Il accentue les inégalités entre eux et les salariés des grandes entreprises. Les retardataires de la RTT deviennent carrément des oubliés...
Les PME y trouveront peut-être leur compte...
Sûrement pas. C'est un mauvais calcul économique et social. Pour être attractives, les PME ne doivent pas proposer que des " moins". Sinon, les salariés iront ailleurs et elles auront de sérieux problèmes d'embauche. Pour certaines, les difficultés de recrutement ont déjà commencé. Par ailleurs, prendre des décisions aboutissant à rogner les droits des salariés des PME, donc à nourrir leur ressentiment et à accentuer les fractures à l'intérieur du salariat, n'est pas très cohérent avec l'analyse que l'on peut faire du scrutin du 21 avril et des causes, notamment sociales, de l'installation durable des extrêmes et de l'abstention dans le paysage politique français.
Quelles dispositions vous semblent les plus contestables ?
Le gouvernement a fait miroiter aux salariés la promesse qu'ils pourraient choisir entre du temps libéré ou de l'argent. En réalité, une partie d'entre eux va perdre sur les deux tableaux. Les salariés des entreprises de plus de 20 personnes, qui auraient dû passer à 35 heures, se verront privés, avec le décret modifiant le régime des heures supplémentaires, de sept jours de repos compensateur. Quant à ceux des entreprises de moins de 20 personnes, non seulement ils risquent d'attendre longtemps les 35 heures mais ils feront 10 % d'heures supplémentaires pour seulement 1 % de salaire en plus. Et ils n'auront pas le choix. Au final, c'est un marché de dupes.
Que pensez-vous du débat sur les allégements de charges ?
La CFDT a toujours été favorable à des contreparties aux allégements de charges. Car c'est la conjonction de la réduction négociée du temps de travail et des allégements de charges qui est créatrice d'emplois. En décidant de déconnecter les baisses de charges du passage aux 35 heures, le gouvernement Raffarin fait un mauvais choix pour l'emploi et le dialogue social dans les entreprises.
Et sur le smic ?
Il y aura alignement par le haut de tous les niveaux de smic, ce qui supprimera des inégalités inacceptables entre smicards. C'est un point positif. En particulier pour les travailleurs pauvres, les salariés à temps partiel contraint, souvent des jeunes embauchés, qui, en trois ans, vont recevoir l'équivalent d'un treizième mois. Le gouvernement a choisi la bonne solution sur un sujet compliqué.
Globalement, comment jugez-vous la méthode Raffarin ?
Nous avons été surpris d'avoir été consultés sur une version imprécise du projet de loi, le 6 septembre, en commission nationale de la négociation collective, et de voir, dans la foulée, le premier ministre annoncer à la presse d'autres dispositions. Cette attitude pose un problème de confiance. Et procède d'une réelle incompréhension du dialogue social. Le gouvernement Raffarin nous dit "on vous écoute" et prend aussitôt des décisions sur un sujet sur lequel les partenaires sociaux avaient une légitimité à négocier... Il commet les mêmes erreurs de méthode que le gouvernement Jospin. Nous avions besoin de cas par cas, on nous impose du prêt-à-porter !
Qu'allez-vous faire ?
Nous ferons des propositions pour faire évoluer le texte au Parlement. Et nous disons à la majorité, faites attention ! Si vous avez retenu les leçons du 21 avril, vous devez comprendre qu'il faut des corps intermédiaires pour que les décisions soient prises au plus près du terrain. Laissez-nous faire notre travail, sinon les mécontentements s'amplifieront et vous en ferez les frais... Par ailleurs, nous pensons que le gouvernement doit sortir du flou sur plusieurs sujets - la démocratie sociale, l'emploi, la santé, la réforme de l'Etat et les retraites - et que nous, partenaires sociaux, nous devons négocier. Pour la CFDT, le sujet de négociation prioritaire, c'est l'emploi. Il faudra bien que le patronat y vienne. Il n'a pas d'autre choix que de négocier, sauf à se contredire sur sa démarche de refondation sociale.
Propos recueillis par Claire Guélaud
(source http://www.cfdt.fr, le 17 septembre 2002)