Conférence de presse de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur la coopération franco-tunisienne en matière de défense, la position de la France sur le désarmement de l'Irak, la lettre de huit pays européens soutenant les Etats-Unis dans la crise irakienne, la situation des Français en Côte d'Ivoire, la coopération de l'Union européenne avec les pays du Maghreb et l'augmentation du budget de la défense, Tunis le 3 février 2003.

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Circonstance : Voyage de Mme Michèle Alliot-Marie en Tunisie du 1er au 3 février 2003

Texte intégral

Merci d'être venus nombreux.
J'ai effectué une visite de 48 heures en Tunisie, pays que je connais bien et que j'aime beaucoup. Il s'agissait d'une visite officielle, en tant que ministre de la Défense, même si j'ai réussi, grâce à la complicité de Monsieur l'Ambassadeur, à glisser dans ce programme quelques visites sur des sites archéologiques qui sont tout à fait remarquables, que j'ai pu voir régulièrement et dont j'observe, au fur et à mesure, l'extension qui permet de souligner la richesse de ce patrimoine.
C'est peut-être aussi d'ailleurs une façon de saluer la coopération qui peut exister en la matière entre la Tunisie et la France puisque les équipes archéologiques, comme me l'ont dit les personnes qui m'ont accompagnée dans cette visite, ont pris l'habitude de travailler ensemble et qu'il y a une très belle coopération.
Mais j'ai repris ce matin ma casquette, si je puis dire, de ministre de la Défense pour plusieurs réunions : avec le Premier ministre tout d'abord ; avec mon collègue le ministre de la Défense ; un déjeuner avec l'ensemble de l'état major ; une visite du dispositif "Janus" qui est un dispositif de formation à destination des officiers de l'armée de terre et de l'armée de l'air que nous conduisons en équipe en étroite collaboration et enfin un passage à la mairie de Tunis où le Maire de Tunis m'a montré à la fois les réalisations et les projets.
Cette visite s'inscrit dans le cadre du renforcement des liens de coopération voulu par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin puisque les liens entre la Tunisie et la France sont anciens, historiques. Ils sont, je dirais, plus qu'amicaux mais presque familiaux dans un certain nombre de cas. Nous avons considéré qu'après quelques années peut-être caractérisées par moins d'échanges au niveau gouvernemental il était bon de renforcer cela. C'est donc dans cette ligne que s'est inscrite la visite du ministre des Affaires étrangères français, Dominique de Villepin, celle de Nicolas Sarkozy et que s'inscrit ma visite avant celles qu'effectueront le président de la République et aussi, l'année prochaine, le Premier ministre. Mais je pense que d'ici là, d'autres ministres viendront encore.
Nous avons, dans le domaine de la défense, évoqué d'une part les relations bilatérales et d'autre part la situation de crise dans le monde. Dans les relations bilatérales nous avons noté notre volonté commune de renforcer les liens à la fois personnels et opérationnels qui peuvent exister entre nos ministères et nos différentes armées, dans le domaine de la formation, dans le domaine des exercices en commun et dans le domaine de l'armement. Je crois qu'il s'agit là de quelque chose de profond, d'extrêmement solide et dont nous nous réjouissons les uns et les autres.
Nous avons évoqué le problème du terrorisme et du terrorisme international. La France comme la Tunisie ont eu à souffrir du terrorisme. Il y a eu l'attentat de la Ghriba auquel nous avons tous été particulièrement sensibles. La France, de son côté, a connu Karachi, au cours de ces dernières années, après avoir connu d'autres attentats sur son sol et il est évident que la coopération de tous les pays qui sont ouverts et respectueux des personnes et des identités doit être renforcée.
Nous avons évoqué tout cela et nous avons bien entendu parlé aussi de la situation internationale, qu'il s'agisse de la Côte d'Ivoire ou qu'il s'agisse de l'Iraq.
Enfin, j'ai aussi indiqué, conformément à cette tradition de liens et parce que la France voulait se manifester d'une façon très concrète auprès des anciens combattants de Tunisie venus défendre notre pays dans ses heures les plus sombres, que la décristallisation des pensions des anciens combattants aurait des effets très directs puisqu'elle va se manifester par une revalorisation des pensions de plus de 100%, allant de 115% à 175% dans un certain nombre de cas, notamment pour ceux qui souffrent de handicap.
Voilà donc, en résumé, les sujets des principales conversations que nous avons pu avoir.
Q - En tant que responsable militaire, croyez-vous que la situation dans le Golfe est arrivée à un point de non-retour et pensez-vous que la France ira jusqu'à user de son droit de veto si la question de la guerre est évoquée devant le Conseil de sécurité ?
R - La position de la France est connue et n'a pas changé. Nous disons que si l'Iraq détient des armes de destruction massive, elles doivent être éliminées. C'est cela notre but et nous avons constaté au cours des crises précédentes que les précédentes inspections de l'ONU en la matière avaient permis la destruction de davantage d'armes que l'ensemble de la guerre qui avait eu lieu au moment de la crise du Koweït.
Nous disons donc que la bonne démarche, c'est celle-ci. C'est ce que nous avons exprimé à travers la rédaction et le vote de la résolution 1441 qui a obtenu un consensus général. Il est évident que c'est le consensus aux Nations unies qui donne la légitimité de toutes les actions. Et nous, nous disons qu'il faut obtenir cela ; que la guerre est toujours la plus mauvaise des solutions et que nous devons donc l'utiliser en tout dernier recours, si les inspecteurs des Nations unies nous disent que l'Iraq les met dans l'impossibilité totale de faire leur travail allant jusqu'à l'élimination des armes de destruction massive. C'est ce que nous disons et c'est ce que nous dirons jusqu'au bout.
Ce que nous constatons, c'est que de fort nombreux pays sont sur cette même ligne. Alors, vous savez, le droit de veto ne s'impose, en quelque sorte, que lorsqu'il y a une majorité pour être convaincue d'une décision, quelle qu'elle soit. Je n'ai pas le sentiment qu'aujourd'hui nous en sommes là. Mais de toute façon, la France prendra toutes ses responsabilités.
Q - Madame le Ministre, quelle évaluation faites-vous de la politique européenne de défense et de sécurité, une fois que huit pays européens se sont engagés vis-à-vis de la guerre avec les Etats-Unis ? Il y a donc un isolement de l'alliance franco-allemande ?
R - Je ne le crois pas du tout. Je crois que la première des choses à voir, c'est quel est le contenu de cette fameuse lettre. Quand vous la lisez, ce que j'ai fait, vous vous rendez compte que ce qui est dit correspond à ce que la France dit depuis longtemps et correspond d'ailleurs aussi à ce que le Conseil de l'Europe a voté à l'unanimité, c'est-à-dire :
1) la nécessité de respecter la légalité internationale : qu'il n y ait donc aucune action qui se passe en dehors de la légalité internationale ;
2) l'aspiration à ce que l'Europe continue de parler d'une seule voix, comme nous l'avons obtenu au moment de la résolution 1441.
C'est donc le langage français qui, sur le fond, est réutilisé. Mais il n'y a pas d'appel à la guerre dans ce texte ; lisez-le, vous verrez que ce n'est pas le cas. Alors, ce qui a pu être mis en exergue, ce qui a pu être ressenti comme une dissension au sein de l'Europe, c'est le fait que huit pays se réunissent pour un appel. Et pourquoi pas les autres ? C'est d'ailleurs la question qu'on pourrait se poser. L'Europe, c'est vingt-cinq, alors pourquoi huit ?
Mon sentiment, mais je dirais que c'est peut-être un sentiment personnel, c'est que certains de ces pays n'ont pas compris ou ont craint la réunion franco-allemande qui était pourtant tout simplement un anniversaire. Je rappelle qu'il s'agissait de fêter le 40ème anniversaire du Traité de l'Elysée par lequel le général de Gaulle et le chancelier Adenauer ont ouvert en quelque sorte la voie à l'Europe. Et bien à cette occasion, nous avons répété ce que chacun constate, c'est-à-dire que lorsque la France et l'Allemagne étaient décidées à faire avancer l'Europe, l'Europe avançait et que lorsqu'il y avait une brouille ou une distance entre la France et l'Allemagne, l'Europe n'avançait pas. Alors certains se sont peut-être sentis un peu exclus et auraient voulu eux aussi être associés comme des éléments essentiels de l'avancée de l'Europe. Je suppose que c'est cela qui a motivé leur geste.
Je ne crois vraiment pas qu'il y ait en quoi que ce soit une remise en cause de l'avancée européenne. D'ailleurs, ce que je constate, c'est que l'euro s'est fait même si l'un des pays signataires n'est pas dans l'euro. C'est aussi que l'Europe de la défense avance ; je le constate depuis huit mois d'une façon extrêmement concrète : nous allons, d'ici quelques semaines, mener notre première opération de l'Union européenne en Macédoine, en relève de l'OTAN et, en 2004, il est prévu que nous prenions la relève de l'OTAN en ce qui concerne la Bosnie, même si d'autres pays signataires de cette fameuse lettre étaient moins enthousiastes. Il faut savoir foncer, en dépit des susceptibilités.
Q - Après l'anniversaire franco-allemand, il y aura demain le 25ème Sommet franco-britannique. Qui de Jacques Chirac ou de Tony Blair pourra, selon vous, faire changer l'autre de position ?
R - Pour ma part, ce que je constate, c'est que Tony Blair s'est rapproché de notre position, notamment en reconnaissant que la légalité internationale s'imposait et qu'il fallait de toute façon que la démarche en deux temps devant les Nations unies, que nous avons souhaitée depuis toujours, puisse se faire. Vous savez, je crois que les opinions publiques européennes sont très proches de la position française.
Q - Pourquoi les pays qui refusent la guerre n'ont pas fait comme les huit en rédigeant un texte ensemble ?
R - Parce qu'ils ont voté au Conseil de l'Europe la veille. Parce qu'ils se sont exprimés au Conseil de l'Europe.
Q - Mais c'est différent.
R - Non, ce que nous avons dit au Conseil de l'Europe et au Parlement européen, c'est cela. C'est qu'il fallait que l'Europe parle d'une seule voix.
Q - Concernant les opinions publiques, on nous accuse, nous autres pays du tiers-monde, de ne pas écouter nos opinions publiques. Or, voilà que près de 80% des opinions publiques occidentales sont contre cette guerre, contre la position britano-américaine. Quel est votre commentaire ?
R - Je crois qu'en Europe, malheureusement, nous avons subi des guerres sur le continent et cela nous a marqués, même si les générations actuelles n'ont pas connu la guerre. C'est la raison pour laquelle nous sommes extrêmement réticents et nous disons que la guerre ne doit être qu'un ultime recours et doit être faite uniquement pour résister à un mal plus grand. C'est la position du gouvernement français qui est en cohérence avec les opinions publiques de beaucoup de pays et avec beaucoup de gouvernements européens. En ce qui concerne la Grande-Bretagne, je dirais qu'il faut poser la question à Tony Blair.
Q - (Question sur la date de la visite du président Chirac en Tunisie)
R - En ce qui concerne la date de la visite du président Chirac, je crois qu'elle n'a pas encore été définitivement fixée. Elle devrait se faire dans le courant de cette année, plus vraisemblablement au deuxième semestre.
Q - (Question sur la Côte d'Ivoire et sur l'éventuelle présence d'une "main étrangère" derrière les manifestations anti-françaises)
R - En ce qui concerne la Côte d'Ivoire, dont je suis l'évolution jour par jour et dans certains cas heure par heure, ce que je constate et ce qui m'est rapporté, c'est que la très grande majorité de la population ivoirienne, y compris la population d'Abidjan, garde toujours les mêmes relations extrêmement chaleureuses avec les Français qui sont là.
Je dirais que ceux qui ont manifesté contre la France en plusieurs occasions, que ce soit devant l'ambassade, devant le lycée français ou même dans la manifestation de samedi, semblent en fait un groupe en nombre limité et dont on peut effectivement se demander s'ils ne sont pas manipulés par certains ou dirigés par certains. En tout cas, tout ce que l'on peut savoir, c'est qu'ils sont très bien organisés et qu'à l'aéroport, en particulier, ils sont venus en autocars affrétés.
C'est simplement ce que l'on peut dire. Je crois que les Français en Côte d'Ivoire ne sont pas des personnes qui sont visées. Il n'y a d'ailleurs ni blessés, ni, heureusement, de morts en la matière, même s'il y a eu de la part de certains des injures ou des agressions verbales. Cela nous oblige bien entendu à une grande surveillance. Nous avons fait dire à M. Gbagbo et aux membres de son gouvernement que nous les considérions comme personnellement responsables de la sécurité des Français et des étrangers et que si leurs forces de l'ordre avaient besoin d'un appui, nous étions tout à fait prêts à le leur apporter mais que c'étaient eux qui étaient responsables en première ligne. Bien entendu, cela ne nous empêche pas de suivre très attentivement, de veiller à tout cela et d'être prêts, le cas échéant, si les personnes étaient menacées, à intervenir. Nous en avons tous les moyens.
Q - Est-ce qu'on peut parler d'une augmentation du volume de l'aide militaire française à la Tunisie ?
R - En ce qui concerne les rapports avec la Tunisie, il y a certainement un renforcement de nos échanges, je dirai peut-être une certaine rationalisation. Ce que nous avons essayé, c'est de mettre en place une méthode pour que les échanges et que la coopération se fassent, à la fois suivant un plan avec des échéances dans le temps et en fonction d'une vision et d'une politique de la défense de la part du gouvernement tunisien.
Q - (Question sur la coopération avec les pays du Maghreb)
R - En ce qui concerne les autres pays du Maghreb, nous avons parlé effectivement de notre vision et du souhait que nous pouvons avoir de la mise en place d'une politique que j'appellerai euro-maghrébine. Il me paraît indispensable que la Méditerranée, qui est finalement ce qui nous réunit, ce qui nous unit géographiquement mais également culturellement et historiquement, soit un point fort, un lieu de rencontre extrêmement fort.
Pour ma part, comme ministre de la Défense français, chaque fois que nous avons des réunions de ministres européens de la Défense, je plaide avec mes collègues des pays qui ont également la Méditerranée en partage - je pense aux Grecs, aux Italiens et aux Espagnols en particulier, pour que des liens privilégiés soient mis en place. Notamment, j'ai obtenu au cours d'une dernière réunion, que certains des pays du Maghreb se voient proposer d'être associés aux grands exercices que les ministres européens de la Défense pourraient être amenés à mettre en place.
Ce que nous souhaitons aussi, c'est qu'il puisse y avoir au fur et à mesure un dialogue, ce qu'on appelle le 5+5, qui permettrait sans doute d'avoir à terme une organisation plus facile de ces rapports.
Q - (Question sur la position des pays du Maghreb)
R - J'ai eu l'occasion de parler à certains d'entre eux mais je n'ai pas encore fait le tour des pays maghrébins. Je souhaitais réserver à la Tunisie une de mes premières visites, compte tenu de l'accueil que j'ai toujours eu à titre privé ou à titre officiel dans votre pays.
Q - Est-ce que vous avez signé des conventions ?
R : Oui, tout à fait. Effectivement, nous avons passé un accord, un arrangement, comme on dit en termes diplomatiques, pour mieux organiser les rapports entre nos forces et dans tous les domaines.
Q - Militairement, est-ce qu'il y a eu un débat dernièrement en France concernant le budget pour se préparer à la guerre du Golfe et, techniquement, est-ce que la France est prête pour la guerre ?
R - En ce qui concerne le budget français de la Défense, c'est la volonté du président de la République que le gouvernement a mis en place en prévoyant une augmentation sensible du budget de la Défense française. Cela n'a rien à voir avec une quelconque perspective de guerre en Iraq. Cela correspond simplement à la volonté de la France d'être à même d'assurer sa sécurité, celle de ses concitoyens, mais également de tenir son rang de puissance militaire dans le monde et son rang de puissance membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU.
Or, au cours des cinq dernières années, la Défense française avait accompli un énorme travail de professionnalisation de notre armée - c'est quelque chose de tout à fait remarquable ; c'est la seule administration qui, en France, a été capable d'effectuer cette modernisation - mais pour autant, le précédent gouvernement socialiste avait réduit les crédits du ministère de la Défense. Notamment, par rapport à la précédente loi de programmation militaire, une année complète de crédits avait été annulée, c'est-à-dire que 20% des crédits prévus sur cinq ans avaient été annulés. Cela n'était évidemment pas compatible avec notre volonté d'être respectés dans le monde, de tenir nos engagements.
C'est la raison pour laquelle il a donc été décidé à la fois de faire ce rattrapage par rapport aux précédents budgets mais également de faire les efforts nécessaires pour prévoir l'avenir, avec comme première obligation d'assurer la maintenance de nos appareils, et comme seconde obligation de passer la commande de nouveaux programmes ; qu'il s'agisse du Rafale ; qu'il s'agisse de l'A 400 M, un programme européen ; qu'il s'agisse de notre politique spatiale ; qu'il s'agisse du renforcement de notre renseignement et de nos capacités de lutte contre le terrorisme ; qu'il s'agisse de la recherche en ce qui concerne notamment la protection contre les nouveaux armements chimiques, bactériologiques et nucléaires ; qu'il s'agisse de la commande du deuxième porte-avions. Tout ceci, c'était une volonté très nette de tenir simplement notre place.
Enfin, en ce qui concerne d'éventuels conflits, encore une fois, en ce qui concerne l'Iraq, nous ne sommes pas dans une logique de conflit armé, nous sommes dans la période de la diplomatie et ce que nous voulons, c'est que la diplomatie, par l'intermédiaire des inspecteurs des Nations unies, remplisse totalement sa mission et qu'il n'y ait pas de conflit.
Pour autant, le rôle d'un ministre de la Défense, c'est d'avoir en permanence des militaires capables de faire face à toute situation et capables, notamment, de mettre en uvre les décisions prises par les politiques responsables de la Défense nationale dans notre pays. Donc, l'armée, à tout moment, doit être prête à faire face, à travers son aviation, à travers son groupe aéronaval, à travers ses forces terrestres, à travers ses gendarmes - les gendarmes, en France, sont des militaires - à toute nécessité ou à toute décision du président de la République et nous sommes à même de faire face. Nous venons de le montrer avec la Côte d'Ivoire ; nous l'avions montré avec l'Afghanistan. C'est bien à la fois notre rôle et notre volonté.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 février 2003)