Déclaration de M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la santé, sur les valeurs du syndicalisme, notamment la participation des syndicats à la construction d'une nouvelle donne économique et sociale, Toulouse le 13 novembre 2002.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Congrès de la CFTC à Toulouse le 13 novembre 2002

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire Général,
Mesdames et Messieurs,
Le devoir de neutralité qui est le mien à l'endroit de chacune des organisations syndicales, ne m'interdit pas de vous exprimer le plaisir que j'éprouve à être parmi vous aujourd'hui
En répondant favorablement à l'invitation du Président, Alain Deleu - dont je tiens ici à saluer l'exemplarité et la fidélité du parcours à la tête de la CFTC - j'ai voulu vous faire part de mon engagement au service des salariés et des entreprises. J'ai voulu aussi signifier l'importance que j'accorde au rôle du syndicalisme dans notre pays ; ce rôle qui doit être davantage encore reconnu et étendu. Parce que les enjeux sont, de façon croissante, européens et internationaux, il convient de placer cette reconnaissance du fait syndical dans le cadre d'une perspective sociale élargie, une perspective contribuant à l'organisation d'une mondialisation mieux équilibrée, mieux régulée, et, pour tout dire, plus éthique. A cet égard, le rôle de l'OIT est fondamental.
Votre rapport d'activité - ai-je noté - s'ouvre sur la citation d'une de vos militantes : " le syndicalisme - dit-elle - est une école de rigueur, d'écoute, une école de citoyenneté ".
Ces valeurs sont celles du syndicalisme. Vous les portez, vous les incarnez ! Elles sont votre richesse, elles sont le gage de votre action au service des salariés ! Plus que jamais, elles sont nécessaires pour renforcer et renouveler notre pacte démocratique et social, aujourd'hui traversé par une forme sourde de désillusion civique et de solitude sociale à laquelle nos concitoyens ne cèdent qu'à contrecur, tant ils sont en quête d'une nouvelle espérance collective.
Oui, ces valeurs, il vous appartient - il nous appartient ensemble, de les faire vivre pour redonner tout son sens à l'action collective qui est l'une des sources de l'intérêt général.

Je suis animé par une conviction : celle que le syndicalisme doit participer activement à la construction d'une nouvelle donne économique et sociale.
Nouvelle donne car le modèle Français doit évoluer et ses instruments se rénover. L'internationalisation des échanges, la quête de compétitivité qu'elle induit, la stimulation et le partage d'une croissance plus indécise qu'on ne l'escomptait, l'évolution des métiers et des technologies, l'adaptation professionnelle permanente qu'elle exige, le ciblage du dispositif de lutte contre le chômage et la précarité, l'avenir des retraites, de la famille, du système de santé : tous ces dossiers sont exposés aux mutations de notre temps. Ils doivent donc être mis sur la table de discussion et faire l'objet d'un réexamen destiné à actualiser l'équilibre entre cohésion sociale et dynamisme économique, ces deux objectifs étant à mes yeux indissociablement liés.
Mais cette approche volontariste doit être présidée par une nouvelle méthode d'action qui, selon moi, doit transcender la règle qui, traditionnellement, régit l'organisation des rapports sociaux en France ; organisation marquée par la séparation des responsabilités entre les partenaires sociaux, le législateur et l'Etat, plutôt que par une création partagée.
Cette culture, la France, par le fait de son histoire, par tempérament, ne l'a pas totalement acquise. Au fond de l'organisation française, il y a toujours - vous le savez mieux que quiconque - une sorte d'incapacité à distribuer le pouvoir d'imagination, de décision et donc de négociation.
Cette incapacité résulte d'une centralisation séculaire qui a placé les corps intermédiaires dans le rôle d'accompagnateurs plus ou moins associés de la politique publique, plutôt que comme des acteurs de la régulation, voir du changement économique et social du pays.

Un grand défi pour la France nous est donc communément lancé : poser les bases d'une véritable démocratie participative. Celle ci appelle des espaces de liberté supplémentaires ; cette liberté exigeant, en retour, une conception élevée de la responsabilité. Responsabilité pour proposer, pour écouter, pour dégager un compromis positif.
Je crois que la France viendra nécessairement vers cette culture de la participation. Les Français là réclament. L'Etat ne peut plus, ne doit plus, définir et administrer seul les intérêts du pays, de ses salariés, de ses entreprises. Il doit faire confiance, il doit impulser, déléguer, et, si nécessaire, arbitrer. N'en déplaisent donc aux nostalgiques du dirigisme providentiel, la société civile, responsabilisée et mobilisée, est en marche ! Et d'ailleurs, l'Etat - loin d'être déstabilisé par cette marche - peut en tirer profit pour se repenser et se raffermir. Face aux forces de la mondialisation, l'Etat, qui n'a cessé de voir ses prérogatives se resserrer, peut trouver dans la société civile et les partenaires sociaux, les alliés de sa légitimité et de son efficacité futures.
Le gouvernement est décidé à faciliter cette marche. Dans cet esprit, notre système de relations sociales doit évoluer dans le sens d'un rôle accru confié aux partenaires sociaux, à l'instar de certains autres pays de l'Union européenne. Nous sommes là au cur du renforcement de la place des syndicats dans notre pays. Ce renforcement passe par une réflexion commune sur le mode de conclusion des accords et leur légitimité. Sur ce sujet, nous devons prendre appui sur la position commune signée le 16 juillet 2001 par la plupart des organisations syndicales sur les voies et moyens de la négociation collective. Il nous faut lancer le débat sur les questions de la place respective de la loi et de l'accord collectif, du développement de la négociation collective dans les PME et enfin de la validité des accords collectifs. Notre système de négociation collective est en effet arrivé à un tournant. Un nouvel équilibre doit être trouvé, garantissant à la fois le pluralisme syndical, fruit de notre histoire, et la prise de responsabilité des organisations syndicales. Ce nouvel équilibre fera l'objet d'un projet de loi. Il contribuera à revivifier et à moderniser notre démocratie sociale.
Au nom de cet objectif, notre priorité est dès à présent de faire confiance au dialogue social. Dans chacun des projets de loi que j'ai eu l'occasion d'élaborer - contrat jeunes en entreprise, assouplissement des 35H, adaptation de la loi de modernisation sociale - nous avons volontairement ouvert des espaces de négociations aux partenaires sociaux. A dessein, j'ai mis des bornes à la pratique antérieure consistant à travers la loi, à tout encadrer, à tout cadenasser, à tout figer dans le moindre détail. Le législateur doit ouvrir aux partenaires sociaux des espaces de liberté et de création.
C'est par le dialogue social, au niveau interprofessionnel, au niveau des branches, au niveau des entreprises que peuvent se nouer les meilleurs compromis, les accords " gagnant-gagnant ", et que peuvent être dégagées les méthodes propres à assurer les évolutions nécessaires, tenant compte de la variété des situations.
Cette démarche propice au dialogue, je me suis efforcé de l'impulser dès ma prise de fonctions. J'ai cherché à développer la concertation avec l'ensemble des partenaires sociaux. J'ai tâché d'instaurer un climat d'écoute, de dialogue et de transparence des objectifs. Cela ne signifie pas - et il faut lever les malentendus à ce sujet ! - que le Gouvernement doit rester inerte et muet
J'ai une feuille de route, fondé sur un mandat fixé par les Français et un calendrier, livré dès les premiers jours aux partenaires sociaux. Fidèle à son cap, le gouvernement assume comme il se doit ses responsabilités, mais il doit avoir le souci d'offrir à chacun le temps et l'occasion de faire valoir son point de vue. Ce point de vue - et les partenaires sociaux en auront été les témoins ! - est toujours susceptible d'infléchir certaines des dispositions gouvernementales. Ce fut le cas sur l'avant projet de loi relatif à l'assouplissement des 35H.
Je ne suis pas un dogmatique. J'écoute et amende si nécessaire. A mes yeux, la discussion, comme la négociation, me permettent de mieux saisir le fil de l'intérêt général.
Mesdames et messieurs,
Ce souci du dialogue social, mais aussi et surtout cette volonté qui est la nôtre d'élargir les espaces de négociation au sein desquels les partenaires sociaux sont invités à s'engouffrer, inspirent notre démarche. Ils participent tous deux à la poursuite d'un objectif politique qui m'est cher : respecter les conditions du développement économique sans négliger les conditions du progrès social.
L'efficacité économique ne peut être fondée sur l'atomisation et la régression sociales ! Pour moi, il ne serait y avoir d'un côté la France qui gagne, et de l'autre, celle qui décroche !
Pour aider notre pays à affronter l'avenir en situation de force, pour l'aider à aborder de façon constructive la question sociale au XXIème siècle, il y a cependant un préalable : il est nécessaire de parler vrai à nos concitoyens !
Il convient de ne pas les leurrer sur les efforts que notre pays doit entreprendre pour tirer son épingle du jeu face à la compétition internationale et pour assurer le maintien de son modèle social.

Dans cet esprit, je crois aux vertus de la liberté et de l'innovation économiques, car sans elles il n'y a aucune chance de créer la valeur ajoutée. Je crois également à la valeur du travail, de l'effort et du mérite.
Ces vertus doivent s'épanouir dans le cadre de ce que j'appellerai le " libéralisme social ", parce que le progrès économique, je l'ai dit, ne peut être fondé sur l'atomisation du pacte de solidarité. La régulation sociale de l'économie libérale est un impératif ! Mais ce principe ne doit pas nous dispenser d'une analyse lucide à l'égard des recettes peu concluantes qui ont prévalu au cours des dernières années et dont les résultats ne sont pas toujours à la hauteur de nos espérances. En matière de lutte contre le chômage, nous sommes l'un des Etats européens qui obtient les moins bons résultats. En matière d'égalité sociale, de lutte contre l'exclusion, notre système présente tous les signes d'un réel essoufflement
Il nous faut donc inventer autre chose ; il nous faut ouvrir de nouvelles pistes ! Au nom même de la solidarité, il convient de revisiter les valeurs, les normes et les outils qui favorisent l'action au bénéfice de tous, en particulier des plus mal lotis, qui encouragent la prise de responsabilité, qui associent initiative individuelle, protection et promotion sociales.
Respecter le dialogue social, ouvrir des espaces de négociations aux partenaires sociaux, définir de nouveaux équilibres entre la dynamique économique et la dignité sociale, tels sont, mesdames et messieurs, les principes que nous nous efforçons d'imprimer.
Ces principes, ils sont regroupés dans le projet de loi relatif aux 35h et au SMIC. Ce projet marque notre volonté de desserrer le carcan pesant sur les entreprises et sur le pouvoir d'achat des salariés. Il marque notre ferme volonté de sortir de la mécanique kafkaïenne et injuste des multismic. Nous avons, dans cet esprit, consulté le Conseil économique et social sur la sortie des multismic, nous avons entendu toutes les organisations et consulté la Commission nationale de la négociation collective. Après quoi, j'ai proposé au Parlement ce qui me semblait être la meilleure solution, celle de l'efficacité et de la justice sociale. La convergence par le haut des six SMIC s'effectuera donc d'ici 2005. Elle aura pour effet une augmentation du SMIC horaire de 11,4 % en termes réels au cours des trois prochaines années. Globalement, 2/3 des salariés rémunérés par référence à l'une des garanties mensuelles verront leur pouvoir d'achat progresser de façon significative. Cette mesure manifeste notre volonté de redonner au SMIC sa lisibilité. Elle traduit notre souhait de mettre fin à la stagnation des bas salaires, qui était le corollaire obligé de la réduction imposée du temps de travail.
En ce qui concerne la réforme sur le temps de travail, trois principes ont été retenus :
- la simplification des procédures ;
- la souplesse et la volonté de s'adapter à la situation des branches ou des entreprises ;
- le maintien des équilibres essentiels par l'Etat ;
Ce projet ne supprime pas les 35 heures, mais il vise à donner aux entreprises et à leurs salariés les moyens, s'ils le souhaitent de les adapter, de les aménager, bref de se les approprier. Toutes les dispositions du projet, en cours de discussion au Parlement, visent - j'y reviens ! - à ouvrir des espaces de négociation. Rien n'est remis en cause, rien n'est imposé. Mais des souplesses, des aménagements sont désormais possibles par la voie d'accords collectifs. Cela vaut notamment pour l'augmentation du nombre des heures supplémentaires, pour l'utilisation des forfaits en jours ou encore pour l'utilisation du compte épargne temps.
En ce qui concerne la loi dite de modernisation sociale, et notamment ses clauses relatives aux licenciements, la méthode retenue est identique : d'abord un temps de consultation et de concertation avec l'ensemble des organisations, culminant avec le passage devant la CNNC. Sur cette base, un projet de loi a été établi, le Gouvernement considérant qu'il est de l'intérêt des entreprises et des salariés de revenir sur plusieurs dispositions de la LMS. Loi qui, faut-il le rappeler, avait suscité de vives réserves syndicales, tant sur le fond que sur la forme, et qui, sans empêcher les licenciements, les a parfois rendus plus cruels encore.
Notre projet prévoit donc de suspendre plusieurs dispositions de cette loi, dans l'attente d'une négociation entre les partenaires sociaux sur le sujet. C'est vous qui en 1969, en 1974, en 1986 ( pour ne citer que quelques dates) avez conclu des accords fondamentaux sur le licenciement qui ont ensuite, inspiré le législateur. Pourquoi n'en serait-il pas de même aujourd'hui ? C'est, du moins, le pari que je fais !
Outre ce renvoi à une négociation d'ensemble, notre projet donne la possibilité de conclure des accords d'entreprise, à titre expérimental. Ces accords porteront simplement sur les modalités de l'information et de la consultation du comité d'entreprise.
Cette démarche, privilégiant à la fois le dialogue et la reconnaissance de l'élargissement de vos responsabilités, sera au cur de nos prochains dossiers.
J'en citerai deux.
Tout d'abord, celui des retraites. Je l'ai déjà dit, le temps des rapports et des reports est clos. L'avenir de notre système de retraite doit être posé avec pragmatisme et détermination. Notre objectif est de sauver notre régime de retraite par répartition, il n'est pas d'en improviser un nouveau qui serait éloigné de notre tradition politique et sociale.
Ce dossier crucial, je l'aborde avec l'esprit libre, sans idée préconçue, avec la volonté de dégager un consensus national.
Saurons-nous, les uns et les autres, être à la hauteur d'un enjeu qui transcende le présent ? Saurons-nous être à la hauteur d'un défi que nous avons le devoir de relever moins pour nous mêmes que pour les prochaines générations ? Arriverons-nous à surmonter nos craintes, nos intérêts personnels ou catégoriels ? En un mot, saurons-nous collectivement préparer le futur ou serons-nous les prisonniers d'un avenir non préparé ? Voilà les questions que je me pose ! Voilà les questions que je suis tentés, avec franchise, de vous poser !
Les principes qui guideront la réforme des retraites sont connus:
- celui de la sûreté garantissant le financement des retraites et la pérennité de nos régimes ;
- celui de la liberté offrant de la souplesse à un système qui en manque, tout en garantissant le maintien de la retraite à 60 ans ;
- celui de l'équité entre les différents régimes de retraite.
C'est à partir de ces principes définis par le Premier ministre, que nous vous proposerons au début de l'année prochaine les orientations de cette réforme. Puis des négociations s'engageront dans le secteur public et pour le régime général. Elles seront couronnées par un projet de loi qui interviendra vers le mois de Juin 2003.
Le deuxième dossier que je souhaitais aborder avec vous est central : c'est celui de l'emploi. Nous connaissons depuis plusieurs mois une augmentation du chômage. Vous en connaissez du reste toutes les conséquences sur notre système d'assurance chômage
Il nous faut à la fois retrouver le chemin de la croissance économique, nécessaire à la création d'emploi, et réaliser les réformes structurelles qui la garantiront et la renforceront. Nous avons des défis à relever : améliorer l'insertion professionnelle de nos jeunes, lutter contre l'éviction du marché du travail des salariés âgés, augmenter notre taux d'activité, faciliter le retour à l'emploi des chômeurs. Nous avons déjà pris des mesures comme le contrat jeunes ou l'allégement des charges. Nous travaillons sur un dispositif d'insertion destiné aux jeunes, le CIVIS.
Mais il revient aussi aux partenaires sociaux de trouver des voies originales. Il est de leur responsabilité d'adapter nos outils en matière de formation professionnelle et d'assurance emploi. Cette assurance emploi doit avoir pour vocation d'offrir à chaque salarié une sorte de compte formation, lui permettant de se former tout au long de sa vie professionnelle. La formation, c'est le moyen de progresser dans l'entreprise, de s'adapter aux nouvelles contraintes technologiques, de rebondir si la conjoncture se fait plus difficile.
Je compte sur les partenaires sociaux, je compte sur vous, pour trouver, par la négociation, des solutions consensuelles et imaginatives. L'avenir est aussi entre vos mains.
Mesdames et messieurs, voilà les quelques messages et éléments de réflexions que je souhaitais vous livrer.
Notre pays a besoin d'un nouvel élan économique et social. Celui ci devra reposer sur de nouveaux instruments de régulation, mais aussi de nouveaux comportements collectifs et individuels.
L'enjeu consiste à développer une synthèse entre les exigences de la condition humaine au XXIème siècle et les nécessités du combat économique. Cette synthèse - et c'est là notre défi commun - devra, pour partie, être dégagée par les acteurs sociaux, par les acteurs du terrain.
Votre confédération incarne, depuis 1919, un syndicalisme de la responsabilité et de l'action. A l'heure ou vous tournez une page bien remplie, je voulais aujourd'hui rendre un hommage tout particulier à ce cheminement placé au service des salariés et d'une certaine idée de l'homme.
(source http://www.cftc.fr, le 14 novembre 2002)