Interveiws de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, à toutes les radios le 5 et à RFI le 7 février 2003, sur le renforcement du contingent français en Côte d'Ivoire et sa mission de protection des ressortissants français et étrangers.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

450 militaires français direction Côte d'Ivoire, ils sont déjà partis d'ailleurs, pourquoi ce renforcement?
Michèle Alliot-Marie :
Depuis le début de la crise ivoirienne, nous nous adaptons en fonction de la situation. Il s'agit donc d'une adaptation. Ce que je constate aujourd'hui, c'est l'inquiétude de nos compatriotes et, d'une façon générale, une inquiétude des étrangers en Côte d'Ivoire, inquiétude que l'on peut comprendre d'ailleurs. Il est tout à fait normal que les gens soient inquiets. Même s'ils ne sont pas directement touchés, ils voient des tensions. Ce climat d'incertitude implique donc qu'on leur réponde. Ce renfort sera de nature à montrer à nos ressortissants que le ministère de la défense est très attentif à la situation et qu'il prend en permanence toutes les dispositions nécessaires pour s'adapter aux évolutions de la situation.
C'est un renfort psychologique ?
C'est un renfort qui devrait effectivement rassurer nos compatriotes. Cela leur permet de bien percevoir que nous sommes présents sur le terrain et que nous avons tous les moyens d'assurer leur protection.
Ces renforts sont plus destinés à sécuriser les Français d'Abidjan ?
Les renforts concernent essentiellement Abidjan, car c'est à Abidjan que se trouve la plus forte concentration de nos compatriotes et des étrangers. S'y trouvent à la fois des Français, et également de nombreux Libanais mais un certain nombre d'autres nationalités.
Vous avez senti effectivement ce sentiment au niveau des Français de Côte d'Ivoire non pas, on ne peut pas parler d'appel au secours mais de dire : ne nous oubliez pas ?
Oui. Je vous le répète, c'est tout à fait normal. On ne peut que comprendre l'inquiétude des gens, même s'ils sont dans un pays qu'ils connaissent bien. Ils peuvent subir des affrontements et s'il y a des tensions entre différents groupes, il est évident que pour ceux qui se trouvent au milieu ou à côté, c'est toujours une situation difficile.
Ces renforts appliqueront les mêmes règles que l'opération Licorne si jamais ils sont vis-à-vis des rebelles ou d'autres, mis en cause, si leur intégrité est menacée?
Leur première mission, c'est de protéger les ressortissants français et les étrangers.
Est-ce qu'ils sont suffisants, est-ce que 450, c'est suffisant pour évacuer en cas d'urgence?
Ce sont 450 qui se rajoutent, je vous le rappelle, aux 1500 à 2000, déjà sur place à Abidjan.
L'évacuation n'est toujours pas d'actualité?
L'évacuation n'est toujours pas d'actualité. Vous pouvez d'ailleurs constater que, depuis plusieurs jours, une certaine accalmie de la situation à l'égard des étrangers.
Pourquoi l'armée de terre ne met-elle pas ses moyens à disposition de l'évacuation des civils qui le souhaitent, alors que les compagnies ont du mal à fournir les capacités elles-mêmes pour évacuer ces gens?
Les compagnies aériennes n'ont pas du mal à fournir les capacités. Hier, quelques avions sont rentrés avec seulement 50 passagers à bord alors qu'ils avaient une capacité de 500 passagers.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 7 février 2003)
Journaliste
Invitée de RFI aujourd'hui, Pierre Ganz reçoit le ministre de la Défense,
Michèle Alliot-Marie.
Pierre Ganz
Michèle Alliot-Marie bonjour !
Michèle Alliot-Marie
Bonjour !
L'effectif de l'opération " Licorne " en Côte d'Ivoire atteindra ce vendredi 3 200 hommes avec l'arrivée prévue à Abidjan de 450 soldats français supplémentaires. Madame la ministre, quelle est la mission de ces renforts ?
La mission de ces renforts est de contribuer, comme c'est le cas depuis le début de la crise ivoirienne et comme cela vient également d'être demandé par les Nations Unies, à sécuriser les Français et l'ensemble des étrangers qui pourraient être pris dans des combats en Côte d'Ivoire, d'une part,
Des combats ou des manifestations ?
Ceux dont la vie pourrait être en danger en Côte d'Ivoire, et ce quelques soient les circonstances. Et d'autre part, à maintenir la ligne de cessez-le-feu pour permettre qu'un accord puisse être trouvé et surtout puisse être mis en place en Côte d'Ivoire.
Ces 450 hommes supplémentaires seront plutôt à Abidjan ?
Ces 450 hommes supplémentaires seront plutôt à Abidjan, puisque c'est à Abidjan que se concentre la très grande majorité de nos compatriotes et des étrangers. C'est à Abidjan aussi qu'ont eu lieu ces manifestations et ces pillages qui ont beaucoup inquiété nos compatriotes. Je dois dire que je comprends leur inquiétude, en voyant ces foules plus ou moins contrôlées qui lancent des slogans hostiles à la France et également hostiles aux Français qui vivent dans ce pays et lui apportent leur énergie depuis longtemps. Ils ne comprennent pas très bien ce qui se passe, et notamment lorsqu'ils ont des enfants. Il est donc normal qu'ils s'inquiètent d'éventuels débordements qui pourraient intervenir.
Vous parlez de sécurisation des Français de Côte d'Ivoire. Quelle forme cela va t-il prendre ? Est-ce que cela veut dire par exemple que tous les lieux sensibles où les Français se regroupent, écoles et autres vont être protégés par ces soldats ?
Non. Ce que nous disons, c'est que la sécurité des Français relève d'abord des autorités de Côte d'Ivoire. Elles en sont responsables personnellement, et cela leur a été dit. J'ajoute que si jamais les forces de l'ordre ivoiriennes n'étaient pas à même d'assurer cette sécurité, nous sommes présents pour les conforter. S'il y avait effectivement un risque pour les Français ou pour les étrangers, nous interviendrions. Nous ne prendrons pas le risque qu'il puisse être fait le moindre mal à nos compatriotes. C'est la raison pour laquelle, depuis qu'il y a eu ces manifestations à Abidjan, j'ai pris la décision d'assurer un survol quasi-permanent d'Abidjan par hélicoptère. Cette mesure nous permet de déceler s'il y a un mouvement ou une action quelconque et donc de pouvoir intervenir directement. Les troupes françaises sont donc là pour intervenir le cas échéant. Si la situation se dégradait, les troupes françaises seraient à même d'organiser une évacuation de nos ressortissants et des étrangers. Aujourd'hui, le problème ne se pose pas. Nous ne sommes pas dans un système d'évacuation globale. Mais nous avons tout prévu, c'est d'ailleurs le rôle des militaires. Nous sommes donc là pour mettre en uvre des décisions qui pourraient être prises.
Et cette évacuation pourrait se déclencher si elle devait se déclencher et se mettre en uvre très rapidement ?
Elle pourrait se mettre en uvre très rapidement. Les plans d'évacuation ont été programmés. Nous en avons les moyens, qu'il s'agisse de moyens aériens ou qu'il s'agisse de moyens maritimes.
Juste un mot encore sur la sécurisation. Certains Français qui ont été victimes de pillage s'interrogent, se demandent pourquoi les soldats français qui étaient à quelques kilomètres ne sont pas intervenus, interviendront-ils désormais dans ces cas là ?
C'est d'abord aux autorités ivoiriennes, à la police et à la gendarmerie ivoiriennes donc, d'intervenir. Ce qu'elles ont d'ailleurs su faire à un moment donné. Si elles étaient dépassées, à ce moment-là, les troupes françaises interviendraient. Mais je crois aussi qu'il faut faire attention. Nous sommes dans un pays étranger. Nous ne nous substituons pas à la police ivoirienne. Il pourrait y avoir des formes de provocation, qui se retourneraient contre les Français, si effectivement, on voyait régulièrement des militaires français quadriller les rues d'Abidjan. Mais il faut savoir qu'ils sont présents, que s'il y avait quelque chose, ils interviendraient. Ils en ont tous les moyens. Les moyens juridiques, l'appui politique des Nations Unies et également les moyens techniques.
Cette résolution justement des Nations-Unies, est-ce qu'elle change la mission des troupes françaises ? Elle donne l'autorisation aux forces de la CEDEAO et aux forces françaises qui les soutiennent d'assurer la protection des civils ?
Cela change le poids politique et diplomatique de la mission. Nous faisions un travail qui nous paraît de notre responsabilité. C'est en effet de notre responsabilité que là où nous sommes présents, nous protégions nos ressortissants et les ressortissants étrangers. Aujourd'hui, c'est d'ailleurs la demande de toute la communauté internationale.
Alors Michèle Alliot-Marie, parlons d'un autre dossier, celui de l'Irak, il n'y a pas eu ce jeudi accord entre les membres de l'OTAN sur un soutien militaire en cas de conflit en Irak, compte tenu notamment de la position et des réserves exprimées par la France. Est-ce que cependant des décisions sur ce soutien de l'OTAN à une éventuelle opération pourrait intervenir au début de la semaine prochaine ?
Nous ne sommes pas du tout dans cette perspective. Monsieur Powell a amené un certain nombre d'éléments et d'interrogations qui ne font que conforter l'idée que nous avons du rôle des inspecteurs des Nations Unies. Il faut que les inspecteurs puissent faire leur travail, sur la base de ces nouveaux renseignements qui leur ont été donnés et aussi sur la base des renseignements que nous leur apportons tous.
La France a fourni des renseignements précis ?
Bien entendu, la France fournit régulièrement des éléments précis. Elle est d'ailleurs prête à faire encore davantage, comme vient de le dire Dominique de Villepin, pour aider les inspecteurs et augmenter le nombre des inspections - il y a d'ailleurs un nombre important de scientifiques français qui participent à ces inspections -, et également pour aider au moyen de renseignement, y compris par nos avions spécialisés.
Alors ce sont les fameux Mirage IV, est-ce qu'il y a une réponse à cette proposition française de la part de l'ONU, de l'utilisation des Mirage IV ?
Attendez ! c'est Monsieur Blix qui doit formuler cette demande. Nous lui avons fait cette offre. Il faut lui laisser le temps de nous répondre.
Si les Mirage IV étaient acceptés par Monsieur Blix, il faudrait combien de temps pour que la France se déploie ?
Quelques heures.
Michèle Alliot-Marie, je reviens à la question sur le temps. Est-ce qu'au début de la semaine prochaine, il pourrait y avoir un accord sur une préparation éventuelle de l'OTAN, la date de la semaine prochaine a été évoquée par Lord ROBERTSON ?
Je vous ai répondu très directement. Nous sommes aujourd'hui dans une phase qui est celle des inspections. Nous ne sommes pas dans une phase de préparation de la guerre.
La France n'exclue aucune option, y compris en dernière extrémité, le recours à la force, Dominique de Villepin, mercredi devant le Conseil de sécurité, dans cette hypothèse, est-ce qu'on a les moyens militaires de participer pleinement à une opération éventuelle, compte tenu de notre implication sur de nombreux théâtres extérieurs ?
Le Président de la République nous a demandé de nous tenir prêts en toutes circonstances. C'est effectivement la responsabilité du ministère de la Défense que d'avoir les moyens matériels et humains de répondre à une décision politique. Je puis vous dire aujourd'hui que nous les avons. Nous en sommes capables, même si nous sommes déjà présents en Afghanistan, dans les Balkans et aussi en Côte d'Ivoire. Nous sommes également susceptibles de répondre par notre force aérienne, par notre groupe aéronaval et également par nos forces terrestres à une décision qui serait celle du Président de la République.
Michèle Alliot-Marie merci à vous, bonne journée !
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 10 février 2003)