Interview de M. Jean-Louis Debré, président de l'Assemblée nationale, à La Chaîne info le 4 décembre 2002, sur l'organisation du travail parlementaire, la prééminence du Sénat à propos des textes concernant les collectivités locales et le projet de suspension de la loi de modernisation sociale.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser -. Vous avez fait sensation, hier, à l'Assemblée, en reprenant vertement un de vos collègues parlementaires qui chahutait et le matin, un peu plus discrètement, lorsque vous avez rappelé le Gouvernement à l'ordre pour l'organisation du travail parlementaire. Cela ne marche pas ?
- "Ce sont deux choses différentes. D'abord, lorsque les séances sont retransmises à la télévision, nous devons véhiculer des images de tolérance et de respect des idées des autres. Les Français nous regardent, nous vivons dans une société violente, de haine, d'intolérance, d'agressivité. Et que l'Assemblée nationale montre un peu l'exemple de ce respect de l'autre, c'est ce que j'ai voulu dire. Et je le fais en faisant en sorte que, que l'on soit de la majorité ou de l'opposition, on a le même temps pour s'exprimer. Et je ne supporte pas les agressivités des uns, comme les agressivités des autres. Vraiment, la démocratie parlementaire avancerait si chacun de nous, nous étions conscient de nos responsabilités. En ce qui concerne l'ordre du jour, le Gouvernement - et je le comprends, c'est louable - a envie de réformer, de modifier, de changer, de transformer notre législation. Parfait, mais je pense qu'il faut laisser aux parlementaires, à l'Assemblée nationale et au Sénat, le temps d'élaborer de bonnes lois et de ne pas aller trop vite. On a un ordre du jour qui est un peu chargé et je l'ai dit à la conférence des présidents. Je suis dans mon rôle lorsque je dis au Gouvernement comment mieux travailler."
Mais avouez que le Gouvernement est un peu pris en tenaille entre une opinion qui lui demande d'aller vite, qui veut des preuves de changement, et l'Assemblée, qui veut prendre son temps, qui veut décortiquer et édulcorer tous les textes ?
- "Chacun est dans son rôle. Le Gouvernement, J.-P. Raffarin, l'ensemble des ministres ont très bien entendu la demande des Français de modifications, de réformes et de transformations. Donc, il est logique, il est normal et il est bien qu'ils mettent sur les rails un grand nombre de réformes. Mais ces réformes doivent être travaillées au Parlement. Et je pense qu'il faut aussi donner à l'ensemble de la représentation nationale le temps, le rythme pour faire en sorte que ce soient de bonnes lois."
Là, c'est un encombrement de fin de session ou est-ce une bousculade, parce que les choses ont été mal gérées ?
- "Non, elles ont été bien gérées. Mais il y a deux impératifs : il y a la fin de session - depuis que je suis député, j'ai toujours connu ces fins de sessions un peu chargées - et cette volonté du Premier ministre et du Gouvernement, qui est légitime, de réformer, de modifier, de transformer."
A propos de transformer et de modifier, j'en viens à un texte qui fait couler beaucoup d'encre : la décentralisation. Les sénateurs d'abord, et les députés ensuite, ont vraiment pris leur temps - le temps que vous exigiez -, pour décortiquer ce texte, l'amender même. On était donc dans l'ordre des choses ?
- "C'est parfait, je suis ravi que le Gouvernement ait entendu les députés, accepté des amendements. C'est ça, la démocratie parlementaire. Il y a le texte du Gouvernement, sur un sujet difficile, qui est la décentralisation, la simplification, l'expérimentation. Le Gouvernement a fait un texte important. Il était normal que nous l'étudiions."
Est-ce qu'il a été amendé à votre guise ?
- "Je pense que le texte est meilleur, que les députés ont bien travaillé et qu'on va le voir dans le vote. Les députés vont approuver cette réforme."
Les députés votent cet après-midi. Il y a un article qui continue à faire problème : c'est l'article concernant la prééminence du Sénat à propos des textes concernant les collectivités locales. On joue un peu sur les mots, on parle maintenant "d'organisation des collectivités locales". Vous avez demandé une seconde lecture, c'est-à-dire une modification de cet article ?
- "Non, je n'ai pas demandé une seconde lecture, ce n'est pas à moi de le demander."
Vous la souhaiteriez, c'est au Gouvernement de demander une seconde lecture ?
- "Voilà. Je l'ai souhaité, en disant qu'il pouvait y avoir encore un certain nombre de problèmes quant à la rédaction de cet article 3. Nous avons deux assemblées, l'Assemblée nationale et le Sénat. Ces deux assemblées ont un rôle important. L'Assemblée nationale est élue au suffrage universel direct, elle a donc plus de légitimité que le Sénat, qui a cependant un rôle important - on le sait et je le sais le premier. Par conséquent, il était peut-être intéressant de revoir. Mais c'est la responsabilité du Gouvernement, ce n'est pas ma responsabilité."
Est-ce que vous en tireriez des conséquences éventuellement ?
- "Non, le Gouvernement a dit clairement ce qu'il voulait, chacun a pu s'exprimer. Après le moment de la discussion vient le moment de la décision. Et chaque député est face à ses responsabilités."
Savez-vous où le Gouvernement veut en venir avec les lois organiques, qui ne sont pas encore connues, mais qui seront les lois d'applications de cette réforme ?
- "Oui..."
Vous avez de la chance !
- "Oui, mais si voulez être informée, devenez députée ! Le Premier ministre est venu s'expliquer à l'Assemblée nationale - dans son intervention à la tribune, mais aussi devant un certain nombre de députés -, et nous savons que la voie tracée est une voie de modernisation. Il y a ce texte qui a maintenant été voté, mais il y a une loi qui arrive, qui est au moins aussi importante qu'un projet de loi et qui est le projet sur la modernisation sociale..."
On y est, il est en débat...
- "Il est en débat. Cela montre d'ailleurs la volonté du Gouvernement de réformer en profondeur notre société."
Etes-vous en phase avec ce projet qui prévoit une suspension de neuf articles de la loi de modernisation sociale, qui n'avait jamais été complètement appliquée ? Vous aviez vous-même demandé un durcissement de la législation, au moment où un problème grave se posait dans votre circonscription, alors que d'autres députés demandent, eux, l'abrogation...
- "D'abord, il est normal que chacun ait des avis différents sur un sujet difficile. Sur cette loi présentée par F. Fillon, je voudrais dire un certain nombre de choses. Premièrement, il faut bien avoir présent à l'esprit qu'il s'agit d'une loi qui suspend la loi qui avait été votée par la majorité précédente pour des considérations électorales et politiques. Et tout le monde demandait la suspension de cette loi. Le Gouvernement a donc bien fait de la suspendre pendant 18 mois. Deuxièmement, les rapports sociaux, les rapports du travail doivent reposer sur le dialogue social et la responsabilité des acteurs sociaux. C'est ce que fait ce Gouvernement et ce que fait cette loi. Donc, j'approuve la démarche. Et il va falloir, avec ce dialogue et avec cette responsabilité, construire une nouvelle architecture des rapports sociaux, sur la responsabilité et le dialogue."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 décembre 2002)