Texte intégral
Madame la Ministre,
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi tout d'abord de vous dire combien je suis heureuse de me trouver aujourd'hui à Bratislava, pour ce séminaire sur "l'Europe à la veille de l'unification". A moins d'une semaine du Conseil européen de Copenhague, ici en Slovaquie - dans un pays qui, parmi les tout premiers, vient de conclure au plan technique ses négociations d'adhésion, - et je tenais à le saluer -, le thème ne pouvait être mieux choisi.
Vous savez que nous célébrons cette année en France le bicentenaire de la naissance de Victor Hugo, cette voix toujours vivante qui s'est élevée en son temps contre toutes les injustices et pour l'unité de l'Europe. Dans quelques jours, à Copenhague, une grande injustice sera réparée et la parole du poète deviendra, après bien des détours, réalité.
Cette réunification de l'Europe était-elle si inattendue ? Non, car déjà les "pères fondateurs" - Monnet, Schuman, Adenauer ou de Gasperi - avaient prédit que l'Europe accueillerait un jour ces pays alors dits de l'Est. Ce jour est venu.
L'élargissement n'est donc pas une rupture mais l'accomplissement même du projet européen : un projet de justice, de paix, et de progrès social et humain.
Ces nations enfin libres qui nous rejoignent, sont le ferment d'une nouvelle ambition. Pour avoir attendu si longtemps, elles ne veulent pas d'une Europe impuissante, d'une Europe qui se déferait en se faisant. Elles apporteront à notre projet commun l'impatience du temps perdu, la force de leurs jeunesses et de leurs espérances.
Les frontières de cette nouvelle Europe seront celles de ses valeurs et de son projet. Celles de l'histoire que nous voulons construire ensemble plutôt que celles, fluctuantes, que le passé a laissé, comme autant de moraines, sur nos vieux atlas.
Dominique de Villepin a esquissé, lundi dernier à Marseille, les contours de cette géographie en devenir, en évoquant les trois cercles de l'organisation future de l'Europe : celui de la famille, celui du voisinage, et, enfin, celui de l'amitié.
Le premier cercle, celui de la famille, réunira demain les quinze Etats membres actuels et tous ceux dont la vocation à entrer dans l'Union a été reconnue. Les dix pays qui nous rejoindront en 2004. La Roumanie et la Bulgarie qui feront de même en 2007. La Turquie, pour laquelle l'engagement pris par les Européens ne saurait être remis en cause mais qui doit poursuivre ses efforts afin de satisfaire aux grands principes démocratiques qui sont les nôtres. Et quel enjeu pour notre avenir, quel exemple pour l'ensemble du monde musulman, qu'une Turquie qui partagerait enfin pleinement les valeurs européennes. Les Balkans occidentaux enfin, où l'idée de l'Europe porte en elle, comme naguère entre la France et l'Allemagne, l'espoir de la réconciliation et d'une vie meilleure.
Le deuxième cercle, celui du voisinage, rassemblera des pays qui nous sont proches par la géographie mais qui n'ont pas vocation à adhérer. Avec ces pays, des rives méridionale et orientale de la Méditerranée à la Russie, il nous faudra tisser un nouveau partenariat plus ambitieux, plus étroit, sans aller jusqu'au partage de nos institutions.
Le troisième cercle enfin, celui de l'amitié, réunira tous ces pays qui - de l'Afrique à l'Amérique latine et à l'Asie - ont noué avec l'Europe des relations anciennes et privilégiées. Explorons avec eux les voies d'un développement plus équitable et mieux partagé, d'une mondialisation enfin maîtrisée.
Nous ne construirons pas l'Europe dans un miroir. Il ne sert à rien de se perdre dans la nostalgie d'un temps où les institutions communautaires de l'Europe occidentale suffisaient à porter et entraîner une volonté commune.
Dans une Europe élargie, mais aussi plus ambitieuse, il nous faut refonder les institutions européennes. Tel est le sens du projet de Constitution européenne auquel travaille actuellement la Convention sur l'avenir de l'Europe présidée par le président Giscard d'Estaing.
L'élaboration, dans la transparence et le débat, du texte refondateur d'une union de nations souveraines et de peuples libres, constitue une expérience unique dans l'histoire.
Qui aurait pu en effet seulement imaginer qu'un consensus entre les Etats se forme ainsi autour de l'idée d'une Constitution européenne ?
Qui aurait pu penser que les Français se déclarent déjà largement favorables, à 59 % selon un récent sondage, à cette idée neuve en Europe.
Il existe donc en France une attente pour une Europe proche de nos préoccupations et qui répond à nos problèmes, une Europe qui est l'expression de nous-mêmes.
Sécurité et solidarité sont les deux priorités que les Français assignent à l'Europe.
Sécurité publique d'abord, avec la lutte contre le terrorisme et le crime organisé. Contre ces fléaux, l'Europe a marqué des points avec le gel des avoirs terroristes, la coopération entre les polices, la mise en place d'un mandat d'arrêt européen ou le renforcement des nouvelles frontières de l'Union élargie.
Sécurité alimentaire ensuite, avec le renforcement des contrôles vétérinaires et sanitaires, y compris dans les futurs membres.
Sécurité maritime enfin, avec le bannissement des pétroliers vétustes qui mettent en péril nos côtes, avec à chaque naufrage leur lot inadmissible de drames humains. Le président Chirac l'a fortement rappelé, l'Europe en ce domaine doit assumer toutes ses responsabilités.
Car les Français ne veulent pas moins d'Europe. Ils veulent plus d'Europe, c'est-à-dire une Europe plus efficace et donc plus responsable.
Seconde priorité de nos concitoyens : la solidarité.
Solidarité d'abord, grâce à la lutte contre le chômage et l'exclusion sociale. C'est à cette exigence que doit répondre l'Europe sociale que la France promeut à Bruxelles.
Solidarité ensuite, avec les nouveaux membres qui bénéficieront - grâce à la politique régionale et la Politique agricole commune - de transferts financiers très importants qui leur permettront de rattraper en quelques années, au bénéfice de toute l'Europe, le niveau de développement économique des membres actuels, comme avant eux l'Espagne, le Portugal ou la Grèce.
Solidarité enfin, avec le Sud, en particulier l'Afrique frappée dans ses forces vives par la pandémie du sida. Là encore, le président Chirac et le gouvernement français entendent que l'Europe soit l'avant-garde du combat pour l'accès aux médicaments et aux soins.
L'Europe bientôt réunifiée ne doit pas se dissoudre peu à peu en une vaste zone de libre-échange, frappée d'impuissance, gangrenée d'indifférence et de méfiance. Cette nouvelle Europe devra être plus sûre, plus solidaire, plus efficace et responsable, et donc plus forte, dans un monde traversé de menaces nouvelles. Ce sont les attentes des Français. Ce sont aussi les attentes des Allemands. Et, j'en suis sûre, des Slovaques, des Bulgares et de tous ces peuples qui vont nous rejoindre pour habiter enfin la maison commune que, depuis un demi-siècle, nous avons patiemment édifiée en les attendant.
En 1849, Victor Hugo écrivait :
"Un jour viendra où [] toutes les nations du continent, sans perdre leurs qualités distinctes et leur glorieuse individualité, se fondront étroitement dans une unité supérieure et constitueront la fraternité européenne.
Un jour viendra où il n'y aura plus d'autres champs de bataille que les marchés s'ouvrant aux idées.
Un jour viendra où les boulets et les bombes seront remplacés par les votes".
Ce jour est enfin venu, qui voit l'Europe se construire selon ces mêmes principes de la démocratie, dans l'échange et le respect de l'autre.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 décembre 2002)
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi tout d'abord de vous dire combien je suis heureuse de me trouver aujourd'hui à Bratislava, pour ce séminaire sur "l'Europe à la veille de l'unification". A moins d'une semaine du Conseil européen de Copenhague, ici en Slovaquie - dans un pays qui, parmi les tout premiers, vient de conclure au plan technique ses négociations d'adhésion, - et je tenais à le saluer -, le thème ne pouvait être mieux choisi.
Vous savez que nous célébrons cette année en France le bicentenaire de la naissance de Victor Hugo, cette voix toujours vivante qui s'est élevée en son temps contre toutes les injustices et pour l'unité de l'Europe. Dans quelques jours, à Copenhague, une grande injustice sera réparée et la parole du poète deviendra, après bien des détours, réalité.
Cette réunification de l'Europe était-elle si inattendue ? Non, car déjà les "pères fondateurs" - Monnet, Schuman, Adenauer ou de Gasperi - avaient prédit que l'Europe accueillerait un jour ces pays alors dits de l'Est. Ce jour est venu.
L'élargissement n'est donc pas une rupture mais l'accomplissement même du projet européen : un projet de justice, de paix, et de progrès social et humain.
Ces nations enfin libres qui nous rejoignent, sont le ferment d'une nouvelle ambition. Pour avoir attendu si longtemps, elles ne veulent pas d'une Europe impuissante, d'une Europe qui se déferait en se faisant. Elles apporteront à notre projet commun l'impatience du temps perdu, la force de leurs jeunesses et de leurs espérances.
Les frontières de cette nouvelle Europe seront celles de ses valeurs et de son projet. Celles de l'histoire que nous voulons construire ensemble plutôt que celles, fluctuantes, que le passé a laissé, comme autant de moraines, sur nos vieux atlas.
Dominique de Villepin a esquissé, lundi dernier à Marseille, les contours de cette géographie en devenir, en évoquant les trois cercles de l'organisation future de l'Europe : celui de la famille, celui du voisinage, et, enfin, celui de l'amitié.
Le premier cercle, celui de la famille, réunira demain les quinze Etats membres actuels et tous ceux dont la vocation à entrer dans l'Union a été reconnue. Les dix pays qui nous rejoindront en 2004. La Roumanie et la Bulgarie qui feront de même en 2007. La Turquie, pour laquelle l'engagement pris par les Européens ne saurait être remis en cause mais qui doit poursuivre ses efforts afin de satisfaire aux grands principes démocratiques qui sont les nôtres. Et quel enjeu pour notre avenir, quel exemple pour l'ensemble du monde musulman, qu'une Turquie qui partagerait enfin pleinement les valeurs européennes. Les Balkans occidentaux enfin, où l'idée de l'Europe porte en elle, comme naguère entre la France et l'Allemagne, l'espoir de la réconciliation et d'une vie meilleure.
Le deuxième cercle, celui du voisinage, rassemblera des pays qui nous sont proches par la géographie mais qui n'ont pas vocation à adhérer. Avec ces pays, des rives méridionale et orientale de la Méditerranée à la Russie, il nous faudra tisser un nouveau partenariat plus ambitieux, plus étroit, sans aller jusqu'au partage de nos institutions.
Le troisième cercle enfin, celui de l'amitié, réunira tous ces pays qui - de l'Afrique à l'Amérique latine et à l'Asie - ont noué avec l'Europe des relations anciennes et privilégiées. Explorons avec eux les voies d'un développement plus équitable et mieux partagé, d'une mondialisation enfin maîtrisée.
Nous ne construirons pas l'Europe dans un miroir. Il ne sert à rien de se perdre dans la nostalgie d'un temps où les institutions communautaires de l'Europe occidentale suffisaient à porter et entraîner une volonté commune.
Dans une Europe élargie, mais aussi plus ambitieuse, il nous faut refonder les institutions européennes. Tel est le sens du projet de Constitution européenne auquel travaille actuellement la Convention sur l'avenir de l'Europe présidée par le président Giscard d'Estaing.
L'élaboration, dans la transparence et le débat, du texte refondateur d'une union de nations souveraines et de peuples libres, constitue une expérience unique dans l'histoire.
Qui aurait pu en effet seulement imaginer qu'un consensus entre les Etats se forme ainsi autour de l'idée d'une Constitution européenne ?
Qui aurait pu penser que les Français se déclarent déjà largement favorables, à 59 % selon un récent sondage, à cette idée neuve en Europe.
Il existe donc en France une attente pour une Europe proche de nos préoccupations et qui répond à nos problèmes, une Europe qui est l'expression de nous-mêmes.
Sécurité et solidarité sont les deux priorités que les Français assignent à l'Europe.
Sécurité publique d'abord, avec la lutte contre le terrorisme et le crime organisé. Contre ces fléaux, l'Europe a marqué des points avec le gel des avoirs terroristes, la coopération entre les polices, la mise en place d'un mandat d'arrêt européen ou le renforcement des nouvelles frontières de l'Union élargie.
Sécurité alimentaire ensuite, avec le renforcement des contrôles vétérinaires et sanitaires, y compris dans les futurs membres.
Sécurité maritime enfin, avec le bannissement des pétroliers vétustes qui mettent en péril nos côtes, avec à chaque naufrage leur lot inadmissible de drames humains. Le président Chirac l'a fortement rappelé, l'Europe en ce domaine doit assumer toutes ses responsabilités.
Car les Français ne veulent pas moins d'Europe. Ils veulent plus d'Europe, c'est-à-dire une Europe plus efficace et donc plus responsable.
Seconde priorité de nos concitoyens : la solidarité.
Solidarité d'abord, grâce à la lutte contre le chômage et l'exclusion sociale. C'est à cette exigence que doit répondre l'Europe sociale que la France promeut à Bruxelles.
Solidarité ensuite, avec les nouveaux membres qui bénéficieront - grâce à la politique régionale et la Politique agricole commune - de transferts financiers très importants qui leur permettront de rattraper en quelques années, au bénéfice de toute l'Europe, le niveau de développement économique des membres actuels, comme avant eux l'Espagne, le Portugal ou la Grèce.
Solidarité enfin, avec le Sud, en particulier l'Afrique frappée dans ses forces vives par la pandémie du sida. Là encore, le président Chirac et le gouvernement français entendent que l'Europe soit l'avant-garde du combat pour l'accès aux médicaments et aux soins.
L'Europe bientôt réunifiée ne doit pas se dissoudre peu à peu en une vaste zone de libre-échange, frappée d'impuissance, gangrenée d'indifférence et de méfiance. Cette nouvelle Europe devra être plus sûre, plus solidaire, plus efficace et responsable, et donc plus forte, dans un monde traversé de menaces nouvelles. Ce sont les attentes des Français. Ce sont aussi les attentes des Allemands. Et, j'en suis sûre, des Slovaques, des Bulgares et de tous ces peuples qui vont nous rejoindre pour habiter enfin la maison commune que, depuis un demi-siècle, nous avons patiemment édifiée en les attendant.
En 1849, Victor Hugo écrivait :
"Un jour viendra où [] toutes les nations du continent, sans perdre leurs qualités distinctes et leur glorieuse individualité, se fondront étroitement dans une unité supérieure et constitueront la fraternité européenne.
Un jour viendra où il n'y aura plus d'autres champs de bataille que les marchés s'ouvrant aux idées.
Un jour viendra où les boulets et les bombes seront remplacés par les votes".
Ce jour est enfin venu, qui voit l'Europe se construire selon ces mêmes principes de la démocratie, dans l'échange et le respect de l'autre.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 décembre 2002)