Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur la notion de développement durable, la protection de l'environnement, le développement économique soutenu par une gestion plus rationnelle des ressources de la planète, Paris le 17 décembre 1996.

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Circonstance : Assises nationales du développement durable, Paris les 16 et 17 décembre 1996

Texte intégral

Monsieur le Directeur Général de l'Unesco,
Mesdames et Messieurs,
Cher Federico Mayor, votre présence parmi nous aujourd'hui est bien l'illustration que la protection de l'environnement est une question qui dépasse largement notre hexagone et qui nécessite une prise de conscience de toute la communauté internationale, de ses dirigeants, mais aussi de tous les habitants de notre planète.
Pour ce qui concerne notre pays, je suis particulièrement heureux, Mesdames et Messieurs, de venir clôturer les travaux de vos Assises.
Corinne Lepage vient de nous présenter une rapide synthèse des travaux que vous conduisez depuis deux jours et des conclusions auxquelles vous êtes parvenus.
Je voudrais tous vous remercier publiquement et notamment le Ministre de l'Environnement, pour le travail considérable qui a été accompli depuis plusieurs mois, avec votre concours sur ce thème du développement durable.
Ces journées nationales ont été précédées par la tenue dans 22 régions françaises d'assises préparatoires et de réunions thématiques. Je me réjouis que l'indispensable esprit de concertation et de dialogue ait en permanence animé vos réflexions : concertation et dialogue avec les élus locaux, avec les acteurs économiques, les syndicats et toutes les associations intéressées.
Le terme de "développement durable" reste encore mystérieux pour beaucoup de nos concitoyens ; votre présence aussi nombreuse aujourd'hui est le gage que cette expression va désormais, par votre relais, connaître une diffusion sur tout notre territoire. Vous en serez les promoteurs actifs.
Cette expression recouvre un certain nombre de réalités simples et des principes d'action pour l'avenir.
De quoi s'agit-il ?
Permettre à tous les peuples de la planète d'accéder à un niveau satisfaisant de développement social et économique, d'épanouissement humain et culturel, sur une terre dont les ressources seraient utilisées plus raisonnablement, les espèces et les milieux mieux préservés.
La forme de développement de notre civilisation, trop souvent assimilée à une croissance quantitative, doit évoluer pour assurer la poursuite d'un développement économique soutenu par une gestion plus rationnelle des ressources nécessairement limitées de la planète.
Le développement durable, c'est tout à la fois modifier les modes de production, faire évoluer les pratiques de consommation, mais aussi, pour chacun, adapter ses actes au quotidien.
Lors du sommet de Rio de 1992, les nations se sont retrouvées autour du concept de développement durable, car elles y voient l'espoir de garantir notre avenir et celui de nos enfants, dans le respect de la démocratie. La France y a joué un rôle moteur.
L'ensemble des travaux que vous avez conduits depuis un an maintenant se traduit aujourd'hui par la définition d'une stratégie nationale du développement durable. J'ai lu avec intérêt votre document et je suis convaincu qu'il va considérablement éclairer et aider le Gouvernement pour les années à venir.
La défense, la protection et la promotion de notre environnement constituent l'un des enjeux majeurs de notre société, parce qu'il conditionne largement le monde que nous laisserons aux générations futures.
Quelle terre léguerons-nous à nos enfants ? Si cette question est assez simple à formuler, il est en revanche plus difficile d'y répondre de manière globale. J'aimerais, si vous le voulez bien, vous livrer quelques axes de réflexion qui sont à l'origine de l'action conduite par le Gouvernement dans ce domaine.
Je commencerai par un constat : nous vivons sur une terre qui est fragile et que l'homme par ses activités peut menacer dans sa pérennité. La perception que nous avons du monde qui nous entoure a radicalement changé depuis quelques dizaines d'années.
Depuis la révolution industrielle, nous avons appris à mieux maîtriser la nature mais il nous est arrivé aussi de l'outrager. Par manque de connaissance, par insouciance, et parfois même intentionnellement. Mais cette relative maîtrise comporte des effets pervers : l'homme n'est pas toujours capable de réparer les dommages qu'il commet.
Le phénomène de désertification, la fragilisation de la couche d'ozone, la déforestation, l'usage immodéré des réserves en eaux douces en sont quelques exemples concrets.
Nous avons aussi appris à nos dépens que la terre n'avait pas une capacité illimitée de régénération. Lorsqu'elle subit une agression majeure, elle n'est pas toujours capable de se relever de ses blessures.
Pendant des millénaires, l'homme a toujours été prudent dans ses rapports avec la nature, convaincu qu'il était qu'elle finissait toujours par se venger.
Il se pourrait que nous ayons oublié cette sagesse qui nous vient du fond des âges. Alors essayons ensemble de la retrouver dans les choix que nous faisons et dans les comportements que nous adoptons.
Puisque notre terre est fragile, le développement durable n'est pas seulement une chance ou une opportunité, c'est une nécessité.
Il me semble ensuite qu'avec la politique de développement durable, on doit pouvoir conduire un projet de société qui place l'homme au cur de ses priorités. A mes yeux, il n'y a pas de grande ambition politique, et le développement durable en est une, qui ne se fonde sur une pensée humaniste.
En l'espèce, je considère que la réflexion sur le développement durable nous ramène à quelques principes de Gouvernement qui relèvent en partie du bon sens mais que nous ne devons pas perdre de vue.
La satisfaction de nos besoins immédiats, même légitimes, ne doit pas nous faire oublier les conséquences de nos choix sur le long terme.
Nous devons, au contraire, et plus que jamais, bien mesurer les effets qu'induisent nos décisions sur la vie de nos successeurs sur cette terre.
Le développement durable nous invite ainsi à nous projeter dans un futur qui n'est ni désincarné ni hypothétique, mais qui est celui que nous réservons à nos enfants.
Le développement durable nous conduit aussi à prendre en considération la situation des plus faibles, qu'ils vivent sur notre sol ou qu'ils habitent dans les zones les plus pauvres de notre planète. Le développement durable est inconciliable avec l'égoïsme.
Il doit ainsi toucher le plus grand nombre et il n'est pas possible d'exclure des milliards d'hommes des fruits de cette croissance que nous appelons de nos vux : croissance économique bien sûr, mais aussi croissance intellectuelle et j'ai envie de dire spirituelle.
C'est, je crois, un véritable humanisme qui fonde la réflexion en termes de développement durable. Cet humanisme doit alors se traduire dans une politique cohérente avec les grands principes qui le fonde.
La situation de la France n'est d'ailleurs pas mauvaise au regard des objectifs que je viens de rappeler.
L'OCDE vient ainsi de dresser un bilan équilibré de la protection de l'environnement dans notre pays et s'il relève un certain nombre de lacunes il souligne néanmoins le niveau élevé de protection auquel nous sommes arrivés.
Cela doit d'ailleurs nous encourager pour aller plus loin et il me semble d'abord nécessaire d'adopter des comportements individuels toujours responsables.
Nous sommes tous des citoyens d'un monde qui nous est donné en partage et que nous devons protéger. Dans les gestes de tous les jours, qu'il s'agisse de l'usage de l'eau, de la destruction des déchets, de l'usage de son véhicule personnel, de nos modes de consommation, nous devons avoir le sens du respect de notre environnement.
Ces comportements individuels responsables, nous devons les apprendre dès le plus jeune âge et il est donc indispensable de promouvoir une véritable éducation à l'environnement, qui apprenne aux enfants des gestes simples qui peuvent paraître anodins, mais qui sont vitaux pour la préservation de notre terre.
Je constate d'ailleurs que les jeunes sont de façon générale beaucoup plus sensibles que leurs aînés à cette nécessité ; et il est de notre rôle de les encourager à persévérer dans cette voie,
Il faut aussi encourager les pratiques sociales cohérentes avec l'ambition de développement durable. Je voudrais vous donner deux exemples d'ordre très différents de ce qui doit être fait dans ce domaine.
Je pense d'abord à la politique de la ville qui doit permettre aux femmes et aux hommes toujours plus nombreux qui vivent dans les zones urbaines de trouver un équilibre personnel qu'ils ont aujourd'hui perdu en partie. Au printemps dernier à Istanbul, une importante réunion internationale s'est tenue sur ce thème.
Le Gouvernement français, pour sa part, a fait de la politique de la ville une de ses grandes priorités. La ville ne peut pas être un lieu vide de sens qui broie les hommes. Elle doit au contraire s'articuler autour d'un urbanisme qui permet la rencontre, le dialogue, la vie sociale, un urbanisme fait pour des hommes.
Cette évolution intéresse bien sûr les grandes mégalopoles du tiers monde mais nous avons aussi à prendre notre part dans ces changements. Nos entrées de ville, nos banlieues, sont-elles toujours des lieux de vie susceptibles de conduire à l'équilibre individuel ? Sans doute non, et il est de notre responsabilité de tout faire pour établir une harmonie nouvelle entre l'homme et la ville.
Autre exemple de pratiques collectives à redéfinir, il s'agit d'une façon générale de nos méthodes de décisions. Les grands choix publics ou privés en matière d'équipements ou de stratégies industrielles susceptibles d'avoir un impact significatif sur la vie sociale doivent ainsi avoir fait l'objet d'explications aussi larges que possible avec les populations intéressées.
En France, les associations jouent un rôle considérable dans ce domaine et elles doivent continuer à participer à l'élaboration d'une opinion publique bien informée et capable de réagir à des projets.
Le développement durable, c'est aussi un développement accepté par les populations, un développement discuté et choisi et non pas imposé ou subi.
La traduction politique du développement durable passe enfin par la prise en compte du caractère mondial des phénomènes naturels qui gouvernent l'équilibre de notre terre. On parle aujourd'hui beaucoup de mondialisation de l'économie, il faut aussi parler de mondialisation de l'environnement.
Les pluies acides, les nuages radioactifs, les agressions subies par notre atmosphère, ne connaissent évidemment pas les frontières. L'attitude de quelques hommes est aujourd'hui susceptible de rejaillir sur l'humanité tout entière. Il faut donc mener une diplomatie de l'environnement réaliste et ambitieuse.
Là aussi il faut convaincre nos partenaires appartenant ou non au monde développé, de la nécessité de penser notre avenir en termes de développement durable.
Au printemps 1997 à l'ONU, la communauté internationale se retrouvera pour s'assurer que la marche du monde ne contredit pas les principes d'un développement durable. La France prendra une part active à ces débats dont l'enjeu n'est rien d'autre que l'avenir de notre civilisation.
Mesdames et Messieurs, je terminerais mon propos en insistant sur le caractère résolument moderne de notre approche. Le développement durable n'est pas l'expression de la nostalgie d'un passé révolu et parfois présenté à tort comme un paradis perdu.
Le développement durable est au contraire tourné vers l'avenir, vers une société plus solidaire dont nous avons tous besoin, pays riches et pays pauvres réunis. Je disais tout à l'heure que le développement durable est une nécessité, c'est aussi un pari sur l'homme, sur une humanité que nous souhaitons voir se prolonger par des générations futures fières de l'héritage que nous saurons leur léguer.
Le visage d'un enfant qui se concentre sur la terre de demain, c'est cette très belle image qui a été choisie pour illustrer ces assises nationales du développement durable.
Bien plus que les discours, cette image nous renvoie à l'ambition qui doit tous nous guider. Pour ma part, vous pouvez être certains de mon engagement.