Déclaration de M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, sur la réforme de la retraite, notamment la concertation, la négociation et les objectifs du financement des régimes de retraite, Paris le 4 février 2003.

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Circonstance : Présentation du projet de loi sur les retraites devant la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale le 4 février 2003

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les Députés,
Depuis plus de dix ans et le " Livre blanc " de M. Michel ROCARD, notre pays débat de la question des retraites. Dans ce débat, chaque Gouvernement a essayé d'apporter sa pierre, avec un résultat inégal.
Mais le temps de rapports et des reports est révolu sur cette question déterminante pour l'avenir de notre pacte social. Il faut maintenant agir avec détermination car tout délai supplémentaire ne fait que saper davantage ce pilier de notre équilibre social.
Il faut maintenant prendre nos responsabilités car tout délai nous exposerait au risque d'un affrontement entre générations et à des injustices inacceptables.
Il faut maintenant engager le sauvetage de notre système par répartition car ce sont les salariés les plus modestes qui souffriraient le plus de son naufrage. Comme l'a dit le Premier Ministre : " les Français les plus aisés trouveront toujours les moyens de surmonter les difficultés par leur épargne ".
Sous l'autorité du président de la République, le gouvernement à désormais engagé la réforme. Le Premier ministre a choisi le Conseil économique et social, assemblée qui rassemble l'ensemble des forces économiques et sociales de notre pays, pour prononcer un discours sur le constat, la méthode et les grands principes qui guideront l'action du gouvernement.
Sur l'invitation du président de votre Commission, je suis venu devant vous -avec Jean-Paul DELEVOYE qui a en charge le volet fonction publique de la réforme- pour vous présenter les principaux éléments de l'intervention du Premier Ministre et vous dire comment nous abordons ce grand chantier.
Je commencerai par le constat. Vous en connaissez les grandes lignes. Je note avec satisfaction que ce constat commence à être connu et même peut-être partagé par un nombre croissant de nos concitoyens.
C'est à partir de ce constat que nous pouvons espérer ensemble bâtir un consensus national sur l'avenir de nos retraites. Les syndicats, pour la première fois, se sont réunis autour de principes communs. De cette prise de position et des manifestations de samedi dernier, je relève plusieurs éléments.
D'abord, le mot réforme n'est plus tabou, c'est dire que le constat sur l'urgence et l'action est intégré. C'est le statu quo qui aggraverait aujourd'hui l'inquiétude des Français, alors qu'ils attendent une action déterminée et concertée. Ensuite, l'enjeu de la réforme est clair : il s'agit de sauver le régime par répartition. C'est précisément l'objectif central du gouvernement. Le Premier Ministre l'a précisé devant le Conseil économique et social : nous ne proposerons ni de tout chambouler, ni de privatiser. Nous nous inscrivons dans le respect des principes fondateurs de la sécurité sociale.
Enfin, la demande d'un dialogue nourri avec les partenaires sociaux. Je reçois avec Jean-Paul DELEVOYE dès jeudi pour ouvrir la discussion. Ne jouons pas sur les mots, nous écouterons attentivement et sur certains points, nous négocierons. Nous irons aussi loin qu'il est possible dans le rapprochement des différentes propositions.
Le Premier Ministre m'a confié la conduite de la réforme pour parvenir à vous présenter un projet de loi avant la fin du premier semestre 2003. Cela laisse le temps à la concertation et à la négociation, sans trop laisser le temps au temps. J'ai donc mon calendrier, et je le tiendrai.
La situation financière sur l'avenir des retraites est connue. Tous régimes confondus, le besoin de financement est de 50 milliards d'euros en 2020, dont 28 pour les régimes de la fonction publique et 15 pour le régime général. Il est de 100 à 120 milliards d'euros en 2040.
Le rapport du Conseil d'orientation des retraites l'a montré : si aucune réforme n'est engagée d'ici 2040, soit le montant des retraites est -par rapport au revenu d'activité- quasiment divisé par deux, soit le taux de cotisation est augmenté de 60 %.
Il faut sortir la France de cette alternative inacceptable. On peut toujours objecter que " 2040, c'est loin ". Mais notre avenir démographique est une certitude : tous les futurs retraités de 2040 sont déjà nés.
On peut toujours objecter qu'il suffit d'affecter d'autres ressources que des cotisations à la branche vieillesse. Mais ces prélèvements nouveaux ne pèseraient pas moins sur les actifs et sur la compétitivité de notre économie. La réalité, c'est que pour couvrir le déficit prévu de nos régimes de retraites, il faudrait soit doubler l'impôt sur le revenu d'ici 2020, soit doubler la TVA d'ici 2040.
Certains préconisent cette voie. Elle peut être débattue sur le plan intellectuel. Mais elle apparaît à nos yeux comme incompatible avec une politique économique assurant la compétitivité et le développement de l'emploi. J'ajoute qu'elle ferait peser sur les Français un niveau de prélèvements obligatoires à la fois déraisonnable et inconciliable avec nos engagements européens.
On peut toujours objecter que la croissance et le plein emploi viendront au secours du système. Mais là aussi, le Conseil d'orientation des retraites l'a montré : une plus grande croissance économique présenterait un impact très modéré pour alléger la charge, même s'il est indéniable que la situation du marché de l'emploi dans les années à venir aura pour conséquence d'accélérer ou de retarder l'imminence des déséquilibres.
Mais au delà des chiffres de base sur lesquels tout le monde est d'accord, la réforme ne saurait être limitée à des nécessités financières ou des logiques comptables. La réforme des retraites est véritablement un enjeu de société. A travers elle se pose tout un faisceau de questions qui traversent notre modèle social transformé par le choc démographique.
Comment répondre au vieillissement accéléré de notre population active à compter de 2006 lorsque les départs à le retraite atteindront 800 000 personnes contre 550 000 aujourd'hui ?
Cela pose la question de la politique de natalité et de la politique familiale en général. Mais aussi de savoir comment notre société compte appréhender une situation où une personne sur trois aura plus de soixante ans en 2040, contre une sur cinq aujourd'hui.
Il faut voir dans cette formidable évolution non pas nécessairement un handicap et une crispation, mais un défi positif à relever pourvu que nous y réfléchissions et que nous agissions ensemble. Cela nous obligera à revoir notre politique familiale, à réajuster notre regard sur le rôle des seniors, en particulier dans le monde du travail, à revoir la formation des hommes et des femmes tout au long de la vie, sans doute même à porter un autre regard sur une politique d'immigration choisie, maîtrisée et assumée. Le gouvernement n'a pas la prétention d'embrasser en une seule réforme l'ensemble de ces sujets. Mais nous devons les intégrer dans notre réflexion et garder à l'esprit que la réforme des retraites constitue un pivot autour duquel toutes ces questions gravitent et s'influencent les unes les autres pour façonner l'avenir de notre pacte républicain. Ces questions, nous sommes loin d'être les seuls à nous les poser.
Il faut nous garder d'avoir une approche trop " franco-française " du problème des retraites. Les défis posés par le vieillissement de la population, l'allongement de la durée de la vie, le travail des salariés expérimentés : ce sont des questions que se posent nos voisins européens, exactement dans les mêmes termes que nous.
C'est pourquoi j'ai tenu à effectuer récemment, en compagnie de représentants d'organisations syndicales et des présidents des commissions des affaires sociales des deux assemblées, un déplacement dans quatre pays européens.
Le président Jean-Michel DUBERNARD pourra témoigner combien il est instructif d'aller ensemble voir sur place comment nos voisins s'y prennent. Pour faire ressortir à nos compatriotes que le problème n'est pas seulement hexagonal. Pour constater que partout l'enjeu dépasse les clivages politiques et que les réponses apportées n'obéissent pas à des parti pris idéologiques. C'est bien pour cela que certains de nos partenaires européens ont réussi à réformer dans le consensus. L'Allemagne, la Suède et la Finlande sont des pays à forte tradition sociale. Cela montre que l'on peut conjuguer maintien d'une bonne protection sociale et réforme des retraites : c'est même la réforme qui est le garant du maintien d'une bonne protection sociale, puisqu'elle permet d'en assurer la pérennité.
Chaque pays a son histoire sociale et ses traditions. Il n'y a pas de " modèle " à copier, ni de réforme " clefs en main " à importer. Il y a, en revanche, de bonnes idées que nous avons intérêt à examiner : le système d'information des assurés retenu dans la réforme suédoise, le plan visant à relever le travail des salariés expérimentés en Finlande, le dispositif permettant aux salariés espagnols de plus de 65 ans de travailler partiellement.
Ces dispositifs en faveur des salariés âgés montrent combien notre vision " malthusienne " du marché du travail est dépassée : même si le taux de chômage espagnol a considérablement reculé, il reste plus élevé qu'en France. Pourtant, les organisations syndicales ne contestent pas l'effort en faveur du travail des salariés âgés sous prétexte qu'il faut laisser la place aux jeunes.
J'observe également qu'il n'y a pas de d'opposition systématique des partenaires sociaux et des forces politiques autour des mécanismes d'épargne retraite, qui peuvent être individuels ou collectifs, obligatoires ou facultatifs. Dans ces pays, les réformes présentent toutes un caractère continu et progressif. Continu, parce qu'elles font l'objet d'évaluations et d'adaptations à échéance régulière. Progressif, parce qu'il n'y a pas de " grand soir " ou de " big bang " des retraites.
J'en viens maintenant à la méthode.
Elle est d'abord fondée sur un dialogue direct avec les Français et leur représentants.
Dans cet esprit, j'ai d'abord reçu avec Jean-Paul DELEVOYE l'ensemble des formations représentées au parlement pour un tour d'horizon complet. Je resterai à leur écoute tout au long de la réforme et leur proposerai que nous nous retrouvions au printemps, lorsque le contenu de la réforme sera précisé.
J'espère pouvoir en attendre des propositions constructives et au moins que chacun s'efforce d'éviter les critiques en forme d'échappatoire.
Le dialogue avec les partenaires sociaux sera naturellement privilégié, comme je vous l'ai indiqué. En février, nous échangerons nos points de vue sur les principes fondamentaux de la réforme. En mars, comme l'a souligné le Premier Ministre, le dialogue sera formalisé et approfondi autour des décisions à prendre.
Nous constituerons le moment venu plusieurs groupes de travail : un " groupe confédéral " au niveau des confédérations pour assurer la synthèse, le Ministère de la fonction publique conduira des consultations sur les sujets fonction publique avec les syndicats de fonctionnaires et d'autres groupes plus spécialisés seront constitués en fonction des besoins que la discussion fera apparaître. La liste doit en rester ouverte à ce stade.
Dans le cadre de ce dialogue avec les partenaires sociaux, le Gouvernement fera part ensuite de ses premières propositions courant mars, en laissant suffisamment de temps pour que le projet de loi puisse être discuté avant la fin du premier semestre 2003.
En parallèle, des débats seront organisés dans chaque Conseil économique et social régional pour engager et nourrir le dialogue local. Le gouvernement engagera également une campagne nationale d'information directe des Français sur les grands enjeux de l'avenir de nos retraites.
Le Gouvernement souhaite négocier avec les partenaires sociaux. Il entend s'en donner les moyens, ce qui signifie donner une durée suffisante au débat et au dialogue. Mais il est clair que si ce dialogue n'aboutissait pas, la réforme ne s'arrêterait pas en chemin. C'est la responsabilité du gouvernement et du parlement devant le pays.
Ce sont les représentants de la Nation qui trancheront. Notre méthode est ensuite fondée sur un choix : celui de la réforme progressive et continue.
L'horizon de la réforme est fixé à 2020. C'est une échéance raisonnable mais ambitieuse. Raisonnable parce que qu'elle fait l'objet d'un consensus parmi les experts et les partenaires sociaux. Ambitieuse parce qu'il s'agit de lancer une étape significative d'un processus de réforme. Il n'y a pas de " grand soir " des retraites qui réglerait le problème à jamais.
Le projet qui vous sera présenté comportera des mesures importantes pour l'équilibre de nos régimes à l'horizon 2020, mais il enclenchera également un processus d'adaptation et de révision en continu. L'idée de réforme des retraites en France doit être pacifiée et assumée par le corps social au delà des aléas de la vie politique nationale.
Cette méthode est mise au service de trois grands objectifs confirmées par le Premier Ministre devant le Conseil économique et social. Le premier objectif, c'est la sécurité : la réforme doit garantir le financement de nos régimes de retraite. La sécurité, c'est assurer l'équilibre financier de notre système par répartition, pour que chacun puisse bénéficier d'une pension aussi satisfaisante que possible. Nous disposons de trois paramètres principaux : le taux de cotisation, la durée de cotisation et le montant des prestations. Aucun paramètre ne permettra à lui seul de résoudre le problème. L'effort doit être équilibré entre ces paramètres. Bien sûr, de nombreux autres éléments interviendront : mais l'essentiel est là.
Nous savons bien qu'un équilibre futur de nos régimes de retraite ne peut être durablement bâti sur une baisse continue du montant des pensions, ou sur la seule augmentation des cotisations. Nous ne pouvons plus ignorer la question que pose l'allongement de l'espérance de vie sur le partage entre le travail et la retraite.
Aujourd'hui, le temps de travail est environ le double du temps de retraite. Toute augmentation de l'espérance de vie bénéficie entièrement à la retraite. Un partage de cette augmentation de l'espérance de vie entre temps de travail et temps de retraite peut contribuer à la maîtrise de l'équilibre général.
Une augmentation de la durée effective d'activité doit être envisagée, indépendamment du débat sur la durée de cotisation. Notre monde du travail doit évoluer en donnant une place accrue aux salariés expérimentés. Il n'est plus acceptable et parfaitement contre-productif qu'ils soient poussés vers des départs anticipés.
Le Premier Ministre m'a demandé d'organiser rapidement avec les partenaires sociaux une conférence consacrée à l'assurance emploi, pour définir des propositions concrètes afin de favoriser l'emploi par un véritable droit à la formation tout au long de la vie. C'est un véritable pacte pour l'emploi des plus de 50 ans que nous devons en particulier définir, et c'est d'abord aux partenaires sociaux de s'y engager.
Ce pacte doit être l'un des éléments fort qui permettra à la France de réaliser l'objectif prioritaire d'augmentation du taux d'activité des seniors, c'est à dire de faire progresser l'âge moyen de cessation d'activité, aujourd'hui nettement inférieur à 60 ans.
Réaliser l'objectif de sécurité des retraites passe également par une transparence réelle où chacun serait en mesure de suivre à la fois le bon déroulement et le cas échéant les ajustements apportés dans le cadre de la réforme en continu. Dans cet esprit de suivi auquel devraient être associés les partenaires sociaux, deux outils nous semblent devoir être privilégiés.
Premièrement, le droit à l'information de chacun sur sa retraite doit être concrétisé. En Suède, chaque salarié dispose d'un bilan annuel de ses droits. A nous d'inventer un dispositif adapté à nos pratiques qui à la fois sécurisera les Français, mais qui leur donnera également le pouvoir de choisir, en fonction de données objectives et personnelles, le moment et les conditions de leur départ à la retraite.
Deuxièmement, il faut mettre en place un mécanisme institutionnel original assurant le suivi de la réforme en continu. Pour écarter les inquiétudes, le pilotage des régimes de retraite doit être partagé par tous les Français. Il s'agit d'alimenter et d'éclairer les décisions d'ajustement qui pourraient à l'avenir s'avérer nécessaires dans le cadre de rendez-vous, par exemple tous les cinq ans. Deux questions devront tout particulièrement faire l'objet de ces rendez-vous : celle du suivi de l'évolution des taux de remplacement et celle du partage des gains d'espérance de vie entre temps de retraite et temps de travail.
La sécurité, c'est enfin assurer, pour le long terme, la constitution du Fonds de réserve pour les retraites. Le Fonds de réserve est un investissement pour l'avenir. Il permettra d'assurer une partie du financement des retraites entre 2020 et 2040. Il ne constitue pas un remède miracle, mais contribuera à conforter l'ensemble du système à condition qu'il soit abondé. Aujourd'hui, le rythme d'abondement est insuffisant pour atteindre les 152 milliards d'euros initialement prévus. Nous devrons préciser l'objectif et surtout définir les moyens d'y parvenir. Avec la sécurité, le deuxième grand objectif de la réforme, c'est l'équité entre les Français face à la retraite. L'équité, c'est d'abord l'équité entre les régimes. Aujourd'hui, la notion de durée d'assurance et le niveau des taux de cotisations salariales diffèrent.
Cette situation s'explique en raison de la conception originelle de la retraite dans les régimes de la fonction publique. Bien d'autres sont héritées de l'histoire des régimes, avec des justifications qui leur sont propres et que l'on doit réévaluer. La notion d'équité ne peut amener à une uniformisation automatique et irréfléchie. C'est pour cette raison que le Gouvernement entend respecter les logiques et les calendriers de négociation propres à chaque régime, en particulier pour les régimes spéciaux d'entreprise. Ces régimes s'inscrivent dans des logiques d'entreprise. C'est donc dans le cadre de véritables projets d'entreprises qu'ils devront évoluer.
La prise en compte des spécificités de la fonction publique ne doit pas faire obstacle aux exigences de l'équité qui veulent que la situation de personnes placées dans des situations comparables soient harmonisées. Notre intention est d'enclencher une convergence progressive des situations entre le public et le privé dans le souci de l'intérêt général. La question de la durée de cotisation sera donc bien posée.
Cette convergence doit partir de la définition d'un " socle commun ", en matière de retraite. C'est la définition de ce socle avec les partenaires sociaux qui permettra à la réforme de refonder la solidarité nationale autour des retraites. L'équité entre les régimes, c'est également se pencher sur les mécanismes de compensation démographique. L'épisode de l'automne dernier, avec la réaction des partenaires sociaux membres du conseil d'administration de la CNAV, en a montré la nécessité. La complexité de ces mécanismes est telle qu'ils ne sont plus compris. La solidarité entre les régimes doit donc être réaffirmée, mais sur la base de garanties de transparence et d'objectivité.
L'équité, c'est également garantir l'égalité entre les hommes et les femmes en ce qui concerne les avantages familiaux. Certains de ces avantages, pour les fonctionnaires, ont été remis en cause par la jurisprudence communautaire, au nom de l'égalité entre les hommes et les femmes. De manière générale, ils reposent sur des fondements dont une nouvelle évaluation est opportune. Le Gouvernement ouvrira cette discussion en liaison notamment avec le mouvement familial. L'équité entre les générations, c'est assurer aux retraités actuels qu'ils ne seront pas touchés par la réforme. Le gouvernement leur donnera une garantie solennelle sur le maintien de leur pouvoir d'achat par un engagement de la Nation, dans la loi.
Mais l'équité entre les générations, c'est également limiter dans la mesure du possible la progression des cotisations. Compte tenu du haut niveau qu'ont atteint les prélèvements obligatoires en France, il apparaît exclu de se contenter de laisser dériver le système, en agissant sur le seul taux de cotisations. Une telle option serait économiquement irresponsable et socialement insoutenable. La solidarité entre les générations doit aussi prendre en considération les droits des actifs futurs.
L'équité entre les Français, c'est enfin l'esprit de justice sociale qui doit animer la réforme. C'est se soucier du sort des plus modestes, ceux qui ont été faiblement rémunérés durant leur vie active. C'est se préoccuper des conjoints survivants, notamment ceux -et le plus souvent celles- qui ne disposent que de la pension de réversion pour vivre. C'est être attentif à ceux qui ont travaillé dans plusieurs régimes, afin que les modes de calcul ne pénalisent pas leur parcours professionnel. Sur tous ces points, ainsi que sur la question complexe et évolutive de la pénibilité, la réforme doit pouvoir procéder à des avancées, mais avec réalisme et sans surenchère. La troisième objectif de la réforme, c'est une plus grande liberté de chacun dans le choix de sa retraite. Nous devons assouplir notre système de retraite. La liberté, c'est améliorer le niveau des pensions de ceux qui souhaitent travailler plus longtemps, mais aussi permettre à ceux qui souhaitent partir plus tôt de le faire dans certaines limites : leur retraite devra alors en tenir compte.
La liberté, c'est mettre fin à cette rupture trop brutale entre activité et retraite. Travail à temps partiel, retraite progressive, cumul emploi retraite : ces mécanismes ont tout leur intérêt et méritent notre attention.
J'ai déjà dit combien il était suicidaire d'opposer l'activité des salariés âgés et l'entrée des jeunes dans le monde du travail. La France est dans ce domaine le parfait contre exemple : elle cumule un des taux d'activité des seniors les plus faibles d'Europe, notamment à cause des départs anticipés et des préretraites avec un des taux de chômage des jeunes les plus élevés. C'est bien la preuve qu'un senior qui s'en va n'ouvre pas mécaniquement une place à un jeune qui arrive.
La liberté, cela peut signifier également la possibilité de rachat d'annuités par des cotisations volontaires, dans des conditions à définir. La liberté, c'est également ouvrir un accès facultatif à une épargne retraite. C'est donner le droit de compléter, par un mécanisme d'épargne retraite, la pension du régime par répartition. Cette épargne retraite devrait être disponible, soit à titre individuel, soit à titre collectif, dans le cadre des entreprises ou des branches.
Le débat doit avoir lieu sur ce " troisième étage ", même s'il est entendu que les régimes généraux fondés sur la capitalisation sont étrangers à notre histoire sociale. Les Français doivent pouvoir par ce biais améliorer le taux de remplacement à partir duquel s'établira leur niveau de vie après la fin de leur carrière professionnelle. Tous nos voisins ont ouvert ce débat. Même si l'on choisissait de ne pas le faire, les Français auraient de toute manière recours aux mécanismes existants pour compléter leur retraite. Mais ce seraient les plus aisés et les mieux informés qui y réussiraient le mieux. Offrir à tous les Français une faculté d'épargne retraite volontaire clairement organisée par la loi en complément des régimes par répartition est une mesure de justice sociale face à la retraite.
Ne croyez pas pour autant que j'y voie la solution miracle au problème des retraites. Cela ne peut être qu'un complément accessoire. A nous cependant de le rendre juste, efficace et accessible à tous.
La liberté, c'est enfin réfléchir à la situation de ceux qui ont un grand nombre d'annuité avant 60 ans parce qu'ils ont commencé à travailler très tôt, et à ceux qui ont exercé des métiers pénibles. Ce débat est ouvert.
Une mesure générale, faisant reposer l'équilibre des régimes sur la seule notion de durée d'assurance, serait malheureusement beaucoup trop coûteuse. Nous devrons cependant trouver une réponse par un vrai dialogue avec les partenaires sociaux.
Dans ce domaine, tout n'est pas écrit d'avance, comme sur tout le dossier. Point par point, nous aurons à travailler et nous le ferons sans préjugé, sans esprit partisan, mais avec une détermination qui conduira le gouvernement devant le parlement avant l'été.
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les Députés,
Avant la fin du premier semestre 2003, nous avons le devoir d'aboutir à une étape décisive dans la sauvegarde de nos régimes de retraite par répartition.
Cette réforme, nous voulons la conduire avec tous les Français.
C'est un enjeu collectif car c'est le pacte social qui est en cause. Mais c'est aussi un défi personnel qui nous est lancé. Chacun d'entre nous doit maintenant se poser une question simple : serai-je capable de dépasser mes intérêts catégoriels ou partisans, professionnels ou politiques ? C'est en regardant nos enfants dans les yeux que nous serons capables de nous rassembler.

(Source http://www.retraite.gouv.fr, le 5 février 2003)