Texte intégral
J.-P. Elkabbach - Une tentative de coup d'état serait en cours en Côte-d'Ivoire ; est-ce que vous pouvez confirmer ?
- "Les indications que nous avons indiquent qu'il y a en effet des tirs à Abidjan et dans le reste du pays. J'ai été en contact avec le président de la République et le ministre de le Défense et toutes les dispositions sont prises en ce moment pour assurer la sécurité de notre communauté sur place."
Le dernier coup d'état à Abidjan remonte à 1999 ; est-ce que vous avez une idée de qui peut être derrière ces militaires qui essayent de prendre le pouvoir au Président de Côte-d'Ivoire qui, en ce moment, est en Italie ?
- "Comme vous venez de le dire, le Président est en Italie et nous n'avons pas encore d'information précise. Il semblerait que la situation actuelle soit due à une mutinerie de certains éléments, de certains militaires en voie de démobilisation."
Que pourrait faire la France ?
- "La France suit évidemment la situation et nous prenons toutes les dispositions pour que faire en sorte que tous nos ressortissants soient protégés dans les circonstances actuelles."
Elle ne s'en mêle pas ? C'est une affaire intérieure ?
- "Nous suivons de très près cette situation et en fonction de son évolution, nous acterons notre politique."
L'Irak : si le Conseil de sécurité des Nations unies rédige aujourd'hui, demain ou dans les jours qui viennent, une nouvelle résolution, quelles conditions, exigences, garanties la France réclamera-t-elle ?
- "La priorité, pour la France, est de maintenir l'unité et la cohésion du Conseil de sécurité, partant de la très grande détermination que la communauté internationale a affiché au cours des dernières semaines vis-à-vis de l'Irak. Il faut rappeler que c'est cette cohésion et cette détermination de la communauté internationale qui a permis de faire bouger l'Irak récemment. A partir de là, nous sommes évidemment très ouvert sur la stratégie qui pourrait être celle du Conseil de sécurité. Le président de la République avait proposé une stratégie en deux temps, deux résolutions. Une première qui marquait clairement la volonté de la communauté internationale de voir revenir les inspecteurs ; et si l'Irak n'acceptait pas ce retour, alors nous aurions pu envisager les autres options. A partir du moment où l'Irak satisfait à cette demande de retour des inspecteurs, nous estimons qu'une résolution n'est pas indispensable si toutefois on souhaitait marquer l'acceptation par l'Irak..."
Vous voulez dire qu'il peut ne pas y avoir de résolution, que d'ores et déjà, les inspecteurs peuvent faire leur mission de contrôle ?
- "L'important pour nous, c'est que les inspecteurs puissent très vite regagner Bagdad et commencer leur mission. Néanmoins, une résolution pourrait être utile pour marquer l'acceptation de ce retour par les Irakiens et préciser les arrangements pratiques qui le permettront, parce que c'est évidemment essentiel dans la situation actuelle. Il faut que les inspecteurs puissent agir efficacement, c'est un souci commun à l'ensemble des membres du Conseil de sécurité."
S'il y avait la moindre astuce ou entrave dans la mission des inspecteurs, ce serait considéré comme une sorte de casus belli par la communauté internationale ?
- "Nous l'avons précisé dès le début : il faut que ce retour des inspecteurs soit sans restriction et sans condition. C'est évidemment un processus au long cours, il engage les prochains mois. Il faut que la bonne volonté irakienne soit manifeste tout au long de ces mois et c'est pour cela qu'une résolution précisant les arrangements pratiques pourrait éventuellement être utile. Nous en discutons actuellement au sein du Conseil de sécurité. Monsieur H. Blix, le président de la Commission de contrôle et de vérification, aborde aujourd'hui cette question avec les Irakiens. Vous voyez que c'est un processus qui suit son cours."
Est-ce que la mission des inspecteurs est de contrôler et de désarmer l'Irak ou de renverser S. Hussein ?
- "La priorité, nous l'avons dit clairement et l'ensemble de la communauté internationale aujourd'hui s'entend sur ce point, c'est bien le contrôle, la vérification de la non prolifération de l'Irak. C'est donc le retour des inspecteurs qui est l'élément central. Il y a, c'est vrai, la tentation aux Etats-Unis, c'est certain, de ..."
Cette nuit encore, monsieur Rumsfeld a dit qu'il devrait aller en exil ou qu'ils le feront partir.
- "... de vouloir à tout prix un changement de régime. Ce n'est pas la position française et ce n'est pas la position de majorité de la communauté internationale."
Vous avez trouvé aussitôt une formule, que tous ont pratiquement estimé juste : "Prenons S. Hussein aux mots". Est-ce que cela veut dire que vous avez des éléments qui vous permettaient de lui faire confiance ou de croire S. Hussein ?
- "Non, il s'agit, à tous les stades et en particulier au long des prochaines semaines, de s'assurer que l'Irak satisfait aux engagements qu'il prend. Il s'agit bien cette détermination, cette vigilance - nous avons été échaudés dans le passé. Nous voulons nous assurer que tout est bien fait pour que les inspecteurs puissent travailler de façon satisfaisante."
Les citoyens français apprécient qu'on leur dise la vérité : est-ce qu'au fond de vous, vous redoutez une intervention militaire d'envergure contre S. Hussein ?
- "Le Président l'a dit clairement à la tribune des Nations unies : il appartient aux Nations unies de prendre leurs responsabilités. C'est ce que font aujourd'hui les Nations unies et je salue l'action [inaud.]..."
Mais vous, est-ce que vous vous dites qu'au fond, on n'y échappera pas ? Beaucoup d'Européens pensent que la guerre voulue par Bush est simplement retardée et qu'on n'y échappera pas.
- "Tout dépend de l'attitude de l'Irak. S. Hussein, tout au long de ces années, n'a pas tenu sa parole, n'a pas respecté ses engagements. Nous souhaitons qu'aujourd'hui, partant de l'acceptation irakienne, que les choses soient claires. Nous possédons aujourd'hui une chance supplémentaire, c'est la qualité de cette commission de contrôle. Monsieur H. Blix qui est une personnalité de premier plan, pourra réaliser ces inspections dès lors que l'Irak le lui permet dans de bonnes conditions."
Si l'Amérique déçue par Saddam et par l'échec des Nations unies, déclenchait une opération punitive contre ce hors-la-loi international, est-ce qu'on y va ? Vous avez dit que toutes les options sont possibles.
- "Nous l'avons dit clairement : la France ne soutient pas une action qui serait unilatérale et préventive. La France se situe dans le cadre des Nations Unies, c'est-à-dire dans le cadre d'une action collective. Pourquoi cette proposition de la France ? Pour une raison très simple : nous pensons qu'une action vis-à-vis de l'Irak a besoin de la légitimité de la communauté internationale. Il est très important d'avoir le soutien de cette communauté d'avoir le soutien des pays arabes, si l'on veut être efficace. Pour être efficace, il faut être légitime. Une action qui serait menée par une seule puissance, vraisemblablement, se heurterait à de graves difficultés de compréhension vis-à-vis des opinions arabes, parce qu'elle générerait la suspicion et la méfiance."
On ne pourrait pas rester à l'écart si elle avait lieu ?
- "La décision, si elle se situe dans le cadre des Nations unies, aurait la légitimité de la communauté internationale. Mais n'anticipons pas, ne faisons pas de politique-fiction, nous sommes à un moment où l'Irak accepte le retour des inspecteurs ; nous devons mettre toutes les chances de notre côté et faire en sorte de prendre S. Hussein aux mots."
Pourquoi les Américains sont soudain pris d'une obsession anti-irakienne ? Pourquoi l'Irak est-elle devenue une priorité, une urgence avant le terrorisme, le règlement du problème du Proche-Orient auquel vous faites souvent allusion ?
- "Après les événements du 11 septembre 2001, les Américains ont découvert une vulnérabilité qu'ils ne connaissaient pas. Ceci a évidemment été une émotion très forte aux Etats-Unis. A partir de là, il y a eu la mobilisation internationale contre le terrorisme. Vous avez pu vérifier au cours des mois à quel point la communauté internationale tout entière s'est mobilisée, avec de très grands succès dans la capture d'un certain nombre de ces terroristes. La lutte contre la prolifération est un autre axe fort de la communauté internationale. Il est très important de ne pas se soumettre au risque chimique, biologique, nucléaire qui peut exister. Dans ce cadre-là, nous participons de cette détermination, nous estimons qu'il s'agit d'un engagement qui doit être pris par la communauté internationale toute entière, et non pas par un Etat seul."
La presse, américaine et française, a publié une photo de vous et de C. Powell où vous étiez hilares. Qu'y avait-il de désopilant ?
- "Ce fut une semaine très difficile et dans le cadre d'un déjeuner que nous avions avec les 15, c'était le moment de détente."
(source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 19 septembre 2002)