Interview de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, à la presse américaine le 16 septembre 2002 à New York, sur la question de l'Irak, le retour des inspections de contrôle prévu par la résolution 1284, la légitimité du recours à la force dans le cadre de la responsabilité de l'Onu, les divergences de vues entre la France et les Etats-Unis sur la résolution de la crise.

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Circonstance : Réunion de la 57ème Assemblée générale des Nations unies à New York du 10 au 16 septembre 2002 : entretien avec la presse américaine le 16

Média : ASSOCIATION DE LA PRESSE AMERICAINE - Presse américaine

Texte intégral

Permettez-moi tout d'abord de dire combien je suis heureux de pouvoir évoquer avec vous la situation internationale tendue à laquelle nous sommes confrontés. Je sais que c'est Kippour aujourd'hui et je vous prie de m'excuser de n'avoir pu trouver un meilleur moment pour vous rencontrer. Merci à ceux qui ont pu venir. Mes excuses à ceux qui n'ont pas pu. Je suis ici pour répondre à vos questions.
Q - Avez-vous obtenu des renseignements dans le ou les jours passés selon lesquels l'Iraq serait prêt à changer d'attitude et à accepter les inspecteurs, soit sans condition, soit en posant des conditions qui pourraient être acceptables ?
R - Ces derniers jours et en particulier ces dernières heures il y a eu des rumeurs selon lesquelles les Iraquiens seraient prêts à accepter le retour des inspecteurs. Mais il n'y a encore rien de précis. Comme vous le savez, Saddam Hussein a envoyé des émissaires dans certains pays arabes. J'ai moi-même rencontré M. Sabri, tout comme le Secrétaire général, les Australiens et M. Amr Moussa, le Secrétaire général de la Ligue arabe. Rien n'a transpiré de ces entretiens. Je n'ai pas ressenti de changement. Bien entendu ils doivent en référer à Bagdad, c'est normal. Ces dernières heures, certains pays arabes ont perçu un frémissement et pensé que l'on pouvait s'attendre à un discours de Saddam Hussein dans les heures à venir, après le Congrès du Parti Baas. Nous verrons. Vous connaissez la position de la communauté internationale, des Nations unies, du Conseil de sécurité, de mon pays lui-même. Cette position est très claire et non négociable. La question est de savoir si l'Iraq acceptera le retour des inspecteurs sans restriction ni préalable, comme la communauté internationale l'a fait très clairement comprendre à Saddam Hussein. Nous sommes heureux de voir que ce message est fort et que la communauté internationale est unie derrière ce message.
Q - Les Etats-Unis semblent décidés à n'avoir qu'une résolution au Conseil de sécurité. Votre proposition en prévoit deux. Pensez-vous modifier votre position ? Quel compromis peut-on envisager ?
R - Nous parlons de deux résolutions, d'un processus en deux temps parce que nous pensons que cela vaut mieux qu'une seule résolution. Nous avons confirmé notre proposition. Nous avons déjà débattu de cette question. La première fois, avec le P5 et le Secrétaire général lors d'un déjeuner. Puis nous en avons reparlé avec Colin Powell en marge du dîner du G8. J'ai revu Colin Powell il y a une heure parce que nos discours se suivaient. Il me semble que la position américaine est ouverte et peut être débattue. Nous en débattrons donc. Pourquoi faisons-nous une proposition en deux temps ? Premièrement, il nous semble que la communauté internationale fait quelque chose de très important. Nous restons unis dans notre attitude vis-à-vis de l'Iraq. Nous avons été et nous sommes encore unis dans la lutte contre le terrorisme et contre la prolifération, qui est aussi un objectif très important. Nous souhaitons que le Conseil de sécurité adopte une première résolution qui exige le retour des inspecteurs. Il nous semble que cette résolution pourrait être adoptée par consensus. Ce consensus du Conseil de sécurité, qui reflète celui de la communauté internationale, est essentiel aujourd'hui. L'Iraq recevra alors un message très clair. L'Iraq se sentira isolé. Vous savez comment fonctionne le régime iraquien. Il faut donc que ce message soit entendu de façon très claire, très forte et sans interférence. Chacun pourra prendre ses responsabilités. Nous aurons alors un processus légitime. Nous ne voulons pas que quiconque, un Etat, un peuple, remette en cause la procédure adoptée par la communauté internationale. C'est pour cela, me semble-t-il, que la décision du président Bush de se tourner vers les Nations unies est si importante. Elle donne aux Nations unies à la fois le soutien nécessaire et la responsabilité de l'action. L'Organisation des Nations unies est le cadre légitime dans lequel les choses doivent se décider. Personne, ni les gouvernements arabes, ni les opinions publiques arabes, ne doit mettre en cause la bonne volonté et les bonnes intentions de la communauté internationale. Pourquoi demandons-nous le retour des inspecteurs en Iraq ? A cause de notre but unique : la lutte contre la prolifération. Nous voulons que l'Iraq respecte l'ordre international, qu'il respecte les résolutions du Conseil de sécurité. C'est l'objectif de la communauté internationale. Je sais qu'on a parlé d'autres objectifs, de changement de régime, de la défense de la démocratie dans la région. Cela ne fait pas partie du mandat des Nations unies. C'est quelque chose de complètement différent. Si nous commençons à parler de cela, où cela nous mènera-t-il ? C'est un processus tout à fait distinct. Le but de la deuxième résolution sera d'étudier ce qui se sera passé. Evidemment, la première résolution doit accorder un délai très bref. Le président Chirac a parlé de trois semaines. D'ailleurs, nous sommes d'accord avec les Américains que cela ne doit pas durer indéfiniment. Il faut définir une date limite pour le retour des inspecteurs. Si les inspecteurs ne sont pas rentrés en Iraq à cette date, alors le Conseil de sécurité devra examiner à nouveau la situation, étudier toutes options, sans en exclure aucune, avant de décider ce qui doit être fait.
Q - Etes-vous d'accord, la France est-elle d'accord, avec le président Bush lorsqu'il dit que le régime de Saddam Hussein est un danger grave et croissant ? Diriez-vous qu'il est aujourd'hui la principale menace contre la communauté internationale ? Le président Bush a pris la peine de venir aux Nations unies, et c'est très bien, mais il est clair que les Etats-Unis sont décidés à faire ce qu'ils veulent faire avec ou sans l'accord des Nations unies. Que diriez-vous d'une intervention américaine sans accord des Nations unies ?
R - Tout d'abord, il nous semble que la communauté internationale a une grande responsabilité et que chacun comprend la responsabilité des Nations unies vis-à-vis de l'Iraq. C'est palpable ici. Qu'est-ce qui est en jeu ? On peut parler longuement de la menace de l'Iraq pour la communauté internationale. Vous avez lu toutes sortes d'analyses techniques du danger que fait peser l'Iraq sur la communauté internationale. Il est difficile de dire exactement ce que les Iraquiens ont fait et quand ils l'ont fait. La plupart de nos informations vient des inspections réalisées entre 1991 et 1998. C'est très important et cela nous montre que nous savions ce qui se passait en Iraq lorsque les inspecteurs y étaient. Ne l'oublions pas. Nous avons également des informations, par nos services de renseignement, sur les tentatives faites par l'Iraq ces dernières années pour obtenir du matériel. La difficulté c'est l'évaluation. Qu'ont-ils en termes chimique, biologique et nucléaire ? On peut débattre de ces points précis. Mais nous disons tous qu'il y a un vrai risque potentiel pour la population iraquienne, pour les pays de la région et pour la communauté internationale. C'est pourquoi la France dit depuis le début que le statu quo est inacceptable, qu'il faut faire quelque chose. La détermination de la communauté internationale doit être très forte. Mais il faut aussi que la communauté internationale décide de l'action à mener pour qu'elle soit légitime.
Vous dites que les Etats-Unis agiront de toute façon. Mais dans les relations internationales il faut gérer la réalité. On ne peut changer la réalité des faits. On peut parler des possibilités mais il y a de vraies contraintes. De plus, la question de l'Iraq est une question très difficile. Il faut prendre en compte la complexité des conséquences. L'Iraq n'est pas une cible aussi facile que d'autres. L'Afghanistan, ce n'est pas facile et nous n'avons pas terminé. Mais l'Iraq est une question tout à fait différente. C'est en plein cur du monde arabe. Il faut prendre en compte les opinions publiques, leur évaluation et leur compréhension de ce que nous faisons. C'est très intéressant de regarder la position des Saoudiens et d'écouter ce que dit le prince Saoud : "aucune intervention militaire ne me réjouit, mais si la communauté internationale la décide, alors nous verrons et nous accepterons de la soutenir". Et cela change tout. Les Etats-Unis sont peut-être prêts à agir seuls. Mais agir seul ce n'est pas la même chose que d'agir avec la communauté internationale. Cela n'a pas la même légitimité, la même efficacité. On n'affronte pas les mêmes dangers. En tant qu'allié et qu'ami des Etats-Unis, il nous semble que nous sommes impliqués et qu'il est de notre responsabilité d'expliquer et de discuter les différentes hypothèses. C'est une question très délicate. Avant de commencer il faut voir combien de temps on est prêt à rester sur le terrain, quels risques on est prêt à prendre, quels sont les soutiens dont on dispose dans la région et même en Iraq. Nous connaissons tous la situation en Iraq. Comment les Kurdes réagiront-ils ? Et les Chiites ? Et l'Iran ? C'est d'autant plus compliqué que l'objectif n'est pas clairement défini. Si l'on dit "nous voulons le retour des inspecteurs", tout le monde comprend. Si l'on dit que l'on veut peut-être se débarrasser également de Saddam Hussein et avoir des régimes libres et démocratiques en Arabie saoudite, en Iran et en Egypte, alors les signes que l'on envoie ne sont plus clairs. L'action nécessite la précision. Il faut avoir à la fois une vraie détermination et une vision stratégique claire des objectifs. On voit aujourd'hui que la communauté internationale est claire. Je comprends que dans une grande démocratie comme les Etats-Unis il y ait un grand débat dans lequel toutes les voix se font entendre. Mais quand on en vient à la responsabilité face au monde, il faut être clair pour être efficace.
Q - Pensez-vous que Saddam Hussein peut coopérer avec des inspections ? Certains Américains, comme Dick Cheney, ne le pensent pas.
R - C'est une question très intéressante, directement liée à la psychologie du pouvoir, avec l'évaluation des situations, avec l'équilibre des forces. C'est très complexe. Mais qui aurait cru il y a cinq ans que certains pays arabes en seraient là où ils en sont aujourd'hui ? Je crois donc qu'il ne faut pas personnaliser les questions. Il faut regarder les objectifs, seules choses qui comptent. Nous voulons des résultats. Il faut aussi comprendre que toutes les crises régionales d'aujourd'hui sont imbriquées les unes dans les autres, parce que le monde a changé depuis le 11 septembre. Il y a de vraies interactions entre elles, entre ce qui se passe en Afghanistan, dans les Balkans, au Proche-Orient. Comment peut-on traiter le Golfe sans être au bord d'une initiative au Proche-Orient ? Comment expliquer aux populations arabes que nous allons faire respecter les résolutions en Iraq tout en ne faisant rien au Proche-Orient ? Si l'on veut changer les choses il faut agir partout : régler les crises en Afrique, en Afghanistan et ailleurs. Il faut à la fois vision et détermination pour traiter ces crises. Le monde ne se résume pas à l'Iraq. Je sais que nous nous concentrons sur un objectif fort, mais il faut savoir qu'il y a de vrais liens entre les crises. Comment peut-on négliger les anciennes menaces qui pèsent sur notre monde : la santé publique avec les ravages du Sida en Afrique, la pauvreté, le développement ? Plus on veut être efficace, plus on veut être respecté lorsque l'on parle de la sécurité du monde, plus il faut parler de la paix et du bien-être des gens et agir dans ce but.

Q - Si Saddam Hussein refuse d'accepter les inspecteurs, la communauté internationale permettra-t-elle l'usage de la force ? Ou y a-t-il un autre moyen de faire respecter nos décisions ? D'après ce que je comprends, tout ce que vous voulez voir dans la résolution que vous évoquez c'est le retour des inspecteurs. Mais Bush et certains membres de son gouvernement ont parlé de Droits de l'Homme et d'autres choses. Pensez-vous que vous pourrez restreindre le champ de cette résolution ou faudra-t-il trouver un compromis avec les Américains ?
R - Au football américain comme au tennis il faut se concentrer sur la balle. Nous voulons évidemment que les résolutions, toutes les résolutions des Nations unies soient mises en uvre. Mais il y a une priorité : la non-prolifération. C'est important. Nous n'allons pas oublier les prisonniers koweïtiens, car c'est important, mais si les Iraquiens acceptent le retour des inspecteurs, alors la situation aura changé. Je dois dire que je suis très impressionné de voir le monde arabe être uni et mettre la pression sur l'Iraq. Il faut préserver cette unité. Il est essentiel que la communauté internationale soit unie. On pourrait passer beaucoup temps à débattre de l'effet d'une intervention. Mais étant donnée la complexité de la situation, il faut s'assurer que la situation ne soit pas pire demain qu'elle l'est aujourd'hui. On pourrait établir toutes sortes de scénarios sur ce qui viendra après Saddam Hussein, mais il faut prendre chaque chose en son temps. Souvenons-nous que tout sera plus simple si la communauté internationale reste unie. Un pays seul ne peut tout faire. Un pays ne peut apporter seul toute la sécurité, la stabilité, la liberté, la démocratie dans une région. Il faut être uni. C'est pourquoi nous travaillons tant à la définition d'une position européenne. L'Europe a besoin de l'Amérique, mais l'Amérique a aussi besoin d'une Europe forte pour qu'elle soutienne les mêmes buts.
Il faut également que les autres pays restent à nos côtés. Nous avons besoin de pôles de stabilité. Nous avons besoin d'une Russie forte, d'une Chine forte. Sur ces questions il ne doit pas y avoir de rivalités entre nos pays. Nous travaillons tous ensemble pour que le monde soit plus juste et plus stable. C'est ce qu'il faut bien faire comprendre ici.
Q - Revenons à l'usage de la force. Dans vos entretiens avec vos collègues ces derniers jours, avez-vous vu apparaître un consensus en faveur de l'usage de la force, autorisé par les Nations Unies, si l'Iraq ne respectait pas le délai qui lui serait imposé ? Deuxièmement, pourriez-vous nous donner une idée du moment où nous allons voir circuler des textes. On entend dire que se pourrait être dans la semaine ou dans les quinze jours à venir.
R - Je crois que tous les membres du Conseil de sécurité sont d'accord pour dire qu'il faut accorder un délai très bref aux Iraquiens. Il ne faut ni négociation, ni discussion, ni condition, ni restriction. Le message est très clair, il n'y a rien à négocier. De plus il ne faut pas brouiller le message. C'est pourquoi il faut se limiter à la question du retour des inspecteurs. Nous avons deux avantages. Le premier, c'est Kofi Annan. Je dois dire que j'admire la façon dont il gère toute cette affaire, sa force, sa détermination, une vision claire de ce qui doit être fait et sa ferme intention de le faire dans le cadre des Nations unies. Le deuxième, c'est Hans Blix. Je crois qu'il veut vraiment que les inspecteurs rentrent en Iraq et qu'ils puissent bien y travailler, c'est-à-dire en se concentrant sur un seul objectif : obtenir l'information que nous voulons. Rien d'autre. Je crois que le Conseil de sécurité et la communauté internationale doivent utiliser ces avantages.
Il faut lancer le processus. L'intérêt même d'avoir un processus c'est que des gens qui ne sont pas nécessairement du même avis comprennent mieux, jour après jour, ce que nous faisons, ce que nous cherchons, pourquoi nous le cherchons et comment nous pourrons être efficaces. Si un jour nous devons parler d'intervention, nous pourrons voir le type d'intervention à mener, voir quelle sera l'intervention la plus efficace, voir s'il faut envoyer 250 000 hommes en Iraq, voir s'il y a d'autres possibilités. On dit en France qu'il y a toujours plus d'idées dans deux têtes que dans une seule. Et je suis d'accord.
Q - Les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont déjà commencé à rédiger une résolution que la presse s'attend à voir avant la fin de la semaine. La France a-t-elle commencé à rédiger sa propre résolution ? Aurons-nous également un document français avant la fin de la semaine ? Les Russes ont-ils déjà fait savoir qu'ils chercheraient à obtenir des garanties en ce qui concerne leurs accords commerciaux, leurs investissements en Iraq et la dette iraquienne ? Peut-on imaginer des garanties officieuses qui soient incluses dans un accord plus général et protègent les avantages que certains croient avoir en Iraq.
R - Rédiger une résolution ne prend pas de temps, cela prend une heure. Nous sommes prêts. Je n'ai pas entendu parler aujourd'hui d'un projet anglo-américain. Cela peut venir. Il faut d'abord savoir ce que nous voulons avant de rédiger une résolution. Voulons-nous une ou deux résolutions ? Quel processus ? Que veut-on voir dans cette résolution ? C'est la vraie question. Ensuite tout est plus simple. Je crois que nous voulons atteindre notre objectif commun. C'est vrai des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la France. Je crois que nous trouverons la bonne solution. En ce qui concerne la Russie, elle a fait connaître sa position. Nous la comprenons bien mais il faut garder à l'esprit le fait que nous traitons de questions stratégiques et de sécurité. Cela n'a rien à voir avec l'économie ou avec le commerce. D'ailleurs, les Etats-Unis étaient le plus gros acheteur de pétrole iraquien jusqu'à il y a quelques mois. Il ne faut donc pas confondre les questions. Lorsque l'on parle de la sécurité mondiale il faut se concentrer sur la sécurité. Bien sûr il faut savoir que cela peut avoir des conséquences. En ce qui concerne mon pays, nous ne confondons pas le commerce et l'économie avec notre objectif, la sécurité. Je conclurai ma réponse en vous indiquant que les Russes ne nous ont rien demandé.
Q - Vous avez dit que la question iraquienne n'était pas une question de personne. Mais regardez ce qui passé ici. Pensez vous que les experts américains ou le gouvernement Bush ait sur-personnalisé la question ? La situation aux Etats-Unis est très particulière. Avez-vous des doutes quant à l'évaluation qui est faite de Saddam Hussein ?
R - Nous avons suivi de très près le débat aux Etats-Unis. Nous comprenons parfaitement, après le choc de l'an dernier, que le débat soit si passionné. Les questions de sécurité nous inquiètent autant que les Américains. Nous croyons qu'il est essentiel pour la communauté internationale de vivre en sécurité. Nous avons une responsabilité envers nos concitoyens. Nous ne devons pas faire preuve de faiblesse. La personnalisation n'est pas, à notre avis, le meilleur moyen de traiter les problèmes internationaux. A chaque fois que l'on agit il faut prendre en compte les conséquences de nos actions. En effet, le monde entier nous observe et compare ce que nous faisons en Iraq et ailleurs. Il faut donc être exemplaire. Il faut faire attention de ne pas envoyer de mauvais messages. Nous cherchons à avoir un monde plus stable en agissant dans un grand nombre de domaines, comme le développement durable, l'éthique. C'est pour cela, par exemple, que nous soutenons la Cour pénale internationale. Tout cela fait partie de notre vision d'un monde stable et organisé. Un monde avec des règles, des valeurs. Si l'on dit que l'on veut plus de règles, plus de valeurs, alors il faut être cohérent.
C'est pourquoi nous mettons l'accent sur la légitimité, sur la responsabilité des Nations unies, sur le besoin d'un processus qui implique toute la communauté internationale et le Conseil de sécurité pour que chacun sente que c'est une décision collective de la communauté internationale. Voir tant de pays arabes, asiatiques et africains qui travaillent ensemble et réagissent de la même façon, c'est exceptionnel. Il faut le reconnaître, c'est nouveau. Les pays arabes que l'ont disait radicaux sont aujourd'hui prêts à lutter contre le terrorisme à nos côtés. C'est très important. Il ne faut pas oublier que ce qui se passe dans le Golfe se passe dans une région pleine de crises : l'Afghanistan, l'Inde et le Pakistan, le Proche-Orient et même la Turquie et l'Asie centrale. Il faut prendre tout cela en compte. C'est une région très difficile. Il faut donc savoir très clairement ce que nous voulons et agir tous ensemble.
Q - Revenons à la résolution. Vous nous avez dit que vous aviez eu des contacts ce week-end, y compris avec Colin Powell et que vous avez l'impression que les Américains sont prêts à discuter. Quel genre de compromis sentez-vous apparaître sur une résolution qui prenne en compte et la position américaine et la vôtre ?
R - J'ai rencontré un certain nombre de chefs d'Etat, de chefs de gouvernement, de ministres des Affaires étrangères, ils soutiennent tous l'approche française. La raison en est simple : il faut légitimer notre action et mobiliser le soutien des opinions publiques de part le monde. Cela nous préoccupe tous. Je crois donc qu'il y a une grande majorité de personnes et de pays qui soutient cette approche.
Q - Dans le passé, la France a dit qu'il fallait inciter Saddam Hussein à accepter le retour des inspecteurs en particulier en clarifiant la position en ce qui concerne la levée des sanctions. C'était, je crois, la raison principale de votre opposition à la résolution 1284. Le vote de la résolution 1284 avait eu lieu sous un autre gouvernement français. Il y a un nouveau gouvernement en France. La position française a-t-elle changé suite à ce changement ? Quelle est, aujourd'hui, votre position ? Pensez-vous que la résolution que les Américains veulent, doive évoquer la levée des sanctions et donner les clarifications que les Iraquiens demandent ?
R - Je crois que la résolution 1284, en grande partie rédigée par les Etats-Unis, est très claire. Nous la soutenons. Je crois qu'elle est très claire en ce qui concerne les modalités pratiques des inspections. Il faut s'en tenir au texte de la résolution. Ce sera un vrai gain de temps, cela ne divisera ni la communauté internationale ni le Conseil de sécurité, car la résolution 1284 existe. Allons-y.
Q - Le gouvernement français se ralliera-t-il à la position américaine et soutiendra-t-il l'usage de la force si l'Iraq ne respecte pas la première résolution ? La situation ne sera-t-elle pas pire si les inspecteurs retournent en Iraq, à en juger par ce qui s'est déjà passé, il faut s'attendre à des incidents et des obstructions. On sait également que les inspecteurs n'ont jamais trouvé ce dont les transfuges ont parlé. Ne pensez-vous pas que la situation pourrait empirer ? Les Etats-Unis disent que l'Iraq, s'il cherche à développer des armes de destruction massive, aura encore un peu plus de temps pour améliorer ses caches ?
R - J'ai dit que nous étions impliqués dans un processus. Il faut en respecter les différentes étapes. Cela augmentera l'efficacité de notre approche plutôt que de conclure qu'il y aura une action militaire. Chacun sait déjà que les Etats-Unis agiront seuls si rien n'est fait. La pression est déjà assez forte. En ce concerne le Conseil de sécurité et la communauté internationale, nous croyons que le meilleur moyen d'obtenir un soutien large en faveur d'une action internationale, c'est d'adopter une approche en deux temps. D'abord, créer un consensus autour du retour des inspecteurs, puis, examiner toutes les options sans en exclure aucune. Si l'on arrive à la conclusion qu'il y aura une action militaire, alors on perd le soutien de nombreux pays. Pensez à la position de l'Arabie saoudite. On n'aura pas nécessairement cette réaction si l'on n'agit pas de façon collective et légitime. On oublie parfois, pris par l'action, que l'aspect formel est également particulièrement important. Il faut le soutien des autres pays, des autres opinions publiques. On ne peut agir seul. Je comprends qu'on puisse douter de l'existence de conditions adéquates pour un travail efficace des inspecteurs. Mais nous croyons que la résolution 1284 est une bonne base. La base de travail est encore meilleure grâce à Hans Blix. C'est très important d'avoir quelqu'un qui sait ce qu'il cherche, qui sait comment l'obtenir et qui se concentre sur ces points. Je suis sûr que lui et son équipe pourront remplir cette mission.
Nous avons obtenu des résultats entre 1991 et 1998. On peut toujours dire que tout n'a pas été trouvé par les inspecteurs et qu'il y avait autre chose. Mais nous cherchons à réduire l'instabilité, nous voulons envoyer un message fort aux Iraquiens et dire que nous ne voulons ni armes chimiques, ni biologiques, ni nucléaires. Si les inspecteurs sont libres d'agir, s'ils peuvent se déplacer, s'ils peuvent agir sans restriction, comme nous le demandons, comme c'est indiqué dans la résolution 1284, il n'y a pas de raison que les inspections ne produisent rien. On peut toujours dire que cela ne suffit pas, qu'il faut plus, que l'intervention militaire réglera tous les problèmes mais on ne sait jamais quelles en seront les conséquences, ni si la situation sera meilleure ou moins bonne. C'est très complexe. Je crois que le plus important pour la communauté internationale, c'est de respecter la procédure, d'obtenir le soutien et la confiance des pays arabes de la région.
Q - Vous avez parlé, à plusieurs reprises, du besoin de stabilité et de cohérence dans la région. Quel effet la question irakienne aura-t-elle sur les débats du Quartette demain ? Quand pensez-vous que les ambassadeurs se réuniront et rédigeront cette résolution ?
R - Ce n'est pas une question de semaines, c'est une question de jours. Il ne faudra pas longtemps pour rédiger cette résolution. Nous ressentons l'urgence. Nous cherchons à accélérer le débat. Nous avions été les premiers à dire que le délai était tout au plus de quelques semaines. Le président avait parlé de trois semaines. Il ne faudra pas longtemps pour rédiger cette résolution.
En ce qui concerne le Quartette, c'est un vrai problème dont on ne parle pas assez. Certes, on comprend que les énergies sont mobilisées sur l'Iraq mais pour être crédible aux yeux du monde arabe il nous faut aller de l'avant sur le Proche-Orient. Pas seulement sur les questions techniques, sur les questions de réformes et procédures. Il nous faut une perspective politique. C'est là qu'il y a peut-être une divergence de vues. On peut se concentrer sur les questions de sécurité et dire que tout peut être réglé par la sécurité. Nous ne le croyons pas. Pour qu'il y ait sécurité il faut de la stabilité. Pour obtenir la stabilité il nous faut des perspectives de paix, un processus politique. Beaucoup de choses ont déjà été faites depuis le début de l'année.
Regardez la coopération arabe autour de l'initiative saoudienne, le sommet de Beyrouth, la réunion de Charm-el-Cheik. Ils sont plus unis qu'auparavant. C'est une belle réussite. Tout le monde doit aller de l'avant. J'ai dit clairement lorsque j'étais dans la région qu'il n'y a pas deux sortes de terrorisme, le bon et le mauvais.
Nous comprenons bien les sentiments de la population israélienne. Nous comprenons qu'elle voit tout sous l'angle sécuritaire, à cause du terrorisme et de l'instabilité. Peut-être qu'elle n'a pas assez confiance pour pouvoir prendre le risque de la paix. Mais je crois qu'il faut donner aux pays arabes et à leurs opinions publiques l'impression que quelque chose se passera en Iraq, en parallèle de la pression croissante en Iraq. On ne peut oublier cet aspect, se concentrer exclusivement sur l'Iraq et dire qu'on attendra d'avoir des régimes libres et démocratiques dans la région avant de reprendre les négociations. Ce n'est pas la réponse ; c'est pourquoi nous pensons que le Quartette est l'instrument clé.
On peut y avoir des discussions très franches avec tous les partenaires : les Nations unies, les Russes, les Etats-Unis et les Européens. L'Union européenne a cherché à mettre au point un calendrier, une feuille de route pour nous guider dans la bonne direction et c'est utile. Mais il faut des perspectives politiques. Sinon, il y aura des malentendus dans le monde arabe.
Q - Si Saddam Hussein invite les inspecteurs à rentrer en Iraq dans les jours à venir et qu'ils y retournent, quel est alors le calendrier qui s'applique ? En revient-on calendrier de la résolution 1284 ou cherchera-t-on à accélérer le processus ? Dans la résolution 1284, on parle d'au moins 6 à 9 mois. Est-ce que c'est votre vision des choses ?
R - Le plus tôt sera le mieux. Nous voulons avoir une situation claire sur le terrain. Il y a des contraintes techniques, évoquées dans la résolution 1284, mais tout ceci est du ressort des Nations unies et de Hans Blix. Ils doivent nous dire quand ils seront efficaces. Nous voulons qu'ils travaillent aussi vite que possible. Nous voulons pouvoir dire à la communauté internationale que les Nations unies sont aux commandes et ont rempli l'objectif dans un tel délai. Il faut pouvoir montrer les résultats aux opinions publiques. Il faut aussi comprendre que les inspecteurs doivent avoir le temps de travailler.
Q - Pourrait-on avoir un calendrier resserré dans la nouvelle résolution ?
R - Le calendrier nous convient si les inspecteurs peuvent travailler.
Q - Seriez-vous prêt à accepter une première résolution qui respecte les temps de votre raisonnement mais qui évoque la possibilité d'une action si les inspecteurs ne pouvaient rentrer en Iraq ?
R - Une ou deux résolutions, la question a son importance. Dans le premier cas, on cherche le soutien de la communauté internationale mobilisée sur un objectif : le retour des inspecteurs. Dans le deuxième cas, on divise la communauté internationale. Ce n'est pas la même chose. Nous croyons que nous avons besoin du plein soutien de la communauté internationale. Certains aux Etats-Unis disent que l'on perdrait du temps. C'est pour cela que nous demandons un délai bref.
Q - En parlant de calendrier, Hans Blix disait la semaine dernière qu'il lui faudrait 4 à 5 mois avant de respecter toutes les procédures et de pouvoir vraiment travailler sur le terrain. Est-ce trop long ? Il peut certes envoyer des gens dans la semaine mais les vérifications ne commenceront pas, d'après lui, avant 4 mois. Y aurait-il d'autres moyens que les inspecteurs pour s'assurer du respect des résolutions ? Les Etats-Unis ne veulent pas attendre ni même faire confiance aux Iraquiens s'ils acceptent le retour des inspecteurs. Pensez-vous qu'ils veulent intervenir à tout prix, malgré l'activité diplomatique ?
R - On ne peut courir deux lièvres à la fois. Le président Bush a demandé solennellement aux Nations unies et à la communauté internationale de prendre ses responsabilités. C'est ce que fait la communauté internationale. On peut ajouter d'autres exigences sur le délai, sur le changement de régime. Mais chacun sait qu'il ne faut pas mélanger les débats internes et les relations internationales. Nous voulons aller aussi vite que possible pour renvoyer les inspecteurs. C'est à Hans Blix de nous dire le temps qu'il lui faut pour être efficace.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 septembre 2002)