Texte intégral
Q - Les manifestations d'abord. Six à dix millions de personnes dans les rues hier pour dire "non " à la guerre. Est-ce que d'une manière ou d'une autre, vous vous reconnaissez dans cette mobilisation populaire où parfois votre nom a été présent. Est-ce que vous diriez que ces manifestations vous aident dans votre action diplomatique ?
R - Je pense que ces manifestations traduisent la profonde inquiétude de la communauté internationale. Et comment ne pas comprendre cette inquiétude aujourd'hui devant le risque de guerre qui peut apparaître en Iraq. Cette inquiétude, elle est aussi, parce qu'il faut en compte, elle a un corollaire, une autre inquiétude de certains dirigeants et d'une opinion publique devant le risque des armes de destruction massive. Elle est donc double, cette inquiétude. Le risque de guerre d'un côté, mais aussi le risque de la présence d'armes de destruction massive dans les mains de Saddam Hussein. Et nous devons faire face à cette double responsabilité. Comment éviter d'un côté la guerre ? Comment de l'autre côté arriver à éliminer complètement les armes de destruction massive qui peuvent être en possession de Saddam Hussein en Iraq ? Comment désarmer l'Iraq ? Et c'est bien là que la voix de la France s'est fait entendre par le président de la République qui depuis le début, depuis le début du mois de septembre, a indiqué clairement la voie à suivre.
Q - Hier, ce sont les voix pacifistes qui se sont surtout fait entendre, plus que la voix de ceux qui sont inquiets à cause de la présence des armes massives, présence massive d'armes de destruction en Iraq. Vous n'avez pas peur d'être un peu intégré dans le camp des pacifistes ?
R - Le choix de la France depuis le début c'est un choix sans ambiguïté. C'est le choix de la responsabilité. Et le président de la République l'a exprimé. D'un côté, une très grande fermeté, une très grande détermination devant Saddam Hussein pour désarmer Saddam Hussein. C'est l'objectif des Nations unies. De l'autre côté, le choix des inspections comme moyen pacifique de pouvoir obtenir cet objectif. C'est bien cela la clé aujourd'hui et c'est bien cela le choix. Nous le voyons, il y a deux solutions. D'un côté ceux qui préconisent la guerre, l'intervention militaire pour obtenir ce désarmement. De l'autre côté, ceux qui pensent que nous pouvons, par le biais des inspections, obtenir cet objectif. Et que s'est-il passé vendredi devant le Conseil de sécurité ? Qu'ont-ils donc les chefs des inspecteurs ? Ils ont dit que les inspections, cela marche. C'est très important. On pouvait douter que ces inspections permettraient d'avancer. Or, nous constatons qu'il y a des progrès. L'objectif de la France avec une large majorité, il faut le rappeler, de la communauté internationale, c'est de faire en sorte que ces inspections puissent trouver leur pleine efficacité de façon à atteindre l'objectif qui est le nôtre. Plus d'arme chimique, plus d'arme biologique, pas d'arme nucléaire et d'ores et déjà, nous avons une meilleure connaissance des différents programmes qui pourraient exister en Iraq. Nous avons fait des progrès. M. El Baradeï a indiqué que d'ici six mois, il pourrait donner la garantie qu'il n'y a pas de perspective, de capacité nucléaire en Iraq. Nous avons fait des progrès dans la connaissance, aussi, de la situation chimique et biologique. C'est bien cela l'objectif de la communauté internationale.
Q - Vous dites "on a fait des progrès". C'est votre point de vue, c'est le point de vue de la France. Vous l'avez exprimé vendredi au Conseil de sécurité de l'ONU. Vous avez dit "les inspections donnent des résultats". Ce n'est pas le point de vue des Etats-Unis. On a vu, lors de cette séance, un Colin Powell sur la défensive. Est-ce que vous diriez que cette séance du Conseil de sécurité de l'ONU de vendredi a été un succès diplomatique pour la France ?
R - Je ne poserai pas les choses en ces termes. Cette séance de vendredi a permis de mieux connaître la réalité sur le terrain, grâce à un rapport des inspecteurs des Nations unies. Et c'est très important, parce que les Nations unies, depuis quelques mois, ont inventé un outil, pour faire face à une crise de prolifération exceptionnelle qui est celle de l'Iraq. Cet outil est à la fois l'il et la main de la communauté internationale en Iraq des inspecteurs. Des inspecteurs de la commission de contrôle de M. Blix, des inspecteurs de l'Agence internationale de l'Energie atomique, de M. El Baradeï. Ils nous permettent sur le terrain d'apprécier la réalité des faits. Et quand ils nous disent "nous faisons des progrès" c'est évident pour le Conseil de sécurité qui doit faire une évaluation politique, dans un cadre qui a été fixé à l'unanimité, la résolution 1441 qui dit "par le biais des Nations unies, la communauté internationale fait le choix des inspections". Et le président de la République a d'emblée posé l'inspiration de cette résolution d'autant. Un premier temps, celui des inspections. Tout faire pour que nous puissions désarmer l'Iraq grâce aux inspecteurs. Et puis un deuxième temps, c'est le temps de la responsabilité. S'il y a une impasse sur la base du rapport des inspecteurs des Nations unies, le Conseil de sécurité évalue la situation et prend ses responsabilités, examine l'ensemble des options, y compris le recours à la force.
Q - Est-ce que, d'après vous, M. Powell a été surpris par la teneur du rapport de M. Blix, parce qu'on l'a vu abandonner son texte et improviser ?
R - Nous avons tous découverts le rapport de M. Blix et de M. El Baradeï. Rappelons parce que c'est suffisamment fort et innovant pour qu'on le souligne, que le Conseil de sécurité dans sa résolution 1441 a prévu que les inspecteurs fassent rapport à intervalle régulier, tous les quinze jours, devant le Conseil de sécurité et la communauté internationale. Et nous avons demandé, nous avons été les premiers à demander à ce que ce rapport, cette fois-ci vendredi dernier, soit fait à un échelon ministériel, parce que cette évaluation, la guerre et la paix, ce sont des choses suffisamment importantes pour que nous soyons tous mobilisés.
Q - Ce sera le cas le 28 février, pour la prochaine fois ?
R - Nous verrons dans quel contexte ce rapport a lieu. Nous rappelons que la résolution 1441 ne fixe pas de délai. Le souci est de savoir si ces inspections permettent de faire des progrès et c'est pour cela que la France a fait des propositions, pour renforcer les inspections, donner plus de capacités aux inspecteurs. Nous avons fait de nombreuses propositions pour accroître la capacité d'observation, notamment par voie aérienne, avec des Mirage IV, permettre par ailleurs une meilleure coordination dans le domaine du renseignement. Il y a là autant d'éléments qui doivent nous apporter la garantie que les inspections permettront, sur le terrain véritablement, d'atteindre l'objectif de la communauté internationale sur le désarmement de l'Iraq.
Q - Peut-on dire précisément aujourd'hui où en sont les inspections, par rapport à ce qu'elles devraient être pour aller au bout de leur démarche ? 330 sites inspectés. Combien restent à inspecter ? Combien de temps cela prendrait ?
R - C'est bien évidemment, la responsabilité des inspecteurs, de faire au quotidien cette évaluation et de transmettre leurs conclusions au Conseil de sécurité. Et c'est ce que nous faisons, il faut le rappeler, tous les quinze jours. Nous avons donc un contact direct avec les inspecteurs. Nous avons l'occasion, à intervalle régulier, de maintenir la pression sur l'Iraq. Cet outil, il nous faut le perfectionner, de façon à chaque jour davantage, avoir une meilleure connaissance. Dans leur rapport, les inspecteurs ont fait état de progrès dans les différents programmes. Ils ont fait état de progrès dans la procédure. Puisque l'Iraq a accepté ce qu'elle n'avait jamais accepté, que des auditions de scientifiques puissent être faites sans témoin. Accepté que les avions, tels que les U2, puissent survoler le territoire iraquien. Nous avons donc, aujourd'hui, des moyens que nous n'avions pas. Le choix de la communauté internationale, c'est de savoir si on peut arriver au désarmement de l'Iraq, avec les inspections, ou si au contraire il faut baisser les bras et se dire qu'une intervention militaire devient alors la seule solution. La France le dit depuis le début, la force ne peut être qu'un dernier recours. Nous savons tous les conséquences d'une guerre. Nous prenons bien évidemment en compte la question des délais, et la question des délais de la durée des inspections a été au coeur de la séance du Conseil de sécurité. J'ai moi-même, au nom de la France, posé cette question, en disant clairement "nous savons que les inspections, semaine après semaine, peuvent apporter des résultats, peuvent permettre de mieux connaître les programmes. Si nous trouvons des armes de destruction massive, les inspecteurs ont la capacité de détruire ces armes". Il y a là un chemin qui est balisé, il y a là un chemin qui est clair.
Q - Alors par exemple quand M. El Baradeï dit "six mois pour le nucléaire". Cela vous semble un délai raisonnable ?
R - Comparons. Combien de temps faudrait-il, à une guerre, pour véritablement atteindre l'objectif que s'est fixé la communauté internationale, le désarmement de l'Iraq ? Combien de temps faudrait-il ? Parce que gagner la guerre, cela peut se faire relativement rapidement ? Mais gagner la paix, combien de temps faudrait-il pour arriver à maintenir, à garantir l'unité de l'Iraq, la stabilité de la région ? Pour effacer l'opposition, les ruptures, les divisions qui ne manqueraient pas d'apparaître sur la scène internationale ? Combien de mois, combien d'années, combien de décennies ? Et c'est bien cela qui inquiète la France. C'est qu'il y a le risque de fractures, encore plus grandes. Nous connaissons tous la situation au Moyen-Orient. La situation du conflit israélo-arabe, les tensions qui existent dans l'arc de crises indo-pakistanais. Faut-il prendre le risque, par la guerre, d'introduire de nouvelles incertitudes. Est-on si sûr qu'une guerre, que la construction d'une paix, irait plus rapidement que le chemin choisit par les inspecteurs. Et il y a un argument supplémentaire qu'il faut prendre en compte. C'est que des crises de prolifération comme l'Iraq, le monde en connaît d'autres. La Corée du Nord et il y a d'autres pays, qui aujourd'hui, sont des menaces pour la prolifération. Il faut trouver, par les Nations unies, un instrument qui nous permet de régler pacifiquement les crises. Il y a dans ce que nous faisons une vocation d'exemplarité, sans quoi, si nous cédons à la tentation d'utiliser la force, dans le cas de l'Iraq, faudra-t-il demain renouveler l'usage de la force, ailleurs ou faut-il imaginer qu'il y aura, comme par magie, un cercle enchanté qui fera que les autres crises se régleront d'un coup d'un seul.
Q - Mais sur cette question de délai, les Américains disent "vous êtes gentils de nous donner des mois pour les inspections, sauf que Saddam Hussein nous balade depuis douze ans maintenant, depuis 1991, on arrive à obtenir les résultats escomptés, la certitude d'un désarmement complet de l'Iraq".
R - Rappelons que les inspections ont commencé il y a deux mois et demi. On prend souvent des exemples, d'autres schémas de désarmement.
Q - Ils prennent un travail commencé auparavant ?
R - Oui, mais les inspections ont repris, elles ont cessé en 1998. Il faut rappeler qu'entre 1991 et 1998 le désarmement a fonctionné. Les inspections ont fonctionné. Elles ont permis, ces inspections, entre 1991 et 1998, de détruire plus d'armes de destruction massive, programmes chimiques, programmes biologiques que l'ensemble des armes détruites pendant la guerre du Golfe. Mais c'est quand même un élément qui fait réfléchir. Je prends un autre exemple. L'Afrique du Sud s'est engagée dans un schéma de désarmement volontaire de l'ensemble de ses programmes. Il a fallu deux ans et demi. Alors mesurons les choses. Faut-il prendre le risque de la guerre ? Ou faut-il prendre le risque de la paix ? Découvrons un outil pour la communauté internationale qui permettra, demain, de répondre à d'autres crises en marquant la détermination de la communauté. Parce qu'il y a aujourd'hui quelque chose d'exceptionnel, qu'on ne souligne pas assez, c'est que la communauté internationale a été unie pour adopter la résolution 1441. Cela donne un poids extraordinaire à cette communauté internationale, face à l'ensemble des difficultés du monde. Faisons face à la réalité. Il y a un grand désordre dans le monde. Il y a le terrorisme. Depuis le 11 septembre, une immense tragédie. Nous sommes tous mobilisés pour essayer de coordonner nos efforts face au terrorisme. Il y a la prolifération, autre menace. Beaucoup de crises de prolifération qui peuvent se décider. Beaucoup d'armes à détruire à travers le monde. Il y a des crises régionales, la crise du Proche-Orient que j'évoquais. D'autres crises. Tout cela implique que la communauté internationale garde son unité pour essayer de faire face, à l'ensemble de ces difficultés.
Q - Vous globalisez totalement le problème et vous n'acceptez pas la théorie de la crise régionale. Ce que Georges Bush voudrait régler le problème du Proche-Orient après la guerre en Iraq. Pour vous, c'est une option qui ne tient pas. Avez-vous un plan ?
R - Il y a une vision française, qui a des convictions françaises. Cette vision française, le président de la République l'a soutenue depuis la première heure de la crise iraquienne. C'est justement la nécessité de permettre à la communauté internationale, à chaque étape, de s'adapter à la crise, en adoptant les moyens, en se donnant les moyens les plus adéquats. Temps des inspections pour viser le désarmement de l'Iraq et en cas de blocage des inspections, examinons les autres options. C'est véritablement cela qui a uni la communauté internationale quand nous avons voté la résolution 1441. C'est le choix qu'ont fait les Etats-Unis, il faut le rappeler, à travers le discours du président Bush au début du mois de septembre. Le choix des Nations unies, le choix de la sécurité collective, le choix de la responsabilité collective. Et quand on fait le compte de ce qui aujourd'hui permet d'ébranler l'Iraq, permet de constater le progrès des inspections, qu'y a-t-il ? Premièrement, bien sûr, cette unité. La fermeté de la communauté internationale permet de marquer des points. Deuxième élément très important, c'est évidemment la mobilisation de la communauté internationale, mobilisation diplomatique du monde arabe, mobilisation diplomatique de l'ensemble des chancelleries du monde. Pour faire pression sur l'Iraq, il y a la mobilisation américaine, les pressions qu'exerce la présence américaine sur le terrain.
Q - Il n'y a pas complémentarité entre cette pression militaire et les (inaudible)
R - Tout ceci fait bouger l'Iraq sans qu'aucun coup de fusil n'ait été tiré. Sans un mort. Cela fait réfléchir. Cela donne une crédibilité formidable à cette communauté internationale, nous le disions. Dans un monde en désordre, le fait que nous soyons capables de gérer ensemble les conflits, de les gérer pacifiquement, par notre volonté, par notre unité, c'est un atout énorme dans la gestion de l'ensemble des crises.
Q - Est-ce que, selon vous, c'est une complémentarité délibérée, organisée, pensée ou une complémentarité de fait ?
R - Il y a, à la fois, un problème en ce qui concerne les objectifs et les moyens. Dans la position américaine, telle qu'elle est exprimée, il y a, bien sûr, l'objectif du désarmement de l'Iraq. Et puis, on le sent bien, que derrière cet objectif-là, il y en a d'autre. Notamment l'idée d'un changement de régime. De ce point de vue-là, nous disons clairement, que nous ne pouvons pas nous associer à cet objectif. Nous n'avons, évidemment, aucune complaisance pour le régime de Saddam Hussein. Le président de la République le dit aujourd'hui dans une interview à "Time Magazine" : "nous serions très heureux de voir M. Saddam Hussein quitter l'Iraq, nous serions très heureux de se débarrasser"
Q - S'il disparaissait, dit-il ? Mais de quelle façon ?
R - Mais de toutes les façons. S'il n'était plus aujourd'hui en Iraq, cela vraisemblablement réglerait l'ensemble des questions.
Q - Est-ce qu'on pourrait aider à ce bonheur et l'aider à partir ?
R - La pression internationale participe de l'objectif qui le nôtre.
Q - Jusqu'à présent, elle n'a pas été très convaincue ?
R - C'est bien pour cela qu'il faut s'en tenir aux objectifs qui sont les nôtres. L'idée de changement de régime introduit dans les relations internationales, un principe d'instabilité dont nous devons mesurer les conséquences. A qui appartiendrait-il de décider qu'un régime est bon ou qu'un régime est mauvais ? Où commencerait un régime acceptable ? Où s'arrêterait un régime acceptable ? Il faut appliquer de ce point de vue et c'est la conviction, c'est la vision de la France défendue par le président de la République, il faut appliquer le droit, il faut respecter la morale internationale et je crois que nous ne devons pas brûler les étapes.
Q - Mais en vous écoutant, on a quand même le sentiment que le départ ou l'exil de Saddam Hussein permettrait de dessiner un scénario de sortie de crise dans l'état actuel des choses et dans l'état actuel de la volonté américaine ?
R - Cela faciliterait certainement les choses pour les Américains. Mais l'objectif des Américains auquel ils se sont associés aux Nations unies, c'est le désarmement de l'Iraq. Et Colin Powell l'a dit à plusieurs reprises. Un régime iraquien qui n'aurait plus d'armes de destruction massive, ne serait pas le même régime que celui que nous connaissons aujourd'hui. Donc, nous devons avec ténacité, poursuivre cet objectif commun qui est le nôtre, qui nous réunit toute la communauté internationale et clairement garder le cap.
Q - Et le président de la République, dans le même entretien à "Time" dit également "au fond c'est un pari, je fais le pari que nous parviendrons à convaincre l'Iraq de désarmer." Quelle est, selon vous, la probabilité qu'il soit gagné ou perdu celui-là ? 50-50, 10 % de chance de gagner ?
R - C'est un pari volontaire, énergique où chaque jour la diplomatie française se bat pour obtenir avec l'ensemble des membres de la communauté internationale l'objectif qui est le sien. Je crois que l'histoire n'est pas écrite et tous les jours nous travaillons avec nos amis américains pour essayer justement d'atteindre cet objectif.
Q - La probabilité que ce pari soit gagné vous l'évaluez à combien ?
R - L'histoire, ce sont les hommes qui la fabriquent. Ce sont les peuples qui la font. Et nous avons vu qu'ils se mobilisent, nous avons que les dirigeants se mobilisent. Nous avons, dans les prochains jours, des échéances importantes. Demain donc lundi, Conseil européen extraordinaire et c'est quand même la marque d'un sursaut de la part de l'Europe face à toutes les divisions, dont on a tant parlé au cours des dernières semaines. L'Europe se réunit pour essayer de trouver les principes communs qui peuvent guider son action au cours des prochaines semaines.
Q - Si on évoque un peu plus précisément l'option guerre, celle des Etats-Unis. Vous avez dit vendredi "elle est illégitime, inefficace et dangereuse". Qu'est-ce qui, le chef de l'Etat et vous-même, n'écartez pas de manière rédhibitoire l'option de la guerre, la rendrait légitime, qu'est-ce qui la rendrait plus efficace et moins dangereuse ?
R - La seule guerre légitime possible, le seul usage de la force, légitime possible, est celui qui est décidé par le Conseil de sécurité des Nations unies, dans le cadre donc des Nations unies, c'est celui qui confère sa légitimité. Mais j'ajoute aussitôt, son efficacité à l'action internationale. Parce qu'une intervention unilatérale diviserait la Communauté internationale, rendrait beaucoup plus fragile une telle initiative. Il est très important si l'on veut être efficace, compte tenu de la dimension culturelle, religieuse qu'aurait un tel conflit. Quelle perception le monde arabe aurait-il ? Quelle percerait à travers le monde ? On le voit dans les réactions en Afrique, en Asie, dans l'ensemble de la planète. Sur ces questions, il y a une vraie sensibilité planétaire, cela concerne tout le monde. Et il est très important que chacun respecte les règles de droit qui sont celles de la communauté internationale. Il y a un élément et je ne veux pas le passer sous silence qu'il faut prendre en compte, et nous le faisons tous les jours, vis-à-vis de nos amis américains. Ils ont connu le 11 septembre. Ils ont été frappés à la tête le 11 septembre. Une émotion gigantesque. Il faut mesurer ce qu'a été cet événement, ce choc, ce traumatisme. Découvrir l'insécurité sur son propre sol. L'insécurité que les Américains n'avaient jamais connue. Devant cette tragédie, évidemment, ces questions de sécurité prennent un sens majeur. Nous participons évidemment de cette conscience et de cette volonté de protéger nos peuples. Mais pour les Américains, c'est un phénomène nouveau, ce sentiment de vulnérabilité. Et à partir de là, évidemment, ils ont considéré qu'en Iraq, se jouait la sécurité des Etats-Unis. Nous rappelons que cette sécurité se joue bien ailleurs sur la planète et que nous sommes plus forts quand nous trouvons des outils permettant de régler pacifiquement ces crises plutôt que de céder à la tentation de l'usage de la force qui peut nous entraîner dans des engrenages mal maîtrisés.
Q - Si les Américains enclenchaient des opérations militaires contre l'Iraq, que fait la France dans l'état actuel des choses ?
R - En matière diplomatique, évitons de rentrer dans des schémas hypothétiques.
Q - C'est une hypothèse qui paraît très plausible aux yeux de l'administration américaine ? Il y a quand même 150.000 militaires américains massés.
R - Nous nous battons et nous sommes mobilisés pour faire avancer le chemin qu'a choisit la communauté internationale. Le chemin du droit qui est celui des inspections. Et nous sommes cohérents. Ce que nous disons à New York, nous le disons aux Européens et nous le disons à l'OTAN. La France parle d'une seule voix, quel que soit l'endroit du monde.
Q - Alors un élément qui n'est pas hypothétique c'est l'idée d'une deuxième résolution qui est en train d'être préparée apparemment par l'administration américaine et par le gouvernement britannique et qui viendrait donner un ultimatum à très courte échéance dans la foulée la résolution 1441. Les discours américains sont sans équivoque, continuent de parler de semaine alors que vous, tout à l'heure encore pour les inspections, vous parliez de mois. La patience américaine se compte en semaines, disait encore M. Powell vendredi soir. Quelle sera l'attitude de la France vis-à-vis du projet d'une seconde résolution anglo-américaine ?
R - La résolution 1441 fixe un cap, un petit peu amélioré, nous l'avons dit. Nous n'avons pas été jusqu'au bout des responsabilités de cette résolution. Et nous avons donc fait des propositions aux Nations unies pour perfectionner ce régime des inspections. Faut-il maintenant adopter une nouvelle résolution. Nous n'en voyons pas l'utilité.
Q - Concrètement ?
R - Si les Anglais et les Américains proposent cette résolution, nous regarderons le texte. A ce stade, nous estimons que nous ne sommes pas les seuls. Nous estimons, vous avez vu la déclaration tripartite faite avec l'Allemagne, avec la Russie, auquel se sont associés les Chinois, et un grand nombre de pays de la communauté internationale. Nous estimons que nous avons l'outil approprié. Et une fois de plus, quand vous avez les inspecteurs qui viennent vous dire, "nous avançons, nous faisons des progrès", faut-il la guerre ? Ce qui veut dire que c'est perceptible et c'est bien pour cela que nous souhaitons, perfectionner le système. Faut-il balayer cela et considérer qu'il faut changer de voix. La France dit non. La France dit-il faut continuer à avancer dans la voix qui a été choisi par tous depuis le mois de septembre.
Q - Quand vous dites "nous continuons de travailler avec nos amis Américains", vous prenez toujours soin de dire "nos amis Américains". (inaudible)
R - Colin Powell l'a rappelé à la sortie de la réunion que nous avons eue au Conseil de sécurité, nous sommes des amis depuis 225 ans, cela crée des liens. Nous sommes des alliés, des alliés exigeants, des alliés à qui nous parlons franchement. Nous avons évidemment certaines différences d'appréciation sur l'état du monde, sur la vision du monde. Nous les exprimons. Evidemment les relations entre la France et les Etats-Unis restent des relations privilégiées.
Q - A quel niveau se déroulent-elles en ce moment ?
R - A tous les niveaux. Le président de la République parle régulièrement avec le président Bush. Je travaille quasiment quotidiennement avec Colin Powell et nous sommes soucieux de faire en sorte que la diplomatie française avec la diplomatie américaine cherche à avancer dans la voie de la communauté internationale.
Q - Ce n'est pas un bras de fer ?
R - Quand vous avez des différences, il faut s'expliquer, il faut rechercher les points qui permettent d'avancer. Notre souci à tous est le même : désarmer l'Iraq. Dans ce contexte, toutes les propositions sont bonnes, tout ce qui peut permettre de marquer plus de résolution, de fermeté vis-à-vis de l'Iraq. Nous n'avons jamais cessé d'exiger de l'Iraq qu'elle satisfasse à toutes ces obligations. Il y a là véritablement je crois un point très fort quant aux objectifs entre les Etats-Unis et la France.
Q - Vous avez proposé plus exactement un nouveau rendez-vous le 14 mars, pour refaire le point. Est-ce que d'ici le mois prochain, vous avez le sentiment que les Américains seront retenus d'engager des opérations unilatérales s'ils en avaient la tentation ?
R - Il y a déjà un rendez-vous avant la fin du mois de février, puisque je l'ai dit. Tous les quinze jours, les inspecteurs font rapport. J'ai proposé le 14 mars, une nouvelle réunion ministérielle pour marquer l'engagement de nos diplomaties, à chercher ensemble, à trouver des solutions. Nous verrons la semaine prochaine des initiatives qui peuvent être prises par ailleurs au Conseil de sécurité. Nous sommes en étroite liaison, vous l'imaginez, quotidienne les uns avec les autres, avec l'ensemble des membres du Conseil de sécurité, toujours avec le même objectif, essayer de régler cette crise.
Q - Vous saviez bien en proposant le 14 mars que c'était très tard cette date pour les Américains pour déclencher les hostilités ?
R - J'ai parlé de réunion ministérielle. La question de la France ce n'est pas de gagner du temps. Je me rappelle la formule qui consistait à dire "il faut laisser du temps au temps." Ce n'est pas l'approche du président de la République, ce n'est pas l'approche de la France. Ce n'est certainement pas l'objectif de la France. L'objectif de la France n'est pas de gagner du temps. L'autre objectif de la France c'est de donner une volonté au temps et nous avons un outil qui nous permet d'avancer et de progresser. Ne l'oublions jamais, il y a un arbitrage à faire entre la solution que nous pouvons obtenir pacifiquement par les inspecteurs et l'autre solution aujourd'hui proposée, la guerre. Cela mérite réflexion. Il ne s'agit pas de donner du temps, il s'agit de savoir si nous serons plus légitimes et plus efficaces par les inspections où moins légitimes et moins efficaces pour ne pas parler...
Q - Vous pouvez regarder sous les yeux le calendrier diplomatique, mais vous savez bien qu'il existe un calendrier militaire américain et climatique accessoirement.
R - Est-ce que l'on fait la guerre pour des raisons climatiques ?
Q - Non, en fonction de ...
R - La guerre c'est quelque chose de sérieux. Nous avons vécu sur notre sol toute sorte de guerre, civile, religieuse, mondiale. Ces guerres-là nous ont appris quelque chose. La guerre c'est toujours la pire des solutions. La France prend ses responsabilités sur la scène internationale et c'est pour cela qu'aujourd'hui nous rallions, je crois, une très large majorité de la communauté mondiale. Nous prenons nos responsabilités. Nous n'excluons aucune option mais évidemment nous souhaitons aller jusqu'au bout de ce qui peut marcher sur le plan pacifique, avant, si nous étions confrontés à une impasse, d'envisager d'autre option.
Il s'agit bien d'essayer de s'entendre sur les principes fondamentaux qui font les valeurs communes de l'Europe. Nous l'avons fait. Il y a quelques semaines uniquement. Le 27 janvier, quand les ministres des Affaires étrangères, l'initiative de la France, en liaison avec la présidence grecque se sont entendus pour une déclaration commune. Cette déclaration affirmait le soutien que nous donnions aux Nations unies. Notre volonté d'intensifier, de renforcer, la capacité des inspecteurs à agir. Et puis, vous connaissez la suite, quelques jours plus tard, il y a eu l'initiative d'un certain nombre de chefs de gouvernement européen, et la déclaration des pays dits de Vilnius, de la nouvelle Europe.
Q - Est-ce qu'une nouvelle déclaration tripartite ne risque pas de jeter le trouble dans cette grande unité ?
R - L'Europe, dans la difficulté, a vocation a essayé de passer le cap. Que serait l'Europe auquel nous travaillons depuis tant d'années, si elle n'était pas capable de s'entendre dans les moments difficiles. Et c'est à cela que nous allons essayer de faire, tous ensemble. Le président de la République avec les chefs d'Etat et de gouvernement vont essayer de dégager une ligne de position commune. Pourquoi est-ce si important ? D'abord, nous le voyons bien. Le monde ne peut pas reposer sur l'appui d'une seule puissance. Le monde a besoin de différents pôles de stabilité. Il nous fait un monde multipolaire. Et l'Europe constitue, sans doute, à côté des Etats-Unis, le pôle de stabilité aujourd'hui le plus important, capable de donner une direction, bien marcher, il faut marcher sur deux jambes et on voit au-delà, évidemment que doit jouer la Chine, la Russie et beaucoup d'autres régions du monde. C'est cela qui fait l'équilibre du monde. Mais l'Europe a une vocation singulière, elle est la synthèse de plusieurs inspirations. Elle est le trait d'union entre différentes régions du globe. Elle a une compréhension particulière des problèmes du Moyen-Orient. Nous les suivons depuis des siècles. Nous avons donc vocation à prendre nos responsabilités.
Q - Cela est l'Europe telle qu'elle devrait être aujourd'hui ?
R - Justement, nous le disons fortement. L'Europe ce n'est pas uniquement un marché. Ce n'est pas uniquement un tiroir caisse, l'Europe doit défendre des valeurs et des principes communs et c'est ce que nous allons essayer de faire demain. Dans cette Europe, il y a de fortes complémentarités. La France a défendu une ligne en pointe, parce que le président de la République, dès le début, a posé clairement un cap. Il se trouve que la Communauté internationale s'est retrouvée dans cette ligne définie par le président. Et puis, il y a des pays, je pense au Royaume-Uni, je pense à l'Espagne, je pense à l'Italie, se retrouvent strictement sur une ligne américaine. Le Premier ministre, M. Blair, était, il y a quelques jours, dans le ranch du président Bush.
Q - M. Aznar ?
R - M. Aznar sera, lui-même, dans quelques jours à nouveau aux Etats-Unis. Il est important que les principes et que les valeurs de l'Europe soient défendues par tous. Il est important que nous puissions en parler ensemble. Que les chefs d'Etat et de gouvernement puissent en parler ensemble, que chacun puisse prendre sa responsabilité vis-à-vis des peuples de l'Europe.
Q - Chacun fera un pas ou vous essayez d'espérer que M. Berlusconi, M. Aznar et M. Blair fassent un pas en arrière ?
R - Nous espérons que chacun regarde la réalité et les faits et cette réalité et ces faits, ils nous ont été rappelés par les inspecteurs. Il ne s'agit pas de faire un chèque en blanc aux Nations unies, nous l'avons dit très clairement vendredi. Il s'agit d'écouter attentivement ce que nous disent les inspecteurs tous les quinze jours sur la base des informations qu'ils recueillent sur le terrain. Il ne s'agit pas d'adopter des pétitions de principe, il s'agit d'en rester aux faits. Et nous avons une chance que nous n'avions pas il y a quelques années, dans les précédentes inspections. C'est que cette fois-ci, M. Blix, Chef des inspecteurs, et M. El Baradeï, directeur de l'Agence internationale de l'Energie atomique, sont des hommes sérieux, il faut les choses avec conscience et ils vont jusqu'au bout de la recherche qui est la leur. Et ils apportent des informations extrêmement précieuses à la Communauté internationale. C'est là un atout dans la crise, aujourd'hui, pour avancer.
Q - Est-ce que vous avez le sentiment que les Britanniques, les Espagnols et les Italiens, peuvent assouplir la position qu'ils ont défendue jusqu'à présent, y compris encore vendredi, en tout cas pour deux d'entre eux, au Conseil de sécurité ?
R - J'ai le sentiment que nous nous retrouvons tous sur des principes communs. Et aujourd'hui, il s'agit de s'interroger sur les délais. Quand on parle de délai aujourd'hui, il y a soit la version américaine qui consiste à dire "l'affaire est jouée, arrêtons la partie, il est temps maintenant de passer aux choses sérieuses, c'est-à-dire l'intervention militaire" et il y a les Européens qui soutiennent une certaine vision de l'ordre international dominé par les Nations unies qui est la légalité internationale, et qui font confiance aux inspecteurs. C'est ce que n'ont pas cessé de dire les Britanniques, les Espagnols et les Italiens. Nous avons été les premiers à soutenir l'initiative de la présidence grecque au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement. Et le simple fait que l'Europe dans la crise décide d'affronter ensemble et de traiter ensemble cette question est un élément qui insiste à l'optimisme. On ne se dérobe pas. Il serait tellement plus facile de rester chacun dans ses capitales. Et bien non.
Q - Vous êtes optimiste pour demain ?
R - Je pense que demain, l'ensemble des chefs d'Etat et de gouvernement seront confrontés à la fois à leur peuple et à la fois à l'exigence d'un choix.
Q - A leur peuple, c'est-à-dire y compris les manifestations qui ont eu lieu à Rome, à Londres et à Madrid ?
R - C'est une bonne nouvelle dans le monde entier. Les peuples du monde ont une vision de l'avenir qu'ils veulent dessiner et ils veulent que cette communauté internationale soit capable, par elle-même, de prendre ses responsabilités. Je crois que tout le monde doit l'entendre et il est important que les chefs d'Etat et de gouvernement au-delà des positions prises par les uns et par les autres, puissent, à huit clos, discuter, évoquer leurs différentes positions, confronter leurs points de vue, car la France, elle, adopte une position de responsabilité très claire. Le président quand il dit "il y a plusieurs temps, à chaque étape il convient de prendre ses responsabilités", et à cette étape-là, il est important que l'ensemble des responsables européens puisse véritablement déterminer, pour l'Europe, uni par des valeurs communes, qu'elle est véritablement aujourd'hui le visage et la voix que doit adopter l'Europe.
Q - Tony Blair dit aussi que donner du temps à Saddam Hussein s'est faire son jeu ?
R - J'ai répondu, tout à l'heure, à cette question du temps. Donner du temps aujourd'hui, est-ce que c'est véritablement faire le jeu de Saddam Hussein ? Où est-ce que ce n'est pas au contraire faire en sorte que la Communauté internationale puisse avancer résolument dans une voie qui n'est pas celle de la guerre. Donnons toutes ces chances à la paix. Et il faut savoir, parce que c'est une question qu'il faut poser aussi, à qui servirait le plus une guerre aujourd'hui ? Est-ce que ce n'est pas les terroristes du monde entier, tous ces groupes qui sont organisés et qui conspirent contre l'ordre du monde ? Est-ce que ce n'est pas les terroristes qui seraient les premiers vainqueurs d'une guerre ? Chacun sait quand une situation ouverte de crise se crée, nous le voyons dans toutes les crises du monde, il y a ceux qui sont promptes à en tirer profit.
Q - Au-delà des déclarations de Ben Laden, vous avez des informations dans ce domaine ?
R - Il y a clairement des informations sur le fait que le risque de terrorisme existe et c'est pour cela que la France, le 20 janvier, a demandé une réunion de l'ensemble du Conseil de sécurité, pour traiter cette question du terrorisme et rappeler à la communauté mondiale que c'était là notre premier devoir, de rester uni, mobiliser, coordonner, inventif, imaginatif. Il faut être plus rapide que les terroristes. C'est-à-dire, en permanence, se concerter, essayer d'imaginer les parades, face à des gens qui sont en permanence en situation d'exploiter des opportunités. La guerre pour un terroriste, c'est une formidable opportunité.
Q - En tout cas les liens Bagdad et Al Qaïda, vous n'y croyez pas ?
R - De ce point de vue, les choses sont claires. Les Américains ont avancé un certain nombre d'informations. Il se trouve qu'elles ne sont pas confirmées. Nous n'avons pas confirmation de ces informations. Et les différents services de renseignements que nous avons consultés, ne confirment pas non plus ces différentes indications.
Q - Vous mettez leur parole en doute ?
R - Je ne mets aucune parole en doute. Nous ne sommes dans un domaine où la suspicion fait le moins du monde avancé les choses. Chacun avance avec sa bonne volonté, chacun avance avec l'envie de contribuer au règlement des questions.
Q - Je reviens sur la question de l'Europe. L'Europe à vingt-cinq. Les pays candidats à l'élargissement qui pour un certain nombre, ont signé cette lettre des Huit que vous évoquiez tout à l'heure. Est-ce qu'elle n'est pas remise en question cette Europe-là, quand on voit la Pologne, la Hongrie, la République Tchèque pour ne citer que ceux-là ? Faire le choix clairement de l'Alliance atlantique plutôt que de l'intégration européenne ?
R - Vous évoquez les initiatives qui ont été prises par un certain nombre de ces Etats, type de la nouvelle Europe, le groupe de Vilnius qui ont signé une déclaration commune en soutien à la position américaine. D'abord, il faut comprendre comment ils sont amenés à prendre ce genre d'initiative. Voilà des pays qui ont connu une longue nuit, derrière le rideau de fer. Voilà des pays qui ont rêvé de liberté, rêvé d'Amérique. Ils accèdent aujourd'hui à la grande famille européenne, au terme d'un chemin qui a été long, ils ont fait beaucoup d'efforts pour cela et nous les avons accompagnés sur ce chemin de l'Europe, d'une Europe qui s'est élargie à Copenhague et vous savez que toute la part qu'a pris la France, avec l'Allemagne pour essayer d'écarter de la route tous les obstacles. Il faut le dire aujourd'hui, je crois l'initiative de ces pays a été une initiative maladroite. Parce que quand on rentre dans une famille, il faut non seulement en accepter les règles du jeu, mais il faut en comprendre les principes. Il y des valeurs communes dans cette Europe, quoi qu'il arrive, l'Europe avancera parce que nous sommes déterminés, nous sommes volontaires, nous voulons ensemble avancer dans la voie d'une politique étrangère, quoiqu'il arrive, nous avancerons, nous trouverons les ressources et les moyens d'avancer, mais nous avons besoin d'une explication, nous avons besoin de nous entendre sur ce qui fait le pacte commun de cette famille européenne. On ne peut pas à la fois faire un serment d'allégeance et en même temps prétendre faire partie d'une famille.
Q - Quand aura-t-elle lieu cette explication ?
R - Nous aurons cette explication dans des rencontres nombreuses qui sont prévues au cours des prochains mois, mardi la présidence rencontrera les représentants de ces nouveaux Etats qui vont rentrer dans l'Europe, je crois que c'est un travail que nous allons faire tout au long des prochaines semaines et des prochains mois, j'ai rencontré mon collègue tchèque il y a quelques jours, je rencontrerai d'autres responsables, l'idée n'est pas de sermonner, l'idée est de faire comprendre les règles du jeu, dans toute famille, vous expliquez qu'il y a des choses qui se font et d'autres qui ne se font pas. Une fois de plus, l'Europe n'est pas un tiroir caisse, au-delà du marché intérieur, au-delà des politiques que nous avons en commun, nous avons des valeurs communes que nous voulons défendre.
Q - Mais n'est-ce pas tout bêtement la démonstration que l'Europe n'est pas en capacité de faire suffisamment rêver, de rassurer suffisamment ces nouveaux pays ?
R - Je crois qu'il y a un travail de forte explication à faire, et puis il faut peut-être constater aujourd'hui, ce qui saute aux yeux, ce qui est aujourd'hui une évidence, l'Europe s'est construite d'une façon pragmatique, par le biais d'un marché qui s'est constitué, par le biais de politiques qui se sont constitués, l'Europe n'a peut-être pas suffisamment son identité commune, on l'a vu lors du grand débat sur la Turquie. Il faut travaille cette identité, qui : qui somme-nous ? Qui voulons-nous être sur la scène internationale, quel est le rôle que nous voulons jouer ensemble, quel type de responsabilités avons-nous envie d'avoir sur la scène internationale ? Cette question est d'autant plus urgente qu'il y a un formidable besoin d'Europe sur la scène internationale, l'Europe est nécessaire, nous le voyons partout dans tous nos déplacements, on attend de l'Europe qu'elle prenne des positions fortes qu'elle prenne toutes ses responsabilités, elle est nécessaire aujourd'hui à l'équilibre du monde.
Q - Mais l'est-elle aussi au sein de l'Otan, avec des discussions très difficiles cet après-midi à propos de la demande américaine d'une protection de la Turquie en cas de conflit en Iraq. Est-ce que l'Otan cette alliance Atlantique et donc ce traité militaire où des désaccords profonds surgissent, sert encore à quelque chose ?
R - Bien sûr, l'Otan c'est une organisation militaire défensive. Elle a un but très précis qui est d'assurer la sécurité de l'ensemble,
Q - De l'ensemble, face à l'URSS
R - Elle assure aujourd'hui la sécurité de l'ensemble des européens et elle crée un lien stratégique entre les Etats-Unis et l'Europe. Et à ce titre, elle joue un rôle essentiel. Quelle est la question qui était posée au cours des derniers jours : est-ce que nous allions nous associer à la planification militaire en cas d'attaque contre la Turquie ? La question est pour la moins prématurée. Et nous avons répondu que ne pourrions pas nous battre à New York pour faire avancer la communauté internationale dans la voie des inspections et nous lancer dans les préparatifs de planification militaire, il y a là un degré de cohérence,
Q - Même défensif ?
R - Mais la question ne se pose pas aujourd'hui. Vous voyez bien que la Turquie ne connaisse pas de menace aujourd'hui, nous avons, il faut le souligner, indiqué à titre bilatéral que bien évidemment, nous donnions à la Turquie toutes les garanties que nous pouvions lui apporter, donc il n'y a pas d'ambiguïté vis-à-vis de la Turquie, il ne s'agit pas d'un manque de solidarité vis-à-vis de la Turquie, les choses sont parfaitement claires. Il s'agissait de savoir si nous mettions le doigt dans un engrenage et nous estimons qu'aujourd'hui la question qui est posée à l'OTAN, ne se pose pas.
Q - On va en venir au dossier ivoirien, peut-être une question sur le parlement français, est-ce qu'il sera informé le parlement français de la position française concernant la crise irakienne, est-ce qu'il y aura un débat, avec votre... comme le laisse entendre et comme le souhaite d'ailleurs le président de l'assemblée, M. Jean-Louis Debré ?
R - Le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, l'a très clairement dit, nous souhaitions à chaque étape, associer le parlement nous le faisons dans les conditions de l'Assemblée nationale et du Sénat, nous le faisons lors des séances des questions de l'actualité, le Premier ministre recevra mardi l'ensemble des groupes parlementaires pour leur dire quelle est la position de la France, pour les écouter, pour évaluer la situation avec eux et le Premier ministre et le Président de la République ont bien sûr dit qu'il y aurait un débat au cours des prochaines semaines, de façon à ce que...
Q - Avec vote ?
R - Le vote, il appartient au Premier ministre et le président de la République d'en décider, vous comprenez que ce n'est pas à moi de me prononcer sur cette question ce soir.
Q - Vous pourriez avoir des éléments d'information, cela vous paraît-il utile ou nécessaire ?
R - Je pense qu'il faut bien évidemment, associer le parlement, nous l'avons fait. Et je crois que le degré d'ouverture de ce gouvernement vis-à-vis du parlement est quelque chose qui est apparu suffisamment clairement au cours des...
Q - La Côte d'Ivoire, Dominique de Villepin, voilà un dossier où vous avez subi de sévères critiques, François Hollande, ici même, dénonçait un échec total de la diplomatie, Dominique Strauss-Khan qui moquait, ici encore, la diplomatie cheveux aux vents du haut de la colline, on vous a décrit comme un ministre fébrile et imprudent, c'est un revers pour vous, ce dossier ?
R - Regardons la situation et la crise ivoirienne. C'est une situation de guerre, c'est une crise ouverte depuis plusieurs mois. Face à cette crise, à cette guerre, que fallait-il faire ? ne rien faire rester tranquillement en attendant qu'un massacre, qu'une catastrophe - nous en avons connu d'autres en Afrique avec des centaines de milliers de morts - ou fallait-il être en initiative et prendre toutes nos responsabilités ?
Le président de la République, le Premier ministre, Mme Alliot-Marie, nous avons tous pensé qu'il fallait être en initiative, faire des propositions, à la fois sur le plan diplomatique, et sur le plan militaire. Nous avons donc pris des initiatives pour assurer la recherche d'un cessez-le-feu. C'est un succès pour la France que d'avoir obtenu une ligne de cessez- le feu entre le Nord et le Sud et une ligne de cessez-le-feu à l'ouest. Les combats ont cessé. Il faut le dire, cela n'était pas écrit. Deuxième élément, l'initiative diplomatique : dès lors que vous obtenez un cessez-le feu, nous ne pouvons pas tranquillement attendre, plaçant nos soldats sur une ligne de front, qu'une autre catastrophe surgisse, qu'ils soient mis en difficulté. Il faut donc agir et prendre des initiatives. Nous avons encouragé et aidé l'ensemble des pays africains à essayer de trouver cette solution. Dans le cas de la communauté de l'ouest africain, dans le cadre de l'Union africaine. Aucune solution n'a pu être trouvée, ni à Lomé, ni à Dakar. Chacun à avancer, des fils ont été tirés mais aucune solution formelle n'a pu être trouvée. La France a donc pris l'initiative de réunir, à Marcoussis puis à Paris, l'ensemble des parties ivoiriennes pour essayer et faire en sorte qu'une solution entre Ivoiriens puisse être trouvée. Et puis, parce que cela ne pouvait pas suffire, il fallait que la communauté africaine et internationale puisse garantir ce processus, apporter son soutien à cet accord. Il fallait que le président Gbagbo apporte lui-même son soutien. Donc, paix, réconciliation, c'est l'objectif de Marcoussis et de Paris, réconciliation entre Ivoiriens. L'ensemble des parties ivoiriennes a signé un accord et nous n'avons pas choisi la facilité, nous avons choisi d'essayer de régler les problèmes de fond. Et donc à Marcoussis, on a parlé de l'ensemble des problèmes qui déchirent la Côte d'Ivoire depuis plus de dix ans.
Q - Y compris les postes ministériels ?
R - Non, pas à Marcoussis. A Marcoussis, nous avons évoqué les problèmes de fonds. La question d'identité, la question du statut des étrangers, la question de la participation aux élections, la question d'ivoirité qui est une question difficile surtout pour un pays qui a vu ses revenus diminués, le partage de la richesse diminué. Il y a près de 30 % d'étrangers en Côte d'Ivoire donc le rapport à l'autre est évidemment essentiel.
Q - Tout le monde a signé mais personne n'applique ?
R - Tout le monde a signé et tout le monde a défini un chemin qui permettrait à la Côte d'Ivoire de retrouver justement son unité. La Côte d'Ivoire était un miracle, un modèle pendant des décennies. A la Conférence de Paris, on a invité l'ensemble des chefs d'Etat de la région, on a invité le président de l'Union africaine, on a invité le Secrétaire général des Nations unies, M. Kofi Annan, pour entendre le président Gbagbo accepter les accords de Marcoussis et entre Ivoiriens, c'est-à-dire le président Gbagbo avec les différents responsables ivoiriens, ils ont défini un schéma gouvernemental. C'est-à-dire un Premier ministre, M. Diara et l'esquisse d'une répartition des portefeuilles ministériels. Ce n'est pas la France, contrairement à ce qui a été dit, qui a d'emblée réparti les portefeuilles.
Q - Vous n'avez pas suggéré ?
R - Mais absolument pas. Et pourquoi ? On s'est beaucoup interrogé sur la question de savoir si le fait de pouvoir imaginer, ce qui est une idée des Ivoiriens, de donner le portefeuille de la Défense et celui de l'Intérieur, n'était pas complètement fou. Quelle est la réalité des choses ? C'est que voilà un pays en guerre, voilà un pays où l'essentiel des armes est détenu par les rebelles. On demande aux rebelles, c'est l'un des éléments clés de l'accord de réconciliation de Marcoussis, on leur demande de déposer les armes. Comment voulez-vous que les rebelles acceptent de déposer les armes s'ils n'ont pas confiance dans un certain nombre de représentants du gouvernement. C'est comme cela, entre Ivoiriens, avec le président Gbagbo, que s'est dessinée cette répartition. Il se trouve que de retour à Abidjan, cette décision n'a pas été comprise. Il faut dire qu'elle n'a pas été beaucoup expliquée à Abidjan.
Q - Elle vous a semblé logique, à Paris, quand elle a été établie à Paris ?
R - La France, à aucun moment, ne s'initie dans les affaires intérieures des responsables ivoiriens. La France appuie les médiations africaines. La France apporte son soutien. La France apporte son énergie. La France est mobilisée pour aider à trouver un chemin. A partir de là, c'est finalement ce qui est important, c'est ce qui se passe et ce qui va se passer, il y a, sous l'égide du nouveau président du CEDEAO, M. Kofor, le président du Ghana, qui ne cesse de multiplier les efforts depuis déjà plusieurs semaines pour faire avancer des pourparlers qui se sont engagés, à Accra, à Yamoussoukro, réunissant à la fois le président Gbagbo, les différents partis représentants les rebelles et l'ensemble de la classe politique ivoirienne, pour former un gouvernement. M. Diara a été confirmé comme chef du gouvernement d'union nationale et il essaie de constituer son gouvernement. Qu'attendons-nous ? La France, je l'ai dit, a pris ses responsabilités. Nous attendons que les Ivoiriens prennent les leur. Et c'est bien cela l'enjeu des prochains jours, la capacité à créer un gouvernement d'union nationale qui permet au pays de sortir de la crise, qui permet au pays de cesser d'être coupé en plusieurs morceaux, c'est bien là l'enjeu pour les Ivoiriens, c'est à cela qu'ils aspirent, tous autant qu'ils sont.
Q - Et le président Gbagbo vous paraît un interlocuteur ou un acteur fiable pour mener cette...?
R - Le président Gbagbo est le président de la Côte d'Ivoire et il a des grands mérites, cela aussi il n'a pas été suffisamment...
Q - Vous l'avez dit vous-même, il a peu expliqué les accords de Marcoussis, c'est un euphémisme ?
R - Il a commencé à le faire dans sa dernière intervention.
Q - Sur l'accord, pour dire qu'il récusait un certain nombre de dispositions-clé de cet accord ?
R - Avançons pas à pas. Essayons de faire en sorte que chaque jour nous puissions nous rapprocher de l'objectif de réconciliation qui est celui de la Côte d'Ivoire. Ce qui est important, c'est que dans l'accord qui a été conclu à Paris, toutes les prérogatives du président ivoirien ont été respectées. L'intégrité territoriale a été respectée, la constitution ivoirienne a été respectée. C'est dans ce cadre-là que nous nous situons et nous attendons maintenant, tant du président Gbagbo que du côté de l'ensemble des partis politiques y compris les rebelles, que chacun mette la Côte d'Ivoire au-dessus des querelles. La Côte d'Ivoire mérite mieux que le spectacle qui a été donné depuis de longs mois. La Côte d'Ivoire, l'ensemble des Ivoiriens aspirent à cette paix et à cette réconciliation. Et nous avons même mobilisé la communauté internationale, pour organiser et préparer la reconstruction. A Paris, il y avait des représentants de tous les Etats. Les Etats-Unis étaient là, le Japon était là, les organisations financières étaient là, la Commission européenne était là, prête à apporter 400 millions d'euros pour la reconstruction de la Côte d'Ivoire. C'est dire à quel point la France est mobilisée pour appuyer aujourd'hui un chemin pacifique.
Q - Vous n'avez pas le sentiment que l'on est dans l'impasse aujourd'hui ?
R - Nous avons, dans quelques jours, à la fin de la semaine prochaine, le Sommet France-Afrique. Nous voulons croire que le président Gbagbo pourra venir à ce Sommet France-Afrique. Nous souhaitons qu'il vienne emportant une solution. Vous savez, en politique comme en diplomatie, la volonté c'est la clé. Ce que nous disons aujourd'hui c'est que c'est possible. Il n'y a rien aujourd'hui qui empêche le président Gbagbo, tous les partis politiques et le Premier ministre, de constituer ce gouvernement. Nous avons des contacts avec l'ensemble des acteurs et je peux dire aujourd'hui c'est possible. Il leur appartient ensemble de trouver la solution.
Q - A ce sommet, vous avez invité le président du Zimbabwe, M. Robert Mugabe, qui fait l'objet de sanctions européennes depuis deux ans, qui lui interdisent d'ailleurs de venir normalement en Europe. Pourquoi avoir invité un tel dictateur. La décision est dénoncée en France et en Afrique ?
R - Le Sommet France-Afrique est un Sommet qui réunit l'ensemble des chefs d'Etat de l'Afrique. Comme vous le dites, il y a eu des sanctions qui ont été votées. La France a participé à ces sanctions contre le Zimbabwe. Il y a un certain nombre de clauses d'exception et par ailleurs, il y a quelques jours, ces sanctions arrivaient à expiration. Nous avons choisi et nous l'avons invoqué cela avec nos amis britanniques, de reconduire ces sanctions et nous avons demandé et obtenu, l'accord de tous pour que le président Zimbabwéen puisse venir à Paris, pourquoi ? Parce qu'il y a une solidarité en Afrique. Il y a une solidarité de l'Afrique australe et que si le président du Zimbabwe n'était pas venu, d'autres menaçaient de ne pas venir. Et nous sommes soucieux aujourd'hui de faire avancer l'ensemble de l'Afrique et nous sommes convaincus que les messages que nous pourrons passer au président zimbabwéen pourront peut-être aider à la recherche d'une solution à cette crise. C'est donc une exigence, bien sûr de cohérence, nous votons les sanctions mais c'est aussi une exigence qui consiste à prendre nos responsabilités sur le plan diplomatique. L'idée de ces "à l'écart", un membre de la Communauté internationale, dès lors qu'on ne peut pas lui faire passer des messages, ne nous paraît pas une bonne idée.
Q - La semaine a été dominée par ce débat sur la réforme du mode de scrutin avec l'épilogue qu'on a connu. Avec l'engagement du 49.3 et de la responsabilité du gouvernement. Est-ce que vous n'avez pas le sentiment, puisqu'on a beaucoup parlé de l'Iraq et des Etats-Unis, qu'au fond l'UMP fait à l'UDF dans cette affaire, ce que les Etats-Unis essaient de faire à la communauté internationale, c'est-à-dire de passer en force ?
R - Soyons réalistes. Dans cette affaire de mode scrutin, qui ont pour objectif de permettre justement à ces scrutins d'être plus démocratiques. Le gouvernement a été confronté à une solution extrêmement difficile, à un blocage. 12 000 amendements. Il aura fallut 170 jours au Parlement pour régler l'ensemble de ces amendements. Le réalisme a conduit le gouvernement à prendre ses responsabilités. C'est ce qu'il a fait.
Q - Et sur le fonds de la réforme ?
R - Je l'ai dit, il s'agit d'avoir des modes de scrutin plus démocratiques, qui permettent à la démocratie de fonctionner mieux, plus efficacement. La démocratie n'est pas une photographie. La démocratie, c'est de permettre harmonieusement le fonctionnement des institutions.
Q - Un suffrage universel vous tente ?
R - Absolument pas. J'ai reçu du président de la République et du Premier ministre une mission. Je suis là le temps de cette mission.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 février 2003)