Interview de M. Jean-François Mattéi, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, à RMC le 22 novembre 2002, sur la réforme de la gestion hospitalière et la pénurie de personnels hospitaliers.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

J.-J. Bourdin-. Parlons de l'hôpital public. Nous sommes tous concernés. Vous voulez instaurer à l'hôpital public une culture du résultat et vous avez dans la tête d'intéresser le personnel aux résultats. Est-ce vrai ?
- "C'est tout à fait vrai, mais ce n'est pas nouveau. C'est une disposition qui devrait, à mon avis, rencontrer l'unanimité, puisqu'elle figure déjà dans la loi hospitalière de 1991 présentée par C. Evin, ministre socialiste. Elle a été reprise en 1996 au moment des dispositions du plan Juppé et elle n'a pas été mise en oeuvre aujourd'hui, et je pense que les esprits s'y sont acclimatés. Le personnel doit, en effet, être intéressé à la marche de son établissement."
Mais concrètement, comment est-ce que cela pourrait se traduire ?
- "Ce n'est qu'un des aspects et qui, d'ailleurs, n'est pas acquis. J'ai mis ça sur la table."
Mais concrètement ?
- "Concrètement, quand un établissement gère mieux et réalise des économies, il faut, naturellement d'abord, que cela profite à la structure pour qu'elle puisse réinvestir, mieux s'équiper, se rénover, et puis il faut, sans doute, que l'ensemble du personnel soit intéressé à cela."
A la fin du mois ?
- "A la fin du mois ou à la fin de l'année."
Investissement : 1,2 milliard d'euros par an pendant cinq ans pour l'hôpital public.
- "C'est le chiffre, mais c'est le chiffre supplémentaire car il y a chaque année déjà 2,7 milliards. On y ajoute 1,2 milliard. Ce qui veut dire qu'on va doubler les établissements nouveaux, les constructions nouvelles."
On va parler rapidement du temps de travail et de l'organisation de l'hôpital. Le temps de travail, c'est l'application des RTT, établissement par établissement. La conséquence, c'est l'obligation de réorganisation ?
- "Oui. Je crois que sur la réduction du temps de travail, c'est un acquis social. Il n'est évidemment pas question d'y revenir. Simplement, permettez-moi de penser - et ce n'est pas dans un esprit polémique que je le dis - que, dans un hôpital qui avait déjà une pénurie de personnel, lui imposer brutalement, le 1er janvier 2002, les trente-cinq heures, on voit bien que ce n'est pas possible. Cela n'a pas été préparé, cela n'a pas été accompagné et aujourd'hui, j'ai devant moi des personnels dévoués et compétents qui voudraient bien profiter de leurs trente-cinq heures et qui ne peuvent pas. Donc, je suis en négociation actuellement avec les syndicats pour voir quelles seraient les mesures d'assouplissement nécessaires là où on en a besoin. Quand les trente-cinq heures peuvent s'appliquer tout de suite, on les applique. Le but, c'est de les appliquer."
Mais il faut du personnel dans les hôpitaux !
- "Mais bien entendu."
Il y a trop de personnel administratif dans les hôpitaux !
- "Pas toujours. Il ne faut pas non plus tomber dans les schémas. On n'est pas toujours trop haut non plus sur les personnels techniques. Il faut qu'on voit cela. Mais, en tout cas, je sais qu'il manque du personnel soignant et des infirmières, bien entendu. "
On parle de 12 à 20 000 postes d'infirmières. Qu'allez-vous faire ?
- "Dans un premier temps, nous avons augmenté le nombre d'infirmières formées chaque année. On est passé de 16 000 à 26 000 en deux ans, ce qui est quand même intéressant. Et là au moins, cela ne dure que trois ans de formation. Et donc, dans dix-huit mois, nous devrions avoir les premiers contingents plus importants. Deuxièmement, ce qui est plus grave, c'est que cette profession n'a plus la même réactivité qu'avant parce que c'est plus difficile, c'est plus pénible, plus contraignant, ce n'est pas toujours assez rémunéré et surtout, il n'y a pas toujours la reconnaissance, au regard du métier qui est fait. Donc, je vais m'atteler à cela, naturellement."
Comment ?
- "J'allais vous donner un exemple : on a des jeunes femmes qui sont infirmières qui peuvent aussi - ça arrive - avoir des enfants. Est-ce que vous ne croyez pas indispensable de prévoir dans tous les projets d'établissement, une crèche pour le personnel. Cela existe déjà, mais figurez-vous que ce n'est pas la règle. C'est invraisemblable. On va évidemment organiser les établissements pour que les patients y soient mieux et que les personnels y soient mieux aussi."
On manque d'infirmières, on manque de médecins hospitaliers. Je prends l'exemple du service de cancérologie à l'hôpital de Bobigny : il n'y a plus d'infirmière de nuit parce qu'il n'y a pas de personnel.
- "C'est vrai qu'il manque de personnel et c'est vrai aussi que certains établissements, certaines structures, parce qu'il y a des gestions particulières, des spécialités médicales particulières, attirent plus ou moins. Je vous assure qu'aujourd'hui - c'est très intéressant de regarder - il y a des hôpitaux où il n'y a pas de pénurie de personnel parce que, probablement, l'ambiance, l'attractivité, les spécialités sont telles qu'elles attirent davantage."
Est-ce que dans les années qui viennent, les infirmières seront mieux payées ?
- "Je pense qu'il faudra certainement revaloriser leur travail. Moi, je ne peux pas prendre un engagement de ministre, là, maintenant, en vous disant "oui" parce que, évidemment, on me le reprocherait ailleurs, mais ce que je sais, c'est qu'il faut revaloriser leur métier. Et ce que nous allons commencer de faire, c'est que les infirmières pourront suivre leur première année avec les étudiants en médecine, avec les étudiants en pharmacie ; toutes les professions de santé auront une première année universitaire, ce qui est déjà une revalorisation de leur métier."
Il y a une autre inégalité en France, c'est l'équipement des hôpitaux. C'est vrai que certains hôpitaux ne sont pas trop mal équipés ; d'autres sont très mal équipés. En France, nous sommes lanterne rouge en Europe pour l'imagerie médicale : est-ce acceptable ?
- "On ne l'est plus tout à fait, mais presque. Vous êtes, pour le moment, en train de me démontrer que toutes les contraintes de l'hôpital ne lui permettent pas de s'adapter. Nous avons jusqu'à présent vécu sur la planification hospitalière. Et cette planification hospitalière, est-ce que vous savez sur quoi elle repose ? Justement sur les équipements qui ont été attribués sur des critères dépassés, sur le nombre de lits. Ce n'est plus possible. Je veux assouplir cela. Il faut donner de l'air, il faut donner de la souplesse et la capacité de s'adapter aux hôpitaux. Et naturellement, il y aura un rattrapage. J'ajoute que le Plan Cancer, que nous allons lancer dès l'année 2003, nous permettra..."
Quand aurons-nous les résultats de l'étude conduite par une commission ?
- "On aura les résultats dans le courant du mois de janvier. Mais je vais anticiper sur certaines actions dès le 1er janvier pour le dépistage de certains cancers génétiques. Et le Plan Cancer commencera effectivement à se mettre en place dans l'année 2003. Et, naturellement, je peux vous dire qu'il y aura un volet équipement, avec radiothérapie, imagerie, pet-scans, etc. Evidemment. Il y a un effort considérable à faire."
Effectivement, il y a un effort à faire, à tel point que, dans le Puy-de-Dôme, pour acheter un pet-scan, c'est la population qui est obligée de se cotiser.
- "Je sais. J'ai reçu les élus. Ne vous inquiétez pas. Je trouve une situation que je ne peux pas redresser d'un seul coup. Ce que je voudrais dire quand même, c'est que l'hôpital public, aujourd'hui, est en difficulté, mais je ne sache pas que quelqu'un se présente à l'hôpital public et ne soit pas pris en charge de manière efficace. Et je veux dire que si l'hôpital public tient encore debout, aujourd'hui, avec les qualités qu'on lui connaît, c'est grâce aux femmes et aux hommes qui l'animent. Donc, je veux qu'ils se trouvent dans des conditions de travail qui leur permettent d'être plus épanouis et d'être fiers de leur métier.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 22 novembre 2002)