Déclaration de M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères, sur l'attachement de la France et de l'Union européenne à la stabilité du Sud Caucase, au règlement du conflit du Haut-Karabakh entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, Erevan le 5 octobre 2002.

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Circonstance : Voyage dans le Sud Caucase de M. Renaud Muselier du 30 septembre au 5 octobre 2002 : visite en Arménie les 4 et 5 octobre et inauguration d'une filière de l'Université française à Erevan le 5

Texte intégral

Permettez-moi tout d'abord de vous dire combien je suis heureux de pouvoir m'exprimer devant vous aujourd'hui en ce lieu si prometteur. De concept théorique, l'Université française en Arménie est en effet devenue en moins de deux ans un pôle de formation de grande qualité, déjà reconnu bien au-delà de ses frontières.
Cette université, dont la réputation traduit aussi celle de ses étudiants, n'a pu atteindre ce degré d'excellence et de notoriété que grâce au soutien constant qui lui a été prodigué à tous les niveaux : au premier chef, le président Kotcharian qui l'a inaugurée en juillet 2000 et le président Chirac qui lui assure son concours permanent ; mais aussi au niveau des élus nationaux et je salue ici le formidable travail du président Bagdassarian, dynamique président de l'Université et du groupe d'amitié franco-arménienne à l'Assemblée nationale. Côté français, le rôle déterminant du Sénat et de la ville de Marseille doit être relevé. L'implication constante de la Chambre de Commerce et d'Industrie de Lyon, de l'Université Lyon III ou bien encore de l'Ecole supérieure d'ingénieurs de Marseille, dont j'ai inauguré hier la nouvelle filière au sein de l'Université, doit être soulignée. Pour ma part, je suis heureux d'annoncer ma contribution à l'équipement informatique de l'Université, à hauteur de 10 000 euros.
Pour nous tous, à Erevan, Bakou ou Tbilissi comme à Paris, les attentats qui ont frappé, le 11 septembre 2001, les Etats-Unis, ont, au-delà des sentiments partagés d'horreur et d'indignation, changé le regard que nous portions sur notre monde et sur son organisation. Non qu'ils aient ébranlé des certitudes ou remis en cause un ordre bien établi. Car depuis dix ans et la fin de la division bipolaire du monde, le système international donnait l'impression de se chercher, de s'interroger sur les formes nouvelles qui permettraient à la communauté des Nations de tirer le meilleur parti de la disparition des idéologies totalitaires.
Dans l'enthousiasme accompagnant alors la naissance de nouveaux Etats, même si celle-ci se fit parfois dans la douleur, vous le savez mieux que quiconque ici, cette réflexion allait son cours, sans précipitation, d'autant que l'élargissement de l'OSCE avait semblé en 1992 apporter une première réponse à cette nouvelle donne.
Le 11 septembre a brutalement fait naître chez chacun d'entre nous et dans chacun de nos pays un sentiment d'urgence : répondre rapidement à une menace si difficile à localiser et à évaluer mais aussi y voir plus clair dans l'organisation du monde.
La France, - je pense en particulier au discours prononcé par le ministre des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, devant l'Assemblée générale des Nations unies, le 12 septembre -, a souligné cette urgence et entend participer pleinement au débat qu'elle requiert. Je voudrais saisir l'occasion qui m'est donnée ici de m'exprimer, pour réfléchir avec vous d'abord à ce que la tragédie du 11 septembre nous a appris et en quoi elle concerne le Sud-Caucase, puis aux réponses qu'ensemble, vous-même comme la communauté internationale et au premier chef la France, nous pouvons essayer d'y apporter.
L'Europe et la France n'ont certes pas attendu le 11 septembre pour mesurer l'enjeu que représentent pour elles la situation et l'avenir du Caucase du sud : parce qu'elle est par son histoire zone de rencontres et de mélange des cultures, mais aussi point de passage entre plusieurs espaces géographiques - Europe, Asie, Moyen-Orient - votre région est aussi à ce titre plus vulnérable. Ni la France, ni ses partenaires de l'Union européenne ne peuvent être indifférents à l'existence, dans cette région, de lieux de conflits non résolus qui sont autant de zones de non droit susceptibles de donner naissance à des trafics de toutes sortes - drogues, armes - ou d'abriter des criminels et des terroristes.
Je pense par exemple à la vallée de Pankissi dont les forces géorgiennes s'efforcent d'assurer le contrôle et de réduire les phénomènes mafieux ou terroristes qui sont sources de préoccupation pour Tbilissi mais aussi pour les pays voisins.
La stabilité et le développement de votre région représentent également des enjeux qui dépassent largement l'espace caucasien : force et richesse des liens historiques et culturels, proximité de l'Union européenne élargie, enjeu des ressources énergétiques pour l'approvisionnement de l'Europe occidentale.
Le Sud-Caucase, comme les autres pays de l'ex-URSS, a fait l'expérience depuis dix ans d'une transition vers les valeurs de démocratie et de liberté qui, même si elles avaient trouvé refuge dans bien des coeurs, n'étaient pas celles sur lesquelles étaient bâties les sociétés communistes. Ces valeurs y sont à présent bien ancrées, j'en veux pour preuve l'admission simultanée au Conseil de l'Europe de votre pays et de l'Azerbaïdjan en janvier 2001.
Dans ce monde réconcilié en apparence, il existe partout un terreau propice à l'extrémisme et à la violence : l'humiliation dont peuvent se sentir victimes certaines populations, certains individus, la pauvreté qui les frappe. L'histoire laisse sur les peuples et sur les hommes des blessures dont on a parfois tendance à oublier qu'elles sont très longues à se refermer. L'Arménie et les Arméniens le savent, comme peuvent le savoir aussi, d'une autre façon peut-être, les Azerbaïdjanais et les Géorgiens touchés par la répression de leur foi, par les violences du totalitarisme ou par les rigueurs de la difficile transition que cette région connaît depuis 10 ans. Quand bien même les Etats parviendraient à surmonter les séquelles de ce passé, elles peuvent encore faire naître ou renaître, ici ou là, fanatisme et esprit de revanche, autant de ressorts d'un recours à la violence individuelle ou organisée dont le Caucase a malheureusement eu à souffrir par le passé.
Comment la France voit-elle dans ce contexte la situation du Sud-Caucase ? Les conflits qui le déchirent et entravent aujourd'hui son développement sont pour la France et l'Union européenne une cause de préoccupation car elles sont attachées à la stabilité d'une région vitale par sa position historique et géographique.
La communauté internationale, à travers l'ONU et l'OSCE, y est pour cette raison engagée depuis les indépendances. La France est particulièrement mobilisée en raison de ses responsabilités au sein du Conseil de sécurité et en tant que coordonnateur du Groupe des amis du Secrétaire général des Nations unies pour la Géorgie, mais aussi en raison de sa participation, sous l'égide de l'OSCE, à la co-présidence du Groupe de Minsk qui aide à la recherche d'une solution juste et durable au conflit du Haut-Karabakh.
La France se sent investie d'une responsabilité particulière dans la région, non pour imposer une paix de l'extérieur, non pour faire renaître des clivages d'un autre temps qui ne pourraient que conduire à de nouvelles confrontations, mais parce qu'elle entretient des relations particulières empreintes de chaleur et d'estime envers les trois pays du Caucase du Sud. Il est dans ces conditions de sa responsabilité de tout mettre en oeuvre pour que des pays voisins puissent être accompagnés par un pays ami dans leur cheminement vers la paix.
C'est là l'origine de l'engagement personnel et permanent du président de la République sur le dossier du Haut-Karabakh, qui a conduit à la relance du processus de négociation début 2001 grâce aux rencontres qui se déroulées sous son égide à Paris. C'est là aussi la source de l'initiative du président du Sénat français que je veux ici saluer, qui réunit régulièrement dans le Sud-Caucase ou en France les trois présidents des Parlements sud-caucasiens. C'est cette vision d'un Caucase du sud dialoguant, coopérant, s'entraidant, que la France, dans tous les domaines, cherche à promouvoir.
Certains critiquent l'action de la communauté internationale qui se heurte, il est vrai, à des situations complexes, à des antagonismes qui semblent irréductibles. Leurs résultats sont jugés décevants, leurs efforts de médiation sont parfois mal acceptés, voire jugés partiaux. Sans écarter ces critiques, je voudrais dire que nul ne doit oublier, dans ce Sud-Caucase qui a eu tant à souffrir dans son histoire des appétits des puissances et des impérialismes, que cet engagement de la communauté internationale doit être vu comme un gage de justice et de paix et qu'il doit, c'est essentiel, être soutenu par chacun d'entre vous.
Si elle est d'une autre nature que celle des organisations précitées de sécurité internationale, l'implication de l'Union européenne peut être également une chance pour le Sud-Caucase. Premiers donateurs dans les trois pays de la région - la France y participe pour 17 % - l'Union et ses pays membres font des efforts constants pour adapter leur assistance aux besoins par un dialogue continu avec les autorités des trois pays. La tenue à Bruxelles, le 1er octobre, des conseils de coopération entre l'Union européenne et ses trois partenaires du Sud-Caucase, la visite ici de la Troïka ministérielle à partir du 7 octobre, en témoignent. Mais l'Union européenne représente davantage qu'un bailleur de fonds, elle propose une expérience unique de paix et de coopération à laquelle son histoire ne semblait pas la prédestiner. Cette expérience inspire sa vision du monde, qui repose sur le dialogue, l'ouverture à la diversité des cultures, la conviction qu'un équilibre est possible entre performances économiques et préoccupation sociale. C'est cette vision aussi qui l'incite à s'engager davantage au Sud-Caucase et la France est bien sûr l'avocate de cet effort.
Votre région ne pourra construire son avenir sans les concours des pays voisins que sont l'Iran, la Russie et la Turquie. Ils ont été dans l'histoire tantôt des dominateurs, tantôt des protecteurs, tantôt des recours. Pourquoi ne pourrait-on espérer aujourd'hui qu'ils deviennent des partenaires ? C'est en tout cas comme tels que la France et l'Europe, dénuées de toute visée stratégique, entendent les inciter à agir en plaidant en faveur de la coopération régionale d'initiatives de toutes natures qui aident au dialogue des peuples et de leurs dirigeants. L'interdépendance vaut pour le Sud-Caucase également et chacun doit pouvoir comprendre qu'il n'est pas possible d'employer à son égard la menace de la force en la condamnant ailleurs ou d'encourager les séparatismes à l'extérieur en les combattant chez soi. Chacun de ces trois grands voisins doit voir ses préoccupations légitimes de sécurité reconnues mais doit aussi reconnaître le droit à la stabilité, à la paix et au développement des Etats du Sud-Caucase.
C'est des pays du Sud-Caucase et d'eux seuls que peut venir la réponse aux défis nouveaux de l'après 11 septembre.
Elle suppose d'abord que la lutte contre le terrorisme soit poursuivie avec la même détermination et que soit maintenu l'esprit de coopération dont ont fait preuve les trois pays de la région à l'égard de la coalition internationale contre ce fléau. La France est à cet égard particulièrement reconnaissante des facilités qui lui ont été accordées pour participer à la stabilisation de l'Afghanistan. La lutte contre le terrorisme suppose aussi un Etat fort et respecté. La lutte contre la corruption, la réduction des zones de non droit, la poursuite des réformes dans lesquelles se sont engagés les trois Etats du Sud-Caucase, en conditionnent l'efficacité. Ce combat, plus qu'aucun autre, suppose aussi qu'une coopération se noue entre Etats voisins, au Sud-Caucase comme dans d'autres régions du monde. Je connais les obstacles auxquels se heurte ici l'idée même d'une telle coopération, les préalables que posent les uns et les autres, avec des arguments qui, bien sûr, ne sont pas futiles.
Mais l'occasion ne doit-elle pas être saisie de mesurer aujourd'hui tout ce qui rapproche plutôt que d'insister sur ce qui sépare ces trois peuples qui habitent et font la richesse du Sud-Caucase depuis des siècles ? Face à une menace redoutable pour chacun d'entre eux - celle des réseaux criminels ou terroristes - n'est-il pas temps pour eux de voir à quel point ils partagent, au-delà des différences de culture, des valeurs identiques et la même aspiration au développement, à la stabilité, à la paix.
C'est ce message que la France a souhaité à nouveau adresser à l'Arménie comme aux deux autres pays du Sud-Caucase et à leurs voisins.
Je suis particulièrement heureux qu'il s'adresse à vous qui représentez l'avenir de ce pays et tout spécialement en ce lieu, qui, je tiens à vous le réaffirmer, participe à sa façon au futur de l'Arménie comme de l'ensemble de la région.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 octobre 2002)