Texte intégral
S. Paoli-. Sur les questions d'une probable guerre contre l'Irak, de l'évolution de l'économie du monde confrontée à cette crise, sur la prédominance américaine remise en cause par la France, l'Allemagne, la Russie et aujourd'hui la Chine, mais aussi sur la question des retraites, de la réforme des modes de scrutin, sur les licenciements, le Parti socialiste parlera-t-il d'une seule voix ? Où en est la préparation du prochain congrès de Dijon ? M. Aubry, n'avez-vous pas le vertige devant l'ampleur des questions qui se posent devant nous tous aujourd'hui ? Comment, au fond, le Parti socialiste se positionne-t-il sur des questions de cette nature ?
- "Je crois qu'on ne peut pas, aujourd'hui, regarder le monde et regarder la France sans être inquiet devant un monde menaçant à cause de la guerre, menaçant parce que la misère, les inégalités sont sans cesse plus grandes. Et c'est vrai qu'aujourd'hui, on se rend compte de plus en plus de l'intérêt du politique, c'est-à-dire de redonner un vrai sens collectif à nos sociétés qui en perdent, de redonner le sens de valeurs. C'est vrai qu'aujourd'hui, je suis assez angoissée dans la façon dont je perçois les problèmes. Je pense qu'il faut, peut-être encore qu'hier, une gauche qui soit capable de remettre en avant des valeurs collectives de solidarité, de fraternité, qui en appelle à la raison mais aussi au coeur, alors que je trouve qu'aujourd'hui le Gouvernement replie sur soi les Français, accroît encore les peurs. Et je crois que c'est cela, finalement, le vrai débat entre la droite et la gauche aujourd'hui."
D'abord, peut-être, priorité à l'actualité, au moment où on entend O. Ben Laden adresser de nouveau des messages. La position de la France est tout de même la remise en cause de la prédominance américaine ; à l'initiative de la France, l'Allemagne, la Russie, la Chine contestent l'espèce d'hyperpuissance américaine. Qu'en dites-vous ? Quelle est la position du Parti socialiste sur ces questions ?
- "La position de la France aujourd'hui, ce n'est pas tant la volonté de remettre en cause la prédominance des Etats-Unis, c'est la volonté, tout simplement, de dire qu'il y a des règles de droit international, que nos pays - et notamment les Etats-Unis, plus grand pays démocratique, nous dit-on, du monde - se sont battus pour que ce soit les règles de droit qui fixent les rapports entre les nations. Or, aujourd'hui, ce même pays voudrait, alors qu'aucune justification au regard du droit international n'est aujourd'hui prouvée, se lancer dans une guerre dont les motifs sont multiples, et en tout cas, seraient incompris et auraient des conséquences majeures pour le peuple irakien, pour le Proche-Orient qui souffre déjà tant, et pour le monde. On voit bien qu'aujourd'hui, si on veut faire un cadeau aux terroristes, on n'a qu'à se lancer dans une guerre injuste et injustifiée. Alors, bien sûr, nous voulons le démantèlement, si nécessité il y a, car aujourd'hui il n'y a pas de preuves, des armes chimiques par exemple si elles existent. Que ce démantèlement, s'il doit avoir lieu, se fasse sous le contrôle des Nations unies et des inspecteurs. Bien sûr, nous souhaiterions un régime plus démocratique en Irak mais essayons d'y aller par la voie pacifique. Bref, faisons en sorte que ce que les démocraties ont toujours défendu, nous soyons aujourd'hui capables de les faire vivre au niveau du droit international."
S'agissant de la politique menée par J. Chirac, est-ce qu'il est difficile aujourd'hui , pour une femme de gauche, de dire que c'est à cette politique-là qu'on souscrit ou est-ce que vous avez des réserves là-dessus ?
- "Moi, à chaque fois que la France se bat pour la paix, se bat contre cette guerre-là - parce qu'il y a des guerres qui sont parfois nécessaires - je dis oui, bien sûr. Ce que j'attends du Gouvernement, comme la très très grande majorité des Français, et du président de la République, c'est qu'il continue sa pression sur les Etats-Unis, sur les différents membres du Conseil de sécurité."
Avez-vous une crainte qu'on puisse un jour prendre en compte ce qui suivra la guerre, c'est-à-dire les enjeux économiques, la géopolitique ?
- "Ces derniers jours ont montré une position plus ferme de la France et je m'en réjouis. Mais on avait senti quelques cycles dans la pensée du président de la République et du Premier ministre et les paroles du ministre des Affaires étrangères. Donc, j'espère que nous irons jusqu'au bout si nécessaire, c'est-à-dire utiliser notre droit de veto contre une guerre qui, encore une fois, aujourd'hui, n'apparaît pas justifiée et qui, si elle l'était, si certains éléments apparaissaient, devrait se faire par un démantèlement sous le contrôle de l'ONU."
Là, est-ce que c'est M. Aubry qui parle ou c'est une femme engagée dans une réflexion politique qui serait celle du Parti socialiste ?
- "C'est celle du Parti socialiste. Nous avons dit très clairement que nous souhaitions que le Gouvernement continue son action et aille jusqu'au droit de veto, le fasse aussi de manière démocratique avec un débat au Parlement. Et je crois que quand on est devant des débats aussi importants, je n'ai aucun doute, comme je n'ai eu aucun doute le 21 avril au soir pour dire qu'il fallait voter J. Chirac, même si cela fait parfois mal, surtout quand on voit ce qui se passe aujourd'hui. Mais il faut choisir son camp ; aujourd'hui, notre camp c'est celui de la paix ou en tout cas d'être contre cette guerre. Nous serons, à l'appel de tous, le 15 février, dans cette grande manifestation. Je crois que l'opinion publique a un rôle majeur à jouer, notamment en France, au cas où on aurait des tentations de changer d'avis."
Derrière cela - c'est peut-être d'ailleurs en train se de préparer maintenant, à l'instant où nous parlons -, c'est un nouveau partage du monde qui se dessine, donc une nouvelle vision des grands enjeux, de l'économie, de ce que cela signifie. Là-dessus, qui parle ? C'est M. Aubry ou c'est le Parti socialiste ? Est-ce que vous êtes d'accord avec F. Hollande ou est-ce que dans la préparation du prochain congrès de Dijon, il y a encore des choses à résoudre ?
- "Je crois que la force de la gauche, et notamment du Parti socialiste, c'est d'avoir le courage de mener ces débats en son sein. Le problème n'est pas de savoir si on est d'accord ou pas d'accord, si on aime bien ou si on n'aime pas. Je suis aujourd'hui, après le 21 avril qui a été un choc très rude, dont j'ai eu beaucoup de mal à me remettre - je ne sais d'ailleurs pas si j'en suis encore totalement remise -, où finalement malgré un bilan dont je reste fière avec L. Jospin, nous nous sommes rendus compte, en y réfléchissant, que certains s'étaient sentis oubliés, abandonnés - je pense aux salariés modestes, je pense à ceux qui vivent aujourd'hui dans des conditions difficiles dans nos cités. Et puis surtout, il y a une crise profonde de notre société, avec un individualisme, un corporatisme qui monte, un traitement dans l'urgence au lieu de préparer le long terme, une impuissance des politiques, une espèce d'absence de morale généralisée. Par rapport à tout cela, pensez bien que le sujet n'est pas de savoir si on est d'accord avec tel ou tel, c'est de savoir si la gauche demain sera capable de dire après Dijon, avec, au coeur, le Parti socialiste "nous avons des réponses", comment retrouver un sens collectif aux Français, comment leur dire que l'important n'est pas, comme le dit monsieur Sarkozy aujourd'hui, d'avoir peur de son voisin, de dire "faites-moi confiance, je résous tout, je fais voter des lois", avec une espèce de prurit législatif sur la sécurité... Mais de dire comment nous voulons vivre ensemble, comment aujourd'hui lutter contre les inégalités de plus en plus fortes, confortées par l'action du Gouvernement, comment voulons-nous avoir un rôle pour que l'Europe existe. On voit bien, aujourd'hui, combien on a besoin d'une Europe forte qui soit capable de faire entendre sa voix dans le monde."
Qui portera cette parole ? Vous n'avez pas tout à fait répondu à ma question. Il y a quand même eu beaucoup de contributions, il y aura des motions, il y a un homme ou une femme qui va porter cela, qui ? Vous ? F. Hollande ?
- "J'espère que ce sera F. Hollande. Mais pour cela, nous y travaillons, et encore une fois, qu'on ne nous taxe pas de tergiversations, parce que nous sommes en train de débattre. Moi, par exemple, je pense très profondément que nous avons besoin d'aider ceux qui, aujourd'hui, salariés modestes, se lèvent tous les matins, payent des transports, la garde de leurs enfants et aujourd'hui n'arrivent pas à vivre. Ils sont humiliés parce que leur travail ne leur permet pas de vivre. Pour augmenter les salaires, il ne suffit pas de le dire. Si on ne veut pas porter atteinte aux entreprises, il faut donner aux entreprises de main-d'oeuvre des moyens de le faire. Il faut faire en sorte, par exemple, que leurs cotisations sociales soient plus basses que les entreprises qui utilisent plus de technologies et moins de salariés. Cela entraîne une réforme de l'assiette des cotisations sociales. Va-t-on la faire ou pas ? Si on ne la fait pas, ce n'est pas la peine de parler d'augmentation des bas salaires. Le gouvernement Raffarin nous parle de décentralisation ; nous disons qu'elle doit être démocratique. Je crois que nous avons raison parce que donner des pouvoirs aux régions, aux départements, aux villes, quand les plus pauvres sont celles qui ont le plus de problèmes, s'il n'y a pas de péréquation financière, c'est-à-dire si on ne prend pas aux riches pour donner aux pauvres avec une garantie de l'Etat, demain c'est la rupture d'égalité. On n'aura pas les mêmes conditions de travail à l'école, on n'aura pas les mêmes conditions pour accéder à la santé dans les hôpitaux. Alors oui ou non, le Parti socialiste propose-t-il qu'il y ait cette grande péréquation, c'est-à-dire une plus grande égalité entre les régions riches et pauvres dans notre pays ? Voilà des questions dont nous parlons. Et puis j'irais plus loin : on parle de citoyenneté et de démocratie, à un moment où le Gouvernement - je le dis comme je le pense, moins fortement que monsieur Bayrou, qui parle de "tripatouillage" et autres - bafoue la démocratie en changeant le mode de scrutin. Si on veut effectivement de la citoyenneté, de la responsabilité, il faut respecter chacun dans notre pays. Je le dis franchement, et la gauche, faute de l'avoir dit, a peut-être aussi perdu pour cela : je suis pour le droit de vote des étrangers aux élections municipales, je suis pour la suppression de la double peine, sauf bien sûr dans des actes de terrorisme, de trafic aggravé. Va-t-on le défendre ou non ? A force de ne plus être ce que nous sommes, parce qu'on nous avait dit "attention au Front national", eh bien on l'a eu le Front national le 21 avril. Voilà nos débats."
Le Parti socialiste, jusqu'où et de quel côté ? C'est barre à gauche ou plutôt "allons vers le centre" ? Est-ce que vous avez des réponses ?
- "Les valeurs du socialisme n'ont jamais été autant aujourd'hui d'actualité. La solidarité, au moment où le Gouvernement est doux pour les riches et dur pour les faibles, où il stigmatise la mendicité, les jeunes dans les cages d'escalier, alors même qu'il ne s'occupe pas des licenciés de Metaleurop et de Daewoo, si ce n'est par des mots, en traitant les patrons de voyous. Il nous dit qu'il faut supprimer les égoïsmes sur les retraites, mais en même temps, on sert une clientèle, on place ses amis partout. A partir de là, il faut retrouver les valeurs du socialisme : la solidarité, la fraternité, au niveau de notre pays, au niveau mondial, et là-dessus, nous sommes tous d'accord. A partir de là, sachons proposer des engagements qui soient fermes, sachons dire aux Français : n'ayez pas peur de vos voisins, ouvrez-vous aux autres, défendons ce qui fait la force de notre Europe, c'est-à-dire une Europe humaniste par rapport à des pays qui ne pensent qu'à la puissance économique. Voilà les enjeux de ce congrès. Je suis heureuse que nous en discutions, et je suis convaincue que ces discussions nous mèneront vers une réflexion où les Français, le lendemain de Dijon, diront : "chouette, la gauche revient"."
(Source : premie-ministre, Service d'information du gouvernement, le 12 février 2003)
- "Je crois qu'on ne peut pas, aujourd'hui, regarder le monde et regarder la France sans être inquiet devant un monde menaçant à cause de la guerre, menaçant parce que la misère, les inégalités sont sans cesse plus grandes. Et c'est vrai qu'aujourd'hui, on se rend compte de plus en plus de l'intérêt du politique, c'est-à-dire de redonner un vrai sens collectif à nos sociétés qui en perdent, de redonner le sens de valeurs. C'est vrai qu'aujourd'hui, je suis assez angoissée dans la façon dont je perçois les problèmes. Je pense qu'il faut, peut-être encore qu'hier, une gauche qui soit capable de remettre en avant des valeurs collectives de solidarité, de fraternité, qui en appelle à la raison mais aussi au coeur, alors que je trouve qu'aujourd'hui le Gouvernement replie sur soi les Français, accroît encore les peurs. Et je crois que c'est cela, finalement, le vrai débat entre la droite et la gauche aujourd'hui."
D'abord, peut-être, priorité à l'actualité, au moment où on entend O. Ben Laden adresser de nouveau des messages. La position de la France est tout de même la remise en cause de la prédominance américaine ; à l'initiative de la France, l'Allemagne, la Russie, la Chine contestent l'espèce d'hyperpuissance américaine. Qu'en dites-vous ? Quelle est la position du Parti socialiste sur ces questions ?
- "La position de la France aujourd'hui, ce n'est pas tant la volonté de remettre en cause la prédominance des Etats-Unis, c'est la volonté, tout simplement, de dire qu'il y a des règles de droit international, que nos pays - et notamment les Etats-Unis, plus grand pays démocratique, nous dit-on, du monde - se sont battus pour que ce soit les règles de droit qui fixent les rapports entre les nations. Or, aujourd'hui, ce même pays voudrait, alors qu'aucune justification au regard du droit international n'est aujourd'hui prouvée, se lancer dans une guerre dont les motifs sont multiples, et en tout cas, seraient incompris et auraient des conséquences majeures pour le peuple irakien, pour le Proche-Orient qui souffre déjà tant, et pour le monde. On voit bien qu'aujourd'hui, si on veut faire un cadeau aux terroristes, on n'a qu'à se lancer dans une guerre injuste et injustifiée. Alors, bien sûr, nous voulons le démantèlement, si nécessité il y a, car aujourd'hui il n'y a pas de preuves, des armes chimiques par exemple si elles existent. Que ce démantèlement, s'il doit avoir lieu, se fasse sous le contrôle des Nations unies et des inspecteurs. Bien sûr, nous souhaiterions un régime plus démocratique en Irak mais essayons d'y aller par la voie pacifique. Bref, faisons en sorte que ce que les démocraties ont toujours défendu, nous soyons aujourd'hui capables de les faire vivre au niveau du droit international."
S'agissant de la politique menée par J. Chirac, est-ce qu'il est difficile aujourd'hui , pour une femme de gauche, de dire que c'est à cette politique-là qu'on souscrit ou est-ce que vous avez des réserves là-dessus ?
- "Moi, à chaque fois que la France se bat pour la paix, se bat contre cette guerre-là - parce qu'il y a des guerres qui sont parfois nécessaires - je dis oui, bien sûr. Ce que j'attends du Gouvernement, comme la très très grande majorité des Français, et du président de la République, c'est qu'il continue sa pression sur les Etats-Unis, sur les différents membres du Conseil de sécurité."
Avez-vous une crainte qu'on puisse un jour prendre en compte ce qui suivra la guerre, c'est-à-dire les enjeux économiques, la géopolitique ?
- "Ces derniers jours ont montré une position plus ferme de la France et je m'en réjouis. Mais on avait senti quelques cycles dans la pensée du président de la République et du Premier ministre et les paroles du ministre des Affaires étrangères. Donc, j'espère que nous irons jusqu'au bout si nécessaire, c'est-à-dire utiliser notre droit de veto contre une guerre qui, encore une fois, aujourd'hui, n'apparaît pas justifiée et qui, si elle l'était, si certains éléments apparaissaient, devrait se faire par un démantèlement sous le contrôle de l'ONU."
Là, est-ce que c'est M. Aubry qui parle ou c'est une femme engagée dans une réflexion politique qui serait celle du Parti socialiste ?
- "C'est celle du Parti socialiste. Nous avons dit très clairement que nous souhaitions que le Gouvernement continue son action et aille jusqu'au droit de veto, le fasse aussi de manière démocratique avec un débat au Parlement. Et je crois que quand on est devant des débats aussi importants, je n'ai aucun doute, comme je n'ai eu aucun doute le 21 avril au soir pour dire qu'il fallait voter J. Chirac, même si cela fait parfois mal, surtout quand on voit ce qui se passe aujourd'hui. Mais il faut choisir son camp ; aujourd'hui, notre camp c'est celui de la paix ou en tout cas d'être contre cette guerre. Nous serons, à l'appel de tous, le 15 février, dans cette grande manifestation. Je crois que l'opinion publique a un rôle majeur à jouer, notamment en France, au cas où on aurait des tentations de changer d'avis."
Derrière cela - c'est peut-être d'ailleurs en train se de préparer maintenant, à l'instant où nous parlons -, c'est un nouveau partage du monde qui se dessine, donc une nouvelle vision des grands enjeux, de l'économie, de ce que cela signifie. Là-dessus, qui parle ? C'est M. Aubry ou c'est le Parti socialiste ? Est-ce que vous êtes d'accord avec F. Hollande ou est-ce que dans la préparation du prochain congrès de Dijon, il y a encore des choses à résoudre ?
- "Je crois que la force de la gauche, et notamment du Parti socialiste, c'est d'avoir le courage de mener ces débats en son sein. Le problème n'est pas de savoir si on est d'accord ou pas d'accord, si on aime bien ou si on n'aime pas. Je suis aujourd'hui, après le 21 avril qui a été un choc très rude, dont j'ai eu beaucoup de mal à me remettre - je ne sais d'ailleurs pas si j'en suis encore totalement remise -, où finalement malgré un bilan dont je reste fière avec L. Jospin, nous nous sommes rendus compte, en y réfléchissant, que certains s'étaient sentis oubliés, abandonnés - je pense aux salariés modestes, je pense à ceux qui vivent aujourd'hui dans des conditions difficiles dans nos cités. Et puis surtout, il y a une crise profonde de notre société, avec un individualisme, un corporatisme qui monte, un traitement dans l'urgence au lieu de préparer le long terme, une impuissance des politiques, une espèce d'absence de morale généralisée. Par rapport à tout cela, pensez bien que le sujet n'est pas de savoir si on est d'accord avec tel ou tel, c'est de savoir si la gauche demain sera capable de dire après Dijon, avec, au coeur, le Parti socialiste "nous avons des réponses", comment retrouver un sens collectif aux Français, comment leur dire que l'important n'est pas, comme le dit monsieur Sarkozy aujourd'hui, d'avoir peur de son voisin, de dire "faites-moi confiance, je résous tout, je fais voter des lois", avec une espèce de prurit législatif sur la sécurité... Mais de dire comment nous voulons vivre ensemble, comment aujourd'hui lutter contre les inégalités de plus en plus fortes, confortées par l'action du Gouvernement, comment voulons-nous avoir un rôle pour que l'Europe existe. On voit bien, aujourd'hui, combien on a besoin d'une Europe forte qui soit capable de faire entendre sa voix dans le monde."
Qui portera cette parole ? Vous n'avez pas tout à fait répondu à ma question. Il y a quand même eu beaucoup de contributions, il y aura des motions, il y a un homme ou une femme qui va porter cela, qui ? Vous ? F. Hollande ?
- "J'espère que ce sera F. Hollande. Mais pour cela, nous y travaillons, et encore une fois, qu'on ne nous taxe pas de tergiversations, parce que nous sommes en train de débattre. Moi, par exemple, je pense très profondément que nous avons besoin d'aider ceux qui, aujourd'hui, salariés modestes, se lèvent tous les matins, payent des transports, la garde de leurs enfants et aujourd'hui n'arrivent pas à vivre. Ils sont humiliés parce que leur travail ne leur permet pas de vivre. Pour augmenter les salaires, il ne suffit pas de le dire. Si on ne veut pas porter atteinte aux entreprises, il faut donner aux entreprises de main-d'oeuvre des moyens de le faire. Il faut faire en sorte, par exemple, que leurs cotisations sociales soient plus basses que les entreprises qui utilisent plus de technologies et moins de salariés. Cela entraîne une réforme de l'assiette des cotisations sociales. Va-t-on la faire ou pas ? Si on ne la fait pas, ce n'est pas la peine de parler d'augmentation des bas salaires. Le gouvernement Raffarin nous parle de décentralisation ; nous disons qu'elle doit être démocratique. Je crois que nous avons raison parce que donner des pouvoirs aux régions, aux départements, aux villes, quand les plus pauvres sont celles qui ont le plus de problèmes, s'il n'y a pas de péréquation financière, c'est-à-dire si on ne prend pas aux riches pour donner aux pauvres avec une garantie de l'Etat, demain c'est la rupture d'égalité. On n'aura pas les mêmes conditions de travail à l'école, on n'aura pas les mêmes conditions pour accéder à la santé dans les hôpitaux. Alors oui ou non, le Parti socialiste propose-t-il qu'il y ait cette grande péréquation, c'est-à-dire une plus grande égalité entre les régions riches et pauvres dans notre pays ? Voilà des questions dont nous parlons. Et puis j'irais plus loin : on parle de citoyenneté et de démocratie, à un moment où le Gouvernement - je le dis comme je le pense, moins fortement que monsieur Bayrou, qui parle de "tripatouillage" et autres - bafoue la démocratie en changeant le mode de scrutin. Si on veut effectivement de la citoyenneté, de la responsabilité, il faut respecter chacun dans notre pays. Je le dis franchement, et la gauche, faute de l'avoir dit, a peut-être aussi perdu pour cela : je suis pour le droit de vote des étrangers aux élections municipales, je suis pour la suppression de la double peine, sauf bien sûr dans des actes de terrorisme, de trafic aggravé. Va-t-on le défendre ou non ? A force de ne plus être ce que nous sommes, parce qu'on nous avait dit "attention au Front national", eh bien on l'a eu le Front national le 21 avril. Voilà nos débats."
Le Parti socialiste, jusqu'où et de quel côté ? C'est barre à gauche ou plutôt "allons vers le centre" ? Est-ce que vous avez des réponses ?
- "Les valeurs du socialisme n'ont jamais été autant aujourd'hui d'actualité. La solidarité, au moment où le Gouvernement est doux pour les riches et dur pour les faibles, où il stigmatise la mendicité, les jeunes dans les cages d'escalier, alors même qu'il ne s'occupe pas des licenciés de Metaleurop et de Daewoo, si ce n'est par des mots, en traitant les patrons de voyous. Il nous dit qu'il faut supprimer les égoïsmes sur les retraites, mais en même temps, on sert une clientèle, on place ses amis partout. A partir de là, il faut retrouver les valeurs du socialisme : la solidarité, la fraternité, au niveau de notre pays, au niveau mondial, et là-dessus, nous sommes tous d'accord. A partir de là, sachons proposer des engagements qui soient fermes, sachons dire aux Français : n'ayez pas peur de vos voisins, ouvrez-vous aux autres, défendons ce qui fait la force de notre Europe, c'est-à-dire une Europe humaniste par rapport à des pays qui ne pensent qu'à la puissance économique. Voilà les enjeux de ce congrès. Je suis heureuse que nous en discutions, et je suis convaincue que ces discussions nous mèneront vers une réflexion où les Français, le lendemain de Dijon, diront : "chouette, la gauche revient"."
(Source : premie-ministre, Service d'information du gouvernement, le 12 février 2003)