Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, à Europe 1 le 24 octobre 2002, sur la suspension de la loi de Modernisation sociale, la nomination d'un médiateur délégué aux restructurations et le rôle des partenaires sociaux dans la défense de l'emploi et de la formation professionnelle.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Jean-Pierre Elkabbach.- Et maintenant le social, cela bouillonne en effet, mais d'abord François Chérèque bonjour et j'ai envie de vous poser une question sur le débat sur la sécurité. Le projet de loi de Sarkozy, l'ardente combativité de Nicolas Sarkozy déclenchent et entretiennent un débat sur la sécurité, après la signature aussi des 34 associations qui se plaignent des mesures qui sont prises. Pourquoi vous ne l'avez pas signé vous à la CFDT ?
François Chérèque.- Nous sommes à la CFDT comme beaucoup d'autres très attachés aux droits de l'homme, mais nous ne voulons pas montrer ou donner l'impression que nous ne sommes pas conscients de la réalité de ce qui se passe dans notre pays. Et il faut absolument je crois, restaurer l'autorité de l'Etat, partout où c'est nécessaire dans une période où les Français, les salariés ont encore, en plus la hantise du chômage, on ne va pas leur rajouter en plus une crainte, une angoisse par rapport à la sécurité. Donc il faut restaurer effectivement l'autorité de l'Etat, mais nous disons aussi au ministre, arrêtons les bouc-émissaires, ce n'est pas en faisant des bouc-émissaires que l'on va restaurer cette autorité.
Alors sur le social, vous êtes fixé, François Fillon envoie la loi dite de modernisation sociale au rebus ou à la rouille, vous la refusiez à l'époque de Jospin et Guigou, est-ce qu'aujourd'hui vous applaudissez le retrait de la loi de modernisation sociale ?
Tout le monde à cette époque là, syndicats et patronat on dit, " ce n'est pas une bonne loi, on n'est pas d'accord ". On ne va pas verser aujourd'hui des larmes de crocodile, parce que le gouvernement veut la suspendre. Maintenant ce que nous souhaitons c'est de prendre en main nous, les partenaires sociaux à ce sujet là et négocier des mesures pour éviter ces licenciements.
Il faut dire que François Fillon va suspendre pendant 18 mois les articles de la loi qui allongent les délais pour licencier, est-ce que c'est utile, est-ce qu'il a bien fait, alors que le Medef lui demandait la suppression de la loi ?
Alors le Medef est contradictoire, dans une période il a dit : laissez les partenaires sociaux négocier et aujourd'hui il dit : le gouvernement doit tout faire. Nous sommes en désaccord avec Monsieur Fillon qui propose de suspendre et de laisser simplement les entreprises négocier. Nous ce que l'on dit, c'est qu'il faut en plus une négociation interprofessionnelle, qui concerne toutes les entreprises. Sinon, seules les grandes entreprises qui ont actuellement les moyens vont négocier des plans sociaux et des anticipations des licenciements, comme cela a été fait d'une façon très positive chez Danone, par exemple. Mais on va encore une fois oublier les 85 % de licenciements économiques qui sont surtout dans les petites entreprises et on va encore créer cette inégalité entre les grandes entreprises qui ont les moyens de financer et de reconvertir leurs salariés et les petites entreprises qui n'ont pas les moyens.
Mais pendant ces 18 mois vous ne pouvez pas négocier, vous avez tout le temps de négocier, ou alors vous trouvez que 18 mois, c'est trop long ?
Je le dis très clairement là aujourd'hui, il faut que les partenaires sociaux arrêtent cette partie de cache-cache, où lorsqu'un gouvernement fait une loi, on lui dit : ce n'est pas votre travail, c'est le nôtre, mais on le laisse faire. Et quand un gouvernement dit, eh bien maintenant mettez-vous au travail, on dit, il faut que le gouvernement fasse tout. Donc là il faut faire face à la hantise des Français, face au chômage, qu'ils viennent nous le dire quand ils ont une difficulté. Que les partenaires sociaux prennent leurs responsabilités et engagent des négociations sur ce sujet qui est l'emploi.
Vous montrez bien qu'il y a un paradoxe assez inouï, les libéraux attendraient de l'État qu'il décide et vous les réformistes ou en tout cas les syndicalistes, vous estimez que les partenaires sociaux doivent prendre en main la partie qu'ils peuvent traiter eux-mêmes ?
Bien évidemment, dans une période où l'emploi est le sujet numéro un, personne ne comprendrait que les syndicalistes et le Patronat, les partenaires sociaux n'entament pas une discussion là-dessus, sinon on sert à quoi aujourd'hui, si ce n'est à travailler pour maintenir l'emploi dans notre pays. Le premier droit des salariés, c'est l'emploi, donc le ministre des Affaires sociales a écrit aux partenaires sociaux en leur demandant d'ouvrir une négociation sur la formation professionnelle, eh bien on lui dit : oui, on y va et on négocie.
Donc là, vous vous adressez à la fois à Monsieur Seillière et à Monsieur Thibault ou à Monsieur Blondel.
Eh bien Monsieur Seillière reçoit aujourd'hui la CGT, c'est la dernière rencontre
Vous, vous l'avez vu déjà !
Nous l'avons déjà vu il y a un mois, ensuite, il doit nous faire des propositions de négociations. Puisque cette rencontre est la dernière, aujourd'hui qu'il nous réponde, on va négocier la formation professionnelle et le problème de l'emploi en particulier dans les petites entreprises.
Est-ce que je peux dire que vous êtes partisan d'un syndicalisme qui ne porte pas de gants blancs, c'est-à-dire qu'il s'occupe aussi des restructurations et des licenciements ?
Eh bien il est facile de dire, l'emploi, les licenciements, c'est le problème de l'État, c'est le problème des entreprises, mais lorsqu'une entreprise ferme, lorsqu'il y a des licenciements, les salariés ils viennent dans leur entreprise, d'abord voir les syndicalistes. Donc on doit prendre nos responsabilités là-dessus, et atteindre l'objectif de la CFDT lorsqu'il y a un plan social, zéro chômeur, c'est-à-dire que chacun doit retrouver un emploi.
Alors ce matin pour être clair, vous réclamez une négociation, mais pas une négociation par branche ou par entreprise, une négociation nationale, de qui, avec qui ?
Nous demandons une négociation nationale sur les problèmes de l'emploi et en commençant par une négociation sur la formation professionnelle. Il n'est pas normal, que, comme on l'a vu chez Moulinex, chez Bata, en Lorraine, des salariés qui ont travaillé 20 ans, 30 ans dans leur entreprise soient licenciés et disent : je n'ai même pas un CAP, puisqu'on ne m'a jamais fait faire de formation. En Suède, 30 % des salariés font tous les trimestres une formation, en France on est à 3 %, on voit bien là qu'on a un déficit fort sur la formation. La formation d'aujourd'hui, ce sont les emplois de demain.
Mais par quoi vous voulez remplacer ce qui a été la loi Guigou-Jospin ?
Eh bien il faut absolument que l'on mette les entreprises devant leurs responsabilités. Les grandes entreprises lorsqu'elles arrêtent un contrat avec une petite entreprise, la petite entreprise ferme. J'ai un exemple en Lorraine, l'entreprise " Chauffette " qui faisait des sièges, les couvertures des sièges automobiles, les grandes entreprises automobiles ont arrêté leur contrat, 125 licenciements. C'est quand même facile, aucune responsabilité des grandes vis à vis des petites. Et puis essayons de mieux utiliser les moyens des moyennes et petites entreprises pour anticiper ces phénomènes.
Depuis tout à l'heure, vous répétez la crainte du chômage, est-ce que vous pensez que 2003 va être une année difficile sur ce plan là.
On le voit bien, la litanie des plans sociaux a recommencé, ceci dit, cela fait dix-sept mois qu'elle a et dans la campagne présidentielle, personne n'a parlé du problème du chômage, on a fait comme si c'était derrière nous. Donc une année 2003 qui ne se présente pas bien, mais, ce sont les engagements que l'on prend aujourd'hui qui nous feront peut-être éviter le pire en 2003.
Le gouvernement vient de nommer un médiateur, Monsieur restructuration, Claude Viet pour s'occuper des plans sociaux et des licenciements, c'est une sorte de héros qui va lutter contre le monstre ou le dragon du chômage, il peut le faire lui, à lui seul ?
Je ne vois pas tout à fait ce qu'il veut faire, on n'en a pas encore beaucoup de visibilité. Mais ce que nous lui demandons et que nous demandons au gouvernement c'est d'animer et de coordonner en particulier dans les bassins d'emploi les actions publiques sur l'emploi, les actions des collectivités locales, en particulier les régions, les départements, les mairies qui font des choses sur l'emploi et celles des partenaires sociaux, où on sait ce qui se passe. Un autre exemple, je suis allé en Lorraine, grande entreprise sidérurgique, 2.500 départs à la retraite dans cinq ans, ces départs à la retraite doivent être les emplois de ceux qu'on licencie, demain.
Deux mots, le Premier ministre va s'engager à fond dans le chantier de la décentralisation. Les syndicats passent généralement pour les défenseurs conservateurs du jacobinisme et du centralisme social et vous la CFDT ?
La culture de la CFDT et l'histoire de la CFDT font que nous avons toujours été favorables à une démarche de décentralisation. L'expérience de 1982 nous a montré que cela ne s'est pas fait contre les fonctionnaires et qu'il ne faut pas en avoir peur. Maintenant soyons clairs sur des accès identiques au service public pour tous les Français sur tout le territoire et puis, sur les problèmes de moyens des collectivités locales pour répondre aux besoins.
Et à Bruxelles il y a un sommet européen aujourd'hui, un sommet difficile, vous voulez plus d'Europe, vous, comme Nicole Notat avant ?
Bien évidemment, là aussi on a versé des larmes de bonheur, quand le mur de Berlin est tombé, maintenant il faut qu'on accueille tous ces pays là dans l'Europe, comme on l'a fait avec l'Espagne, le Portugal et la Grèce en son temps.
Même si cela coûte ?
Eh bien, c'est la solidarité. Ceci dit, on a une expérience avec ces pays là à cette époque là, on peut faire la même expérience, on sera d'autant plus fort qu'on sera réuni en Europe, c'est la paix et la réussite économique.

(Source http://www.cfdt.fr, le 25 octobre 2002)