Interview de M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à "France Inter" le 26 septembre 2002 sur le budget 2003, sur la baisse des impôts, sur les arbitrages budgétaires et sur les projets à long terme du gouvernement.

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Média : Africa - fri

Texte intégral


S. Paoli.- Le budget 2003 est-il de nature à rassurer les Français et donc encouragera-t-il un des moteurs de l'économie, la consommation des ménages ? Alors que la croissance mondiale n'est pas au rendez-vous, que les hypothèses de croissance sont aléatoires, que le chômage est aujourd'hui la première des inquiétudes nationales, ce budget dit "volontariste" donnera-t-il confiance au pays ?
La vérité est-elle à vos yeux un moyen de la confiance ? Quand vous dites comme hier : "2,5 % de croissance, ce n'est pas sûr". Et c'est le ministre qui dit cela !?
- "Je crois que les Français sont suffisamment responsables, qu'ils sont tous dans des entreprises, qu'ils savent comment fonctionne l'économie, pour leur dire la vérité, y compris lorsque cette vérité consiste à leur dire que nous marchons sur des oeufs."
Comment fait-on quand, ancien grand chef d'entreprise, aujourd'hui ministre de l'Economie et des Finances, pour gérer, dans un monde d'imprévisibilité, dans un monde d'incertitude ?
- "D'abord, on ne change pas de comportement. Et deuxièmement, ce monde "d'imprévisibilité et d'incertitude" est aussi celui de l'entreprise. Donc, on continue à faire ce que l'on croit."
Prenons un exemple précis : croissance. Vous dites "2,5 %" et vous ajoutez vous-même que ce n'est pas sûr. A partir de là, comment faites-vous ?
- "Ce n'est pas sûr parce que, par le passé, huit fois sur douze, la croissance a été légèrement inférieure aux prévisions, quatre fois sur douze elle a été supérieure. Et jamais le chiffre, qui est une prévision dans un budget, n'a été réellement réalisé. Car il a été, je le répète, soit dépassé, soit légèrement inférieur. La croissance est faite par les entreprises, par la productivité. Elle n'est pas faite par un Etat, sauf s'il crée les conditions, aide à cette croissance. Ce budget est destiné à donner confiance effectivement aux acteurs économiques. Ce sont eux qui sont au-devant de la scène. Nous sommes derrière, avec eux, pour eux. Ce sont eux qui jouent."
On est dans un système où tout est lié alors ? On va parle des acteurs économiques. Mais les Français qui vous écoutent ce matin, les ménages, dont on attend, dont on espère qu'ils vont continuer à consommer, c'est capital. Parce que si eux n'ont pas confiance, la machine ne tourne plus ?
- "Incontestablement. Vous savez bien que l'économie est fondée sur deux ressorts principaux : la consommation et l'investissement. L'investissement cette année 2002, est plutôt en panne. Nous espérons qu'il va redémarrer modestement en 2003, avec un + 3%. Par contre la consommation reste très bonne, en Europe et particulièrement en France. Et tout ce qui a été fait dans ce budget, y compris dans les décisions prises depuis le mois de mai, va dans le sens d'augmenter le pouvoir d'achat des Français et de les inciter à consommer. Les 3 milliards destinés aux entreprises et le milliard destiné aux ménages, ça fait 4 milliards destinés aussi à la consommation."
Mais vous avez quand même été obligé de faire des comptes partout, de serrer partout. Par exemple, sur la baisse d'impôts, peut-être que certains ménages vont être un peu déçus, parce que, sur deux ans, cela fera beaucoup moins que prévu, ça va faire 6 %...
- "Sur deux ans, ça fait 6 % et 6 % c'est pas mal !"
Oui, mais...
- "Même si effectivement, en 2003, le 1 % supplémentaire montre qu'on continue plus modestement puisque, contrairement à nos espoirs, l'horizon
de croissance est un peu moins clair qu'il ne l'était au mois de mai."
N'y a-t-il pas un risque au passage que les Français ont un peut-être un peu anticipé ces baisses d'impôts et que maintenant, ils commencent à lever le pied en se disant : ce monde est décidément improbable, soyons prudents !
- "Il est clair que l'environnement mondial ne facilite pas la prise de décision pour les acteurs économiques, c'est-à-dire les entreprises, tant qu'il n'aura pas été un peu éclairci par quelques décisions au Moyen-Orient. Il est donc moins clair qu'actuellement, le consommateur européen - le consommateur américain aussi d'ailleurs - continue gentiment à avoir plaisir à consommer, puisque c'est son rôle."
L'entreprise française, le Medef, était assez critique, trouvant que vous n'alliez pas assez vite. Là encore, vous avez presque toujours la double casquette, vous dites que vous n'avez pas renoncé à être le grand patron que vous étiez. Que dites-vous aux patrons ce matin ?
- "Je dis aux patrons - ils le savent d'ailleurs, même s'ils critiquent éventuellement ce budget et cela fait partie du jeu -, qu'au niveau d'un budget, il faut établir aussi quand même des compromis entre les différentes parties prenantes et que cela ne sert à rien aux entreprises de réclamer plus, si en même temps on désespérait le consommateur. Donc, il faut bien créer une condition où, à la fois, l'entreprise voit ses charges baisser et où le consommateur voit son appétit de consommation renforcé."
Même quand les charges ne font que compenser au fond la hausse du Smic ? Il n'y a pas un grand changement pour l'entreprise là...
- "Oui, mais n'oubliez pas que la hausse du Smic se traduit par une augmentation du pouvoir d'achat d'une grande partie de la population relativement peu payée. Cela s'appelle une relance quand même par la demande. Et simultanément, cela permet aussi aux entreprises - même si ce n'est pas dans le budget, parce que cela a déjà été traité à l'occasion de l'assouplissement de la loi sur les 35 heures -, de retrouver une situation qu'elles demandaient depuis des années, à savoir : si nous voulons travailler plus, laissez-nous travailler plus. Et on l'a fait."
Vous avez parlé, prononcé le mot "Europe". Peut-on faire aujourd'hui, c'est très important, dans cet espace très complexe à gérer, un budget national, sans tenir compte de ce qui se passe autour de nous, c'est-à-dire des enjeux européens, et de la compétitivité aujourd'hui entre l'Europe et les Etats-Unis ?
- "Il est clair que notre France est en Europe et que c'est l'Europe qui est en jeu dans la compétition mondiale. Et nous ne pouvons pas effectivement avoir une politique économique ignorant totalement ce qui se fait en Europe."
Que fait-on alors ?
- "En Europe, on a un objectif : face au vieillissement de la population, c'est de créer les conditions pour que notre Europe, et bien entendu, notre France, puissent affronter ce vieillissement sans trop de drames, sans trop demander aux générations futures. Donc cet objectif doit se traduire, et cela a toujours été inscrit dans les esprits de tout le monde, par une baisse progressive des déficits, permettant d'éviter une hausse trop forte de la dette qui, un jour ou l'autre, devra être payée."
Mais là, l'Europe est vraiment en accord avec elle-même sur cette question des déficits ? On a bien vu hier la décision prise par la Communauté européenne qui consiste à dire qu'on va repousser un peu les délais pour le Pacte de stabilité. On a l'impression que l'Europe s'arrange un peu avec elle-même ? C'est le cas ou pas ?
- "Non, l'Europe si vous voulez, est pragmatique aussi. Elle partage ce sentiment que l'objectif est d'éviter un trop fort endettement de l'Europe et notamment de la France. Et elle constate qu'à certains moments, c'est plus facile qu'à d'autres de réduire le déficit, pour se rapprocher de cette situation où la dette n'augmentera plus."
Apparemment, le ministre de l'Economie et des Finances et le Premier ministre ont entendu le message des dernières élections. C'est vrai que ce budget profite beaucoup à la Défense, à la sécurité. Profite-t-il vraiment d'ailleurs à la lutte contre le chômage ? Est-ce que les entrepreneurs ne vont pas vous dire que vous nous avez pas donné assez pour relancer la machine ?
- "Quel est le rôle d'un Etat ? Dans le monde d'aujourd'hui, l'Etat a des fonctions régaliennes à respecter. Et la défense intérieure, la défense extérieure, le respect du droit et plus généralement l'aide aux autres - cela s'appelle "l'aide aux pays du Sud" -, sont des éléments fondamentaux d'une politique gouvernementale. Nous sommes convaincus de l'intérêt de ces politiques et nous les mettons en oeuvre. Derrière, nous cherchons par ailleurs, dans un contexte qui échappe progressivement au Gouvernement, puisqu'on est dans un monde global en termes économiques, à créer les conditions pour que l'acteur économique, qui s'appelle "l'entreprise", soit incité à prendre des risques, et pour que l'acteur économique qui s'appelle "le consommateur", soit incité à jouer le même jeu en consommant."
Vous n'êtes pas déçu au fond que la Recherche, moteur de l'innovation, moteur de la créativité, moteur de la dynamique des entreprises, soit un peu le parent pauvre de ce budget ?
- "La Recherche n'est pas "le parent pauvre". Regardez par exemple la décision qui a été prise pour supprimer la taxation professionnelle sur les équipements de recherche. Voilà un moyen de diminuer le coût de la recherche en diminuant le coût de l'investissement de recherche. Deuxièmement, même si les autorisations de programmes en matière de recherche sont un peu en baisse, les crédits de paiement, c'est-à-dire ce qui va être dépensé réellement cette année en matière de recherche, sont en hausse. Alors, regardons les choses dans le bon sens."
Combien de temps faut-il pour changer les choses ? Par exemple, pour réformer l'Etat ? Par exemple, pour vraiment poser la question du nombre des fonctionnaires ? Combien de temps ?
- "Pour poser la question, il ne faut pas beaucoup de temps ! Pour résoudre le problème, il faut un peu plus de temps. Il est clair que nous sommes dans un monde qui, notamment dans la Fonction publique, doit évoluer en continuité. C'est la solution du progrès continue qui doit être initialisée dans tous nos métiers, comme dans toute entreprise. Nous commençons maintenant, nous avons cinq ans devant nous. Vous verrez dans cinq ans."
C'est se remettre en cause. C'est-à-dire que l'Etat se regarde et est peut-être en train de se poser la question de savoir ce qu'il va changer en lui. Vous sentez vraiment cela ou pas ? Monsieur Raffarin est un homme qui est décidé véritablement à changer les structures de l'Etat ?
- "Il y a pour ce Gouvernement, un certain nombre de projets à long terme majeurs et structurants. La réforme de l'Etat, la décentralisation, les décisions sur la retraite, les décisions sur la santé, voilà quatre sujets majeurs que nous allons traiter intellectuellement et opérationnellement en 2003."
Une question un peu plus indiscrète : quelle tête font-ils les ministres quand le ministre de l'Economie et des Finances sur un perron dit : "On a dit 2,5 % de croissance, ce n'est pas du tout sûr" ?
- "Attendez. J'ai dit "2,5 % de croissance", parce qu'il faut bien s'arrêter à un certain moment sur chiffre. Ce 2,5 % est à peu près ce que tout le monde aujourd'hui considère comme plausible. Je vous répète qu'on essaiera de faire mieux. Si on fait un peu moins bien, ce n'est pas un drame."
Mais leur tête à eux ? Comment réagissent-ils ? Ce n'est pas si fréquent quand même ?
- "Ils ne sont pas plus bêtes que les autres, donc ils comprennent !"
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 26 sept 2002)