Déclaration de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, sur la situation internationale et les priorités de la diplomatie française en 2003, concernant notamment la crise irakienne, le retrait de la Corée du Nord du Traité de non prolifération, le terrorisme, la situation en Côte d'Ivoire et l'Union européenne, Paris le 14 janvier 2003.

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Circonstance : Voeux de la presse diplomatique à MM. de Villepin, Wiltzer, Muselier et à Mme Lenoir à Paris le 14 janvier 2003

Texte intégral

Avant de fêter ce début d'année, je voudrais d'abord, avant que nous engagions la conférence de presse avec Noëlle Lenoir, Pierre-André Wiltzer et Renaud Muselier, rapidement brosser à grands traits, la situation du monde d'aujourd'hui.
L'urgence et l'interdépendance, j'ai souvent eu l'occasion de le dire, sont la grande règle du monde et du désordre mondial que nous connaissons. On voit l'ensemble des problèmes aujourd'hui se conjuguer, qu'il s'agisse du terrorisme, de la prolifération des armes à destruction massive, de la montée du crime organisé ou de la persistance de grands fléaux, menaces anciennes, comme la pauvreté, la famine, les épidémies. Ces facteurs d'incertitude se nourrissent les uns des autres et s'aggravent de ce fait. Nous le voyons quand le crime organisé alimente le terrorisme qui cherche dans la prolifération des armes de destruction massive une nouvelle dimension. Nous le voyons quand le terrorisme opportuniste par nature prolifère sur les crises qui s'enlisent, à commencer par celle du Proche-Orient que nous venons d'évoquer. Dans ce contexte, il faut éviter de céder aux grandes tentations qui peuvent saisir le monde : la peur que nous voyons tous les jours, la force, le scepticisme, l'idée qu'il n'y a rien à faire. La France, dans ce contexte, a des convictions simples et fortes. Il faut promouvoir des solutions effectives et durables qui s'attaquent aux racines largement communes de ces problèmes ; il faut, face à des défis globaux, rechercher des réponses globales.
L'action de notre pays est guidée aujourd'hui par des principes clairs. Tout d'abord, le principe de solidarité, de sécurité collective. Non pas un principe passif, tel qu'on n'a pu le connaître dans notre histoire, mais un principe actif, un principe de sécurité collective qui est un principe d'action, de responsabilité collective et aucun pays ne peut prétendre résoudre seul une crise, aucune crise ne peut être résolue isolément. Par ailleurs, seule la mobilisation de tous peut déboucher sur des solutions durables et solides. L'Iraq offre à ce jour une bonne illustration de cette démarche collective.
Deuxième principe, le respect du droit et de la morale. Il confère la légitimité indispensable à l'action internationale et permet l'adhésion des peuples sans lesquels nous construirions sur du sable, et nous voyons qu'il y a là une corrélation très forte entre la légitimité et l'efficacité. Plus cette action est légitime, plus elle part d'une communauté internationale unie, plus elle a de chances d'être au bout du compte, durablement efficace.
Troisième principe, c'est la solidarité et la justice, c'est notre responsabilité morale et politique vis-à-vis des délaissés de la mondialisation. Il faut en permanence se soucier de rassembler l'ensemble des populations, l'ensemble des pays, quelle que soit leur situation.
Alors les crises auxquelles nous sommes aujourd'hui confrontés, sont multiples. J'aborderai d'abord la crise iraquienne. A partir de notre action qui est fondée sur trois grandes exigences : l'efficacité, je l'ai dit, la légitimité, la responsabilité collective. Ce sont ces exigences qui sont au cur de la résolution 1441 et c'est sur cette base que les inspections ont repris, en Iraq, le 27 novembre dernier, conformément à l'échéancier prévu par la communauté internationale. Elles se déroulent, de manière satisfaisante, à un rythme de quelques trois cents sites visités chaque mois. La déclaration iraquienne du 7 décembre comportait, nous l'avons dit, d'importantes zones d'ombre. Nous y voyons une raison supplémentaire pour apporter tout notre soutien aux inspecteurs et chercher à leur donner les moyens nécessaires au succès de leur mission. Je l'ai dit hier à M. El Baradeï, je le redirai vendredi à M. Blix. Dans ce contexte, nous voulons véritablement le succès des inspections. D'où notre initiative, la lettre que j'ai adressée à tous les membres du Conseil de sécurité ainsi qu'au Secrétaire général des Nations unies, pour apporter un soutien résolu au travail des inspecteurs, un appui matériel, de façon à ce qu'ils disposent de l'ensemble des moyens nécessaires, un appui humain, et par ailleurs solliciter de la part de tous les Etats qui peuvent disposer d'informations privilégiées, qu'ils mettent à la connaissance des inspecteurs ces informations de façon à rendre chaque jour plus crédibles, plus efficaces ces inspections. Le rapport attendu le 27 janvier représentera une étape importante, mais seulement une étape dans le processus qui a été engagé. A cette date, M. Blix et M. El Baradeï feront rapport sur la manière dont ils évaluent la coopération avec l'Iraq. Dans toute cette crise, la France, reste animée et convaincue que la guerre n'est pas inéluctable et qu'elle ne peut bien sûr que constituer un dernier recours. En cas de manquement grave par l'Iraq à ses obligations, il appartiendra alors au Conseil de sécurité de se déterminer et la France assumera, dans ce cadre, toutes ses responsabilités, dans le respect de sa pleine liberté d'appréciation et d'action.
Avec la Corée du Nord, nous sommes confrontés à une situation qui n'a cessé de se détériorer au cours des dernières semaines : demande de retrait des inspecteurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique ; suppression des moyens de contrôle, qu'il s'agisse de caméras ou de scellés qui ont été enlevés ; redémarrage de la production d'électricité nucléaire ; enfin, décision de retrait du Traité de non-prolifération. C'est une crise aux enjeux considérables : au-delà du cas particulier de la Corée du Nord, c'est bien tout le devenir du régime international de la non-prolifération qui est aujourd'hui en cause. L'issue doit reposer sur deux principes complémentaires : d'abord marquer clairement à la Corée du Nord les exigences de la communauté internationale ; ensuite, définir rapidement les moyens d'une solution concertée et pacifique. Toutes les voies doivent être explorées, les contacts bilatéraux entre les Etats-Unis et la Corée du Nord, entre la Corée du Nord et la Corée du Sud, mais aussi le dialogue régional qui doit être encouragé entre l'ensemble des pays concernés, la Russie, la Chine, le Japon, la Corée du Sud. Il faut parallèlement avancer dans la voie multilatérale, parce qu'il s'agit bien d'une crise qui concerne l'ordre international, la stabilité, la sécurité internationale. C'est donc, tant l'Agence internationale de l'énergie atomique qui, à travers le Conseil des gouverneurs de cette agence, s'est déjà exprimée par deux fois, mais aussi le Conseil de sécurité qui doit, le moment venu, en tenant compte du rôle particulier du Japon et de la Corée du Sud, prendre ses responsabilités.
Troisième point que je voudrais évoquer, c'est la réunion du 20 janvier sur le terrorisme. Vous savez qu'il s'agit d'une initiative de la France qui préside le Conseil de sécurité pour ce mois de janvier avant de passer cette responsabilité à l'Allemagne. C'est donc la France qui a demandé la tenue de cette réunion, au niveau ministériel, pour bien mobiliser le plus possible, la communauté internationale sur la lutte contre le terrorisme. En effet, la lutte contre le terrorisme, ce n'est pas quelque chose que l'on réalise une fois pour toutes, il s'agit, en permanence, de s'adapter, de faire mieux et de le faire ensemble. A la menace globale que constitue le terrorisme, la France est convaincue qu'il faut, là encore, apporter une réponse globale à partir de trois grands piliers. D'abord, la coordination : il faut combiner l'ensemble des moyens disponibles, qu'il s'agisse de la coopération dans le domaine militaire, de la police, de la justice, du renseignement. Il faut parallèlement une mobilisation de toute la communauté internationale, face aux fléaux qui nourrissent le terrorisme, la criminalité organisée, la grande pauvreté, le dérèglement du système financier international. Enfin, il faut rester en permanence en initiative, rechercher de nouvelles actions et éviter de céder au piège tendu par les terroristes, du choc des civilisations, d'où l'importance que nous attachons, que la France attache à travers le président de la République, au dialogue des cultures.
Quatrième point que je veux aborder, c'est la Côte d'Ivoire, bien sûr, puisque demain, commence la réunion de la table ronde à l'initiative de la France. Nous sommes décidés à aller de l'avant sur cette crise difficile et à ne pas nous laisser détourner du cap qui a été fixé à partir, là encore, de quelques grands principes : respect de la souveraineté, de l'unité, de l'intégrité territoriale de la Côte d'Ivoire, respect des principes démocratiques fondamentaux et affirmation qu'il n'y a pas de solution durable à la situation en Côte d'Ivoire autre que politique et pacifique. Il n'y a pas donc de solution militaire, chacun peut s'en rendre compte, à la crise actuelle.
Nous avons progressé au cours des dernières semaines et des derniers jours dans deux domaines. D'abord, la mise en place d'un cessez-le-feu effectif et global sur tout le territoire. Cessez-le-feu qui inclut, comme vous le savez, le gouvernement ivoirien, les forces rebelles du nord ainsi que, depuis hier, les forces de l'ouest. Il y a donc une situation qui permet clairement d'avancer résolument dans la voie diplomatique et il faut engager toutes les forces politiques à participer à la table ronde. Les indications que nous avons ce soir, c'est qu'elles participeront bien, l'ensemble d'entre elles, à cette table ronde qui s'ouvrira demain à Marcoussis, après une ouverture solennelle au Centre de conférences internationales, avenue Kléber. Elle sera dirigée par Pierre Mazeaud entouré des représentants du Secrétaire général des Nations unies, de l'Union africaine et de la CEDEAO, l'organisation régionale de l'Afrique de l'ouest. Assisteront par ailleurs à cette table ronde, un certain nombre d'experts et d'observateurs qui apporteront leur compétence aux questions difficiles qui sont sur la table. Cette table ronde a pour objet de définir les conditions politiques durables de la crise ivoirienne. En priorité, il faut examiner les questions de fond qui sont au cur des difficultés ivoiriennes depuis tant d'années : problème de l'ivoirité avec à la fois la nationalité, le statut des étrangers, le problème de la loi foncière. Seront évoquées les questions politiques, institutionnelles, constitutionnelles, le calendrier politique, les conditions du désarmement, la réinsertion des forces rebelles, la restructuration des forces armées, de la police, de la justice ainsi que la réinstallation des personnes déplacées ou réfugiées. Vous voyez qu'il y a beaucoup à faire, beaucoup de sujets à essayer de régler. L'idée est, au terme de cette table ronde, de réunir les 25 et 26 janvier à Paris, l'ensemble des chefs d'Etat concernés, c'est-à-dire, les chefs d'Etats voisins, ainsi que le président de l'Union africaine, M. Thabo M'beki, et Secrétaire général des Nations unies, M. Kofi Annan. Par ailleurs, participeront à cette réunion des chefs d'Etat, des représentants des bailleurs de fond, qu'il s'agisse des bailleurs de fonds bilatéraux ou des représentants des grandes institutions financières internationales. Cette conférence a pour objet de consacrer et garantir le plan de sortie de crise en Côte d'Ivoire et il s'inscrit résolument dans la vision que nous avons d'une politique africaine renouvelée, dans la perspective de la prochaine conférence Afrique-France, qui se tiendra en février.
Au-delà de cette gestion de crise, il y a d'autres grandes priorités de la diplomatie française et au premier chef, l'Europe. Nous nous réunissons, cela a été rappelé ce soir, avec le chancelier allemand et le président de la République, pour avancer sur les grandes questions institutionnelles, dans la perspective du 40ème anniversaire du Traité de l'Elysée, pour bien marquer la dynamique du moteur franco-allemand au service d'une grande ambition européenne. Nous entrons dans un nouvel âge européen qui a été consacré par la réussite du Sommet de Copenhague, avec l'élargissement à 25 qui sera effectif au 1er mai 2004 et par ailleurs se poursuivront les réflexions et travaux dans le cadre de la Convention pour l'avenir de l'Europe, dirigée par le président Giscard d'Estaing.
Vous connaissez les principes qui nous guident dans cette réflexion : souci d'efficacité - on ne gère pas l'Europe à 25 comme on pouvait le faire à 15 -, souci de transparence, souci de démocratie. C'est sur tous ces fronts qu'il faut essayer d'avancer parallèlement. Nous savons qu'il faut faire preuve d'ambition, accepter d'innover, sans remettre en cause l'équilibre institutionnel que nous connaissons et qui a fait de longue date ses preuves.
Autre sujet qui sera au coeur de nos préoccupations dans cette année 2003 : l'Afrique, au-delà de la gestion des crises et de la Côte d'Ivoire. Le président de la République a clairement marqué depuis Monterrey, Kananaskis, le Sommet de Johannesburg - et ce sera évidemment une des priorités du Sommet d'Evian - sa volonté d'inscrire au coeur des relations internationales l'aide au continent africain, l'aide au développement. Ce sera le thème majeur du sommet du G8 d'Evian. C'est déjà une priorité qui est inscrite dans notre budget national avec une progression de notre aide publique au développement qui atteindra cette année 0,39 % de notre PNB. Je vous rappelle, une fois de plus, les prochains sommets Afrique-France à Paris, les 19-21 février, et le sommet Union européenne-Afrique à Lisbonne. En cette matière, les priorités sont bien connues : le soutien au NEPAD, la lutte contre la famine et contre les grandes pandémies, le sida en particulier, l'appui au développement durable, et bien évidemment, notre volonté d'aider l'ensemble des pays africains affectés par les crises. J'ai parlé de la Côte d'Ivoire, mais il y a bien sûr aussi la Centrafrique, la région des Grands Lacs, le Soudan. Il faut avancer sur l'ensemble de ces fronts.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 janvier 2003)