Déclaration de M. Georges Sarre, président délégué du Mouvement des citoyens, sur les structures d'accueil et d'hébergement des sans domicile fixe à Paris et sur la mise en oeuvre des procédures de réquisition des logements vacants et d'une politique du logement en faveur des plus démunis, Paris le 2 décembre 1999.

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Circonstance : Colloque "Que faire pour que personne ne meure de froid au cours de l'hiver 1999-2000 ?" à Paris le 2 décembre 1999

Texte intégral

Monsieur le Ministre, Madame la Préfète, Messieurs les Présidents et Directeurs,
Mesdames, Messieurs,

Est-on vraiment assuré que personne ne risquera de mourir de froid ? Chaque année le problème de l'accueil des sans-abri se pose, à l'approche de l'hiver, de froid, faute d'une structure d'hébergement suffisante : 6.000 places sont actuellement disponibles en Ile-de-France dont près de 3.000 dans Paris (2.220 places seulement sont accessibles toute l'année). Comme cette question se repose chaque hiver, il faut arriver à une organisation permanente et efficace de l'hébergement d'urgence. Mais si l'on veut pouvoir sortir de l'urgence et aller vers l'insertion sociale des personnes concernées, il faut pouvoir passer de l'hébergement au logement.
C'est dans cette perspective que j'avais réuni en septembre les principales associations s'occupant des sans-abri. Elles étaient alors inquiètes du manque certain de places pour cet hiver. C'est aussi la raison de ce colloque qui est un cri d'alarme et de proposition. Je remercie tous ceux qui sont venus assister aux débats, tous ceux qui sont intervenus. Je remercie en particulier Louis Besson, il confirme par sa présence l'intérêt que le Gouvernement porte à tous les aspects de l'exclusion.
Je voudrais maintenant vous apporter mon point de vue, celui d'un élu parisien vivant au contact d'un arrondissement, le 11ème, qui offre toutes les facettes des questions que nous traitons ce matin, celui d'un homme politique soucieux de l'avenir de sa ville et de la place qui y est faite aux pauvres hères démunis de tout.
Ce retour récurrent d'un problème pourtant aisément prévisible prouve à l'évidence que l'on est encore loin d'avoir mis en place un dispositif permanent et efficace pour le résoudre. Comme chaque année, on a dû parfois improviser pour éviter que des personnes ne risquent de mourir de froid. Comment chasser l'improvisation, que faut-il faire pour que tout soit prêt à temps pour accueillir convenablement ceux qui sont à la rue ?
On peut ajouter une autre question touchant à la notion même d'urgence. Cette urgence n'existe-t-elle qu'en hiver ?
Lorsque reviennent les beaux jours, est-il normal de laisser vivre et dormir dans les rues des milliers de personnes, au prétexte qu'elles ne risquent plus de mourir de froid ?
La solidarité peut-elle se mesurer à l'aune du thermomètre ?
D'autant que tous les représentants du monde associatif insistent pour dire que la situation s'aggrave, il y a de plus en plus de cas, de plus en plus de jeunes en détresse et qu'il est vraiment très difficile de faire face à des demandes nombreuses et lourdes.
La pratique actuelle repose sur deux axiomes implicites. Le premier est que l'existence de sans-abri serait un phénomène passager ou transitoire ne nécessitant donc pas un dispositif bien organisé à l'avance, capable de répondre sans acrobaties à une demande permanente.
Le second est que, le froid passé, il est parfaitement admissible de laisser vivre et dormir dans les rues de Paris toute une population de gens sans-logis.
La réalité dément le premier des axiomes puisque le problème se repose chaque année. Il faut donc prévoir et s'organiser en conséquence. Le second traduit en fait un choix éthique. Osons ici le dire : ce choix est contraire à la devise républicaine.
Que devient en effet la Fraternité si elle s'accommode d'une telle situation ?
Il est donc urgent de sortir de l'urgence pour traiter la question de l'hébergement d'urgence ! Paris disposait l'hiver dernier d'environ 3.000 places d'accueil, plus quelques centaines en cas de grand froid. Dans les mois suivants, 400 à 600 places avaient disparu, par suite du non renouvellement de baux ou de non-conformité aux règles de sécurité.
On affirme que ces places auraient été retrouvées, souvent en banlieue. Le potentiel d'accueil pour cet hiver serait donc le même que celui de l'an dernier. Ce potentiel est-il suffisant ?
La DDASS affirme que oui, les Associations et le SAMU social parisien mettent en évidence un manque de places.
C'est ainsi que, l'an dernier ce SAMU refusait 35 personnes par jour. Est-il normal que des centaines de places disparaissent chaque année et qu'il faille dans l'urgence en retrouver d'autre ? Naturellement non face à la permanence des besoins, on ne peut continuer à travailler dans le flou et l'improvisation. Un véritable plan doit être étudié, avec la participation des collectivités qui entourent Paris, de manière à disposer de capacités d'accueil suffisantes et stables, gérées en synergie. L'ensemble du dispositif doit fonctionner en permanence, été comme hiver, et doit aussi disposer d'une gestion unifiée. L'État, les collectivités publiques et les Associations doivent travailler davantage en commun.
Le Gouvernement a lancé un programme de pérennisation de l'hébergement d'urgence. Quel est l'état d'avancement de ce travail et quels sont ses objectifs concrets ?
Madame Gillot, Secrétaire d'État à la Santé et à l'Action Sociale, a assuré le 22 novembre dernier que, dès cet hiver, l'Île-de-France disposerait de 6.000 places d'accueil dont 3.200 à Paris même. C'est un premier pas, mais je voudrais être certain que le programme pluriannuel annoncé sera mis en place dès l'hiver prochain. Nous devons impérativement nous fixer cet objectif temporel. Il serait inacceptable de devoir refaire l'année prochaine le constat de cette année. L'hiver 2000 doit être celui de l'abandon de l'improvisation, ce sera une des meilleures manières de saluer l'entrée dans le 3ème millénaire.
Le traitement d'urgence rend cette situation en apparence supportable, il ne l'améliore en rien. Il risquerait même, à la limite, d'éviter de poser cette question et, bien entendu, d'y répondre. La nécessité de l'hébergement d'urgence ne peut être discutée, mais cette nécessité ne peut masquer le fait que le traitement de l'urgence ne suffit pas à résoudre le problème posé par l'existence même de milliers de sans-abri. Les places d'urgence et les CHRS offrent un hébergement de quelques nuits, avec des conditions strictes d'horaire et de comportement. Passées ces quelques nuits, les personnes n'ont plus qu'à rechercher un autre lieu d'hébergement, car elles n'ont pas d'autres solutions. Il se crée ainsi une véritable clientèle captive qui ne peut vivre, ou survivre, que grâce au dispositif d'hébergement d'urgence, sans que jamais la question de fond ne soit abordée. Cette question, Mesdames et Messieurs, est celle de l'existence d'une population qui ne peut avoir accès à aucune catégorie de logements, sociaux ou non. La rue est rarement un choix, elle est devenue une nécessité pour trop de nos concitoyens. Le traitement d'urgence rend cette situation en apparence supportable, il ne l'améliore en rien. Il risquerait même, à la limite, d'éviter de poser cette question et, bien entendu, d'y répondre. Si l'on veut sortir du traitement d'urgence ou pouvoir le limiter, il faut s'attaquer à la cause de l'existence des sans-abri et pas seulement se borner à rendre leur vie moins inhumaine. Il faut passer de l'hébergement au logement, telle est ma conviction.
Ce passage est crucial pour l'insertion. Disposer d'un vrai logement que l'on peut aménager à sa guise, où l'on peut recevoir, loger la famille entière, avoir une adresse fixe, est, une condition de base de la réinsertion insertion sociale. L'insertion implique le logement et pas seulement l'hébergement. Or, hébergement d'urgence et logement ne sont pas coordonnés. On arrive ainsi à des incohérences. La Ville de Paris et le Département de Paris consacrent de plus en plus de moyens à l'urgence et de moins en moins au logement.
Conscient de cette situation, le Gouvernement a multiplié les procédures permettant d'offrir des logements sociaux à faible loyer. L'impact de ces efforts de l'État semble cependant très faible, au moins à Paris. C'est ainsi que la Ville ne construit plus actuellement qu'une centaine de PLA-intégration par an sur un total, également très faible, de 1.000 à 1.200 PLA en moyenne chaque année. On sait aussi que les bailleurs sociaux ne sont pas très portés à développer les logements très sociaux, car il s'agit d'une clientèle peu solvable, souvent difficile et très hétérogène. La question du logement des sans-abri est donc une partie d'une question plus vaste, celle du logement des mal-logés et de la réalité de l'exercice du droit au logement. On peut estimer qu'à Paris le nombre de personnes complètement marginalisées serait compris entre 10.000 et 20.000 et le nombre de mal-logés d'environ 60.000. Il est donc évident que la question du logement des exclus est loin d'être résolue et que, chaque année, il faudra continuer à assurer l'hébergement d'urgence de ceux que l'absence de logements accessibles jette à la rue. Il existe bien le FSL, mais il ne peut se substituer à la très grande faiblesse du parc disponible.
Comment sortir de cette situation ?
Une première voie consiste à utiliser tous les moyens disponibles pour augmenter le parc de logements sociaux et très sociaux.
Parmi ces moyens figure la réquisition, je m'étonne de ne pas la voir utilisée alors que les textes existent. La réquisition n'est pas à elle seule la solution définitive, mais elle permettrait déjà d'accroître rapidement le parc disponible, je demande donc fermement au Préfet de Paris donc au Gouvernement de procéder à des réquisitions maintenant. Il en va de même des nombreux logements vacants ou des bureaux invendables, ils devraient permettre de disposer de davantage de logements très sociaux. Je souhaite que le gouvernement s'attaque résolument à ces gisements de logements.
Une autre voie consiste à établir une étape entre l'hébergement d'urgence et le logement définitif, de manière à disposer d'une gamme complète permettant de répondre à la diversité des situations concrètes. L'annonce par le Gouvernement de la mise en place d'un parc de résidences sociales va dans cette direction, c'est une bonne initiative dont les modalités sont encore à préciser. L'activation nécessaire de toutes les procédures et la création par l'État de résidences sociales ne pourront toutefois rien contre la faiblesse de l'action municipale, faiblesse qui s'accentue d'année en année. La Ville de Paris se désintéresse du logement social, je le déplore, mais c'est un fait.
Face à une population souvent sans ressources, donc incapable de s'insérer dans une logique de marché, à des collectivités et des bailleurs sociaux réticents, ne faut-il pas raisonner autrement si l'on veut que le droit au logement puisse s'exercer pour tous, à commencer par ceux qui en ont le plus besoin ?
Le Gouvernement a considéré que la couverture maladie devait être universelle pour que tous puissent en bénéficier et que le droit à la santé ne se limite pas à un discours.
Si l'on veut que les sans-abri et des mal-logés à faible revenu puissent se réinsérer, il faut appliquer au logement la même optique. Le logement des plus pauvres doit faire partie de la solidarité nationale, il doit devenir un véritable service public qui ne dépendra plus du bon ou du mauvais vouloir des acteurs locaux. Ceci pourrait signifier que l'État déciderait la création d'un parc de logements d'intégration à très faible loyer. Un premier programme de 20.000 logements en Île-de-France permettrait de répondre aux besoins les plus urgents. Son financement pourrait être assuré par des prêts à long terme et à très faible taux, venant, par exemple, de la Caisse des Dépôts. Je lance ici cette idée nouvelle. Je suis en effet persuadé que c'est la seule voie réaliste pour que le droit au logement soit assuré pour tous.
Organiser l'hébergement d'urgence pour le faire sortir du provisoire et de l'improvisation, considérer que le logement des plus démunis est un véritable service public, tels sont, Mesdames, Messieurs, les deux principes qu'il faut appliquer si l'on veut éviter que des sans-abri ne meurent dans la rue et si l'on veut en finir avec l'existence même des sans-abri.
En conclusion et en résumé, nos propositions sont les suivantes :
- améliorer l'hébergement des personnes en grande difficulté par la mise en place d'un dispositif permanent et organisé d'accueil ;
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- renforcer la politique en faveur du logement des plus démunis en utilisant la procédure de réquisition et en créant une infrastructure de logements publics d'intégration qui pourrait constituer une première étape vers la mise en oeuvre d'une " couverture logement universelle " ;
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- mieux évaluer et mieux coordonner les interventions en faveur du logement des personnes défavorisées de façon à définir des politiques de prévention et d'équipement adaptées.
Je vous remercie encore de votre participation et de votre attention.
(source http://www.mdc-France.org, le 27 février 2002)