Interview de Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie, dans "La Croix" le 4 février, et déclaration au Sénat le 5 février 2003, sur l'objectif du gouvernement en matière énergétique : fournir des énergies respectueuses de l'environnement, accessibles à tous et qui préservent l'indépendance nationale, et sur le lancement d'un débat national destiné à informer le grand public et à recueuillir son opinion.

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Circonstance : Colloque de l'ADAPES "Energie nucléaire, enjeux énergétiques, environnementaux et contexte politique et géostratégique" au Sénat, le 5 février 2003

Média : La Croix

Texte intégral


Mesdames, Messieurs les parlementaires,
Mesdames, Messieurs,
C'est avec grand plaisir que je me trouve aujourd'hui parmi vous pour ouvrir ce colloque, consacré aux enjeux environnementaux et géostratégiques de l'énergie nucléaire, enjeux ambitieux et combien actuels. Je tiens à remercier la Revue Passages, ainsi que l'Association de ses Amis, en la personne de son directeur, M. Malet, d'avoir rendu possible cette rencontre de haut niveau. Comme vous le savez, elle s'inscrit dans le cadre du grand Débat national sur les Energies que le Président de la République a souhaité, et dont le Premier Ministre m'a confié l'organisation. Je voudrais ici en rappeler les objectifs, mais aussi l'esprit, qui présidera, j'en suis sûre, à vos discussions.
Les objectifs du gouvernement en matière énergétique sont clairs : nous devons doter notre pays d'énergies respectueuses de l'environnement, accessibles à tous et qui préservent notre indépendance nationale. Sur ce cahier des charges, qu'il est facile à définir, tout le monde s'accorde ; mais la question difficile est de savoir comment y satisfaire le mieux possible. Cela implique une réflexion approfondie sur la composition de notre bouquet énergétique à très long terme, pour les trente années à venir.
Or, et c'est là une grande première, le gouvernement a décidé d'associer le plus largement possible les citoyens à cette réflexion. Contrairement au débat qui avait été organisé en 1994 et qui était, si je puis dire, un débat à l'usage des initiés, nous faisons le pari de faire en sorte que le citoyen soit informé et qu'il puisse s'exprimer. Nous avons d'ailleurs ouvert un site Internet à la fois informatif mais qui contient également une partie interactive. Des rencontres en région s'échelonneront pendant les mois qui viennent. Nos concitoyens sont très concernés par ce sujet, qui touche à leur mode de vie, leur mode de consommation et à leur qualité de vie.
Nous avons choisi de nous appuyer sur un dispositif qui assure l'impartialité et la sérénité des discussions : un comité des Sages avec Mrs Edgar Morin, Pierre Castillon et Mac Lessgy ; un Comité consultatif -qui travaille à l'élaboration des programmes des colloques et réunit toutes les associations de protection de l'environnement et de consommateurs, les experts et les opérateurs de l'énergie compétents sur ce sujet ; un parlementaire en mission, M. Jean Besson, Député du Rhône, qui va s'attacher plus particulièrement à faire participer les élus à ce débat. Nous comptons beaucoup aussi sur les initiatives partenaires qui seront proposées par tous ceux qui signeront notre Charte et qui souhaitent s'impliquer dans ce grand débat. En outre, nous travaillons beaucoup, avec Luc Ferry, pour impliquer les jeunes dans cette démarche.
Dans cet esprit de neutralité et de sérénité nécessaires au Débat, j'ai demandé aux entreprises du secteur de l'énergie de se dispenser de faire des campagnes de publicité suggérant un choix énergétique, et d'axer leur communication sur la pédagogie.
Nourri des enseignements de cette vaste délibération nationale, le gouvernement prendra ses responsabilités en présentant un projet de loi d'orientation sur les énergies, qui déterminera l'évolution de notre politique dans ce domaine, pour les trente années à venir.
Bien évidemment, la question de l'énergie nucléaire occupe une place centrale dans ce Débat. Je n'apprendrai à personne ici que 75 % de la production française d'électricité provient de l'énergie nucléaire. L'atome a permis de desserrer considérablement la dépendance énergétique de notre pays : le taux de couverture global de nos besoins est ainsi passé de 26 % en 1973 à 50 % aujourd'hui. Mais nous continuons pourtant d'acquitter chaque année une facture énergétique extérieure de 23 milliards d'euros, et notre économie reste dépendante du pétrole à hauteur de 40 %. Peu favorisée par son sous-sol, la France doit donc, comme toujours, inventer les moyens de son autonomie. De plus, l'épuisement progressif des combustibles fossiles et la nécessité de réduire nos émissions de gaz à effet de serre nous incitent à rechercher de nouvelles ressources énergétiques.
D'ores et déjà, comme ses partenaires européens, la France s'est engagée à porter la part des énergies renouvelables de 15 % aujourd'hui à 21 % de sa production totale d'électricité, d'ici à 2010. Nous sommes plutôt parmi les bons élèves de la classe en Europe, grâce à l'énergie hydraulique, qui représente une part prépondérante de notre électricité d'origine renouvelable mais dont le potentiel de développement est désormais limité. Notre pays devra donc sans aucun doute explorer des voies nouvelles. Sur ce chemin, l'innovation technologique et l'information du public seront un moteur indispensable.
Concernant l'énergie nucléaire, la question très simple et très ouverte qui se pose est la suivante : quelle sera sa place demain dans le bouquet énergétique français ? Une place identique, accrue ou revue à la baisse ? Quelle que soit la réponse, il faut y réfléchir dès maintenant, car les décisions dans ce domaine mettent du temps à s'appliquer. Les démantèlements comme les constructions de centrale sont des entreprises de longue haleine. L'énergie nucléaire, moins que tout autre secteur, ne tolère pas l'improvisation.
Je ne suis pas venue aujourd'hui pour vous apporter la réponse à cette question, mais pour ouvrir le débat. Aussi me bornerai-je à souligner les enjeux qui me paraissent essentiels pour éclairer la réflexion. Ils sont de trois ordres : économique, géostratégique et environnementaux.
1. Economique d'abord
Dans le cadre de la globalisation des échanges et de la libéralisation du marché énergétique, il est capital pour notre pays de disposer d'une énergie compétitive. Bénéficier d'électricité en grande quantité, et au meilleur prix, est un facteur décisif pour l'implantation des entreprises dans notre pays. Nous devons donc déterminer dans quelle mesure l'énergie nucléaire est utile, ou nécessaire, à l'accomplissement de cet objectif. Il faut pour cela répondre à des questions très concrètes : Quel est le coût du KWh nucléaire comparé au KWh-gaz ou au KWh-fioul? Quel serait l'impact d'un abandon du nucléaire sur la compétitivité de notre économie ? Loin de toute passion, et sans exclure aucune possibilité, ces questions doivent être explorées à fond, à partir de données indiscutables.
2. Géostratégique
La relation entre l'énergie nucléaire et l'indépendance nationale, ensuite, doit être examinée de très près. A l'heure où les approvisionnements en pétrole font l'objet de vives tensions internationales, l'aspect géopolitique et géostratégique de la question énergétique prend un relief particulier. Comment éviter au mieux les risques de chocs macro-économiques en cas de crise pétrolière et/ou gazière ? Dans quelle mesure la stratégie de diversification de nos approvisionnements est-elle suffisante ? Quelle marge de manoeuvre de la consommation permet-elle d'y répondre ? Dans quelle mesure la maîtrise l'énergie nucléaire ou les ENR peuvent se substituer au pétrole mais aussi au gaz en fonction des différents usages : les transports mais également le chauffage, la climatisation Et encore faut-il se poser la question aujourd'hui mais aussi pour demain tant l'énergie est un domaine où il faut penser long terme et innovation technologique. Un exemple : l'hydrogène sera peut être demain un des vecteurs principaux d'énergie, notamment dans les transports. Le nucléaire, susceptible de servir à la production d'hydrogène, pourrait dès lors paraître comme un recours inattendu. Encore une fois, je ne veux ici que suggérer la complexité des problèmes.
3. Environnementaux
Enfin, le souci de préserver notre environnement doit guider nos choix. C'est pour nous une exigence essentielle. Vous savez l'importance que nous attachons à ces sujets. Nous avons d'ailleurs consacré un séminaire gouvernemental au développement durable. La France a ratifié le Protocole de Kyoto. C'est une préoccupation de plus en grande des citoyens, c'est donc l'une de nos préoccupations majeures. Dans ce domaine, les idées fausses ne sont pas rares. 58 % de nos concitoyens croient par exemple que les centrales nucléaires contribuent massivement au réchauffement de la planète. C'est évidemment faux. Face à ce problème, le nucléaire peut même au contraire, à certains égards, apparaître comme une solution.
Pour cette raison, de grands pays, comme le Japon, les Etats-Unis, la Chine ou plus proche de nous la Finlande ont ainsi décidé de réinvestir dans le domaine de la production nucléaire. D'autres comme l'Allemagne ou la Belgique ont en revanche fait le choix de sortir du nucléaire. Dans ce domaine, l'Europe évolue en ordre dispersé.
Nous devons aussi aborder sans fausse pudeur la question des déchets nucléaires. Dans la continuité de la loi Bataille du 30 décembre 1991, de nombreuses recherches sur les diverses possibilités de stockage et de retraitement ont été réalisées en France comme à l'étranger - certains pays ayant déjà arrêtés leurs solutions pour résoudre la question des déchets nucléaires.
En France, les décisions n'interviendront qu'en 2006. De multiples solutions, du stockage en surface au stockage en grande profondeur, seront étudiées pendant ces deux jours lors de vos tables rondes. Dans ce domaine, il n'existe en effet pas de solution-type : je souhaite que la France élabore sa propre solution nationale, en adoptant pour règles la rationalité et l'efficacité - et pour impératif la protection de notre environnement, en accordant la part indispensable à la recherche. D'ailleurs les enseignements du sondage que nous avons fait réaliser nous montrent que le Français sont plutôt optimistes et font confiance à la recherche. Tous ces enjeux seront donc examinés objectivement, sans polémique ni idéologie.
Enfin, je ne serais pas complète si je n'évoquais l'importance de considérer l'ensemble des énergies, toutes les énergies, pour répondre à nos objectifs et notamment les énergies renouvelables : biocarburants, énergie solaire, éolienne, - les voies sont multiples. Il faut évidemment en évaluer avec pragmatisme le coût, et les capacités réelles.
Les différents facteurs que je viens d'évoquer doivent être à chaque fois combinés et croisés pour éclairer la question nucléaire sous tous les angles. Je ne suis pas venue, vous l'avez compris, vous apporter des réponses toutes faites ou vous prêcher la bonne parole. L'objectif du gouvernement est précisément de susciter un examen approfondi, libre et sans exclusive des questions énergétiques. Confiante dans la fécondité de vos travaux, je vous encourage à ne pas oublier cette parole de Saint-Exupéry " Nous n'héritons pas la terre de nos parents ; nous l'empruntons à nos enfants. "
Je vous remercie.
(source http://www.industrie.gouv.fr, le 20 février 2003)