Déclaration de M. Jean-Pierre Chevènement, président du Mouvement républicain et citoyen, sur la ligne de conduite et la position de son mouvement à gauche, les analyses et le projet de son mouvement pour un meilleur financement de l'économie mondiale et sur la construction européenne, Saint-Pol-sur-Mer, le 26 janvier 2003.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral

Mes remerciements vont d'abord à Christian Hutin, maire de Saint-Pol sur Mer, qui nous accueille durant ces deux jours ainsi qu'à Philippe Oeuvrard, à la toute petite équipe de la rue du Faubourg Poissonnière autour de Marinette Bache, notre Secrétaire générale administrative, qui a mené à bien la préparation de ce Congrès, et à l'armée des bénévoles des départements du Nord et du Pas-de-Calais qui, avec Claude Nicolet, Françoise Dal et Jean-Marie Alexandre, ont assuré la brillante réussite du Congrès constitutif du Mouvement Républicain et Citoyen. Depuis les élections du printemps dernier, nous avons pris notre temps. La poussière est retombée. On y voit plus clair. L'équation de ma campagne correspondait à une situation de crise, qui existait bel et bien. Mais cette crise n'était pas assez mûre et réfléchie collectivement pour déboucher sur l'issue positive que j'ai proposée au pays. A partir du 11 février 2001, date de l'entrée en lice de Jacques Chirac, le débat de fond a été complètement occulté. En réélisant Jacques Chirac, le peuple français n'a fait que retarder une échéance inévitable.
La crise est profonde. La majorité actuelle est fragile, car le pays n'est pas préparé à relever les défis qu'il rencontrera inévitablement sur sa route. Plus que jamais lui fait défaut une claire vision de l'avenir. C'est pourquoi la pertinence de notre projet demeure : aucun des grands défis pointés à Vincennes, il y a plus d'un an, ne s'est effacé, au contraire, qu'il s'agisse de la récession économique, de la crise au Proche et Moyen-Orient, du projet de Constitution européenne ou de démantèlement de l'Etat républicain, même si la majorité et le gouvernement ont changé. Mais les évènements viendront à notre rencontre pour nous aider dans l'immense effort de pédagogie qui incombe au Mouvement Républicain et Citoyen.

I - Notre " positionnement ".
C'est de notre projet que découle la place que nous occupons dans la vie politique française. C'est notre projet qui permettra au Mouvement Républicain et Citoyen de conquérir notre espace : celui d'une opposition républicaine influente, à la fois ferme et constructive.
1. Ferme parce que la politique du gouvernement Raffarin, au-delà de quelques mesures positives comme les lois de programmation sur la sécurité ou l'unification des SMIC, s'inscrit clairement dans une vision néolibérale que nous combattons : privatisations, notamment d'EDF, réduction du champ et des moyens du service public, absence de politique industrielle, et surtout incapacité à s'affranchir des contraintes maastrichtiennes qui plombent l'économie.
Par ailleurs, la réforme constitutionnelle sur la décentralisation ouvre la voie à une Europe des régions d'inspiration fédérale. C'est aussi le sens profond de la " Constitution européenne " en préparation. L'adoption du principe de subsidiarité à la fois pour le projet Raffarin de réforme constitutionnelle et pour la future " Constitution européenne " ferait de la nation un échelon résiduel entre les régions et l'Europe.
La réalisation de ce projet fédéral signerait la fin de la France dans une Europe inféodée. Il y a mieux à faire : affirmer notre objectif d'une Europe européenne, et pour cela, maintenir la France libre dans une confédération de nations souveraines, où les citoyens doivent pouvoir garder le dernier mot.
2. Parce qu'elle est républicaine, notre opposition restera constructive. Nous ne sommes pas des démagogues. Nous entendons tenir dans l'opposition le même langage responsable que nous tiendrions au pouvoir. C'est pourquoi nous soutenons avec vigilance les politiques qui nous paraissent aller dans le sens de notre projet : c'est particulièrement le cas de la diplomatie française sur l'affaire irakienne qui, au Conseil de Sécurité de l'ONU, a obligé les Etats-Unis à attendre le rapport des Inspecteurs sur le désarmement de l'Irak. Cette résolution 1441 comporte bien des ambiguïtés mais nous devons soutenir le ferme propos du Président de la République quand il déclare que les Etats-Unis, s'ils déclenchaient la guerre de leur propre initiative et sans mandat de l'ONU, se mettraient " en marge de la Communauté internationale ".
Il appartient à la France de refuser l'instrumentation de l'ONU par les Etats-Unis. Cela seul peut empêcher la guerre, car l'opinion américaine, traumatisée par les attentats du 11 septembre et profondément manipulée par des média où ne s'expriment que des voix favorables à la guerre, n'est pas majoritairement favorable à une intervention unilatérale des Etats-Unis, en dehors du mandat de l'ONU.
Nous devons donc mobiliser l'opinion publique française pour que la France mette le cas échéant son veto à une deuxième résolution destinée à donner à une guerre préventive le sceau de la légalité internationale. Bien plus, nous devons encourager notre diplomatie à prendre l'initiative d'une Conférence internationale pour montrer qu'une solution pacifique aux problèmes du Proche et du Moyen-Orient est possible.
3. Oui, le Mouvement Républicain et Citoyen a un espace à occuper, qui peut être beaucoup plus grand dans une situation de crise : celui d'une opposition républicaine solide, porteuse d'une véritable alternative à la politique du pareil au même. C'est ainsi que nous ferons reculer, par un patient travail de pédagogie, le spectre de l'extrême droite dans les milieux populaires et que nous ferons bouger non seulement la gauche, mais l'ensemble de l'échiquier politique.
Si les Français font encore confiance au gouvernement Raffarin, ils ne sont pas prêts à se tourner demain vers le parti socialiste qui, par démagogie -sur les questions de sécurité par exemple- est en train de répudier le discours responsable qu'il tenait quand il était au gouvernement, même si ce discours n'était pas relayé par des actes.
Le Parti Socialiste n'a pas encore fait la critique de ce qu'a été la gauche plurielle, qui n'était au fond qu'une simple combinaison tactique. De la période 1997-2002, il n'offre qu'un bilan en trompe l'oeil. La vérité a commencé à sortir du puits quand François Hollande, dans ses voeux aux Corréziens, a reconnu que l'absence de projet et de vision d'avenir était la véritable explication de l'échec du 21 avril.
Tout montre que le Parti socialiste n'a aujourd'hui rompu qu'en paroles avec le social-libéralisme qui, depuis mars 1983, l'a peu à peu transformé en simple parti de gestion. Je ne veux pas m'ingérer dans la préparation du Congrès de Dijon, mais j'observe que les multiples tendances sont d'accord avec la direction sur un point : la création d'une Europe fédérale et donc inféodée, qui ruinerait, dans l'état actuel des rapports de forces, leur prétention à faire une Europe sociale. Vouloir faire de la Commission européenne le gouvernement de l'Europe, théoriquement responsable devant un Parlement dont nous savons bien qu'il ne peut, en l'état actuel des choses, exprimer aucune volonté populaire légitime, dès lors qu'il n'y a pas un peuple européen, mais quinze aujourd'hui, vingt-sept demain et trente-trois après-demain, ce serait donner à cette Commission toute puissante la possibilité de relayer sans entrave la mondialisation libérale et l'hégémonie américaine en Europe. S'il y a une opposition à la politique américaine au Moyen-Orient aujourd'hui on voit bien qu'elle ne vient pas de la Commission européenne mais des gouvernements de l'Allemagne et de la France. Aucun des dirigeants du PS ne semble avoir pris garde à cette contradiction : Comment en donnant tout le pouvoir à une expertocratie libérale pourrait-on faire avancer l'Europe sociale ?
Le PS ne propose qu'une politique de Gribouille. Il faut donc laisser le temps faire son oeuvre et nous préparer, pour ce qui nous concerne, à une longue marche, afin de construire une véritable alternative républicaine et citoyenne non pas seulement dans notre pays mais aussi en Europe et dans le monde.
Ce serait une grave erreur de céder à la démagogie ambiante. Celle-ci nous confondrait avec le lot des politiciens à la petite semaine, incapables de tenir un cap. Or, c'est justement cela qui fait notre crédibilité : notre capacité à voir loin et à tenir bon.
En 1983 déjà, beaucoup d'entre nous savaient que la fameuse " parenthèse libérale " n'avait pas été ouverte pour être refermée.
En 1991, déjà, nous étions les premiers à avoir compris ce que voulaient réellement les Américains en Irak : asseoir leur domination pour contrôler le pétrole et remodeler la carte de la région. Il suffisait d'ailleurs d'écouter alors M. Baker, quand il disait vouloir " ramener l'Irak au stade d'un pays préindustriel ". Voilà pourquoi nous étions à l'époque presque les seuls à refuser " la logique de guerre ". Aujourd'hui ils sont nombreux à nous rejoindre dans les manifestations, faisant, quoi qu'ils en disent, amende honorable avec leurs pieds.
De même, beaucoup d'entre nous avaient discerné, dès 1992, la véritable nature du traité de Maastricht : une Constitution libérale pour l'Europe. Faut-il évoquer le pacte de stabilité qui accompagnait le traité d'Amsterdam, en 1997, aujourd'hui qualifié de " stupide " par M. Prodi ? Ou l'affaire corse, qui nous donnait un avant-goût du projet Raffarin, tant il est vrai que ce sont les mêmes forces insidieuses qui sont à l'oeuvre au sein de l'UMP et du PS pour saper la République ? Et qui ne comprend que M. Sarkozy est le meilleur exécuteur testamentaire des accords de Matignon, acharné qu'il est, pour complaire aux indépendantistes, à vouloir imposer à la Corse un statut de collectivité unique, c'est-à-dire de territoire d'Outre-mer, et cela à quelques encablures de la Côte provençale, aux deux assemblées départementales récalcitrantes ? Dès lors que les deux Conseils généraux rechignent à démanteler la France, on met le souci de la concertation avec les élus locaux en vacances !
4. Savoir résister.
Oui, nous avons une ligne et nous devons nous y tenir ! Car on ne fait de bonne politique qu'à partir des idées. Et les nôtres, issues de la réflexion et de l'expérience, vont à l'essentiel. Beaucoup de Français le savent.
Depuis huit mois, tout a été fait pour nous faire disparaître. Nous avions eu l'audace de proposer, à partir de l'exigence républicaine, une autre perspective, en rupture avec la pensée unique. L'occasion était trop belle, au lendemain du 21 avril, pour écraser définitivement le gêneur !
Tous les moyens de la bien-pensance ont été mobilisés pour déformer le sens de mon entreprise. Il fallait que j'eusse trahi, peu importe quoi d'ailleurs , soit la gauche soit le dessein de rassemblement qui nous avait réunis pendant la campagne présidentielle. Comme si je n'étais pas demeuré fidèle à un itinéraire que tout le monde connaît !
En me plaçant du point de vue de la République et de ses valeurs, j'ai défini à Vincennes dix orientations pour la relever. Si on se place du point de vue de l'intérêt des classes populaires pour définir la gauche, il est clair que mes propositions étaient beaucoup plus à gauche que celles du candidat socialiste, définition citoyenne de la nation, revalorisation du travail, défense du service public, desserrement des contraintes européennes, critique de la mondialisation financière, indépendance de notre diplomatie, etc. Mais j'ajoute que ces positions étaient aussi et peut-être surtout conformes aux intérêts de la France.
Nous devons continuer le combat en étant tout simplement des républicains.
Que vous ai-je dit à Vincennes ? ceci que je rappelle : " La gauche et la droite continueront d'exister à l'avenir, sous des formes et avec des contenus différents ". Encore une fois, je n'ai jamais employé l'expression " ni droite ni gauche ". Je l'ai même clairement réfutée dans mon discours du 19 janvier 2002 au CNIT, à la Défense.
Il est vain de penser que les catégories de gauche et de droite inscrites dans deux siècles d'histoire vont disparaître, à moins de déclarer clos, comme François Furet, le cycle de la Révolution française. Mais tel n'a jamais été et n'est pas notre sentiment.
De la même manière, il serait absurde de penser que nous pouvons réussir à relever la France en nous appuyant seulement sur ce qu'on appelle aujourd'hui " la gauche ", compte tenu de ce qu'est devenu le PS depuis vingt ans. Non ! On peut relever la gauche bien sûr, mais à partir de la France. Il faut pour cela s'adresser au peuple tout entier. Dans la même phrase du discours de Vincennes que je citais à l'instant, j'ajoutais : " mais il y a une chose qui est au-dessus de la droite, au-dessus de la gauche, c'est la République ! ". Certains critiquent ce concept parce qu'il serait difficile à faire comprendre. Il est vrai que l'intérêt général est toujours exigeant mais ce n'est pas une raison pour renoncer à cette ambition éthique, qui fonde la légitimité de tout ce que nous avons fait ensemble.
Donc je vous demande de faire vôtre, dans son intégralité, cette phrase essentielle de mon discours de Vincennes. La preuve que nous existons, c'est que les attaques du parti des Hypocrites continuent. Et pour cause !
II - Notre force est d'abord dans nos analyses dans notre projet.
1. L'originalité de nos analyses.
Le conflit dans lequel veut nous entraîner le néo-impérialisme américain est aussi une crise de la Raison. L'Europe de 1914 y avait déjà succombé. Aujourd'hui le conflit des impérialismes européens rivaux est derrière nous. Il n'existe plus qu'une seule Superpuissance. Selon une vue qu'avait déjà avancée Kautsky en 1916, le capitalisme financier s'est unifié à l'échelle mondiale. C'est ce qu'on appelle la globalisation financière.
Les Etats-Unis ont imposé, en cinquante ans, la libéralisation des marchés et une déréglementation généralisée. Changes flottants, dettes abyssales des Etats, des entreprises et des particuliers, totale libération des flux financiers dont la masse représente plus de mille fois celle des échanges commerciaux, prolifération des paradis fiscaux, irruption sur le marché mondial de centaines de millions de travailleurs sous-payés et dépourvus de protection, dérégulation généralisée en matière environnementale et sociale, triomphe, avec l'Ecole de Chicago et le " consensus de Washington ", d'une orthodoxie libérale qui nous ramène au XIXème siècle, le monde plus que jamais est une jungle ! Cette globalisation a installé partout une logique financière, aussi bien dans le fonctionnement des Etats que dans la vie des entreprises : Ici ce sont les critères de Maastricht, là-bas, dans les pays du Sud, les plans d'ajustement structurels du FMI. Partout la dictature de l'actionnariat s'impose aux travailleurs livrés aux restructurations et aux plans sociaux. La vue du long terme se perd pour les collectivités comme pour les entreprises.
En quoi notre analyse du capitalisme financier moderne est-elle originale ? Elle pointe le fait qu'un tel système ne peut fonctionner -et pas seulement à travers les prêts du FMI- que sous l'égide de la Superpuissance américaine. Parce qu'il s'agit d'une affaire apparemment complexe mais en fait assez simple, je sollicite votre attention : Pour financer l'énorme déficit annuel de leur balance des paiements (500 Milliards de dollars par an), les Etats-Unis doivent pomper une grande partie de l'épargne mondiale, qu'elle soit japonaise, européenne ou provienne des monarchies pétrolières ou des pays dits émergents, comme l'Argentine ou le Brésil. Cette épargne se place en bons du Tresor ou s'investit à Wall Street, comme elle l'a fait tout au long des années quatre-vingt-dix.
Ce capitalisme financier a connu des crises à la périphérie (Mexique, ASEAN, Russie, Brésil, Argentine).
Mais cette fois-ci, le système est frappé en son coeur : depuis la fin 2000, des milliers de milliards de dollars ou d'euros sont partis en fumée. D'énormes faillites comme celle d'Enron jettent un jour cru sur la réalité de ce capitalisme financier : enrichissements massifs et sans cause autre que la prévarication, certificats bidons, corruption des organes de contrôle, spoliation massive des petits actionnaires et des retraités des fonds de pension. Voilà le fait majeur dont les politiques ne vous parlent pas, ou si peu.
Et pour enrayer cette chute, il ne suffit pas de réduire à presque rien les taux d'intérêt. Il ne suffit pas de congédier le Secrétaire américain au Tresor, M. O'Neil. Il ne suffira même pas d'offrir plus de six cent milliards de dollars d'exonérations fiscales aux entreprises et aux actionnaires américains !
Non ! Il faut quelque chose qui frappe beaucoup plus fort les imaginations : il faut administrer la preuve que le XXIème siècle tout entier restera un " siècle américain ", que la Superpuissance demeurera dans les décennies à venir le coeur du capitalisme financier globalisé qu'elle a construit méthodiquement depuis des décennies en supprimant toutes les réglementations, oubliant ainsi les leçons de la grande crise et de Keynes. Pour convaincre les gestionnaires de fonds de placer leur trésorerie en dollars, il faut frapper un grand coup ! et frapper à coup sûr ! D'où l'idée d'envahir et d'occuper l'Irak. Coup double, croient-ils : ils mettront la main sur le pétrole de la Mésopotamie et, à partir de là, régenteront toute la région où se trouvent concentrés les deux tiers des réserves pétrolières mondiales.
Qui tient le pétrole tient l'équilibre financier du monde ! Qui tient le Moyen-Orient tient l'Europe, le Japon et la Chine qui en dépendent pour leurs approvisionnements pétroliers !
On croirait entendre retentir la parole de Jaurès avant 1914 : " Le capitalisme porte, en son sein, la guerre, comme la nuée porte l'orage ".
Voici donc l'originalité de notre analyse : nous n'invoquons pas seulement un vague impérialisme financier, comme certains socialistes qui ne combattent qu'en paroles, un adversaire qu'ils prennent bien soin de ne pas définir avec précision, alors même qu'ils le connaissent parfois intimement. Non ! notre analyse pointe un mécanisme global, dont la tête est à Washington et plus précisément dans l'Establishment conservateur, adossé aux compagnies pétrolières et au complexe militaro-industriel, et dominé par une extrême droite, où les fondamentalistes chrétiens donnent la main aux ennemis du processus de paix israélo-palestinien.
Peu importe à cet Establishment conservateur que, dans sa fuite en avant, il nous entraîne dans un monde toujours plus injuste et violent. Il fait le jeu du terrorisme qu'il prétend combattre. La " grande guerre entre le terrorisme " n'est que l'alibi de cette croisade pour le pétrole et pour la domination du monde. Mais si le terrorisme est l'ennemi, Georges Bush, alors, est le meilleur allié du terrorisme !
Cette fuite en avant est une crise de la Raison, au point de rencontre de tous les djihads, le djihad islamiste, mais aussi le djihad américain qu'a décrit Lewis Lapham. Cette nouvelle crise des Lumières remet en cause des notions qui paraissaient bien établies : le refus de la guerre préventive, la notion de légitime défense, seule motivation légitimant la guerre, le respect de la souveraineté des Etats et de la règle internationale, en particulier du rôle du Conseil de Sécurité de l'ONU, et jusqu'à la déontologie de l'information. On a l'impression que les Etats-Unis d'aujourd'hui cèdent à la même démesure que les impérialismes européens dans la première moitié du XXème siècle.
Du point de vue d'Israël, cette fuite en avant est une folie : Israël sera la première victime d'une radicalisation du monde arabo-musulman Du point de vue des Etats-Unis, cette fuite en avant va les confronter à l'immensité d'un monde qu'ils n'ont pas les moyens de dominer dans la durée. Ce serait leur rendre service que de leur éviter l'enlisement, comme hier au VietNam, demain dans les sables de l'Orient.
2. Le projet républicain doit prendre forme dès aujourd'hui.
Il est capital que la France, et autour d'elle le plus grand nombre de pays européens, refusent d'emboîter le pas à cette folle dérive et s'efforcent de désamorcer les bombes à retardement qu'elle multipliera dans le monde entier.
Dans la situation actuelle, les Européens doivent s'unir, de Paris à Moscou, en passant par Berlin, pour faire triompher le bon sens et la paix. Quoi qu'il arrive, l'Occident ne doit pas se confondre avec les Etats-Unis de George Bush. C'est à long terme l'intérêt de cette grande nation, d'autant plus grande qu'elle saura agir en coopération avec les autres peuples, au service de valeurs universelles.
Plus que jamais s'impose aujourd'hui la nécessité d'une Conférence internationale qui puisse se saisir de l'ensemble des problèmes posés, de la Méditerranée au Golfe : désarmement de l'Irak mais respect de sa souveraineté, création d'un Etat palestinien viable, reposant sur les principes que j'ai déjà développés pendant la campagne présidentielle : rétrocession des colonies israéliennes en Cisjordanie, partage de Jérusalem, abandon du droit au retour des réfugiés palestiniens dans les frontières d'Israël sous réserve de compensations financières, garantie enfin des grandes puissances à l'intégrité et à la sécurité des deux Etats. Voilà l'initiative que je souhaite voir prendre à la diplomatie française.
Si une telle initiative ne rencontrait pas l'accord des Etats-Unis, il devrait être clair que la France ne saurait s'associer non seulement à la guerre en Irak mais pas davantage à un statut d'occupation international.
Dans les deux hypothèses, la France doit refuser l'instrumentation de l'ONU. Cette politique est seule conforme à l'intérêt national.
La crise qui vient peut offrir l'occasion d'une affirmation sans précédent d'une identité européenne distincte. C'est par là que passe l'avenir d'une Europe européenne et non pas par une fuite en avant dans le mécano institutionnel de M. Giscard d'Estaing.
Le combat contre cette mondialisation libérale aveugle doit être mené au nom des valeurs universelles portées par la République : égalité - laïcité - dialogue des cultures.
Notre projet prendra son sens dans une complète révolution du mode de développement actuel. Il faudra pour cela partir des besoins, au Nord comme au Sud : au Nord plus de sécurité, plus de justice, plus de conscience et de vraie culture, plus de civisme, plus de démocratie ; au Sud, priorité à l'agriculture, à l 'approvisionnement en eau potable, à la santé, à l'éducation, aux grandes infrastructures, au développement maîtrisé et bien sûr, là aussi, à la conscience et à la démocratie, comme l'élection de Lula à la Présidence de la République du Brésil en montre la voie.
C'est le financement de l'économie mondiale qui est à revoir comme je l'ai exposé à Porto Alegre l'an dernier, Porto Alegre où nous représente aujourd'hui Sami Naïr. Il faut inventer entre le Nord et le Sud une stratégie " gagant-gagnant " : réforme de la Banque Mondiale afin d'orienter l'épargne mondiale vers les besoins prioritaires des pays du Sud, remplacement du FMI par la BRI, réglementation des flux de capitaux, mise en oeuvre d'une stratégie de croissance respectueuse de l'environnement et économe des ressources rares.
Au monde unipolaire, il faudra substituer un monde multipolaire : Etats-Unis bien sûr, mais aussi Europe, y compris la Russie, la Chine, l'Inde, le Brésil.
A la vision ethnoculturaliste qui préfigure le choc des civilisations, nous devons être capables d'opposer le riche héritage des Lumières, le legs non déformé des valeurs universelles, des institutions internationales rénovées (ONU, Banque Mondiale, OMC, BRI, mais aussi OIT, UNESCO, FAO, OMS, organisation mondiale de préservation de l'environnement). En finir avec les expertocraties libérales et inféodées, remettre partout la politique (c'est-à-dire la souveraineté des peuples) au poste de commande, effacer la dette, définir de nouvelles normes sociales et environnementales.
Bref, nous devons non seulement résister au néoimpérialisme, mais aussi contribuer à définir une perspective mondiale " en positif ". C'est cela l'actualité du combat républicain au XXIème siècle.
III - Une Europe européenne pour construire une alternative citoyenne au néolibéralisme :
1. Tout d'abord nous voulons revoir l'architecture de la politique monétaire et économique imposée par le traité de Maastricht et le pacte de stabilité budgétaire.
C'est nécessaire pour sortir de la récession. Là est la priorité. Il est scandaleux que la Convention européenne de M. Valéry Giscard d'Estaing ne se soit pas saisie de cette urgente question.
Réformer les statuts de la Banque Centrale Européenne pour y introduire l'objectif de la croissance et de l'emploi.
Donner clairement au conseil des ministres des finances de la zone euro la responsabilité effective de la politique de change, car le dollar s'est dévalué de 22 % en un an.
Ensuite, revoir les critères du pacte de stabilité, en soustrayant de leur calcul les investissements d'infrastructure (ferroutage, lignes à grande vitesse), les grands projets technologiques et les programmes de défense, où notre retard vis-à-vis des Etats-Unis s'est considérablement creusé depuis vingt ans.
Nous pourrons ainsi concevoir à la fois une stratégie de relance économique et de rattrapage, bref une sortie de crise à l'échelle du continent par des taux d'intérêt abaissés, un change qui préserve la compétitivité des produits européens et une relance de l'investissement public, ciblée sur les priorités de l'Europe européenne à construire : transports notamment ferroviaires, recherche, défense.
2. En second lieu, nous devons soutenir tout ce qui va dans le sens d'une identité européenne renforcée :
Meilleure visibilité du Conseil Européen : l'élection d'un Président pour cinq ans serait une bonne chose.
Inversement, l'élection du Président de la Commission par le Parlement européen nous ferait glisser vers un schéma fédéral qui ne correspond pas à la réalité actuelle de l'Europe. Encore aujourd'hui, le sentiment d'appartenance reste d'abord à la nation.
C'est pourquoi j'ai proposé pendant la campagne présidentielle que les débats au Conseil européen soient publics et que le droit d'initiative soit partagé entre le Conseil et la Commission. Il faut refonder l'Europe dans la démocratie des nations, pour faire émerger un espace public commun de débat.
Enfin, pour que les intérêts vitaux des peuples ne soient pas écrasés dans des votes à la majorité qualifiée et la France avec moins de 10 % des voix systématiquement mise en minorité sur tous les sujets essentiels, pour elle : politique économique, protection sociale, politique agricole commune, politique étrangère, siège permanent au Conseil de Sécurité, avenir de notre dissuasion nucléaire, exception culturelle, place du français dans les institutions internationales, etc., il faudra évidemment maintenir le droit de veto issu du compromis de Luxembourg.
Surtout, il faudra que l'Europe s'occupe non du détail mais de l'essentiel : commerce extérieur, monnaie, coordination des politiques économiques, grands projets, programmes de défense et admette les différenciations en son sein. Je partage l'avis de Jacques Delors quand il écrit : " La clé, c'est de fixer à la grande Europe des ambitions raisonnables et de permettre en parallèle à ceux qui le veulent et le peuvent d'aller plus loin "1. Les coopérations renforcées, et d'abord entre la France et l'Allemagne, sont l'avenir de la construction européenne. C'est à partir de là que pourra s'affirmer une identité européenne consistante par rapport aux Etats-Unis, pour défendre notre modèle social, notre compétitivité, notre indépendance, et peut-être tout simplement la paix sur notre continent.
Oui, chers camarades, nous avons un bon et solide projet. C'est notre force. C'est notre principal atout. Il a trouvé un écho certain dans le pays, bien au-delà des 1.520.000 voix qui se sont portées sur mon nom le 21 avril. Il balise les choix fondamentaux par rapport auxquels les uns et les autres devront à l'avenir se déterminer.
Ce projet est exigeant. Il est cohérent. Il ne faut pas en rabattre.

IV - Un outil au service de notre projet :
1. Un objectif clair : la refondation républicaine.
Pour faire avancer ces idées originales, qui correspondent aussi bien à l'intérêt du pays qu'à ceux d'une Europe européenne, il nous faut un outil aiguisé : un parti moderne, un parti de rassemblement, à partir d'un socle d'idées claires mais respectant l'itinéraire et la personnalité de chacun. C'est ce que je vous ai proposé et que vous avez accepté. L'objectif du MRC est clair : c'est la refondation de la République dans le contexte d'une crise profonde, celle de la mondialisation libérale. Nous voulons un autre modèle de développement dans un monde multipolaire et équilibré. Et, pour cela, nous voulons une France libre dans une Europe européenne. Nous demeurons évidemment disponibles pour une refondation républicaine de la gauche, mais nous nous adressons au peuple tout entier et nous entendons préserver notre capacité à rassembler tous les républicains.
2. Notre Congrès doit marquer le début de la reconquête.
Rien ne peut remplacer un parti comme outil de maillage et de mobilisation, comme instrument de pédagogie collective. Le MRC ne peut être régi que par le principe démocratique : un homme égale une voix. Seul un parti de militants peut créer les dynamiques collectives nécessaires, à condition que les comités locaux ou départementaux ne se replient pas sur eux-mêmes, mais s'ouvrent largement, sans sectarisme, bref à condition que chacun apprenne à respecter l'autre. Alors la qualité de l'écoute, celle des débats et celle des propositions s'élèveront naturellement. C'est le moment de réaliser l'amalgame des sensibilités et des générations. Nous pourrons alors faire partager nos analyses et nos propositions et être collectivement ce grand instituteur républicain dont la France a besoin pour affronter l'avenir, pour aller loin et se tenir droit !
Nous l'avons décidé hier. Le MRC sera un parti de militants, démocratique mais ouvert, acceptant que des sensibilités diverses puissent coexister en son sein ou à sa périphérie, bref qu'il soit le foyer du pôle républicain. Il est utile que des associations comme " l'Union des jeunes républicains ", " l'Union des républicains radicaux " ou " Vive la République " puissent servir de relais à l'entreprise de refondation républicaine qui est la nôtre. Pour autant, le MRC restera entièrement maître de ses choix et de ses décisions. Ayons confiance en nous !
Bien sûr il y a en 2004 et en 2007 des échéances politiques : sachons nous y préparer sereinement dès maintenant. Désignons dans les prochains mois nos chefs de file aux régionales et aux européennes avant de poser le problème des alliances, que nous traiterons le moment venu avec pragmatisme. Commençons par exister !
Conclusion.
1. Modernité de l'idée républicaine.
Nous avons un monde à conquérir : jamais l'idée républicaine n'a été plus moderne. Jamais l'idée d'Egalité n'a eu plus d'actualité que dans ce monde d'inégalités féroces et croissantes, que certains osent décrire comme " la mondialisation heureuse " : ouvriers jetés comme papier kleenex, à Metaleurope ou Arcelor et dans tant d'autres sites de production, directement ou indirectement délocalisés, pour satisfaire les appétits du capital financier mondialisé. Pays jadis parmi les plus développés, comme l'Argentine, aujourd'hui réduits à la misère et à la mendicité par les thérapies de choc libérales, sans parler d'un continent abandonné à la faim, à la maladie et à la mort, comme l'Afrique, qui reçoit moins de 2 % des flux de capitaux mondiaux.
Jamais l'idée républicaine n'a été plus nécessaire pour établir des règles dans cette jungle cruelle, pour construire un nouveau modèle de développement et faire reculer la barbarie.
Jamais la laïcité n'a eu plus de signification que dans un monde affronté à la montée des intégrismes, des ethnismes, des communautarismes, des groupismes de toute nature.
Face à cette immense crise de la Raison qui pointe à l'horizon avec la perspective d'une guerre des civilisations, face à cette éclipse des Lumières, jamais l'idéal du citoyen éclairé par l'Ecole et capable de juger par lui-même, jamais le civisme n'ont été plus nécessaires.
2. Les défis à relever.
Le Mouvement Républicain et Citoyen pour quoi faire ? Eh bien, pour relever tous ces défis !
Pour dire non à la guerre en Irak ! oui à la paix, de la Méditerranée au Golfe !
Pour dire non à une Europe inféodée ! oui à une Europe européenne !
Pour dire non à une Constitution européenne qui enterrerait la souveraineté nationale, mais oui à une Confédération européenne de nations libres, associées sur des projets communs ambitieux !
Pour dire non à l'Empire, mais oui à un monde multipolaire et équilibré !
Pour dire non à la faim et à la misère dans les pays du Sud, mais oui à une véritable écologie de l'Humanité !
Pour dire non à la logique financière, oui à la revalorisation du travail !
Non à la précarité, oui à la sécurité, y compris sociale !
Non au démantèlement de l'Etat républicain, oui à des services publics modernes !
Non à l'abrutissement, au conditionnement, à l'obscurantisme, mais oui à l'Ecole publique, laïque, qui forme le citoyen ! oui à la Culture, oui aux valeurs de la connaissance !
3. Un espace à conquérir.
Oui, chers camarades, ayons confiance en nous !
Ne nous laissons pas rebuter par des épreuves passagères ! Croyons en la force de nos idées. Elles continueront à faire leur chemin. Je sais bien que François Hollande nous donne 1 % des voix. Mais le véritable paysage, il a émergé le 21 avril, et pas dans des législatives que l'élection de Jacques Chirac, avec 82 % des voix, a complètement faussées. Dans un scrutin national à la proportionnelle, le courant républicain moderne que nous incarnons peut représenter plus de 5 % et trouver, si des circonstances exceptionnelles se font jour, un écho plus large encore.
Les évènements viendront à notre rencontre. Nous serons portés par des courants puissants : l'aspiration à la paix et à la justice, le patriotisme républicain, qui va de pair avec l'internationalisme véritable, l'exigence de la citoyenneté.
Ayons confiance en nous ! Tournons le MRC vers l'extérieur. Ouvrons-nous aux autres ! Payons d'exemple ! Portons-nous à la tête des luttes qui vont dans le sens du projet républicain.
Nos analyses sur la mondialisation, l'Europe, la crise de la France, ne sont pas seulement justes, elles sont percutantes. Organisons des forums pour une alternative républicaine et citoyenne ! Des milliers de sympathisants sont sur le pas de la porte. Ils attendent pour nous rejoindre que nous donnions collectivement l'exemple de la cohésion, de la responsabilité, de l'ouverture. Au radotage de l'UMP sur la " proximité ", sachons opposer l'élan vigoureux des idées sans lesquelles il n'y a pas de politique qui vaille ! Montrons à la France le grand rôle qui peut être le sien demain, en Europe et dans le monde ! Redonnons confiance au monde du travail en le remettant là où il n'aurait jamais dû cesser d'être : au coeur de la société !
A maintes reprises, depuis plus de trente ans, nous avons su peser dans des moments décisifs. Demain, plus qu'hier encore, nous pèserons pour redonner l'espoir au monde du travail, sa jeunesse à la République, son élan à la France ! L'espace est là : au Mouvement Républicain et Citoyen de le conquérir.

(Source http://mrc-france.org, le 28 janvier 2003)