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Quels vignerons pour demain ?
A l'heure où le monde de la vigne et du vin réfléchit à son propre avenir, la question que vous posez ce soir, Monsieur le Président, est au coeur de tous les débats et occupe tous les esprits.
Comment mieux la poser qu'en s'adressant aux vignerons eux-mêmes ?
Comment mieux y répondre qu'en dégustant la plus belle expression de leur savoir-faire ?
Bravo donc et merci, Monsieur le Président, pour cette initiative sénatoriale qui nous permet de débuter cette nouvelle année sous le signe de deux valeurs que je crois indissociables de la tradition du vin : l'authenticité et la convivialité.
Et permettez-moi de saisir cette occasion - puisqu'il en est encore temps - pour vous adresser mes voeux les plus ardents, pour vous même, pour ceux qui vous sont chers et pour toute notre filière viticole.
Par cette manifestation ce soir, par l'évocation de nos territoires et de nos terroirs, avec des hommes et des femmes qui savent en exprimer toute la force et en faire parler tous les mystères, vous nous rappelez que le vin est bien plus qu'un produit agricole et bien plus qu'une simple valeur échangeable.
La vigne a marqué de son empreinte notre histoire, notre géographie, nos paysages et nos traditions.
Le vin a dessiné nos côteaux, façonné nos villages et inspiré notre table.
Le vin, c'est tout cela à la fois.
C'est une part de notre culture et c'est donc aussi une part de rêve.
Mais c'est aussi une force. Cette force que nous confère la place enviée, mais de plus en plus disputée, de premier producteur et de premier exportateur mondial.
Car si la viticulture française reste le fleuron de notre puissance agro-alimentaire, si elle demeure cette référence que le monde entier nous envie, pour la qualité et la typicité de ses produits, notre leadership est aujourd'hui contesté sur les fronts extérieurs.
C'est d'ailleurs le constat sans ambiguïté qu'a très clairement établi l'excellent rapport du groupe sénatorial présidé par G. DELFAU sur l'avenir de la viticulture française et dont je salue ici le rapporteur, le sénateur G. CESAR.
Les faits sont là : le marché intérieur poursuit son repli, lent mais régulier, pendant qu'une concurrence acharnée se développe chaque jour un peu plus sur nos marchés d'exportation.
Cette évolution, chacun de nous peut en mesurer la portée jour après jour.
Elle est le fait de ces nouveaux pays producteurs dont la part dans le vignoble mondial a doublé en dix ans et que l'exiguité de leur propre marché intérieur pousse sur les marchés et les créneaux les plus solvables dont nous dépendons nous-mêmes.
La bagarre commerciale est rude. Et je ne vois aucune raison qu'elle s'apaise dans ce contexte nouveau où l'offre mondiale, élargie, est devenue chroniquement excédentaire.
A cet égard, ces derniers jours ont été marqués par un événement très symbolique, qui illustre encore - s'il en était besoin - la réalité de cette nouvelle donne. Je veux parler de la fusion de deux géants du vin, américain et australien, qui vient nous rappeler la détermination de nos challengers.
Nous devons faire preuve de lucidité, et réagir rapidement et efficacement aux perturbations que ces concurrences entraînent ou risquent d'entraîner.
C'est un défi d'envergure, certes. Mais quels atouts formidables que les nôtres ! C'est la qualité des hommes d'abord, mais aussi celles des produits qu'ils élaborent dans toutes leurs régions et dans toute leur diversité ! C'est tout cela que vous avez réuni pour nous ce soir, Monsieur le Président, ici au Sénat, lieu par excellence de la connaissance fine de nos terroirs.
Il faut conforter ces atouts, mieux les faire connaître, les rendre plus lisibles et plus accessibles.
C'est à ce prix que pourront être prolongés les succès historiques de la viticulture française, à qui, rappelons-le, nous devons le concept des " appellations d'origine ".
Cette idée, née il y a un siècle, définit la relation unique, qui s'établit parfois, presque par miracle, entre des hommes et un territoire. De ce lien si particulier naît un produit qui est le reflet de son terroir, c'est-à-dire de l'identité conjuguée des vignerons et de leur terre.
Différent, le produit est connu, reconnu, recherché. Lié à son territoire, il ne peut être délocalisé. Protégé, il échappe au détournement de notoriété et à la fraude.
Je ne rappellerai pas tous les succès économiques que l'AOC a remportés dans le secteur viti-vinicole. Chacun ici les connaît, souvent d'ailleurs pour y avoir participé personnellement.
Ce que nous leur devons est d'abord visible ici, en France, avec le maintien de très nombreuses exploitations agricoles dans des territoires parfois défavorisés. Mais aussi sur les marchés extérieurs avec le développement continu de nos exportations dont la valeur a été décuplée en moins de 30 ans.
Pour autant, l'appellation n'est jamais un acquis définitif dont le bénéfice se passe de tout effort.
Au contraire, c'est une richesse commune, un héritage précieux et collectif auquel il faut veiller, travailler même, avec attention et précaution.
Nous devons continuer à renforcer l'identité liée au terroir, par plus de rigueur dans les conditions de production et dans la mise en oeuvre de leur suivi. C'est le message que nous transmettent les hommes et les femmes passionnés que vous avez réunis ce soir autour de vous en choisissant de revenir à la parcelle, à la vigne, au raisin, car c'est là, avant tout que s'exprime le terroir. C'est aussi le sens des évolutions engagées par l'Institut National des Appellations d'Origine (INAO) et qu'il convient de poursuivre avec détermination pour renforcer les liens intimes qui unissent le produit à son terroir et améliorer encore l'image et la qualité de ces produits.
Cela étant, il est clair que l'ensemble de la production française, avec près de 60 Mhl de vin, ne peut envisager de miser sur les seuls produits qui obéissent à la démarche d'AOC.
C'est avec la diversité de toute notre production qu'il nous faut aujourd'hui gagner, ou regagner des parts de marché, séduire de nouveaux consommateurs sur notre territoire mais également hors de nos frontières, là où la concurrence est particulièrement vive, là aussi où l'absence de tradition viticole réclame des efforts et des attentions particulières. A nous, collectivement, producteurs, coopératives, négociants, mais aussi pouvoirs publics d'être capable de concilier qualité et savoir-faire " vigneron ", avec le dynamisme et l'efficacité commerciaux qu'exige l'ambition viticole de notre pays.
La forte mobilisation de l'ensemble de la filière et des élus des régions viticoles, de même que l'implication de votre haute assemblée témoignent, s'il était besoin, que cette ambition est portée haut, partout et par tous. N'en déplaise aux Cassandre et autres pessimistes, la filière viticole française demeure et entend demeurer la référence. Pas une référence immobile et passive qui regarde le monde évoluer autour d'elle, mais une référence qui avance et qui gagne.
C'est dans cet esprit que la profession travaille depuis plusieurs mois, à tous les niveaux, dans toutes les régions et à travers toutes ses composantes. Evidemment ce n'est pas un exercice facile, tant est riche et divers le monde du vin français. Mais je sais que tous s'efforcent de tracer ensemble des perspectives de progrès. C'est donc avec beaucoup d'intérêt que j'attends la synthèse des positions communes auxquelles la profession sera parvenue.
Mais de cela , Monsieur le Président, nous aurons l'occasion de reparler.
Je ne veux pas être plus long, car je crois que les produits qui nous attendent parleront mieux que je ne saurais le faire, de la vigne, des vignerons et de leur avenir.
(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 29 janvier 2003)