Texte intégral
Les 5 et 6 octobre prochains, les radicaux s'assembleront en Congrès à Toulouse, renouant ainsi, après 13 années, avec la grande tradition de nos congrès dans la capitale du Midi républicain, chère évidemment à tous les radicaux du grand Sud-Ouest mais aussi à tous ceux qui savent à quel point notre région est historiquement et intimement liée au radicalisme.
Je serai donc heureux et fier de vous y accueillir.
Je le serai d'autant plus que votre suffrage unanime m'a désigné, selon la procédure du vote universel des militants, pour présider à nouveau le Parti Radical de Gauche, comme entre 1983 et 1985 déjà, et comme votre confiance m'y a invité depuis janvier 1996.
Cette estime des militants radicaux aux marques toujours renouvelées me touche à titre personnel et je m'efforcerai, bien sûr, de continuer à la mériter. Elle me satisfait aussi à titre politique car elle est la preuve de l'unité profonde du parti, unité qui reste toujours ma première préoccupation dans toutes les difficultés que nous avons pu, pouvons ou pourrons traverser. Merci donc à vous tous de m'avoir à nouveau manifesté votre amitié et d'avoir ainsi démontré la solidité et la cohésion de la grande famille radicale.
Vous aurez cependant peut-être avec moi un petit regret lorsque nous nous retrouverons à Toulouse. En optant, lors de nos derniers ajustements statutaires, pour la plus grande démocratie possible avec le suffrage universel des militants et par une procédure nécessairement longue, complexe et postale, nous avons retiré un peu de ce qui fait l'intérêt habituel de nos Congrès, la désignation du Président par les délégués assemblés. J'ai beaucoup réfléchi à cette contradiction entre le souci démocratique perfectionniste et les avantages d'une assemblée d'hommes et de femmes libres décidant de l'avenir. A la fin, il m'apparaît que dans notre société politique et dans notre histoire radicale particulière, la légitimité doit se manifester au creuset du Congrès. Il ne sert à rien, nous l'avons souvent dit, d'opposer la démocratie représentative à la démocratie participative mais celle-ci n'est pas toujours supérieure par essence à celle-là. Dans le cas qui nous occupe, je crois aux avantages du Congrès tant pour la force qu'il donne à votre décision que pour l'impact qu'il donne à notre communication. Je vous proposerai donc, dès Toulouse, la modification correspondante de nos statuts.
Je proposerai aussi quelques autres changements statutaires limités pour rendre compte, dans notre loi fondamentale, de la volonté de rénovation que vous avez exprimée et que j'approuve totalement. En effet, après vous avoir soumis un bilan détaillé que vous avez déjà approuvé, dans ses grandes lignes par votre vote, je vous présenterai des propositions précises et détaillées visant à la rénovation de notre pratique politique tant au niveau de la direction nationale qu'à celui de nos fédérations départementales et régionales ou à celui du militantisme quotidien.
Collégialité véritable, transparence accrue, responsabilisation des dirigeants, définition précise des tâches et modernisation de notre communication seront les grands axes des propositions que je ferai au Congrès.
Je veux un parti moderne, en ordre de marche volontaire, capable d'affronter les défis que la vie politique nous lance et de répondre aux attentes que les citoyens expriment. La rénovation ne sera pas un mot d'ordre incantatoire lancé par les partis de gauche du fond de leur désarroi actuel ; elle sera, pour les radicaux, une réalité profonde, riche et active.
Nous avons déjà dit et notre Convention nationale du 29 juin l'a confirmé avec beaucoup d'éclat et de qualité que l'essentiel de notre travail se situera toutefois dans l'ordre de la réflexion. C'est par manque d'idées de gauche modernes que la gauche a perdu.
Que ce soit dans le plan des valeurs fondamentales dont l'actualité n'était pas toujours démontrée ou dans le plan de leur traduction programmatique souvent peu audacieuse, nos concitoyens n'ont pas vu ce qui distinguait clairement la gauche de la droite et puisqu'ils étaient fondés à croire qu'il ne s'agissait en somme que de comparer des conservatismes ou d'arbitrer un simple concours pour le pouvoir, ils ont assez logiquement voté à droite.
Lors de notre Convention de juin, première réaction organisée d'un des partis de gauche après le séisme des présidentielles et le traumatisme des législatives, nous avons souligné à quel point le retour au volontarisme politique, la réhabilitation du travail idéologique, la résurgence des grandes utopies fécondes, le refus du consensus entre les conformismes et le rejet du tout-médias en politique étaient devenus urgents si nous voulons retrouver la confiance de nos concitoyens sur des bases clarifiées.
Mais si nous voulons reconstruire la gauche il faudra surtout lui redonner des idées de gauche. Quand nos partis ne s'adressent plus aux exclus, quand l'élitisme les éloigne du peuple, quand ils ne s'insurgent plus contre les inégalités au prétexte du libéralisme économique, quand ils abandonnent les victimes de la mondialisation ou de la spéculation au fatalisme et à la résignation, quand ils sacrifient les services publics à la logique de concurrence et aux valeurs de compétition, quand ces partis-là perdent, ce n'est pas vraiment la gauche qui a perdu, ce sont eux qui ont perdu leur gauche.
Car il existe toujours dans ce pays un idéal de liberté jamais satisfait, une soif de justice jamais assouvie, un appétit de fraternité jamais rassasié. Il existe toujours un grand rêve collectif de gauche, une grande espérance de gauche mais nos partis avaient simplement désappris à rêver.
En évoquant le nécessaire effort de retour au travail idéologique et programmatique de la gauche, je ne tiens pas notre parti à l'écart de cette nécessité. Certes les radicaux ont beaucoup travaillé à l'actualisation de leur doctrine et à l'élaboration de propositions novatrices dans la phase récente et notamment lors de la campagne présidentielle mais il leur faut approfondir encore leurs réflexions en insistant, sauf à se confondre dans les conformismes bien-pensants, sur ce qui les distingue essentiellement.
Le maître mot de la pensée radicale est bien sûr l'humanisme dont tout un chacun se réclame aujourd'hui.
Nous devons dire ce que peut être un humanisme à l'usage du XXIème siècle et, d'abord, dans la définition de la condition humaine elle-même. Le siècle dernier a vu l'humanité acquérir tout à la fois les moyens techniques de se détruire totalement et ceux de se récréer absolument, la pensée politique semblant d'ailleurs s'effrayer plus de la deuxième possibilité que de la première. Nous ne pouvons plus nous abriter derrière de vagues considérations éthiques et morales pour répondre à la prodigieuse évolution technique qui vient interroger les hommes sur l'essentiel de leur condition. La philosophie politique ne peut être en retard sur les laboratoires. Il nous faut énoncer, dans une nouvelle déclaration des droits de l'homme à l'existence, les principes fermes et clairs qui autoriseront et encadreront les inévitables progrès de la bio-génétique. On ne pense pas le XXIème siècle avec les outils conceptuels du XIXème.
L'humanisme moderne est à définir également pour ce qui concerne les relations entre les peuples et entre les différents univers que la mondialisation économique et les tensions internationales ont dessinés ou révélés. Tandis que la bonne conscience compassionnelle et théorique de la gauche européenne se porte au secours de quelques réfugiés politiques, de quelques demandeurs d'asile ou de quelques sans-papiers, nos partis s'accommodent assez bien, derrière leurs protestations-pétitions de solidarité, des formidables inégalités que notre propre modèle de développement ne cesse de creuser comme un défi au principe de fraternité. Les radicaux qui ne croient pas à la fin de l'Histoire doivent dire ce qu'est aujourd'hui un humanisme rendant compte de ces inégalités et mettant en place - mieux que des O.N.G. caritatives - de véritables institutions politiques pour les réduire. Christiane Taubira a magnifiquement démontré, pendant sa campagne présidentielle, que nous ne devions pas nous laisser enfermer dans le face à face qu'on nous propose, au plan international comme aux plans national ou local, entre le libéralisme prétendument pourvoyeur de toutes les libertés et le communautarisme raidi dans ses réflexes identitaires. Au contraire, il nous faut inventer, par un effort sur les idées, une synthèse moderne entre les valeurs de l'universalité et celles de l'identité. Il nous faut expliquer comment l'unité fondamentale de la condition humaine se renforce et s'enrichit de toutes les identités individuelles ou collectives, territoriales et culturelles. Comment l'Europe, par exemple, est forte de ses nations ; comment l'Etat dont la critique moderne doit être menée, est riche de ses régions ; comment les communautés qui vivent chez nous apportent à notre vieille et chère matrice républicaine les matériaux nouveaux de leurs cultures, de leurs identités.
L'humanisme et l'universalisme venus des Lumières et bâtis sur un socle aujourd'hui encore incontestable (égalité en droits, autonomie du sujet, démocratie comme principe organisateur) se référaient néanmoins à un individu idéal et abstrait inséré dans des sociétés politiques tendues vers des satisfactions de principe. Le grand défi actuel est dans cette question lancinante : comment donner force concrète, réalité pratique, à nos idéaux de liberté, de justice et de solidarité ?
Notre époque est caractérisée par la contradiction, apparemment insoluble, entre, d'une part, une exigence de solidarité à un niveau jamais atteint adressée par des individus désemparés à des sociétés semblant avoir oublié que la liberté est d'abord faite de responsabilité et, d'autre part, un individualisme matérialiste et consumériste exalté par les images du monde et de la vie que propose la publicité. L'esprit civique disparaît, en somme, à mesure qu'on vante les pseudo-vertus " citoyennes ".
La pensée radicale est mieux armée que d'autres pour dépasser cette contradiction car le siècle qui s'est éteint lui a littéralement donné raison sans même que les radicaux s'en aperçoivent toujours clairement. Ce siècle, qui avait engendré les monstres du totalitarisme, s'est achevé avec la revanche capitale de l'individu sur le collectif, de la volonté sur les déterminismes, de l'idéal de justice sur l'égalitarisme, de la responsabilité individuelle sur la tentation des organisations collectives de prendre en charge la totalité de la vie.
Oui, le radicalisme est bien armé pour définir l'humanisme moderne. Encore devrons-nous conduire effectivement ce travail de réflexion et je ferai à notre Congrès des propositions précises pour que le Parti Radical de Gauche s'organise comme un véritable lieu de rencontres et d'échanges pour cette définition.
A l'occasion de cet effort, nous aurons aussi à actualiser et à proposer à nos partenaires notre vision de la laïcité. Actualisation ne signifie pas modernisation à tout crin. Nous continuerons à nous battre contre les cléricalismes qui sont bien loin d'avoir désarmé et à protéger le champ politique de la montée en puissance d'une religiosité et d'un obscurantisme qui se parent quelquefois des habits de la modernité " new-age " ou écologique. Ce combat traditionnel ne doit pas être abandonné et il doit même être étendu au terrain européen qui en a le plus grand besoin.
Mais nous aurons aussi à expliquer que la laïcité, dans la conception exigeante qu'en ont les radicaux, se présente comme la garantie de la neutralité absolue des institutions publiques - spécialement de celles qui ont en charge l'instruction publique- contre les influences des confessions certes mais également contre le pouvoir de l'argent, celui des corporations ou celui des factions partisanes.
Il est clair aujourd'hui que les entreprises du capital transnational contre les Etats, contre les lois et, désormais, contre l'économie elle-même sont des atteintes graves et lourdes de conséquences à la laïcité. De la même façon, le jeu des corporatismes à l'intérieur même de l'Etat en viole la neutralité. Ailleurs, la mainmise économique sur les grands médias et donc indirectement sur l'opinion ne permet plus à la liberté de conscience de s'exercer. Tout de même, la confiscation du pouvoir par des bureaucraties anonymes et irresponsables - qu'il s'agisse de l'Europe, de l'Etat ou même des collectivités locales- heurte les principes laïques en ce qu'elle fait obstacle au libre exercice du suffrage des citoyens libres. Ces quelques exemples ne forment qu'une esquisse du vaste chantier qui est devant nous et qui consiste à expliquer à nos concitoyens que la laïcité n'est pas une valeur surannée dont le dernier combat aurait été livré en 1905 mais un principe actuel qui commandera l'organisation de notre société politique future sur une base républicaine.
Comme nous l'avons souligné lors de notre Convention nationale les sujets sur lesquels devra s'appliquer prioritairement cette réflexion laïque seront ceux de la lutte contre l'extrême-droite et de la construction européenne. Là aussi, je présenterai au Congrès des radicaux un plan de travail d'autant plus urgent que ces deux thèmes formeront, dans le temps du nouveau mandat que vous me confiez, l'essentiel de nos préoccupations strictement politiques.
Car il nous faudra bien parler aussi de notre stratégie et de la reconstruction d'une gauche apte à l'exercice du pouvoir et digne de la confiance des citoyens.
Répétons-le, il ne servirait à rien de concevoir de nouvelles stratégies de reconquête du pouvoir ou d'élaborer des schémas tactiques de rassemblement si nous n'avions pas conduit préalablement la réflexion sur nos valeurs que je viens d'esquisser et si nous n'en avions pas déduit les conséquences programmatiques que cette actualisation idéologique entraînera mécaniquement.
Je veux dire ici, car c'est un point essentiel pour l'avenir de la gauche, que ce travail sur les idées et sur les propositions de programme ne devra pas être mené par les radicaux seuls. Un tel isolement nous condamnerait à la confidentialité que, par effet de mode, les médias nous imposent depuis trop longtemps. Je souhaite au contraire que les radicaux s'ouvrent à l'échange et à l'effervescence des idées venues d'autres horizons par la mise en place de clubs, de forums, de conventions, de publications, où la pensée radicale se confrontera à celle des autres familles politiques traditionnelles bien sûr mais encore à celle du syndicalisme moderne, à celle de l'université la plus inventive, à celle des responsables d'un monde associatif en éruption civique généralisée, à celle de professionnels des entreprises d'un nouveau type non gouvernées par le seul souci du profit, à celle d'étudiants à la recherche d'un engagement même ponctuel, à celle de groupes locaux attachés à une décentralisation authentique, à celle, en résumé, de tous ces citoyens qui ont montré après le 21 avril leur totale disponibilité pour l'action politique et leur refus catégorique des méthodes anciennes de nos partis politiques.
Nous devons comprendre qu'à l'aube de ce siècle, à l'heure de la communication universelle instantanée, à l'heure où se créent horizontalement d'innombrables réseaux de citoyens et où tous les grands appareils verticaux (Etat, armée, églises, partis) sont contestés dans leur légitimité, nous ne pourrons plus fonctionner comme des militaires en temps de guerre électorale ou comme des administrateurs de ministère dans l'intervalle des scrutins. Il nous faut inventer de nouvelles formes d'action, inventorier de nouveaux lieux d'irruption, adopter de nouveaux thèmes d'intervention. Je ne fais pas là une concession à l'air du temps, j'exprime ce qui est, pour tous les partis politiques et plus encore pour les radicaux que leur taille condamne à être plus imaginatifs encore, une nécessité vitale. Les partis doivent enfin s'inscrire dans leur temps plutôt que cultiver la nostalgie d'un âge d'or dont toutes les composantes ont vécu.
Il ne vous a pas échappé que si, notre pays est en attente d'un véritable renouveau politique, cette demande n'est pas prioritairement adressée au Parti Radical de Gauche. Il nous faut reconnaître avec humilité que les méthodes auxquelles nous sommes légitimement attachés - celles de la raison discursive, du doute méthodique, du scrupule dans la communication - sont autant de handicaps dans une vie publique médiatisée, simplificatrice et livrée à la publicité. Ce constat peut vous paraître injuste mais il doit être dressé : le radicalisme traditionnel - qui doit impérativement être sauvegardé - n'a pas pris le virage que lui imposaient tout à la fois les nouvelles institutions, la médiatisation politique et les transformations profondes que l'urbanisation généralisée a produites dans la société.
En revanche, notre récente campagne présidentielle autour de Christiane Taubira a montré que s'il savait aller sur de nouveaux terrains, s'il savait tenir un langage rénové et s'il s'enrichissait de visages eux aussi nouveaux, le radicalisme pouvait, sans rien céder sur l'essentiel, rencontrer l'attente de nos concitoyens. Nous devons en déduire toutes les conséquences quant à notre organisation, quant à nos partenariats et, bien sûr, quant au rôle de Christiane Taubira elle-même au sein de notre parti. Sur ces différents thèmes, je ferai au Congrès des propositions qui entraîneront, si vous les acceptez, de très importantes modifications du Parti Radical de Gauche et de son image publique.
Faudra-t-il, au delà de ces différents chantiers, examiner à l'éclairage des récents scrutins la question d'un nouveau cadre de coopération pour les forces de gauche qui composaient la précédente majorité et pour celles qui émergent à leurs côtés ou, plus souvent, à leur détriment ?
Très franchement, je crois que cette question d'une nouvelle alliance à gauche est posée et que nos concitoyens ne nous pardonneraient pas de ne pas lui apporter une réponse rapide. J'entends dire que nous sommes pour cinq ans au moins dans l'opposition et que nous avons tout loisir d'y réfléchir calmement depuis nos formations respectives lorsque nos partenaires auront dépassé leur actuelle situation de crise.
Je crois, au contraire, que la crise est propice à la remise en question des organisations politiques, au réexamen de leurs certitudes institutionnelles et même à l'abandon de l'esprit de chapelle au profit d'intérêts supérieurs. Lorsque déjà, en 1969, la gauche s'est vue éliminée du deuxième tour de l'élection présidentielle, beaucoup pronostiquaient une interminable traversée du désert. Deux ans plus tard, Epinay replaçait à gauche et pour trente années les espérances du pays.
Le temps politique n'est pas un temps ordinaire. Il connaît de brutales accélérations amplifiées aujourd'hui par la médiatisation. Il est accueillant à l'imprévu. Il se joue souvent de la rigueur programmée des calendriers électoraux. Il peut être bouleversé par des mouvements sociaux dont l'ampleur ne se laissait pas deviner. Bref, la gauche n'est pas en longues vacances de pouvoir. Elle doit se tenir prête.
Cela signifie que nous devons disposer rapidement d'un cadre d'union pour une gauche modernisée. S'agira-t-il d'un programme commun ? d'une plate-forme minimale ? Irons-nous vers une coopération informelle et aux limites mouvantes ? Vers une confédération souple ? vers une fédération plus contraignante ? vers une intégration des anciens partis ? Aurons-nous les mêmes partenaires qu'au sein de la gauche plurielle ? ou d'autres, gauchistes ou chevènementistes ? Toutes ces questions sont posées et nul ne détient aujourd'hui de réponse mais nous sentons bien que l'aspiration de l'électorat de gauche à l'union est profonde, sincère et durable tandis que les mécanismes institutionnels, électoraux et médiatiques ne cessent de peser dans le sens d'une bipolarisation accrue. Quoi que nous en pensions - et je sais ce que souvent les radicaux en pensent négativement - cette aspiration et cette évolution nous sont données comme des contraintes et nous ne pouvons les ignorer au nom du seul souci que nous aurions de notre survie comme force politique traditionnellement organisée de façon autonome. C'est pourquoi je proposerai à notre Congrès de prendre une initiative importante et très novatrice en posant, dès le printemps 2003, au Congrès de nos amis socialistes les conditions d'un vaste rassemblement de la gauche rénovée.
L'objectif de ce rassemblement ne doit faire aucun doute. Il s'agira bien d'arracher aux forces du conservatisme, du laisser-aller économique, de l'inégalité sociale et du cynisme politique la direction des affaires de notre pays.
Nul ne doit être dupe des discours patelins du nouveau gouvernement ni de ses prétendues audaces réformatrices. C'est bien un clan qui entend exercer la totalité du pouvoir. C'est bien le consentement au pouvoir de l'argent qui se donne à voir. C'est bien le choix délibéré de la réaction sociale et de la défense des privilèges qui a déjà été opéré. C'est bien la crispation de l'Etat contre l'Europe fédérale et contre les libertés locales qui nous est proposée malgré les discours paradoxaux sur la décentralisation ou les incantations rhétoriques sur le rôle international de la France. C'est bien le démantèlement des services publics garants de l'intérêt général et la baisse des solidarités sociales qui forment l'horizon de ce nouveau pouvoir libéral.
Voilà pourquoi la réflexion de la gauche sur ses valeurs, sur son programme, sur son mode de rassemblement est impérative et urgente.
Voilà pourquoi aussi la réunion des radicaux en Congrès sera bienvenue et importante.
Voilà pourquoi je souhaite que vous preniez toute la mesure de l'immense travail qu'il nous faut accomplir : mettre l'humanisme radical au service de la gauche et de la République. Sans l'ombre d'un doute, je compte sur vous.
(source http://www.planeteradicale.org, le 7 octobre 2002)
Je serai donc heureux et fier de vous y accueillir.
Je le serai d'autant plus que votre suffrage unanime m'a désigné, selon la procédure du vote universel des militants, pour présider à nouveau le Parti Radical de Gauche, comme entre 1983 et 1985 déjà, et comme votre confiance m'y a invité depuis janvier 1996.
Cette estime des militants radicaux aux marques toujours renouvelées me touche à titre personnel et je m'efforcerai, bien sûr, de continuer à la mériter. Elle me satisfait aussi à titre politique car elle est la preuve de l'unité profonde du parti, unité qui reste toujours ma première préoccupation dans toutes les difficultés que nous avons pu, pouvons ou pourrons traverser. Merci donc à vous tous de m'avoir à nouveau manifesté votre amitié et d'avoir ainsi démontré la solidité et la cohésion de la grande famille radicale.
Vous aurez cependant peut-être avec moi un petit regret lorsque nous nous retrouverons à Toulouse. En optant, lors de nos derniers ajustements statutaires, pour la plus grande démocratie possible avec le suffrage universel des militants et par une procédure nécessairement longue, complexe et postale, nous avons retiré un peu de ce qui fait l'intérêt habituel de nos Congrès, la désignation du Président par les délégués assemblés. J'ai beaucoup réfléchi à cette contradiction entre le souci démocratique perfectionniste et les avantages d'une assemblée d'hommes et de femmes libres décidant de l'avenir. A la fin, il m'apparaît que dans notre société politique et dans notre histoire radicale particulière, la légitimité doit se manifester au creuset du Congrès. Il ne sert à rien, nous l'avons souvent dit, d'opposer la démocratie représentative à la démocratie participative mais celle-ci n'est pas toujours supérieure par essence à celle-là. Dans le cas qui nous occupe, je crois aux avantages du Congrès tant pour la force qu'il donne à votre décision que pour l'impact qu'il donne à notre communication. Je vous proposerai donc, dès Toulouse, la modification correspondante de nos statuts.
Je proposerai aussi quelques autres changements statutaires limités pour rendre compte, dans notre loi fondamentale, de la volonté de rénovation que vous avez exprimée et que j'approuve totalement. En effet, après vous avoir soumis un bilan détaillé que vous avez déjà approuvé, dans ses grandes lignes par votre vote, je vous présenterai des propositions précises et détaillées visant à la rénovation de notre pratique politique tant au niveau de la direction nationale qu'à celui de nos fédérations départementales et régionales ou à celui du militantisme quotidien.
Collégialité véritable, transparence accrue, responsabilisation des dirigeants, définition précise des tâches et modernisation de notre communication seront les grands axes des propositions que je ferai au Congrès.
Je veux un parti moderne, en ordre de marche volontaire, capable d'affronter les défis que la vie politique nous lance et de répondre aux attentes que les citoyens expriment. La rénovation ne sera pas un mot d'ordre incantatoire lancé par les partis de gauche du fond de leur désarroi actuel ; elle sera, pour les radicaux, une réalité profonde, riche et active.
Nous avons déjà dit et notre Convention nationale du 29 juin l'a confirmé avec beaucoup d'éclat et de qualité que l'essentiel de notre travail se situera toutefois dans l'ordre de la réflexion. C'est par manque d'idées de gauche modernes que la gauche a perdu.
Que ce soit dans le plan des valeurs fondamentales dont l'actualité n'était pas toujours démontrée ou dans le plan de leur traduction programmatique souvent peu audacieuse, nos concitoyens n'ont pas vu ce qui distinguait clairement la gauche de la droite et puisqu'ils étaient fondés à croire qu'il ne s'agissait en somme que de comparer des conservatismes ou d'arbitrer un simple concours pour le pouvoir, ils ont assez logiquement voté à droite.
Lors de notre Convention de juin, première réaction organisée d'un des partis de gauche après le séisme des présidentielles et le traumatisme des législatives, nous avons souligné à quel point le retour au volontarisme politique, la réhabilitation du travail idéologique, la résurgence des grandes utopies fécondes, le refus du consensus entre les conformismes et le rejet du tout-médias en politique étaient devenus urgents si nous voulons retrouver la confiance de nos concitoyens sur des bases clarifiées.
Mais si nous voulons reconstruire la gauche il faudra surtout lui redonner des idées de gauche. Quand nos partis ne s'adressent plus aux exclus, quand l'élitisme les éloigne du peuple, quand ils ne s'insurgent plus contre les inégalités au prétexte du libéralisme économique, quand ils abandonnent les victimes de la mondialisation ou de la spéculation au fatalisme et à la résignation, quand ils sacrifient les services publics à la logique de concurrence et aux valeurs de compétition, quand ces partis-là perdent, ce n'est pas vraiment la gauche qui a perdu, ce sont eux qui ont perdu leur gauche.
Car il existe toujours dans ce pays un idéal de liberté jamais satisfait, une soif de justice jamais assouvie, un appétit de fraternité jamais rassasié. Il existe toujours un grand rêve collectif de gauche, une grande espérance de gauche mais nos partis avaient simplement désappris à rêver.
En évoquant le nécessaire effort de retour au travail idéologique et programmatique de la gauche, je ne tiens pas notre parti à l'écart de cette nécessité. Certes les radicaux ont beaucoup travaillé à l'actualisation de leur doctrine et à l'élaboration de propositions novatrices dans la phase récente et notamment lors de la campagne présidentielle mais il leur faut approfondir encore leurs réflexions en insistant, sauf à se confondre dans les conformismes bien-pensants, sur ce qui les distingue essentiellement.
Le maître mot de la pensée radicale est bien sûr l'humanisme dont tout un chacun se réclame aujourd'hui.
Nous devons dire ce que peut être un humanisme à l'usage du XXIème siècle et, d'abord, dans la définition de la condition humaine elle-même. Le siècle dernier a vu l'humanité acquérir tout à la fois les moyens techniques de se détruire totalement et ceux de se récréer absolument, la pensée politique semblant d'ailleurs s'effrayer plus de la deuxième possibilité que de la première. Nous ne pouvons plus nous abriter derrière de vagues considérations éthiques et morales pour répondre à la prodigieuse évolution technique qui vient interroger les hommes sur l'essentiel de leur condition. La philosophie politique ne peut être en retard sur les laboratoires. Il nous faut énoncer, dans une nouvelle déclaration des droits de l'homme à l'existence, les principes fermes et clairs qui autoriseront et encadreront les inévitables progrès de la bio-génétique. On ne pense pas le XXIème siècle avec les outils conceptuels du XIXème.
L'humanisme moderne est à définir également pour ce qui concerne les relations entre les peuples et entre les différents univers que la mondialisation économique et les tensions internationales ont dessinés ou révélés. Tandis que la bonne conscience compassionnelle et théorique de la gauche européenne se porte au secours de quelques réfugiés politiques, de quelques demandeurs d'asile ou de quelques sans-papiers, nos partis s'accommodent assez bien, derrière leurs protestations-pétitions de solidarité, des formidables inégalités que notre propre modèle de développement ne cesse de creuser comme un défi au principe de fraternité. Les radicaux qui ne croient pas à la fin de l'Histoire doivent dire ce qu'est aujourd'hui un humanisme rendant compte de ces inégalités et mettant en place - mieux que des O.N.G. caritatives - de véritables institutions politiques pour les réduire. Christiane Taubira a magnifiquement démontré, pendant sa campagne présidentielle, que nous ne devions pas nous laisser enfermer dans le face à face qu'on nous propose, au plan international comme aux plans national ou local, entre le libéralisme prétendument pourvoyeur de toutes les libertés et le communautarisme raidi dans ses réflexes identitaires. Au contraire, il nous faut inventer, par un effort sur les idées, une synthèse moderne entre les valeurs de l'universalité et celles de l'identité. Il nous faut expliquer comment l'unité fondamentale de la condition humaine se renforce et s'enrichit de toutes les identités individuelles ou collectives, territoriales et culturelles. Comment l'Europe, par exemple, est forte de ses nations ; comment l'Etat dont la critique moderne doit être menée, est riche de ses régions ; comment les communautés qui vivent chez nous apportent à notre vieille et chère matrice républicaine les matériaux nouveaux de leurs cultures, de leurs identités.
L'humanisme et l'universalisme venus des Lumières et bâtis sur un socle aujourd'hui encore incontestable (égalité en droits, autonomie du sujet, démocratie comme principe organisateur) se référaient néanmoins à un individu idéal et abstrait inséré dans des sociétés politiques tendues vers des satisfactions de principe. Le grand défi actuel est dans cette question lancinante : comment donner force concrète, réalité pratique, à nos idéaux de liberté, de justice et de solidarité ?
Notre époque est caractérisée par la contradiction, apparemment insoluble, entre, d'une part, une exigence de solidarité à un niveau jamais atteint adressée par des individus désemparés à des sociétés semblant avoir oublié que la liberté est d'abord faite de responsabilité et, d'autre part, un individualisme matérialiste et consumériste exalté par les images du monde et de la vie que propose la publicité. L'esprit civique disparaît, en somme, à mesure qu'on vante les pseudo-vertus " citoyennes ".
La pensée radicale est mieux armée que d'autres pour dépasser cette contradiction car le siècle qui s'est éteint lui a littéralement donné raison sans même que les radicaux s'en aperçoivent toujours clairement. Ce siècle, qui avait engendré les monstres du totalitarisme, s'est achevé avec la revanche capitale de l'individu sur le collectif, de la volonté sur les déterminismes, de l'idéal de justice sur l'égalitarisme, de la responsabilité individuelle sur la tentation des organisations collectives de prendre en charge la totalité de la vie.
Oui, le radicalisme est bien armé pour définir l'humanisme moderne. Encore devrons-nous conduire effectivement ce travail de réflexion et je ferai à notre Congrès des propositions précises pour que le Parti Radical de Gauche s'organise comme un véritable lieu de rencontres et d'échanges pour cette définition.
A l'occasion de cet effort, nous aurons aussi à actualiser et à proposer à nos partenaires notre vision de la laïcité. Actualisation ne signifie pas modernisation à tout crin. Nous continuerons à nous battre contre les cléricalismes qui sont bien loin d'avoir désarmé et à protéger le champ politique de la montée en puissance d'une religiosité et d'un obscurantisme qui se parent quelquefois des habits de la modernité " new-age " ou écologique. Ce combat traditionnel ne doit pas être abandonné et il doit même être étendu au terrain européen qui en a le plus grand besoin.
Mais nous aurons aussi à expliquer que la laïcité, dans la conception exigeante qu'en ont les radicaux, se présente comme la garantie de la neutralité absolue des institutions publiques - spécialement de celles qui ont en charge l'instruction publique- contre les influences des confessions certes mais également contre le pouvoir de l'argent, celui des corporations ou celui des factions partisanes.
Il est clair aujourd'hui que les entreprises du capital transnational contre les Etats, contre les lois et, désormais, contre l'économie elle-même sont des atteintes graves et lourdes de conséquences à la laïcité. De la même façon, le jeu des corporatismes à l'intérieur même de l'Etat en viole la neutralité. Ailleurs, la mainmise économique sur les grands médias et donc indirectement sur l'opinion ne permet plus à la liberté de conscience de s'exercer. Tout de même, la confiscation du pouvoir par des bureaucraties anonymes et irresponsables - qu'il s'agisse de l'Europe, de l'Etat ou même des collectivités locales- heurte les principes laïques en ce qu'elle fait obstacle au libre exercice du suffrage des citoyens libres. Ces quelques exemples ne forment qu'une esquisse du vaste chantier qui est devant nous et qui consiste à expliquer à nos concitoyens que la laïcité n'est pas une valeur surannée dont le dernier combat aurait été livré en 1905 mais un principe actuel qui commandera l'organisation de notre société politique future sur une base républicaine.
Comme nous l'avons souligné lors de notre Convention nationale les sujets sur lesquels devra s'appliquer prioritairement cette réflexion laïque seront ceux de la lutte contre l'extrême-droite et de la construction européenne. Là aussi, je présenterai au Congrès des radicaux un plan de travail d'autant plus urgent que ces deux thèmes formeront, dans le temps du nouveau mandat que vous me confiez, l'essentiel de nos préoccupations strictement politiques.
Car il nous faudra bien parler aussi de notre stratégie et de la reconstruction d'une gauche apte à l'exercice du pouvoir et digne de la confiance des citoyens.
Répétons-le, il ne servirait à rien de concevoir de nouvelles stratégies de reconquête du pouvoir ou d'élaborer des schémas tactiques de rassemblement si nous n'avions pas conduit préalablement la réflexion sur nos valeurs que je viens d'esquisser et si nous n'en avions pas déduit les conséquences programmatiques que cette actualisation idéologique entraînera mécaniquement.
Je veux dire ici, car c'est un point essentiel pour l'avenir de la gauche, que ce travail sur les idées et sur les propositions de programme ne devra pas être mené par les radicaux seuls. Un tel isolement nous condamnerait à la confidentialité que, par effet de mode, les médias nous imposent depuis trop longtemps. Je souhaite au contraire que les radicaux s'ouvrent à l'échange et à l'effervescence des idées venues d'autres horizons par la mise en place de clubs, de forums, de conventions, de publications, où la pensée radicale se confrontera à celle des autres familles politiques traditionnelles bien sûr mais encore à celle du syndicalisme moderne, à celle de l'université la plus inventive, à celle des responsables d'un monde associatif en éruption civique généralisée, à celle de professionnels des entreprises d'un nouveau type non gouvernées par le seul souci du profit, à celle d'étudiants à la recherche d'un engagement même ponctuel, à celle de groupes locaux attachés à une décentralisation authentique, à celle, en résumé, de tous ces citoyens qui ont montré après le 21 avril leur totale disponibilité pour l'action politique et leur refus catégorique des méthodes anciennes de nos partis politiques.
Nous devons comprendre qu'à l'aube de ce siècle, à l'heure de la communication universelle instantanée, à l'heure où se créent horizontalement d'innombrables réseaux de citoyens et où tous les grands appareils verticaux (Etat, armée, églises, partis) sont contestés dans leur légitimité, nous ne pourrons plus fonctionner comme des militaires en temps de guerre électorale ou comme des administrateurs de ministère dans l'intervalle des scrutins. Il nous faut inventer de nouvelles formes d'action, inventorier de nouveaux lieux d'irruption, adopter de nouveaux thèmes d'intervention. Je ne fais pas là une concession à l'air du temps, j'exprime ce qui est, pour tous les partis politiques et plus encore pour les radicaux que leur taille condamne à être plus imaginatifs encore, une nécessité vitale. Les partis doivent enfin s'inscrire dans leur temps plutôt que cultiver la nostalgie d'un âge d'or dont toutes les composantes ont vécu.
Il ne vous a pas échappé que si, notre pays est en attente d'un véritable renouveau politique, cette demande n'est pas prioritairement adressée au Parti Radical de Gauche. Il nous faut reconnaître avec humilité que les méthodes auxquelles nous sommes légitimement attachés - celles de la raison discursive, du doute méthodique, du scrupule dans la communication - sont autant de handicaps dans une vie publique médiatisée, simplificatrice et livrée à la publicité. Ce constat peut vous paraître injuste mais il doit être dressé : le radicalisme traditionnel - qui doit impérativement être sauvegardé - n'a pas pris le virage que lui imposaient tout à la fois les nouvelles institutions, la médiatisation politique et les transformations profondes que l'urbanisation généralisée a produites dans la société.
En revanche, notre récente campagne présidentielle autour de Christiane Taubira a montré que s'il savait aller sur de nouveaux terrains, s'il savait tenir un langage rénové et s'il s'enrichissait de visages eux aussi nouveaux, le radicalisme pouvait, sans rien céder sur l'essentiel, rencontrer l'attente de nos concitoyens. Nous devons en déduire toutes les conséquences quant à notre organisation, quant à nos partenariats et, bien sûr, quant au rôle de Christiane Taubira elle-même au sein de notre parti. Sur ces différents thèmes, je ferai au Congrès des propositions qui entraîneront, si vous les acceptez, de très importantes modifications du Parti Radical de Gauche et de son image publique.
Faudra-t-il, au delà de ces différents chantiers, examiner à l'éclairage des récents scrutins la question d'un nouveau cadre de coopération pour les forces de gauche qui composaient la précédente majorité et pour celles qui émergent à leurs côtés ou, plus souvent, à leur détriment ?
Très franchement, je crois que cette question d'une nouvelle alliance à gauche est posée et que nos concitoyens ne nous pardonneraient pas de ne pas lui apporter une réponse rapide. J'entends dire que nous sommes pour cinq ans au moins dans l'opposition et que nous avons tout loisir d'y réfléchir calmement depuis nos formations respectives lorsque nos partenaires auront dépassé leur actuelle situation de crise.
Je crois, au contraire, que la crise est propice à la remise en question des organisations politiques, au réexamen de leurs certitudes institutionnelles et même à l'abandon de l'esprit de chapelle au profit d'intérêts supérieurs. Lorsque déjà, en 1969, la gauche s'est vue éliminée du deuxième tour de l'élection présidentielle, beaucoup pronostiquaient une interminable traversée du désert. Deux ans plus tard, Epinay replaçait à gauche et pour trente années les espérances du pays.
Le temps politique n'est pas un temps ordinaire. Il connaît de brutales accélérations amplifiées aujourd'hui par la médiatisation. Il est accueillant à l'imprévu. Il se joue souvent de la rigueur programmée des calendriers électoraux. Il peut être bouleversé par des mouvements sociaux dont l'ampleur ne se laissait pas deviner. Bref, la gauche n'est pas en longues vacances de pouvoir. Elle doit se tenir prête.
Cela signifie que nous devons disposer rapidement d'un cadre d'union pour une gauche modernisée. S'agira-t-il d'un programme commun ? d'une plate-forme minimale ? Irons-nous vers une coopération informelle et aux limites mouvantes ? Vers une confédération souple ? vers une fédération plus contraignante ? vers une intégration des anciens partis ? Aurons-nous les mêmes partenaires qu'au sein de la gauche plurielle ? ou d'autres, gauchistes ou chevènementistes ? Toutes ces questions sont posées et nul ne détient aujourd'hui de réponse mais nous sentons bien que l'aspiration de l'électorat de gauche à l'union est profonde, sincère et durable tandis que les mécanismes institutionnels, électoraux et médiatiques ne cessent de peser dans le sens d'une bipolarisation accrue. Quoi que nous en pensions - et je sais ce que souvent les radicaux en pensent négativement - cette aspiration et cette évolution nous sont données comme des contraintes et nous ne pouvons les ignorer au nom du seul souci que nous aurions de notre survie comme force politique traditionnellement organisée de façon autonome. C'est pourquoi je proposerai à notre Congrès de prendre une initiative importante et très novatrice en posant, dès le printemps 2003, au Congrès de nos amis socialistes les conditions d'un vaste rassemblement de la gauche rénovée.
L'objectif de ce rassemblement ne doit faire aucun doute. Il s'agira bien d'arracher aux forces du conservatisme, du laisser-aller économique, de l'inégalité sociale et du cynisme politique la direction des affaires de notre pays.
Nul ne doit être dupe des discours patelins du nouveau gouvernement ni de ses prétendues audaces réformatrices. C'est bien un clan qui entend exercer la totalité du pouvoir. C'est bien le consentement au pouvoir de l'argent qui se donne à voir. C'est bien le choix délibéré de la réaction sociale et de la défense des privilèges qui a déjà été opéré. C'est bien la crispation de l'Etat contre l'Europe fédérale et contre les libertés locales qui nous est proposée malgré les discours paradoxaux sur la décentralisation ou les incantations rhétoriques sur le rôle international de la France. C'est bien le démantèlement des services publics garants de l'intérêt général et la baisse des solidarités sociales qui forment l'horizon de ce nouveau pouvoir libéral.
Voilà pourquoi la réflexion de la gauche sur ses valeurs, sur son programme, sur son mode de rassemblement est impérative et urgente.
Voilà pourquoi aussi la réunion des radicaux en Congrès sera bienvenue et importante.
Voilà pourquoi je souhaite que vous preniez toute la mesure de l'immense travail qu'il nous faut accomplir : mettre l'humanisme radical au service de la gauche et de la République. Sans l'ombre d'un doute, je compte sur vous.
(source http://www.planeteradicale.org, le 7 octobre 2002)