Texte intégral
Dans le cadre des orientations que lui a fixées le Président de la république, le Gouvernement conduit depuis près de deux ans une politique européenne claire et cohérente qui tient en une formule : réformer l'Europe pour l'élargir. Cette politique repose donc sur un choix stratégique : réaliser la grande Europe en l'élargissant à la dizaine de candidats qui frappent à la porte de l'Union. C'est un devoir moral que de tenir la promesse faite pendant la guerre froide aux démocraties populaires de leur ouvrir les portes du marché commun lorsqu'elles auraient recouvré leur liberté, ce qui est fait aujourd'hui. Il nous faut donc tenir cet engagement. C'est en même temps une nécessité historique. On voit mal comment un continent comme le notre pourrait conserver sa stabilité s'il était partagé entre pays riches membres de l'Union et pays moins riches exclus de l'Union. Et je crois que c'est enfin notre intérêt économique parce que nous constituerons ainsi une très vaste zone économique qui sera un marché pour nos producteurs.
Nous avons tous conscience, je crois, que cet élargissement nécessaire et utile, comporte des risques. Du fait de la complexité croissante qu'il va introduire dans le fonctionnement de l'Union, du fait des charges aussi qu'il impliquera, notamment dans les politiques de cohésion communautaire. Il risque d'affaiblir la construction européenne et les plus pessimistes pensent même qu'il pourrait la disloquer. C'est la raison pour laquelle il faut le préparer. Et le Gouvernement français y travaille. D'abord en réformant les institutions de l'Union Européenne et c'est tout l'enjeu de la Conférence intergouvernementale, à la préparation de laquelle travaille M. Le ministre des Affaires étrangères et M. Le ministre délégué chargé des Affaires européennes. Je n'en parlerai pas dans mon propos parce que le Gouvernement a déjà eu l'occasion de s'exprimer sur ce point. Je dirai simplement que nous abordons le Conseil européen de Dublin avec la volonté de franchir une étape significative pour que cette conférence puisse être conclue à Amsterdam aux mois de juin-juillet 1997.
Préparer l'Union européenne à l'élargissement c'est aussi déclencher dans l'Union des forces de cohésion qui puissent contrebalancer les forces centrifuges inhérentes à l'élargissement que j'évoquais tout à l'heure. Et ceci constitue aussi un enjeu politique majeur. La première force de cohésion ainsi élargie, c'est bien sûr le couple franco-allemand. Depuis plus de trente ans, c'est sur le couple franco-allemand scellé par le Général de Gaulle et le chancelier Adenauer, qu'a été fondé le progrès de la construction européenne, et je pense, sans développer davantage ce point pour ne pas être trop long, que cette exigence est plus nécessaire que jamais. Rien ne continuera à se faire de fort et de grand dans l'Union européenne si nous ne travaillons pas en amitié et en confiance avec notre partenaire allemand. Tous nos amis de l'Union européenne le savent bien et sont toujours inquiets de ce qui pourrait, le cas échéant, obscurcir les relations franco-allemandes. Au delà de ce rappel qui est pour moi une évidence, renforcer la cohésion de l'Union, c'est aussi lui donner pour les années qui viennent, de nouvelles ambitions, contrebalançant, je le répète, le risque d'affaiblissement que constitue l'élargissement. Et la France s'est faite le champion, sous l'impulsion du Président de la République, de deux de ces projets de nature à renforcer l'Union européenne. D'abord, la capacité d'assurer pour notre Union sa sécurité. Il n'y aura pas à terme de réalité de la construction européenne si l'Union n'est pas capable d'assumer la responsabilité de sa sécurité et de sa défense. Et c'est la raison pour laquelle nous avons engagé dans les termes que rappelait tout à l'heure C. Millon, le ministre de la Défense, une réforme de l'Alliance atlantique qui doit aboutir à donner aux Européens plus de poids et plus de responsabilité dans le fonctionnement et dans le commandement de l'Alliance, qu'elle n'a pas eu historiquement. C'est pourquoi nous avons engagé aussi, et ceci dans le cadre de la Conférence intergouvernementale, une politique qui vise à rapprocher l'Union européenne et l'Union de l'Europe occidentale qui doit être l'identité européenne de défense et de sécurité, c'est pourquoi enfin nous travaillons à construire une architecture de sécurité qui évite le risque majeur de ce qui est en train de se dessiner ici ou là, à l'initiative de certains - et j'en ai pris conscience encore hier lors de mes entretiens avec le Premier ministre russe - c'est-à-dire la constitution de nouvelles fractures au sein du continent européen si, par maladresse ou par impatience, l'élargissement de l'Alliance atlantique était ressentie par la fédération de Russie comme une sorte de défi ou de provocation. Et voilà pourquoi j'avais lancé au début de l'année 1999 l'idée d'une véritable charte de sécurité entre la Russie et l'Alliance Atlantique. Voilà pourquoi l'OSCE doit être le lieu où s'exprime cette communauté d'intérêts pour une sécurité étendue à l'échelle du continent.
Le deuxième grand projet, la deuxième ambition pour cette Union européenne, c'est la monnaie européenne. Et c'est peut-être de cela que je voudrais vous parler un peu plus longuement dans mon propos en formulant tout simplement deux questions : L'Euro pourquoi ? Et l'Euro comment ?
L'Euro pourquoi d'abord. C'est au premier chef un enjeu politique. Et je viens de le rappeler. J'ai pris l'habitude de le dire : l'euro n'est pas un joujou pour gouverneur de banque centrale. L'euro, c'est un projet politique destiné à fonder l'Union européenne du XXI ème siècle et il y va de la stabilité du continent européen et de la prospérité de nos concitoyens. L'euro c'est aussi un enjeu économique que, là aussi je résumerai simplement puisque certains trouvent que ça n'est pas clair, avec une formule toute simple : " l'union fait la force ". L'euro c'est d'abord pour la zone euro - et oui il faut parfois revenir à des choses simples et pas à des élucubrations trop technocratiques - un facteur de stabilité sans précédent, pour une raison bien simple, là aussi, c'est que dans la zone euro, il n'y aura plus, par définition, de dévaluation compétitive. Le retour de la lire italienne dans le SME qui est, je l'espère le prélude de l'entrée de la monnaie italienne dans la monnaie européenne, est de ce point de vue une bonne nouvelle pour la France et une bonne nouvelle pour les entreprises françaises, en particulier celles des secteurs comme le textile, qui ont été déstabilisées par la dévaluation compétitive de la lire. L'euro c'est ensuite, lorsqu'il existera, plus de sécurité pour nos exportations. Je pense que vous savez tous que deux tiers de notre commerce extérieur se fait avec les pays de l'Union européenne. Eh bien quand nos exportations vers ces pays seront libellées en euros et non plus en dollars comme c'est le cas la plupart du temps aujourd'hui, ce sera évidement un facteur de stabilité pour notre commerce extérieur et un facteur de développement de ce commerce. Enfin créer l'euro, c'est donner à la monnaie européenne une masse critique par rapport au dollar et au yen qui nous permettra d'exister beaucoup mieux que si la monnaie européenne ne se faisait pas. Voilà pourquoi, je le dis, à mes yeux, l'euro est une chance de croissance supplémentaire et donc d'emploi et de bien-être pour nos concitoyens. N'est-ce pas d'ailleurs, M. Laurent Fabius qui déclarait le 6 mai 1992, " la monnaie européenne sera le meilleur porteur de croissance dont puisse se doter la France ". Il est vrai que c'était en 1992.
J'en viens maintenant à la deuxième question : l'euro comment ? Parce que je crois que l'euro sera une bonne chose pour la France si j'en juge par les enquêtes d'opinion qui se multiplient, même si je les prends toujours avec beaucoup de prudence, une majorité de Français - certes il faut y regarder à deux fois - semblent être convaincus du fait que l'euro sera un bien pour la France. Sa réalisation implique, certes, des disciplines. Et depuis deux ans de ce point de vue, nous avons fait des progrès considérables. Nous avons fait des progrès sur le plan technique -je pense en particulier à la mise en conformité avec les critères de convergence, dont nous savons bien que ce sont, d'abord et avant tout, des critères de bons sens et de bonne gestion. Nous avons fait aussi des progrès sur le plan psychologique. Il y a deux ans, soyons clairs, personne ou presque personne ne croyait que l'euro se ferait en 1998-1999. Je constate qu'aujourd'hui, la plupart des acteurs futurs de ce système monétaire européen y croient et que donc les mentalités ont changé, au point que je serais tenté de dire que la question n'est plus aujourd'hui de savoir pourquoi, mais précisément comment. Et j'en viens donc à cette deuxième série de question. L'euro comment ?
Je voudrais sur ce point aborder quatre sujets sensibles. Le premier est le suivant : faut-il modifier la parité entre le franc et le deutschmark ? Je ne le pense pas. D'abord pour des raisons objectives : le taux de change entre nos deux monnaies est remarquablement stable depuis des mois, en fait depuis plus d'une année. Et il est sans artifice. On peut maintenir la parité d'une monnaie en jouant sur des taux d'intérêts élevés. Nous avons aujourd'hui, pour la première fois depuis des décennies, des taux d'intérêts réels qui sont exactement les mêmes, à court terme, c'est-à-dire à trois mois, et à long terme, c'est-à-dire à sept ans ou plus, dans nos deux pays. C'est un grand succès de la politique qui a été menée maintenant depuis deux ans. J'ajoute que les prix et les salaires ont augmenté davantage depuis la période récente en Allemagne qu'en France, si bien qu'aujourd'hui nous sommes moins cher de 10 à 15 % que nos concurrents allemands. Conséquence d'ailleurs : notre commerce extérieur enregistre d'excellents résultats encore le mois dernier. Voilà les raisons pour lesquelles ce décrochage aujourd'hui du franc par rapport au mark serait objectivement injustifié. J'ajoute qu'il est à mes yeux politiquement dangereux, car il donnerait un excellent prétexte de ne rien faire ou d'attendre, ce qui revient au même, à tous ceux qui sont en réalité hostiles au passage à la monnaie européenne. J'ajoute que toute dévaluation, de quelque manière qu'on la présente, est toujours un appauvrissement national et les Français le savent. Et je termine en disant que l'expérience montre que la dévaluation n'est pas durablement favorable à l'emploi, contrairement à ce que l'on nous raconte. L'Italie a laissé sa monnaie décrocher et la situation de son chômage ne s'est pas améliorée. On cite également le contre exemple de la Grande-Bretagne dont la monnaie, c'est vrai à varié. Mais qu'est-ce qui a joué le plus dans les résultats spectaculaires de la Grande-Bretagne en matière de chômage, est-ce que c'est la variation de sa monnaie - dont je note qu'elle s'apprécie depuis plusieurs mois fortement - ou est-ce que c'est d'une part les réformes de structures que ce pays a engagées depuis 15 ans, et d'autre part la baisse constante de sa population active, c'est-à-dire l'affaiblissement de sa démographie ? Il faudrait y regarder à deux fois avant de faire des parallèles qui ne sont parfois pas fondés. Voilà pourquoi sur cette première question je dis sans passion, mais avec détermination, que la France est plus que jamais décidée à respecter ses engagements internationaux, c'est-à-dire le traité qu'elle a signé et ratifié, et donc à respecter les critères et le calendrier que prévoit ce traité.
Deuxième question importante : comment seront organisées les relations des pays de la zone euro, à partir de 1999, et les pays de l'Union européenne qui n'auront pas encore rejoint la monnaie européenne. C'est ce que curieusement, dans le jargon communautaire on appelle les in and out, comme si les mots français n'existaient pas. Dans un marché unique, les dévaluations compétitives sont encore plus inacceptables qu'elles ne le sont de manière générale et elles doivent donc être prohibées. Sur ce point, le message de la France doit être répété, et fort. Il faut donc se fixer des règles du jeu précises. Un pas en avant a été fait récemment lors d'un Conseil des ministres à Dublin, en fixant le principe d'un système monétaire européen bis qui lierait l'euro et les monnaies de l'Union européenne qui ne participeraient pas encore à la zone euro. Mais je voudrais rajouter un point qui me paraît capital à ce sujet. Il doit être bien entendu - et j'ai demandé au ministre de l'Economie et des Finances de le dire avec beaucoup de force lors des prochaines réunions des ministres européens - que ce système monétaire européen bis devra fonctionner de telle sorte que chacune des monnaies du système soit aussi proche que possible de son cours pivot. La marge de fluctuation de plus ou moins 15 % est une arme contre la spéculation en cas de crise. Ca ne doit pas être un mode de gestion courant des devises participant au système monétaire européen bis.
Troisième question importante : la parité actuelle entre l'euro (actuellement l'ECU) et le dollar reflète-t-elle la réalité économique ? Eh bien ma réponse est non. Le dollar est à l'évidence sous évalué, ce qui fausse la concurrence économique et donne un avantage injustifié aux producteurs américains. Je me permets de faire remarquer modestement que je ne cesse de dire cela depuis des mois. Je l'ai déjà dit devant votre assemblée à plusieurs reprises et en d'autres lieux que devant votre assemblée. Donc ce n'est pas une conversion récente que j'exprime ici devant vous, mais la répétition d'une conviction ancienne. Le dollar est à l'évidence sous évalué, je le répète, et il est bon, donc, que le Gouvernement français demande à ses partenaires que cette question soit soulevée dans les enceintes internationales compétentes, notamment le G 7 qui est l'instance où ces problèmes de parités entre les monnaient doivent être traités comme ils l'ont été par le passé. Et j'affirme que compte tenu de la masse critique que représentera l'euro par rapport au dollar et au yen, nous aurons beaucoup plus d'arguments à faire valoir dans ces instances internationales une fois que nous aurons réalisé la monnaie européenne que sans la monnaie européenne. C'est une des justifications les plus évidentes.
Enfin, et c'est ma quatrième question : qui décidera de la politique économique, budgétaire et monétaire des pays de la zone euro ? C'est évidemment la question cruciale, et la réponse du Gouvernement français sur ce point est également tout à fait claire : ce doit être la responsabilité du pouvoir politique, c'est-à-dire des gouvernements et des parlements. On ne saurait, dans ce domaine, s'en remettre, en la matière, ni à des normes chiffrées assorties de sanctions rigides et automatiques, ni à la seule banque centrale qui a, certes, tout son rôle à jouer et dont il faut respecter l'indépendance pour autant qu'elle vise à garantir la stabilité des prix, mais qui ne peut se substituer au pouvoir politique, pas plus dans l'Union européenne qu'elle ne doit pouvoir le faire en Allemagne ou en France. Il nous faut donc clarifier les mécanismes de l'union économique et monétaire sur ce point capital. Il doit incomber - ce n'est pas clair dans le traité, je le reconnais volontiers - aux chefs d'Etat et de gouvernement et aux ministres de la zone euro de délibérer des objectifs de stabilité mais aussi de croissance et d'emploi - parce que la stabilité c'est bien mais ça ne suffit pas - que ces chefs d'Etat et de gouvernement s'assignent chaque année compte tenu du contexte économique mondial et européen. Ils leur revient aussi d'entendre périodiquement le rapport de la banque centrale européenne qui doit leur rendre compte, au terme du traité, et il leur revient d'en saisir les parlementaires européens et nationaux qui doivent pouvoir exercer leur contrôle démocratique sur ces choix de politique économique, budgétaire et fiscale. Et c'est dans ce sens que le Gouvernement français proposera les clarifications nécessaires.
Je n'en dirai pas plus ce soir. J'ajouterais simplement que contrairement à ce que nous entendons ici ou là, les Français aiment l'Europe parce qu'ils savent en leur for intérieur, je le répète - même si cela peut apparaître comme une lapalissade que " l'union fait la force " et que dans un monde où la concurrence s'accroît, où les ensembles économiques s'organisent (en Asie, en Amérique latine, en Afrique, en Amérique du nord, partout), l'Union européenne peut nous garantir davantage de stabilité, de sécurité et de prospérité. Eh bien notre responsabilité à nous c'est de rendre à nos concitoyens cette Europe, je dirais d'une manière peut-être un peu simple, en montrant qu'elle nous donne plus de chance de relever les défis de la mondialisation, en montrant aussi qu'elle s'occupe de tout ce qui fait nos préoccupations quotidiennes et les préoccupations quotidiennes de nos concitoyens : l'emploi, le contrôle des mouvements de population, le respect des missions de service public pour lesquelles nous nous battons, le respect de notre modèle social et du modèle social européen, la lutte contre les grands fléaux que sont la drogue ou la violence criminelle. A ceux qui jouent sur les réflexes de peur ou d'ignorance, il nous faut répondre avec la force de nos convictions et notre souci des réalités. Oui, mesdames et messieurs les députés, je suis européen. Non, je n'ai pas peur de l'Europe. Oui, j'affirme que l'union vaut mieux que la division et la solidarité que l'égoïsme. Oui, je veux faire de l'Union européenne, non pas une construction technocratique, mais une ambition politique, humaine et sociale de la décennie qui vient. C'est notre responsabilité de le proclamer. C'est la responsabilité de la France et de l 'Allemagne et c'est ici à l'Assemblée nationale, la responsabilité de tous ceux qui, quels que soient les bancs sur lesquels ils siègent préfèrent le courage à la démagogie.
(Source http://www.archives.premier-ministre.gouv.fr, le 14 mai 2002)
Nous avons tous conscience, je crois, que cet élargissement nécessaire et utile, comporte des risques. Du fait de la complexité croissante qu'il va introduire dans le fonctionnement de l'Union, du fait des charges aussi qu'il impliquera, notamment dans les politiques de cohésion communautaire. Il risque d'affaiblir la construction européenne et les plus pessimistes pensent même qu'il pourrait la disloquer. C'est la raison pour laquelle il faut le préparer. Et le Gouvernement français y travaille. D'abord en réformant les institutions de l'Union Européenne et c'est tout l'enjeu de la Conférence intergouvernementale, à la préparation de laquelle travaille M. Le ministre des Affaires étrangères et M. Le ministre délégué chargé des Affaires européennes. Je n'en parlerai pas dans mon propos parce que le Gouvernement a déjà eu l'occasion de s'exprimer sur ce point. Je dirai simplement que nous abordons le Conseil européen de Dublin avec la volonté de franchir une étape significative pour que cette conférence puisse être conclue à Amsterdam aux mois de juin-juillet 1997.
Préparer l'Union européenne à l'élargissement c'est aussi déclencher dans l'Union des forces de cohésion qui puissent contrebalancer les forces centrifuges inhérentes à l'élargissement que j'évoquais tout à l'heure. Et ceci constitue aussi un enjeu politique majeur. La première force de cohésion ainsi élargie, c'est bien sûr le couple franco-allemand. Depuis plus de trente ans, c'est sur le couple franco-allemand scellé par le Général de Gaulle et le chancelier Adenauer, qu'a été fondé le progrès de la construction européenne, et je pense, sans développer davantage ce point pour ne pas être trop long, que cette exigence est plus nécessaire que jamais. Rien ne continuera à se faire de fort et de grand dans l'Union européenne si nous ne travaillons pas en amitié et en confiance avec notre partenaire allemand. Tous nos amis de l'Union européenne le savent bien et sont toujours inquiets de ce qui pourrait, le cas échéant, obscurcir les relations franco-allemandes. Au delà de ce rappel qui est pour moi une évidence, renforcer la cohésion de l'Union, c'est aussi lui donner pour les années qui viennent, de nouvelles ambitions, contrebalançant, je le répète, le risque d'affaiblissement que constitue l'élargissement. Et la France s'est faite le champion, sous l'impulsion du Président de la République, de deux de ces projets de nature à renforcer l'Union européenne. D'abord, la capacité d'assurer pour notre Union sa sécurité. Il n'y aura pas à terme de réalité de la construction européenne si l'Union n'est pas capable d'assumer la responsabilité de sa sécurité et de sa défense. Et c'est la raison pour laquelle nous avons engagé dans les termes que rappelait tout à l'heure C. Millon, le ministre de la Défense, une réforme de l'Alliance atlantique qui doit aboutir à donner aux Européens plus de poids et plus de responsabilité dans le fonctionnement et dans le commandement de l'Alliance, qu'elle n'a pas eu historiquement. C'est pourquoi nous avons engagé aussi, et ceci dans le cadre de la Conférence intergouvernementale, une politique qui vise à rapprocher l'Union européenne et l'Union de l'Europe occidentale qui doit être l'identité européenne de défense et de sécurité, c'est pourquoi enfin nous travaillons à construire une architecture de sécurité qui évite le risque majeur de ce qui est en train de se dessiner ici ou là, à l'initiative de certains - et j'en ai pris conscience encore hier lors de mes entretiens avec le Premier ministre russe - c'est-à-dire la constitution de nouvelles fractures au sein du continent européen si, par maladresse ou par impatience, l'élargissement de l'Alliance atlantique était ressentie par la fédération de Russie comme une sorte de défi ou de provocation. Et voilà pourquoi j'avais lancé au début de l'année 1999 l'idée d'une véritable charte de sécurité entre la Russie et l'Alliance Atlantique. Voilà pourquoi l'OSCE doit être le lieu où s'exprime cette communauté d'intérêts pour une sécurité étendue à l'échelle du continent.
Le deuxième grand projet, la deuxième ambition pour cette Union européenne, c'est la monnaie européenne. Et c'est peut-être de cela que je voudrais vous parler un peu plus longuement dans mon propos en formulant tout simplement deux questions : L'Euro pourquoi ? Et l'Euro comment ?
L'Euro pourquoi d'abord. C'est au premier chef un enjeu politique. Et je viens de le rappeler. J'ai pris l'habitude de le dire : l'euro n'est pas un joujou pour gouverneur de banque centrale. L'euro, c'est un projet politique destiné à fonder l'Union européenne du XXI ème siècle et il y va de la stabilité du continent européen et de la prospérité de nos concitoyens. L'euro c'est aussi un enjeu économique que, là aussi je résumerai simplement puisque certains trouvent que ça n'est pas clair, avec une formule toute simple : " l'union fait la force ". L'euro c'est d'abord pour la zone euro - et oui il faut parfois revenir à des choses simples et pas à des élucubrations trop technocratiques - un facteur de stabilité sans précédent, pour une raison bien simple, là aussi, c'est que dans la zone euro, il n'y aura plus, par définition, de dévaluation compétitive. Le retour de la lire italienne dans le SME qui est, je l'espère le prélude de l'entrée de la monnaie italienne dans la monnaie européenne, est de ce point de vue une bonne nouvelle pour la France et une bonne nouvelle pour les entreprises françaises, en particulier celles des secteurs comme le textile, qui ont été déstabilisées par la dévaluation compétitive de la lire. L'euro c'est ensuite, lorsqu'il existera, plus de sécurité pour nos exportations. Je pense que vous savez tous que deux tiers de notre commerce extérieur se fait avec les pays de l'Union européenne. Eh bien quand nos exportations vers ces pays seront libellées en euros et non plus en dollars comme c'est le cas la plupart du temps aujourd'hui, ce sera évidement un facteur de stabilité pour notre commerce extérieur et un facteur de développement de ce commerce. Enfin créer l'euro, c'est donner à la monnaie européenne une masse critique par rapport au dollar et au yen qui nous permettra d'exister beaucoup mieux que si la monnaie européenne ne se faisait pas. Voilà pourquoi, je le dis, à mes yeux, l'euro est une chance de croissance supplémentaire et donc d'emploi et de bien-être pour nos concitoyens. N'est-ce pas d'ailleurs, M. Laurent Fabius qui déclarait le 6 mai 1992, " la monnaie européenne sera le meilleur porteur de croissance dont puisse se doter la France ". Il est vrai que c'était en 1992.
J'en viens maintenant à la deuxième question : l'euro comment ? Parce que je crois que l'euro sera une bonne chose pour la France si j'en juge par les enquêtes d'opinion qui se multiplient, même si je les prends toujours avec beaucoup de prudence, une majorité de Français - certes il faut y regarder à deux fois - semblent être convaincus du fait que l'euro sera un bien pour la France. Sa réalisation implique, certes, des disciplines. Et depuis deux ans de ce point de vue, nous avons fait des progrès considérables. Nous avons fait des progrès sur le plan technique -je pense en particulier à la mise en conformité avec les critères de convergence, dont nous savons bien que ce sont, d'abord et avant tout, des critères de bons sens et de bonne gestion. Nous avons fait aussi des progrès sur le plan psychologique. Il y a deux ans, soyons clairs, personne ou presque personne ne croyait que l'euro se ferait en 1998-1999. Je constate qu'aujourd'hui, la plupart des acteurs futurs de ce système monétaire européen y croient et que donc les mentalités ont changé, au point que je serais tenté de dire que la question n'est plus aujourd'hui de savoir pourquoi, mais précisément comment. Et j'en viens donc à cette deuxième série de question. L'euro comment ?
Je voudrais sur ce point aborder quatre sujets sensibles. Le premier est le suivant : faut-il modifier la parité entre le franc et le deutschmark ? Je ne le pense pas. D'abord pour des raisons objectives : le taux de change entre nos deux monnaies est remarquablement stable depuis des mois, en fait depuis plus d'une année. Et il est sans artifice. On peut maintenir la parité d'une monnaie en jouant sur des taux d'intérêts élevés. Nous avons aujourd'hui, pour la première fois depuis des décennies, des taux d'intérêts réels qui sont exactement les mêmes, à court terme, c'est-à-dire à trois mois, et à long terme, c'est-à-dire à sept ans ou plus, dans nos deux pays. C'est un grand succès de la politique qui a été menée maintenant depuis deux ans. J'ajoute que les prix et les salaires ont augmenté davantage depuis la période récente en Allemagne qu'en France, si bien qu'aujourd'hui nous sommes moins cher de 10 à 15 % que nos concurrents allemands. Conséquence d'ailleurs : notre commerce extérieur enregistre d'excellents résultats encore le mois dernier. Voilà les raisons pour lesquelles ce décrochage aujourd'hui du franc par rapport au mark serait objectivement injustifié. J'ajoute qu'il est à mes yeux politiquement dangereux, car il donnerait un excellent prétexte de ne rien faire ou d'attendre, ce qui revient au même, à tous ceux qui sont en réalité hostiles au passage à la monnaie européenne. J'ajoute que toute dévaluation, de quelque manière qu'on la présente, est toujours un appauvrissement national et les Français le savent. Et je termine en disant que l'expérience montre que la dévaluation n'est pas durablement favorable à l'emploi, contrairement à ce que l'on nous raconte. L'Italie a laissé sa monnaie décrocher et la situation de son chômage ne s'est pas améliorée. On cite également le contre exemple de la Grande-Bretagne dont la monnaie, c'est vrai à varié. Mais qu'est-ce qui a joué le plus dans les résultats spectaculaires de la Grande-Bretagne en matière de chômage, est-ce que c'est la variation de sa monnaie - dont je note qu'elle s'apprécie depuis plusieurs mois fortement - ou est-ce que c'est d'une part les réformes de structures que ce pays a engagées depuis 15 ans, et d'autre part la baisse constante de sa population active, c'est-à-dire l'affaiblissement de sa démographie ? Il faudrait y regarder à deux fois avant de faire des parallèles qui ne sont parfois pas fondés. Voilà pourquoi sur cette première question je dis sans passion, mais avec détermination, que la France est plus que jamais décidée à respecter ses engagements internationaux, c'est-à-dire le traité qu'elle a signé et ratifié, et donc à respecter les critères et le calendrier que prévoit ce traité.
Deuxième question importante : comment seront organisées les relations des pays de la zone euro, à partir de 1999, et les pays de l'Union européenne qui n'auront pas encore rejoint la monnaie européenne. C'est ce que curieusement, dans le jargon communautaire on appelle les in and out, comme si les mots français n'existaient pas. Dans un marché unique, les dévaluations compétitives sont encore plus inacceptables qu'elles ne le sont de manière générale et elles doivent donc être prohibées. Sur ce point, le message de la France doit être répété, et fort. Il faut donc se fixer des règles du jeu précises. Un pas en avant a été fait récemment lors d'un Conseil des ministres à Dublin, en fixant le principe d'un système monétaire européen bis qui lierait l'euro et les monnaies de l'Union européenne qui ne participeraient pas encore à la zone euro. Mais je voudrais rajouter un point qui me paraît capital à ce sujet. Il doit être bien entendu - et j'ai demandé au ministre de l'Economie et des Finances de le dire avec beaucoup de force lors des prochaines réunions des ministres européens - que ce système monétaire européen bis devra fonctionner de telle sorte que chacune des monnaies du système soit aussi proche que possible de son cours pivot. La marge de fluctuation de plus ou moins 15 % est une arme contre la spéculation en cas de crise. Ca ne doit pas être un mode de gestion courant des devises participant au système monétaire européen bis.
Troisième question importante : la parité actuelle entre l'euro (actuellement l'ECU) et le dollar reflète-t-elle la réalité économique ? Eh bien ma réponse est non. Le dollar est à l'évidence sous évalué, ce qui fausse la concurrence économique et donne un avantage injustifié aux producteurs américains. Je me permets de faire remarquer modestement que je ne cesse de dire cela depuis des mois. Je l'ai déjà dit devant votre assemblée à plusieurs reprises et en d'autres lieux que devant votre assemblée. Donc ce n'est pas une conversion récente que j'exprime ici devant vous, mais la répétition d'une conviction ancienne. Le dollar est à l'évidence sous évalué, je le répète, et il est bon, donc, que le Gouvernement français demande à ses partenaires que cette question soit soulevée dans les enceintes internationales compétentes, notamment le G 7 qui est l'instance où ces problèmes de parités entre les monnaient doivent être traités comme ils l'ont été par le passé. Et j'affirme que compte tenu de la masse critique que représentera l'euro par rapport au dollar et au yen, nous aurons beaucoup plus d'arguments à faire valoir dans ces instances internationales une fois que nous aurons réalisé la monnaie européenne que sans la monnaie européenne. C'est une des justifications les plus évidentes.
Enfin, et c'est ma quatrième question : qui décidera de la politique économique, budgétaire et monétaire des pays de la zone euro ? C'est évidemment la question cruciale, et la réponse du Gouvernement français sur ce point est également tout à fait claire : ce doit être la responsabilité du pouvoir politique, c'est-à-dire des gouvernements et des parlements. On ne saurait, dans ce domaine, s'en remettre, en la matière, ni à des normes chiffrées assorties de sanctions rigides et automatiques, ni à la seule banque centrale qui a, certes, tout son rôle à jouer et dont il faut respecter l'indépendance pour autant qu'elle vise à garantir la stabilité des prix, mais qui ne peut se substituer au pouvoir politique, pas plus dans l'Union européenne qu'elle ne doit pouvoir le faire en Allemagne ou en France. Il nous faut donc clarifier les mécanismes de l'union économique et monétaire sur ce point capital. Il doit incomber - ce n'est pas clair dans le traité, je le reconnais volontiers - aux chefs d'Etat et de gouvernement et aux ministres de la zone euro de délibérer des objectifs de stabilité mais aussi de croissance et d'emploi - parce que la stabilité c'est bien mais ça ne suffit pas - que ces chefs d'Etat et de gouvernement s'assignent chaque année compte tenu du contexte économique mondial et européen. Ils leur revient aussi d'entendre périodiquement le rapport de la banque centrale européenne qui doit leur rendre compte, au terme du traité, et il leur revient d'en saisir les parlementaires européens et nationaux qui doivent pouvoir exercer leur contrôle démocratique sur ces choix de politique économique, budgétaire et fiscale. Et c'est dans ce sens que le Gouvernement français proposera les clarifications nécessaires.
Je n'en dirai pas plus ce soir. J'ajouterais simplement que contrairement à ce que nous entendons ici ou là, les Français aiment l'Europe parce qu'ils savent en leur for intérieur, je le répète - même si cela peut apparaître comme une lapalissade que " l'union fait la force " et que dans un monde où la concurrence s'accroît, où les ensembles économiques s'organisent (en Asie, en Amérique latine, en Afrique, en Amérique du nord, partout), l'Union européenne peut nous garantir davantage de stabilité, de sécurité et de prospérité. Eh bien notre responsabilité à nous c'est de rendre à nos concitoyens cette Europe, je dirais d'une manière peut-être un peu simple, en montrant qu'elle nous donne plus de chance de relever les défis de la mondialisation, en montrant aussi qu'elle s'occupe de tout ce qui fait nos préoccupations quotidiennes et les préoccupations quotidiennes de nos concitoyens : l'emploi, le contrôle des mouvements de population, le respect des missions de service public pour lesquelles nous nous battons, le respect de notre modèle social et du modèle social européen, la lutte contre les grands fléaux que sont la drogue ou la violence criminelle. A ceux qui jouent sur les réflexes de peur ou d'ignorance, il nous faut répondre avec la force de nos convictions et notre souci des réalités. Oui, mesdames et messieurs les députés, je suis européen. Non, je n'ai pas peur de l'Europe. Oui, j'affirme que l'union vaut mieux que la division et la solidarité que l'égoïsme. Oui, je veux faire de l'Union européenne, non pas une construction technocratique, mais une ambition politique, humaine et sociale de la décennie qui vient. C'est notre responsabilité de le proclamer. C'est la responsabilité de la France et de l 'Allemagne et c'est ici à l'Assemblée nationale, la responsabilité de tous ceux qui, quels que soient les bancs sur lesquels ils siègent préfèrent le courage à la démagogie.
(Source http://www.archives.premier-ministre.gouv.fr, le 14 mai 2002)