Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, dans "Le Monde" du 6 octobre 2002, sur les relations entre les groupes parlementaires de l'UDF et de l'UMP.

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

M. Giscard d'Estaing a appelé les centristes à rejoindre l'UMP, qu'en pensez-vous ?
J'ai beaucoup de respect pour M. Giscard d'Estaing, simplement, je défends, comme il l'a fait en d'autres temps, l'idée du pluralisme.
Pourquoi ne souhaitez-vous pas intégrer l'UMP ?
Le pluralisme est nécessaire à la démocratie. L'idée qu'un parti unique détenant tous les leviers du pouvoir puisse gouverner durablement seul me paraît fausse. Regardez ce qui vient de se passer en Allemagne. La victoire ne s'est pas jouée dans le score des deux partis principaux. Elle s'est jouée dans celui de leurs alliés. On ne gagne jamais seul sauf circonstances exceptionnelles. Les sociétés contemporaines ont besoin qu'on leur présente plusieurs approches. J'ai toujours plaidé pour que la majorité soit construite autour de deux pôles. C'est nécessaire, parce qu'un parti unique se trompe forcément un jour ou l'autre.
Avec vingt-huit députés, comment comptez-vous résister ?
L'adhésion des Français ne dépendra pas du nombre de députés. Elle dépendra de la justesse, de l'originalité, du caractère novateur de ce que diront les uns et les autres.
Comment comptez-vous agir ?
Pour moi, toutes les raisons qui ont fait le 21 avril sont encore présentes dans la société française. Le sentiment de beaucoup de Français d'être en dehors du système perdure. Il tient en partie à l'organisation du pouvoir en France. Lorsqu'on est au pouvoir, on s'isole, on est persuadé d'avoir raison, on ne supporte plus les critiques. Pour moi, la politique ne se construit qu'en partenariat. Ma défense du pluralisme est plus moderne que l'idée de vouloir enrégimenter tout le monde dans le même parti.
Le ton incisif de la question du président du groupe UDF au gouvernement, mercredi 2 octobre, entre-t-il dans cette stratégie ?
Oui. Nous plaidons pour de vrais changements politiques en France. Parmi ces vrais et profonds changements, il y a la vérité en matière budgétaire. Le gouvernement allemand a revu à la baisse la croissance pour l'année prochaine autour de 1,4 %-1,5 % et a annoncé un plan d'économies très important. En France, on a l'impression qu'au fond tout le monde se satisfait d'un déficit élevé. Si la question est : le groupe UDF va-t-il continuer à dire librement la vérité ? la réponse est oui. C'est ainsi que nous rendrons service à la France et à la majorité.
Sur quels thèmes voulez-vous faire entendre votre différence ?
Deux exemples : quelles doivent être les priorités de l'action publique ? Pour moi, l'éducation et la recherche auraient dû être aux premiers rangs des priorités du gouvernement. De même, en matière de défense, nous saluons un budget digne de ce nom. Mais nous regrettons que ce budget soit construit dans une perspective strictement nationale. La défense en 2015 devrait être européenne, et notamment pour la construction d'un deuxième porte-avions.
Vous accordez-vous la possibilité de ne pas voter des lois ?
Nous n'avons pas voté la loi d'amnistie parce qu'elle nous paraissait injuste. Mais nous souhaitons que tout se passe dans une ambiance détendue et loyale. Je connais le premier ministre depuis longtemps. Je pense du bien de lui et je le dis. Il n'y a rien de crispé dans nos rapports.
Et avec Alain Juppé ?
J'ai rencontré Alain Juppé la semaine dernière. On se connaît depuis longtemps, je crois qu'il y a entre nous de l'estime et de l'amitié. En tout cas, il n'y a aucun contentieux entre nous. Pour l'instant, l'UMP nous regarde peut-être de haut. Mais, le jour viendra où il faudra entre l'UMP et l'UDF des relations suivies, et une organisation de notre travail en commun sur la base d'un partenariat. Préparons-le d'ores et déjà.
Que pensez-vous du projet de décentralisation ?
L'expérimentation, c'est bien, mais cela ne suffit pas. Pour moi, la première étape d'une vraie décentralisation passe par la simplification de nos collectivités locales. Les échelons sont si nombreux que personne ne peut comprendre le cheminement de la décision. Il faudra bien s'attaquer à cette question si l'on veut faire des économies et que le citoyen s'y retrouve.
Un référendum est-il nécessaire ?
Cela dépend de la profondeur des réformes. Si ce ne sont que des ajustements, ce n'est pas indispensable.
Propos recueillis par Christiane Chombeau

(Source http://www.udf.org, le 7 octobre 2002)