Interview de Mme Michèle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes, dans "Le Journal du dimanche" du 26 janvier 2003, sur l'enseignement de l'allemand en France, la sensibilisation de l'opinion sur l'Europe et l'élargissement de l'Union européenne.

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Média : Le Journal du Dimanche

Texte intégral

Q - Les politiques franco-allemands ont célébré avec faste le 47ème anniversaire du Traité de l'Elysée. Mais sont-ils vraiment en adéquation avec leurs opinions ?
R - C'est évident qu'il y a un décalage entre les opinions publiques et les dirigeants politiques. Pendant que nous célébrons le rôle prépondérant du couple franco-allemand dans la construction européenne - il suffit pour s'en convaincre de regarder le travail effectué ces six derniers mois -, un constat s'impose : l'enseignement de l'allemand en France, tout comme celui du français en Allemagne, ne cesse de régresser. C'est pourquoi il me paraît capital de présenter les institutions de l'Union aux enfants dès le primaire, tout comme nous voulons y encourager fortement l'apprentissage de l'allemand. Il est grand temps de montrer et d'expliquer aux Français que l'Europe leur appartient, qu'elle ne se construit pas sans eux mais avec eux et pour eux.
Q - Concrètement, sur le terrain, comment allez-vous parler de l'Europe de demain ?
R - Avec réalisme. Il faut expliquer clairement les enjeux aux gens. L'Europe est, et restera, un espace de négociations perpétuelles débouchant sur des compromis qui ne peuvent pas entièrement satisfaire tout le monde... mais qui servent l'intérêt de tous ! Une chose est certaine : si nous n'étions pas montés dans le train de l'Europe, non seulement celui-ci nous serait passé sous les yeux mais en plus nous serions restés sur le quai.
Q - Est-il possible de modifier l'image " technocratique " qui colle de l'Europe ?
R - Bien sûr, simplement en expliquant ce qu'elle apporte aux citoyens. Cette année, j'entends mobiliser associations et élus de terrain, qu'ils disent enfin ce qui marche grâce à l'Europe, notamment les aides financières. Il faut également associer les Français à l'Europe que nous dessinons. Cela passe surtout par les jeunes auxquels il faut présenter tout au long de leur scolarité ce double "pays" qui est le leur : la France bien sûr, mais aussi l'Europe. Nous avons un devoir de pédagogie : non, l'élargissement à vingt-cinq l'an prochain n'est pas un handicap mais une chance ! Et dans les mois qui viennent, l'Union va plancher sur son "modèle social", un modèle qui doit, par exemple et du point de vue de la France, faire une place importante à la sécurité sanitaire et mieux contribuer à la lutte contre le chômage.
Q - On a eu l'impression qu'au niveau international, notamment sur l'Iraq, l'Europe n'est pas très unie...
R - Pourtant, nous sommes tous favorables au travail des inspecteurs des Nations unies sur le terrain et déterminés à attendre leurs conclusions devant le Conseil de sécurité. Je rappelle que l'Union parle d'une seule voix. Ainsi, au Proche-Orient nous ferons très prochainement de nouvelles propositions pour régler cette douloureuse crise. Pour que l'Europe soit encore plus audible sur la scène internationale, nous préconisons, avec l'Allemagne, la mise en place d'un ministre européen des Affaires étrangères. Cette proposition, bien accueillie par l'ensemble de l'Union, devrait nous permettre un dialogue plus équilibré avec les Etats-Unis.
Q - Mais de quelle Union parle-t-on ? Où doivent s'arrêter ses frontières ?
R - Cette question, évoquée par Valéry Giscard d'Estaing, est saine mais peut-être un peu prématurée. Digérons d'abord l'élargissement de mai 2004 et celui prévu en 2007 avec la Bulgarie et la Roumanie avant d'accueillir d'autres pays. De toute façon, il est clair que les Balkans ne sont pas encore prêts à nous rejoindre et que la Turquie est dans un calendrier connu de tous.
Q - La Convention présidée par Valéry Giscard d'Estaing a également évoqué plusieurs noms pour l'Europe de demain. Votre préférence va-t-elle à "Europe unie" ou à "Union européenne" ?
R - La question mérite d'être posée. Pourquoi ne pas travailler à l'élaboration d'un nouveau nom comme nous l'avons fait pour l'euro ? Seul impératif bien sûr, que ce nom soit compréhensible par tous et dans toutes les langues afin que les Européens se l'approprient
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 janvier 2003)