Editoriaux de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière dans "Lutte ouvrière" les 20 et 24 septembre, les 4 et 9 octobre 2002 sur la politique des dirigeants du PCF, sur les premières mesures prises par le gouvernement contre les salariés, sur le conflit qui secoue la Côte d'Ivoire.

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Média : Lutte Ouvrière

Texte intégral

20 septembre 2002
" Plus et mieux communistes ",ils en sont loin !
Plusieurs centaines de milliers de participants à la fête de L'Humanité, même si un certain nombre ne sont venus que pour le spectacle, ceux qui ont écouté les discours de Robert Hue et de Marie-George Buffet étaient largement quelques dizaines de milliers et cela montre que le PC, malgré son score désastreux à la présidentielle et malgré toute sa politique passée, n'est pas mort et que nombre d'énergies, nombre de militantes et de militants se dévouent pour le faire vivre.
D'ailleurs, rien que pour faire fonctionner l'énorme machine de cette fête, ce sont des milliers de volontaires qui ont préparé des nourritures, des banderoles, monté et décoré des stands et qui ont discuté avec ceux qui le voulaient bien.
Mais si ces nombreux militants montrent que le grand corps du PC n'est pas mort, ses dirigeants le sont politiquement.
Pas l'ombre d'une autocritique dans les discours de Robert Hue ou de Marie- George Buffet, pour dire ce qu'ils n'ont pas fait pendant cinq ans au gouvernement et ce qu'ils auraient dû y faire puisqu'ils étaient convaincus qu'il fallait y participer ! Ils auraient pu dire quelles étaient les lois qu'ils ont votées et qu'ils n'auraient pas dû voter et quelles étaient les lois pour lesquelles ils ne s'étaient pas battus.
Oui, ces dirigeants sont en fait politiquement morts car la voie qu'ils choisissent, et qui est d'ailleurs la leur depuis longtemps, c'est celle de l'association avec le Parti Socialiste pour gérer périodiquement au gouvernement les affaires et les intérêts de la bourgeoisie.
Oh, bien sûr, Marie-George Buffet a dit qu'il fallait " être plus et mieux communistes ", " retrouver des repères, des messages clairs ". Mais comment ? Et quels repères et messages ? Elle a dit qu'il fallait affirmer en toute autonomie " la validité et la force d'une visée communiste " et " construire une alternative à l'ordre capitaliste du monde ". Ce serait bien si le PC luttait effectivement pour construire une alternative, et laquelle, à l'ordre capitaliste. Mais ce qu'il a fait pendant cinq ans, et bien avant, c'est permettre au capitalisme de se maintenir. Que n'a-t-il donc pris la tête des luttes pendant ces cinq ans où les conditions de vie de la classe ouvrière ont empiré ?
Marie-George Buffet a parlé des lois scélérates visant à tripatouiller le suffrage universel. Mais cela fait longtemps que le suffrage universel est tripatouillé, avec le scrutin législatif qui réduit d'ailleurs la représentation du PC et l'oblige à passer des accords humiliants avec le PS. Le PC et le PS, que n'ont-ils utilisé leur majorité à l'Assemblée et leur passage au pouvoir pour modifier ce scrutin et le remplacer par un scrutin proportionnel ?
Aujourd'hui, ils protestent à juste titre contre les tripatouillages du suffrage universel par le gouvernement Chirac-Raffarin. Mais le passage des ministres communistes au pouvoir pendant cinq ans n'a pas mis fin aux lois électorales antidémocratiques ni à toutes les mesures antiouvrières.
En cinq ans, Robert Hue et Marie-George Buffet ont contribué à démoraliser la classe ouvrière, à réduire sa force, ses capacités de réaction. Et après avoir préparé la voie à un gouvernement de droite, ils retrouvent quelques formules du genre " les communistes vont s'engager de toutes leurs forces dans la résistance aux mesures gouvernementales ".
Même s'ils le voulaient vraiment, les dirigeants communistes ne le pourraient pas car il faudrait s'appuyer sur les luttes des travailleurs. Ce qui serait contraire à la volonté et aux intérêts de l'allié socialiste car, pour être admis à gérer de nouveau les affaires et les intérêts de la bourgeoisie, il est exclu de s'appuyer sur les travailleurs, il est exclu de se montrer " réellement communiste ".
Marie-George Buffet ose dire aujourd'hui qu'il y a " urgence à s'attaquer au mal-vivre dans les cités, aux conditions de travail, aux salaires dérisoires, aux retraites de misère, à la précarité et aux licenciements ". On croirait, à l'entendre, qu'elle n'a pas été cinq ans ministre.
Alors, si ces dirigeants rosissent leur langage, le rouge devrait pourtant leur monter au visage.
Arlette LAGUILLER
(source http://lutteouvriere.presse.online.fr, le 23 septembre 2002)
(24/09/2002)

COMMENT PREPARER LA RIPOSTE DE TOUTE LA CLASSE OUVRIERE
Il ne se passe pas une semaine sans que le gouvernement Chirac-Raffarin, n'annonce des faveurs destinées aux patrons ou aux catégories aisées. Ainsi on parle d'alléger l'impôt sur le travail à domicile, petit cadeau pour ceux qui ont les moyens de s'offrir des domestiques. La droite discute aussi d'alléger l'impôt sur les grandes fortunes, pourtant pas bien lourd pour les milliardaires.
Dans le même temps les annonces de plans dits sociaux continuent. Alcatel vient d'annoncer la suppression de 10 000 emplois supplémentaires dans le monde, s'ajoutant aux 10 000 déjà annoncés en juin dernier. Mais il y en a des dizaines d'autres, dont la presse ne parle pas. Il y a aussi ces entreprises qui suppriment les emplois précaires dont les patrons se débarrassent sans fracas, et sans qu'aucune procédure ne les entrave.
Et puis, il y a ce que nous prépare l'équipe Chirac-Raffarin pour très bientôt. A leur menu, il y a la privatisation annoncée d'entreprises publiques, comme EDF-GDF ou Air-France. Et surtout, il y a les attaques contre les retraites dans la fonction publique.
Parmi les salariés eux-mêmes, certains peuvent croire que les attaques contre les retraites du secteur public ne les concernent pas, ou pire, que si leur régime est aligné sur ceux du privé, ce ne serait que justice. C'est raisonner à l'envers. Plus de justice, ce n'est pas accepter de s'aligner sur les plus mal lotis, mais revendiquer que tous les salariés puissent bénéficier d'une retraite à taux plein, en cotisant 37 années et demi, comme cela existait avant.
D'autant qu'il ne faut pas croire que les attaques gouvernementales s'arrêteront aux seuls salariés du secteur public. Elles concernent l'ensemble des travailleurs, y compris en matière de retraite. Car parmi leurs projets, Chirac-Raffarin caressent l'idée d'introduire la retraite par capitalisation, qui se traduirait par une retraite encore diminuée. En effet combien de salariés peuvent se permettre de faire des économies toute une vie pour payer leur retraite ?
Chaque attaque réussie contre une fraction de la classe ouvrière est utilisée par le gouvernement et par les patrons, pour s'attaquer aux autres catégories.
Nos adversaires agissent systématiquement, selon un projet à long terme, et au grand jour.
Et nous, travailleurs, devrions-nous attendre que, pan par pan, on s'en prenne aux conditions d'existence de l'ensemble du monde du travail ?
On serait en droit d'attendre des dirigeants syndicaux qu'ils affichent aussi clairement que le font le gouvernement et le patronat, leur fermeté et leur volonté de mettre un coup d'arrêt à la politique antiouvrière qui se met en place.
Au lieu de cela Bernard Thibault, de la CGT, déclare que la priorité est la préparation des élections prud'homales. Les dirigeants de la CFDT ou de FO se plaignent surtout du manque de volonté de dialogue du gouvernement Raffarin.
Certes il ne suffit pas de claquer dans les doigts pour redonner au monde du travail la confiance en sa force.
Mais il faut en avoir la volonté et le montrer. Il faut, pour commencer, que tous ceux qui refusent de subir, saisissent toutes les occasions qui leur sont offertes, pour manifester leur volonté de ne plus subir sans rien dire. C'est la meilleure façon de convaincre ceux qui hésitent, et de préparer d'autres luttes, pour qu'elles s'élargissent à tous.
Des journées d'actions sont programmées dans les prochains jours. Entres autres le 3 octobre les syndicats de l'EDF-GDF appellent les salariés à une journée de grève et à manifester, à la fois contre la privatisation de leur entreprise et la remise en cause de leur régime de retraite. Il est question que des syndicats des cheminots appellent à rejoindre cette initiative. Une journée ne peut suffire à changer le rapport de forces. Mais elle peut être un début. En 1995, Juppé avait dû, malgré ses airs bravaches, remballer son projet. Preuve que l'initiative peut changer de camp, parfois rapidement...
(Source http://www.lutte-ouvrière.org, le 27 septembre 2002)
4 octobre 2002
La journée du 3 octobre ne doit être qu'un début
Le gouvernement et le patronat attaquent les travailleurs sur tous les fronts. Cette semaine vient en discussion au Parlement la nouvelle loi Fillon. Elle reprend à son compte et aggrave ce qui dans la loi Aubry était favorable au grand patronat et nuisible aux travailleurs, comme l'annualisation du temps de travail, la flexibilité accrue des horaires. Les travailleurs des entreprises de moins de 20 salariés n'auront plus qu'une majoration dérisoire de 10 % pour les heures supplémentaires et n'auront même pas droit à la réduction du temps de travail. Les patrons, en revanche, toucheront des milliards d'euros de " compensation " pour de prétendues 35 heures qu'ils n'ont même plus à appliquer !
A EDF-GDF, la direction se prépare à attaquer les retraites en majorant le taux de cotisation et en en allongeant la durée. Les travailleurs de France Télécom ont toutes les raisons de redouter que la direction leur fasse payer à eux ses déboires boursiers. Pour ceux d'Air France, la privatisation se traduira par des réductions d'effectifs. Dans le secteur privé, les licenciements collectifs se multiplient. Alcatel supprime 23 000 emplois, 28 % de son effectif total. De Daewoo à Whirlpool, en passant par Mitsubishi, une multitude d'autres grandes entreprises en font autant, y compris celles qui ont bénéficié de subventions publiques importantes. Le chômage s'aggrave de mois en mois.
Tout en multipliant les coups contre les travailleurs, Raffarin, dans son numéro télévisé, a tenu à rassurer les couches aisées : les réductions de l'impôt sur le revenu qui favorisent les plus gros contribuables se poursuivront, comme se poursuivront les baisses de charges sociales, c'est-à-dire les réductions de la part indirecte des salaires.
A tout cela s'ajoute une politique répressive, ouvertement affichée par Sarkozy, dont le langage sécuritaire et la haine des pauvres n'ont pas grand-chose à envier à ceux de l'extrême droite. Les lois préparées par le ministre de l'Intérieur ne sont pas seulement liberticides, ce sont des lois contre les pauvres. Le gouvernement Chirac-Raffarin, qui vient de décider une réduction drastique des effectifs d'éducateurs et de surveillants dans les écoles, propose d'infliger une amende aux parents rendus responsables des incartades de leurs enfants ! Au lieu d'éduquer les enfants des classes populaires, on punira les parents.
Face à ces attaques, il est indispensable d'organiser la riposte du monde du travail. Ce devrait être le rôle de toutes les organisations qui se revendiquent de la classe ouvrière. Ce devrait être le rôle des confédérations syndicales. Bien sûr, la riposte généralisée du monde du travail ne se décrète pas. Mais elle doit se préparer au grand jour, devant l'ensemble des travailleurs. Rien ne justifie l'alignement de toutes les confédérations sur les plus inertes. Rien ne justifie que les actions projetées soient dispersées.
Les fédérations syndicales d'EDF et de GDF appelaient à une journée de mobilisation avec une manifestation à Paris le 3 octobre. Mais pourquoi les cheminots étaient-ils appelés à se mobiliser un autre jour, en novembre ? Pourquoi est-ce à une date différente encore que sont appelés les enseignants ? Pourquoi une journée séparée pour ceux d'Alcatel ?
Les attaques du gouvernement et du patronat visent toute la classe ouvrière. Diviser volontairement la riposte, c'est limiter par avance nos chances. Il faut que le patronat et le gouvernement sentent qu'ils auront face à eux une classe ouvrière déterminée à se défendre.
La journée du 3 octobre doit être un succès, mais surtout cette journée ne doit être qu'un début. Une seule journée, même réussie, ne les fera pas reculer. Elle doit être un avertissement, une première étape qui sera suivie d'autres, permettant au monde du travail de retrouver confiance en sa force et en sa capacité de faire reculer le patronat et le gouvernement.
Arlette LAGUILLER
(Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 4 octobre 2002)
09 octobre 2002
CES GUERRES QU'ON FAIT PAYER AUX CLASSES POPULAIRES
La crise qui secoue depuis quelques semaines la Côte d'Ivoire peut apparaître lointaine. La télévision rapporte des images d'une rébellion militaire, et on fait état de la mort de plusieurs centaines de personnes, des civils surtout.
Parfois, on nous montre aussi comment, dans la grande ville de là-bas, Abidjan, le gouvernement officiel qui se prétend socialiste fait déguerpir -c'est le mot utilisé là-bas- des bidonvilles entiers de pauvres sous prétexte que leurs habitants sont originaires du pays voisin Burkina ou du nord du pays dont on accuse les habitants de prendre fait et cause pour les rebelles.
Oui, la Côte d'Ivoire et ses drames apparaissent lointains, comme apparaît lointaine la pauvreté qu'on entrevoit dans les images. Et pourtant, ce qui s'y passe nous concerne très directement. Car l'armée française, présente en permanence dans ce pays, est en train de renforcer ses effectifs pour intervenir dans le conflit.
Cette intervention a été présentée comme une intervention humanitaire pour sauver les étrangers, en particulier français, nombreux dans ce pays. Puis le gouvernement français a annoncé qu'il fournissait un appui logistique à l'armée gouvernementale. Mais l'appui est plus que logistique aujourd'hui : les troupes françaises prennent parti en se déployant entre les deux camps de façon à empêcher les mutins de progresser vers Abidjan. L'armée française est en réalité de plus en plus engagée dans une opération militaire dont personne ne peut garantir aujourd'hui qu'elle ne sera pas durable. On nous expliquera ensuite que cette intervention, menée au nom du "peuple français", était destinée à aider le gouvernement légal et, par conséquent, le peuple ivoirien.
Dans la réalité, le gouvernement en place a été élu suite à des élections notoirement truquées, au milieu d'un climat de violence imposé par les militaires et par les milices supplétives du régime.
Et, surtout, si l'armée française intervient, ce n'est certainement pas en faveur de la majorité pauvre de la Côte d'Ivoire qui croupit dans la misère, mais pour défendre ces grandes entreprises françaises qui ont de gros intérêts là-bas et qui ont largement contribué à la pauvreté de la population. Car, si la Côte d'Ivoire n'est plus officiellement une colonie, comme elle l'a été pendant longtemps, elle fait quand même partie de la chasse gardée du grand capital français. De Bouygues à Bolloré, des travaux publics au négoce du café ou du cacao, en passant par les chaînes commerciales et les banques, nombre de groupes français s'enrichissent là-bas grâce aux salaires bas et au pillage du pays. Et si les Français sont nombreux en Côte d'Ivoire, peu d'entre eux sont des médecins, des enseignants ou des spécialistes en agriculture pour aider la population de ce pays, et bien plus sont des entrepreneurs petits et grands ou des cadres d'entreprises françaises pour mieux l'exploiter.
Combien de millions d'euros coûtent les bases militaires françaises en Afrique, maintenues pour protéger les intérêts des groupes capitalistes ?
Combien coûtera l'intervention en Côte d'Ivoire ?
Et combien coûterait l'intervention militaire bien plus importante si les rodomontades guerrières des Etats-Unis se transformaient en guerre et si, sous prétexte de chasser le dictateur Saddam Hussein, on massacrait son peuple ?
Car si les Etats-Unis se lançaient dans la guerre, la France serait partie prenante. Parce que tel est l'intérêt du pays ?
Non, mais parce que tel est l'intérêt de Total, de triste mémoire, ou de quelques autres grandes entreprises françaises qui ne veulent pas être écartées d'un éventuel règlement par des concurrentes américaines ou anglaises.
Et, pendant qu'on engloutit des centaines de milliards dans un porte-avions et des sous-marins nucléaires de plus pour préparer de telles aventures guerrières, on nous dit qu'il n'y a pas assez d'argent pour les hôpitaux ou pour les écoles, pas assez pour financer l'aide aux personnes dépendantes.
La Côte d'Ivoire ou l'Irak ont beau être loin, on fera payer les interventions aux classes populaires, financièrement ici et avec du sang et de la souffrance là-bas.
Arlette Laguiller
(Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 10 octobre 2002)