Interview de M. françois Hollande, premier secrétaire du PS, à France Inter le 7 octobre 2002, sur les résultats de l'élection municipale de Vitrolles où la liste socialiste l'a emporté sur celle de Catherine Mégret (MNR) , sur la situation du parti socialiste et les leçons de son échec à l'élection présidentielle, sur l'attitude de Lionel Jospin et sur l'agression dont a été victime le maire de Paris, Bertrand Delanoë.

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Média : France Inter

Texte intégral

S. Paoli.-Vitrolles : est-ce une réponse au premier tour de la présidentielle de mai dernier ? Avec 54,05 % des voix, le socialiste G. Obino, qui a bénéficié du report de voix de l'UDF, de l'UMP et de l'Union de la gauche, devance largement la liste MNR de C. Mégret. Peut-on dire que, désormais, ce sera toujours le principe républicain qui va jouer ou est-ce qu'on n'est pas tenté de dire aussi : "pour solde de tout compte après mai dernier, la droite a apporté ses voix au Parti socialiste à Vitrolles" ?
- "Depuis sept ans, à Vitrolles il s'est passé beaucoup d'élections et à chaque fois, les républicains ont perdu. Ils en ont tiré les leçons. Sans doute d'abord parce qu'il y avait des problèmes de personnes qu'il fallait régler, ensuite parce qu'il y avait un problème de rassemblement de la gauche qu'il fallait faire et enfin, parce qu'il fallait que tous les républicains, de gauche comme de droite, fussent clairs. Il faut dire que jusqu'à ces derniers jours, j'ai même douté de ce point de vue, puisque M. Gaudin n'avait pas été particulièrement limpide dans ses premières déclarations. A. Juppé l'avait été davantage. Donc, lorsque ces trois conditions sont réunies - choix de bons candidats, de personnes qui sont capables de faire elles-mêmes l'union, le rassemblement de la gauche - parce que c'est ce que je pense qui a manqué au premier tour de l'élection présidentielle - et enfin capacité de tous les républicains à comprendre les enjeux - l'extrême droite peut être vaincue. Cela ne suffit pas de gagner une élection. C'est maintenant que le plus dur va commencer. Dans une ville comme Vitrolles, saccagée par une gestion épouvantable à tout point de vue, y compris sur le plan financier, c'est le plus dur. Il va falloir vivre ensemble. Il y a quand même 46 % des Vitrollais et des Vitrollaises qui ont voté pour la candidate du MNR et sa liste. C'est donc maintenant qu'il faut faire la réconciliation et le rassemblement et puis changer cette ville. C'est pourquoi je donne tous les encouragements à l'équipe qui a été élue derrière le docteur Obino, parce qu'elle a de quoi faire."
Vous disiez juste après ce résultat, hier soir, que lorsque la gauche est unie, en effet, elle peut gagner surtout, disiez vous, quand elle fait valoir ses valeurs et son identité. Mais la question que l'on a envie de vous poser, c'est quelles valeurs et quelle identité ? Parce qu'à gauche et notamment au Parti socialiste, on voit plutôt des valeurs et des identités s'exprimer ces temps-ci ?
- "D'abord, au Parti socialiste, il y a un débat. C'est bien le moins après ce qui s'est produit. Une défaite - et dans quelles conditions ! - et ensuite une alternance qui, convenons-le, n'avait pas été prévue, y compris par les observateurs, tant nous étions regardés comme les favoris. Il faut essayer de comprendre ce qu'il s'est passé. Nous le faisons depuis plusieurs mois, pointant toutes les causes qui ont produit la défaite. Pas simplement les causes politiques - la division de la gauche - car ce serait trop simple, mais aussi les causes sociales, les causes civiques. Car, je pense que c'est là le point essentiel : pourquoi y a-t-il un désenchantement, un détachement, une abstention et une montée des populismes ? C'est cela qu'il faut traiter. C'est pour cela que je parle de valeurs, de principes et de références."
La gauche s'était coupée des citoyens ?
- "Non, je pense qu'elle avait sans doute manqué de dialogues, de compréhension et manqué, quelquefois, d'écoute. Cela peut arriver surtout quand on est cinq ans au gouvernement et qu'on l'est - quand on regarde depuis 1981 - depuis 15 ans. Il y avait ce point-là. Mais elle n'était pas regardée comme véritablement différente dans ses valeurs et dans ses principes. Je pense qu'au printemps dernier, nous avions un bon candidat - je le confirme - avec L. Jospin. Nous avions un bilan sérieux, mais on n'était pas regardé sur un projet et sur une dynamique ou sur une vision et donc sur une identité. Et mon rôle maintenant, à la tête du Parti socialiste, avec tous ceux qui veulent faire débat dans le Parti socialiste, quels qu'ils soient, c'est justement de faire apparaître combien ces valeurs d'internationalisme - on le voit bien à travers toutes les questions qui sont posées par la mondialisation -, les valeurs européennes - il faut construire une Europe bien sûr politique mais aussi sociale -, l'éducation - le poids qu'elle peut avoir - sont différentes d'avec la droite et y compris en cette rentrée scolaire et universitaire. Et il y a ces valeurs de solidarité, ces valeurs de laïcité et d'intégration républicaine : ces valeurs n'ont pas changé. Il faut les traduire dans le monde, dans l'Europe et dans la France d'aujourd'hui. C'est pour cela qu'il faut un débat - on aura le temps et un congrès aussi. On a du temps devant nous pour que, justement, ne nous fassions pas simplement de reconstruire la gauche - c'est déjà beaucoup, car affirmer la position centrale du Parti socialiste, c'est déjà bien et j'y travaille - mais faire en sorte que la politique prenne tout son sens. Car c'est là le meilleur service que l'on peut rendre à la démocratie et à la République."
Reconstruire la gauche : que dites-vous quand les Français vous disent - c'était le cas hier dans le JDD - qu'au fond, l'homme qu'il leur paraît le plus intéressant pour mener la gauche, cela reste L. Jospin ?
- "Ils auraient dû se poser cette question et donner cette réponse en avril dernier ! Mais peut-être qu'il a suscité de regrets, ce qui est toujours finalement précieux. Mais cela ne suffit pas..."
Est-ce que c'est de nature à lui redonner l'envie de revenir ?
- "Ce n'est pas moi qui peut m'exprimer à sa place."
Vous le connaissez bien quand même !
- "Je le connais mais il a fait ce que peu d'hommes ou de femmes politiques - c'était surtout les hommes qui étaient concernés par cette question jusqu'à récemment - ont fait avant lui c'est-à-dire après un échec - et cela en était un, collectif sans doute, lui était le candidat - de dire qu'il se mettait de côté de la vie politique. Je crois qu'aujourd'hui, il faut respecter ce qu'il a fait, ce qu'il a dit et puis, nous, les socialistes, nous devons travailler comme s'il n'était pas là, car il n'est pas là."
Se mettre de côté ce n'est pas forcément un abandon ?
- "Il a pris une position suffisamment forte pour qu'elle soit durable. Je n'imagine pas une position aussi claire, aussi ferme être remise en cause parce qu'il y aurait un sondage. Je crois que L. Jospin n'est pas homme à se fixer par rapport aux sondages."
Dans ceux qui, aujourd'hui, peuvent peut être incarner différemment les valeurs à gauche - encore une fois, je dis les choses, avec beaucoup de prudence, car ce rapprochement serait vraiment un peu oiseux. Mais néanmoins, quand B. Delanoë reçoit un coup de couteau, est-ce qu'il n'apparaît pas désormais aux yeux des citoyens avec une figure héroïque - cet homme qui avance au milieu de la foule sans se protéger. Il reçoit un coup de couteau - ce qui est tragique -, mais est-ce qu'un seul coup ce n'est pas une autre image pour lui qui intervient ?
- "Je ne pense pas qu'il l'est cherché !"
Sûrement pas, bien évidemment !
- "B. Delanoë a changé Paris en quelques mois et il a voulu que Paris soit une ville ouverte, une ville libre. Il y a eu cette belle réalisation de Paris-Plage, mais au-delà de cela il y avait cette fête de la Nuit blanche, pour faire que les Parisiens soient dans leur ville. Cet hôtel de ville qui avait été longtemps l'image de la confiscation du pouvoir, de sa bunkerisation, a été ouvert à la population pour cette nuit-là. Il était au milieu des Parisiens, faisant en sorte que chacun soit heureux et en même temps tout en étant respectueux des autres. Il a été agressé par un déséquilibré et, là, il n'y a pas de commentaires à avoir. Mais je pense que c'est un modèle de ce qu'un élu doit faire. Parce qu'on nous dit, aujourd'hui, que les élus doivent se protéger. Je ne doute pas qu'il faut prendre des précautions évidentes, mais si demain, par un souci de sécurité absolue, les citoyens ne rencontraient plus leurs élus, ne parvenaient plus à leur parler, à leur expliquer ce que sont leurs difficultés ou leurs joies et qu'il y avait des bastions qui se créeraient dans les beffrois ou les hôtels de ville, alors ce serait terrible pour la démocratie. B. Delanoë a donc fait preuve de courage. Je peux en témoigner par rapport à l'acte d'agression dont il a été l'objet, mais il a fait preuve aussi de passion démocratique. Il ne faudrait surtout pas que cette passion-là soit étouffée."
C'est pour avoir refusé l'enjeu du risque - celui des idées mais aussi celui de la proximité - que la classe politique, dans son ensemble, tant à droite qu'à gauche a un peu souffert ces dernières années ? Refus de la prise de risques ?
- "Les élus - il faut quand même avoir de la considération pour eux, car à force, cela peut donner de mauvais exemples - sont plutôt au contact de la population. Ce qu'il faut, c'est que cela ne soit pas simplement un contact physique mais il faut que ce soit un contact politique, c'est-à-dire aller vers ceux qui ne viennent jamais vers vous. Quand il y a 42 % d'abstention aux élections législatives dernières, quand il y a une montée du populisme, cela révèle un isolement, une mise à l'écart de beaucoup de nos concitoyens par rapport à l'enjeu même de la démocratie."
A Vitrolles, il y a eu un beau réveil : plus de 72 % de participation !
- "J'entends même des commentaires dire qu'il y avait quand même 27 % d'abstention et que c'était trop. Bien sûr que c'est trop, mais c'est encore là un bon résultat civique que d'avoir réduit l'abstention à 27 %. Il faut qu'il y ait de l'engagement, il faut qu'il y ait de l'implication civique mais, pour cela, il faut que les élus, les militants politiques aillent au contact de celles et ceux qui sont loin de la politique. Et quand il y a des jeunes, des classes populaires qui s'abstiennent, la gauche est encore plus interpellée que la droite."
Vous avez été l'un des premiers à rendre visite à B. Delanoë. D'ailleurs, au passage la rédaction d'Inter le salue - parce qu'il était vendredi matin en studio et qu'il nous écoute peut-être. Comment physiquement et moralement est-il ? Quand on lit les journaux, ce matin, on est surpris de la violence de l'agression. Libération raconte qu'il a été littéralement soulevé de terre par la violence du coup et qu'il est tombé au sol ensuite. Il est traumatisé ou pas ?
- "Je n'ai pas pu lui parler, car il sortait de l'opération. Ce que je peux simplement dire, c'est ce que les médecins m'ont confié. Bien sûr, sa vie n'est pas en danger - elle ne l'a pas été - mais le coup a été brutal et la lame profonde. C'est à dire que plusieurs organes ont été atteints. Il a donc subi une opération de plusieurs heures. Je crois qu'il faut bien prendre conscience que ce n'est pas un acte banal qui s'est produit à l'Hôtel de ville dans la nuit de samedi à dimanche."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 7 oct 2002)