Texte intégral
Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Madame, Monsieur,
Nous arrivons au terme de notre journée commune sur "l'euro, la construction européenne et l'agriculture". Je remercie les participants qui sont venus de loin, certains retardés par les grèves, d'autres venus en voisin.
Je remercie tout particulièrement les orateurs qui se sont succédés aujourd'hui pour la qualité de leurs interventions et leur contribution à nos tables rondes. Merci également aux organisateurs de cette manifestation.
Tout au long des débats de cette journée, nous avons pu constater l'engagement unanime de la profession agricole en faveur de l'euro et de la construction européenne.
Je dois avouer que le soutien des agriculteurs représentés ici m'a surpris par sa force, mais aussi par sa lucidité sur les enjeux de l'euro, la place de l'Europe dans le monde, les complications qu'il faudra bien surmonter pour réussir le passage à l'euro et en tirer les avantages.
Il est vrai que l'engagement des agriculteurs en faveur de la monnaie unique européenne n'est pas nouveau. Vous le savez autant que nous, Monsieur le ministre. C'est pourquoi nous sommes d'autant plus sensibles à votre venue parmi nous aujourd'hui.
Depuis les origines de la Politique agricole commune, les agriculteurs français ont toujours été favorables à la création d'une monnaie unique européenne. Au fil des années, à l'épreuve des faits, il faut dire que cette conviction n'a cessé de se renforcer dans l'esprit des agriculteurs
Nous avons tous encore en mémoire les conséquences, pour nos éleveurs ou pour nos producteurs de fruits et légumes, des dévaluations compétitives de la lire italienne ou de la pesette espagnole de 1993.
Nous apprécions à sa juste valeur la stabilité monétaire que nous apportera l'euro sur nos principaux marchés. Je vous rappelle qu'ils sont à plus de deux tiers européens
Nous savons maintenant que les efforts de compétitivité de nos agriculteurs seront récompensés. Ils ne seront plus menacés d'être annihilé, en une nuit, à la suite d'un réalignement monétaire.
La FNSEA se félicite que les ministres des finances de la zone euro ont finalement retenu, comme prévu, les cours pivots bilatéraux du Système monétaire européen pour fixer le taux de conversion en euro le 1er janvier prochain.
D'ici là, Monsieur le ministre, si des mouvements monétaires spéculatifs devaient se produire entre les monnaies des onze pays participant à l'euro, vous pouvez compter sur les agriculteurs français pour vous soutenir - le cas échéant, vous rappeler - de ne pas céder aux sirènes des dévaluations compétitives et défendre les parités irrévocables annoncées le 2 mai dernier.
Il en va des intérêts de nos producteurs sur le marché européen. Il en va de la crédibilité de l'euro sur la scène internationale.
En effet, nous ne perdons pas de vue nos échanges et nos relations avec les pays tiers. Les agriculteurs européens attendent avec impatience de pouvoir exporter en euro et non plus en dollars.
A l'égal de nos concurrents américains, nous voulons facturer nos échanges dans notre propre monnaie, ne plus subir le risque de change et le Yo-Yo incessant du dollar.
Les Etats-Unis nous critiquent sur nos restitutions. Nous autorisent-ils à parler du dollar? Non, car c'est leur monnaie nous disent-ils.
Nous permettent-ils d'évoquer ce "privilège exorbitant du dollar" qui autorise les Etats-Unis à sous-évaluer leur monnaie pour stimuler leur économie, vendre du blé ou bien des Boeings ?
Se souviennent-ils qu'en possédant l'unique monnaie internationale de réserve et d'échange, les Etats-Unis peuvent se permettre d'accumuler des déficits extérieurs sans avoir à modifier leur politique économique.
Se rendent-ils comptent que tous les autres pays doivent souvent choisir entre le respect des équilibres extérieurs, la discipline budgétaire et la lutte contre le chômage?
En demandant, pour l'euro, de faire jeu égal avec le dollar, ne croyez pas, Monsieur le ministre, que nous vous demandons de laisser filer les déficits - même si nous aimerions quelque argent supplémentaire pour le budget de l'agriculture.
Nous avons seulement envie que l'équilibre économique et monétaire mondial soit plus juste. Plus juste pour tous, car nous souhaitons demain que tous les pays puissent choisir entre l'euro et le dollar.
Ce ne sont pas les Etats-Unis, fervents partisans de la libre concurrence et des lois du marché, qui vont critiquer la concurrence que l'euro pourra faire dès demain au dollar. C'est en effet dès le 1er janvier prochain !.
Bien sûr, le monopole exercé par le dollar depuis plus de cinquante ans ne disparaîtra pas de sitôt, mais le mouvement sera lancé. C'est là l'essentiel.
Nous espérons, Monsieur le ministre, pouvoir vous dire bientôt que le premier contrat libellé en euro sera le fait de la France et de ses producteurs agricoles. Personnellement, j'en serais très fier.
Il n'en demeure pas moins que nous sommes bien incapables de prédire quel sera le taux de change entre l'euro et le dollar. Si nous le savions, nous ne serions pas ici.
Dans cette situation, il semble important, Monsieur le ministre, que nous maintenions fermement - notamment lors des prochaines négociations à l'OMC - le principe des restitutions à l'exportation.
Nous devons également renforcer parallèlement nos mécanismes de crédit à l'exportation et nos dispositifs d'assurance pour le risque de change ou d'assurance revenu.
Si l'euro représentera vraiment un atout stratégique pour l'Europe au XXIème siècle, la monnaie unique européenne ne représente pas la panacée universelle. Nous ne devons pas oublier de nous doter aussi des outils quotidiens de promotion de nos exportations et de défense de nos intérêts commerciaux dans le monde.
Une autre question nous préoccupe cependant. Elle est liée, en Europe, à la constitution de la zone euro. Elle est propre à l'agriculture européenne. Je veux parler du régime agri-monétaire. Sujet ô combien technique et sensible, vous en conviendrez.
Bien sûr, tous les agriculteurs abandonneront sans remords derrière eux les "montants compensatoires monétaires", "taux de conversion agricole", "switch-over", et autres béquilles actuellement indispensables au fonctionnement de la PAC. Tout cela va dans le sens de la simplification de la PAC que nous défendons. Mais pas à n'importe quelles conditions.
La sortie du régime agri-monétaire actuel doit être négociée pour que les agriculteurs français ne subissent aucune perte de revenu, sur les prix ou sur les aides.
Avec votre collègue de l'agriculture - à qui nous le rappellerons - il faut rester très ferme dans la négociation avec la Commission et nos autres partenaires européens. Si nous y réussissons, cela ne nous coûtera rien. Je pense que le ministre des finances sera sensible à cet argument.
D'ailleurs, les financements communautaires existent, puisqu'ils sont utilisés dans le dispositif du régime agri-monétaire actuel. Sachons les redéployer pour que nos vieux écus verts basculent vite et bien vers des euros de bon aloi, ainsi que vous l'avez vous-même vérifié il y a quelques jours à Pessac en croquant dedans.
Pour en finir avec l'agri-monnaie, j'oublie ma fonction de Président du COPA et je vous dis : n'entrez pas dans le jeu de la Commission de pratiquer des économies sur le dos des agriculteurs français pour payer des aides aux agriculteurs anglais.
Le retour budgétaire de la France en serait dégradé d'autant. Si pour les quatre pays qui ne feront pas partie de la zone euro le régime agri-monétaire doit être adapté à l'euro, il est inutile de déshabiller Pierre pour habiller Paul.
Certains reprochent à l'agriculture française d'avoir largement bénéficié des financements communautaires et de l'ouverture des marchés de l'Union européenne. N'est-ce pas aussi la rançon du succès ? Doit-elle, de ce fait, payer pour tout le monde ?
On oublie toujours l'excédent record de l'agro-alimentaire français, les produits de qualité que les consommateurs peuvent trouver à bon marché dans leurs magasins, les paysages et l'environnement entretenus et protégés, le rôle multifonctionnel de l'agriculture, essentiel au maintien et au développement des activités en milieu rural.
Je vous le dis, Monsieur le ministre : la politique agricole commune est un bon investissement pour la France et l'euro renforcera notre agriculture.
Nous l'avons dit souvent : il n'y aura pas de véritable marché unique sans monnaie unique. Cela est vrai pour l'agriculture, comme pour les autres secteurs de l'économie.
Bien sûr, une unité de compte commune européenne avaient été créée en 1962, puis l'écu, en 1979. Mais c'étaient les monnaies communes des administrations européennes et cela s'arrêtait là.
L'euro, lui, change tout. Il va devenir la monnaie quotidienne de 291 millions d'européens et faire de la zone euro-11 la première puissance économique et commerciale de la planète.
Nos marchés européens vont devenir plus vastes, plus transparents, plus concurrentiels aussi. Les agriculteurs français sont prêts à s'adapter et relever les défis de l'euro. La compétitivité de nos entreprises, de nos exploitants nous laisse bon espoir de conquérir de nouvelles parts de marchés, même si nous comprenons que nos concurrents viendront aussi chez nous.
Mais que pouvons-nous faire si nous devons nous battre avec une main dans le dos ? Si les charges sociales, la fiscalité ou bien certaines normes environnementales qui existent en France empêchent nos produits d'être concurrentiels ?
Plus encore, que pourrons nous faire si les autres pays de la zone euro pratiquent le dumping social, fiscal ou environnemental ? Construire l'Europe signifierait-il l'alignement sur le plus mauvais ou le "moins-disant" des onze ? . Monsieur le ministre, je sais que vous ne voulez pas de cette Europe là. Nous non plus.
Dans les trois ans qui viennent, parallèlement à la mise en place de l'euro, il nous apparaît indispensable que l'Europe s'engage dans une harmonisation concertée des règles sociales, fiscales et environnementales.
Il faut que la France soit le moteur de cette nouvelle politique européenne, si elle veut que ses intérêts soient pris en compte.
Monsieur le ministre, les agriculteurs français seront toujours vigilants sur ce que vous négocierez, mais vous aurez toujours leur appui sur la voie d'une harmonisation européenne conduite et organisée.
A cet égard, l'actuel projet de réforme de la PAC qui prétend instaurer des enveloppes nationales, nous apparaît en totale contradiction avec les objectifs et les conséquences de l'euro.
Le projet de la Commission conduit à renationaliser la seule politique européenne qui fonctionne actuellement, à créer des distorsions de concurrence, au moment même où la transparence des marchés sera plus grande et la compétition plus vive. Pour cette raison aussi, nous ne voulons pas de ce projet.
D'ailleurs, l'attitude de la Commission nous conforte dans l'idée que la réforme des institutions européennes est devant nous. La FNSEA a dit en son temps que le Traité d'Amsterdam ne permettait pas de répondre au défi de l'élargissement aux PECO. Ce Traité nous apparaît encore moins adapté aux conséquences de l'euro.
L'harmonisation européenne, la nécessité de mettre en place, tôt ou tard, un véritable levier économique budgétaire européen, qui ne se limitera plus à 1,2 % du PIB et qui viendra équilibrer le rôle de la banque centrale européenne, imposera tôt ou tard à transférer de nouvelles compétences, voire de nouvelles ressources au niveau européen. Cette évolution serait cependant impossible en l'état.
Pour vivre de près le fonctionnement des institutions européennes, leurs lourdeurs, leurs dysfonctionnements, les agriculteurs jugent la réforme des institutions indispensable, notamment dans le sens de la simplification. Là aussi, on ne peut pas dire que le projet de réforme de la PAC aille dans ce sens.
Plus encore, un contrôle démocratique renforcé des instances européennes nous semble impératif. Le récent projet NTM de zone de libre-échange transatlantique de Léon Brittan - que nous connaissons bien, car nous nous souvenons tous de Blair House - illustre à merveille les risques encours quand ce contrôle est faible.
Nous estimons qu'un contrôle politique direct des citoyens sur des institutions, dont les décisions jouent un rôle de plus en plus important dans notre vie de tous les jours, est plus que jamais nécessaire si nous voulons que les citoyens d'Europe adhèrent et s'impliquent dans la construction européenne.
Lors du dernier sommet franco-allemand, la France et l'Allemagne ont décidé de proposer à leurs partenaires européens, lors du prochain Sommet de Cardiff, une relance de la construction européenne et de la subsidiarité. Nous ne pouvons que soutenir cette initiative. L'Europe en a besoin.
Mais entendons-nous bien : la subsidiarité c'est résoudre au niveau local ce qui peut l'être, et renvoyer à l'échelon supérieur ce qui ne peut être tranché sur place.
Pour la réforme de la PAC, il nous semble plutôt que la Commission fait le contraire. D'un côté, elle s'aligne sur le prix mondial. De l'autre côté, elle se débarrasse des problèmes au niveau des Etats membres. Où est l'Europe s'il ne reste que la renationalisation et la mondialisation ? Nous voulons la subsidiarité, mais de l'Europe que nous propose la Commission, nous n'en voulons pas.
Monsieur le ministre, vous avez devant vous des européens convaincus. Par raison et par conviction. L'Europe est une uvre de paix et de prospérité. Nous sommes fiers, nous autres agriculteurs, de faire partie de l'avant garde de la construction européenne. Qui, d'ailleurs, défend autant que nous l'identité européenne chaque fois qu'elle est menacée ?
Nous voyons les enjeux de l'euro. Nous percevons les difficultés qui se présenteront, notamment pendant la longue période de transition, entre le 1er janvier 1999 et juillet 2002 au plus tard. Nous sommes prêts à relever ces défis.
On croit toujours, à l'image des vieux paysans ruraux de nos souvenirs d'enfance, que les agriculteurs français comptent toujours en anciens francs. C'était hier !. Les agriculteurs sont aujourd'hui des "euro-optimistes", mais aussi des "euro-pragmatiques".
Nous avons bien compris que l'euro est un atout pour une agriculture multifonctionnelle : celle qui exporte en Europe et dans le reste du monde, et celle qui sait en même temps accueillir les touristes étrangers dans les fermes et leur faire découvrir nos produits et nos terroirs.
Le 17 février dernier, Monsieur le ministre. lorsque je suis venu signer au ministère de l'Economie et des Finances la Charte de l'Euro, qui engage la FNSEA à accompagner les agriculteurs dans leur passage à l'euro, vous m'avez dit "Président Guyau, vous êtes ici chez vous".
Monsieur le ministre, je suis heureux de pouvoir vous dire aussi que vous êtes aussi chez vous parmi les agriculteurs français. Ils comptent sur vous, sur vos services, pour défendre leurs intérêts - qui sont souvent ceux de la France - que ce soit à Bruxelles, ou dans quelques jours, à nouveau, à Genève, à l'OMC.
Je vous le dis, Monsieur le ministre, nous savons que nous pouvons compter sur vous pour défendre le rôle de l'agriculture française en Europe et dans le monde, mais vous pouvez aussi compter sur nous.
Je vous remercie.
(source http://www.fnsea.fr, le 14 février 2002)
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Madame, Monsieur,
Nous arrivons au terme de notre journée commune sur "l'euro, la construction européenne et l'agriculture". Je remercie les participants qui sont venus de loin, certains retardés par les grèves, d'autres venus en voisin.
Je remercie tout particulièrement les orateurs qui se sont succédés aujourd'hui pour la qualité de leurs interventions et leur contribution à nos tables rondes. Merci également aux organisateurs de cette manifestation.
Tout au long des débats de cette journée, nous avons pu constater l'engagement unanime de la profession agricole en faveur de l'euro et de la construction européenne.
Je dois avouer que le soutien des agriculteurs représentés ici m'a surpris par sa force, mais aussi par sa lucidité sur les enjeux de l'euro, la place de l'Europe dans le monde, les complications qu'il faudra bien surmonter pour réussir le passage à l'euro et en tirer les avantages.
Il est vrai que l'engagement des agriculteurs en faveur de la monnaie unique européenne n'est pas nouveau. Vous le savez autant que nous, Monsieur le ministre. C'est pourquoi nous sommes d'autant plus sensibles à votre venue parmi nous aujourd'hui.
Depuis les origines de la Politique agricole commune, les agriculteurs français ont toujours été favorables à la création d'une monnaie unique européenne. Au fil des années, à l'épreuve des faits, il faut dire que cette conviction n'a cessé de se renforcer dans l'esprit des agriculteurs
Nous avons tous encore en mémoire les conséquences, pour nos éleveurs ou pour nos producteurs de fruits et légumes, des dévaluations compétitives de la lire italienne ou de la pesette espagnole de 1993.
Nous apprécions à sa juste valeur la stabilité monétaire que nous apportera l'euro sur nos principaux marchés. Je vous rappelle qu'ils sont à plus de deux tiers européens
Nous savons maintenant que les efforts de compétitivité de nos agriculteurs seront récompensés. Ils ne seront plus menacés d'être annihilé, en une nuit, à la suite d'un réalignement monétaire.
La FNSEA se félicite que les ministres des finances de la zone euro ont finalement retenu, comme prévu, les cours pivots bilatéraux du Système monétaire européen pour fixer le taux de conversion en euro le 1er janvier prochain.
D'ici là, Monsieur le ministre, si des mouvements monétaires spéculatifs devaient se produire entre les monnaies des onze pays participant à l'euro, vous pouvez compter sur les agriculteurs français pour vous soutenir - le cas échéant, vous rappeler - de ne pas céder aux sirènes des dévaluations compétitives et défendre les parités irrévocables annoncées le 2 mai dernier.
Il en va des intérêts de nos producteurs sur le marché européen. Il en va de la crédibilité de l'euro sur la scène internationale.
En effet, nous ne perdons pas de vue nos échanges et nos relations avec les pays tiers. Les agriculteurs européens attendent avec impatience de pouvoir exporter en euro et non plus en dollars.
A l'égal de nos concurrents américains, nous voulons facturer nos échanges dans notre propre monnaie, ne plus subir le risque de change et le Yo-Yo incessant du dollar.
Les Etats-Unis nous critiquent sur nos restitutions. Nous autorisent-ils à parler du dollar? Non, car c'est leur monnaie nous disent-ils.
Nous permettent-ils d'évoquer ce "privilège exorbitant du dollar" qui autorise les Etats-Unis à sous-évaluer leur monnaie pour stimuler leur économie, vendre du blé ou bien des Boeings ?
Se souviennent-ils qu'en possédant l'unique monnaie internationale de réserve et d'échange, les Etats-Unis peuvent se permettre d'accumuler des déficits extérieurs sans avoir à modifier leur politique économique.
Se rendent-ils comptent que tous les autres pays doivent souvent choisir entre le respect des équilibres extérieurs, la discipline budgétaire et la lutte contre le chômage?
En demandant, pour l'euro, de faire jeu égal avec le dollar, ne croyez pas, Monsieur le ministre, que nous vous demandons de laisser filer les déficits - même si nous aimerions quelque argent supplémentaire pour le budget de l'agriculture.
Nous avons seulement envie que l'équilibre économique et monétaire mondial soit plus juste. Plus juste pour tous, car nous souhaitons demain que tous les pays puissent choisir entre l'euro et le dollar.
Ce ne sont pas les Etats-Unis, fervents partisans de la libre concurrence et des lois du marché, qui vont critiquer la concurrence que l'euro pourra faire dès demain au dollar. C'est en effet dès le 1er janvier prochain !.
Bien sûr, le monopole exercé par le dollar depuis plus de cinquante ans ne disparaîtra pas de sitôt, mais le mouvement sera lancé. C'est là l'essentiel.
Nous espérons, Monsieur le ministre, pouvoir vous dire bientôt que le premier contrat libellé en euro sera le fait de la France et de ses producteurs agricoles. Personnellement, j'en serais très fier.
Il n'en demeure pas moins que nous sommes bien incapables de prédire quel sera le taux de change entre l'euro et le dollar. Si nous le savions, nous ne serions pas ici.
Dans cette situation, il semble important, Monsieur le ministre, que nous maintenions fermement - notamment lors des prochaines négociations à l'OMC - le principe des restitutions à l'exportation.
Nous devons également renforcer parallèlement nos mécanismes de crédit à l'exportation et nos dispositifs d'assurance pour le risque de change ou d'assurance revenu.
Si l'euro représentera vraiment un atout stratégique pour l'Europe au XXIème siècle, la monnaie unique européenne ne représente pas la panacée universelle. Nous ne devons pas oublier de nous doter aussi des outils quotidiens de promotion de nos exportations et de défense de nos intérêts commerciaux dans le monde.
Une autre question nous préoccupe cependant. Elle est liée, en Europe, à la constitution de la zone euro. Elle est propre à l'agriculture européenne. Je veux parler du régime agri-monétaire. Sujet ô combien technique et sensible, vous en conviendrez.
Bien sûr, tous les agriculteurs abandonneront sans remords derrière eux les "montants compensatoires monétaires", "taux de conversion agricole", "switch-over", et autres béquilles actuellement indispensables au fonctionnement de la PAC. Tout cela va dans le sens de la simplification de la PAC que nous défendons. Mais pas à n'importe quelles conditions.
La sortie du régime agri-monétaire actuel doit être négociée pour que les agriculteurs français ne subissent aucune perte de revenu, sur les prix ou sur les aides.
Avec votre collègue de l'agriculture - à qui nous le rappellerons - il faut rester très ferme dans la négociation avec la Commission et nos autres partenaires européens. Si nous y réussissons, cela ne nous coûtera rien. Je pense que le ministre des finances sera sensible à cet argument.
D'ailleurs, les financements communautaires existent, puisqu'ils sont utilisés dans le dispositif du régime agri-monétaire actuel. Sachons les redéployer pour que nos vieux écus verts basculent vite et bien vers des euros de bon aloi, ainsi que vous l'avez vous-même vérifié il y a quelques jours à Pessac en croquant dedans.
Pour en finir avec l'agri-monnaie, j'oublie ma fonction de Président du COPA et je vous dis : n'entrez pas dans le jeu de la Commission de pratiquer des économies sur le dos des agriculteurs français pour payer des aides aux agriculteurs anglais.
Le retour budgétaire de la France en serait dégradé d'autant. Si pour les quatre pays qui ne feront pas partie de la zone euro le régime agri-monétaire doit être adapté à l'euro, il est inutile de déshabiller Pierre pour habiller Paul.
Certains reprochent à l'agriculture française d'avoir largement bénéficié des financements communautaires et de l'ouverture des marchés de l'Union européenne. N'est-ce pas aussi la rançon du succès ? Doit-elle, de ce fait, payer pour tout le monde ?
On oublie toujours l'excédent record de l'agro-alimentaire français, les produits de qualité que les consommateurs peuvent trouver à bon marché dans leurs magasins, les paysages et l'environnement entretenus et protégés, le rôle multifonctionnel de l'agriculture, essentiel au maintien et au développement des activités en milieu rural.
Je vous le dis, Monsieur le ministre : la politique agricole commune est un bon investissement pour la France et l'euro renforcera notre agriculture.
Nous l'avons dit souvent : il n'y aura pas de véritable marché unique sans monnaie unique. Cela est vrai pour l'agriculture, comme pour les autres secteurs de l'économie.
Bien sûr, une unité de compte commune européenne avaient été créée en 1962, puis l'écu, en 1979. Mais c'étaient les monnaies communes des administrations européennes et cela s'arrêtait là.
L'euro, lui, change tout. Il va devenir la monnaie quotidienne de 291 millions d'européens et faire de la zone euro-11 la première puissance économique et commerciale de la planète.
Nos marchés européens vont devenir plus vastes, plus transparents, plus concurrentiels aussi. Les agriculteurs français sont prêts à s'adapter et relever les défis de l'euro. La compétitivité de nos entreprises, de nos exploitants nous laisse bon espoir de conquérir de nouvelles parts de marchés, même si nous comprenons que nos concurrents viendront aussi chez nous.
Mais que pouvons-nous faire si nous devons nous battre avec une main dans le dos ? Si les charges sociales, la fiscalité ou bien certaines normes environnementales qui existent en France empêchent nos produits d'être concurrentiels ?
Plus encore, que pourrons nous faire si les autres pays de la zone euro pratiquent le dumping social, fiscal ou environnemental ? Construire l'Europe signifierait-il l'alignement sur le plus mauvais ou le "moins-disant" des onze ? . Monsieur le ministre, je sais que vous ne voulez pas de cette Europe là. Nous non plus.
Dans les trois ans qui viennent, parallèlement à la mise en place de l'euro, il nous apparaît indispensable que l'Europe s'engage dans une harmonisation concertée des règles sociales, fiscales et environnementales.
Il faut que la France soit le moteur de cette nouvelle politique européenne, si elle veut que ses intérêts soient pris en compte.
Monsieur le ministre, les agriculteurs français seront toujours vigilants sur ce que vous négocierez, mais vous aurez toujours leur appui sur la voie d'une harmonisation européenne conduite et organisée.
A cet égard, l'actuel projet de réforme de la PAC qui prétend instaurer des enveloppes nationales, nous apparaît en totale contradiction avec les objectifs et les conséquences de l'euro.
Le projet de la Commission conduit à renationaliser la seule politique européenne qui fonctionne actuellement, à créer des distorsions de concurrence, au moment même où la transparence des marchés sera plus grande et la compétition plus vive. Pour cette raison aussi, nous ne voulons pas de ce projet.
D'ailleurs, l'attitude de la Commission nous conforte dans l'idée que la réforme des institutions européennes est devant nous. La FNSEA a dit en son temps que le Traité d'Amsterdam ne permettait pas de répondre au défi de l'élargissement aux PECO. Ce Traité nous apparaît encore moins adapté aux conséquences de l'euro.
L'harmonisation européenne, la nécessité de mettre en place, tôt ou tard, un véritable levier économique budgétaire européen, qui ne se limitera plus à 1,2 % du PIB et qui viendra équilibrer le rôle de la banque centrale européenne, imposera tôt ou tard à transférer de nouvelles compétences, voire de nouvelles ressources au niveau européen. Cette évolution serait cependant impossible en l'état.
Pour vivre de près le fonctionnement des institutions européennes, leurs lourdeurs, leurs dysfonctionnements, les agriculteurs jugent la réforme des institutions indispensable, notamment dans le sens de la simplification. Là aussi, on ne peut pas dire que le projet de réforme de la PAC aille dans ce sens.
Plus encore, un contrôle démocratique renforcé des instances européennes nous semble impératif. Le récent projet NTM de zone de libre-échange transatlantique de Léon Brittan - que nous connaissons bien, car nous nous souvenons tous de Blair House - illustre à merveille les risques encours quand ce contrôle est faible.
Nous estimons qu'un contrôle politique direct des citoyens sur des institutions, dont les décisions jouent un rôle de plus en plus important dans notre vie de tous les jours, est plus que jamais nécessaire si nous voulons que les citoyens d'Europe adhèrent et s'impliquent dans la construction européenne.
Lors du dernier sommet franco-allemand, la France et l'Allemagne ont décidé de proposer à leurs partenaires européens, lors du prochain Sommet de Cardiff, une relance de la construction européenne et de la subsidiarité. Nous ne pouvons que soutenir cette initiative. L'Europe en a besoin.
Mais entendons-nous bien : la subsidiarité c'est résoudre au niveau local ce qui peut l'être, et renvoyer à l'échelon supérieur ce qui ne peut être tranché sur place.
Pour la réforme de la PAC, il nous semble plutôt que la Commission fait le contraire. D'un côté, elle s'aligne sur le prix mondial. De l'autre côté, elle se débarrasse des problèmes au niveau des Etats membres. Où est l'Europe s'il ne reste que la renationalisation et la mondialisation ? Nous voulons la subsidiarité, mais de l'Europe que nous propose la Commission, nous n'en voulons pas.
Monsieur le ministre, vous avez devant vous des européens convaincus. Par raison et par conviction. L'Europe est une uvre de paix et de prospérité. Nous sommes fiers, nous autres agriculteurs, de faire partie de l'avant garde de la construction européenne. Qui, d'ailleurs, défend autant que nous l'identité européenne chaque fois qu'elle est menacée ?
Nous voyons les enjeux de l'euro. Nous percevons les difficultés qui se présenteront, notamment pendant la longue période de transition, entre le 1er janvier 1999 et juillet 2002 au plus tard. Nous sommes prêts à relever ces défis.
On croit toujours, à l'image des vieux paysans ruraux de nos souvenirs d'enfance, que les agriculteurs français comptent toujours en anciens francs. C'était hier !. Les agriculteurs sont aujourd'hui des "euro-optimistes", mais aussi des "euro-pragmatiques".
Nous avons bien compris que l'euro est un atout pour une agriculture multifonctionnelle : celle qui exporte en Europe et dans le reste du monde, et celle qui sait en même temps accueillir les touristes étrangers dans les fermes et leur faire découvrir nos produits et nos terroirs.
Le 17 février dernier, Monsieur le ministre. lorsque je suis venu signer au ministère de l'Economie et des Finances la Charte de l'Euro, qui engage la FNSEA à accompagner les agriculteurs dans leur passage à l'euro, vous m'avez dit "Président Guyau, vous êtes ici chez vous".
Monsieur le ministre, je suis heureux de pouvoir vous dire aussi que vous êtes aussi chez vous parmi les agriculteurs français. Ils comptent sur vous, sur vos services, pour défendre leurs intérêts - qui sont souvent ceux de la France - que ce soit à Bruxelles, ou dans quelques jours, à nouveau, à Genève, à l'OMC.
Je vous le dis, Monsieur le ministre, nous savons que nous pouvons compter sur vous pour défendre le rôle de l'agriculture française en Europe et dans le monde, mais vous pouvez aussi compter sur nous.
Je vous remercie.
(source http://www.fnsea.fr, le 14 février 2002)