Interview de M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire, à "I Télévision" le 13 novembre 2002, sur la situation des réfugiés à la suite de la fermeture du centre de la Croix-Rouge de Sangatte, le projet de réforme des retraites et la simplification administrative.

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Média : I-télévision

Texte intégral

Pascal MIZRAHI.- Jean-Paul DELEVOYE, bonjour. Vous êtes ministre de la Fonction publique, de la Réforme de l'Etat et de l'Aménagement du territoire. Alors, les migrants qui se trouvent encore à Calais ont jusqu'à ce matin pour quitter l'église. Votre réaction ?
Jean-Paul DELEVOYE - Bonjour. Sangatte, tous les élus du littoral souhaitaient sa fermeture. Dès que la fermeture a été prononcée, chaque réfugié peut avoir une réponse de la part de l'Etat, et les services de l'Etat ont à leur disposition toutes les solutions soit pour étudier leur droit d'asile soit pour les rapatrier soit pour les traiter humainement. Le vrai problème qui se pose, c'est pour les réfugiés qui refusent toute solution. Sur l'évacuation de l'église, le maire de Calais nous a très clairement alertés sur l'état sanitaire de la population à l'intérieur de l'église, et a souhaité, très calmement, très humainement, qu'il soit procédé à l'évacuation de cette église, non pas d'une façon forcée, mais pour, tout simplement, répondre à des exigences de santé. Enfin, ce qui est le plus important, c'est que la totalité des élus ont reconnu que, depuis que les mesures avaient été prises, il y avait moins de clandestins sur le sol calaisien. A partir de ce moment-là, le ministre de l'Intérieur, Nicolas SARKZOY, rencontrera son homologue anglais, belge, pour voir comment, sur le plan européen, nous puissions avoir une politique d'immigration qui soit ferme - on ne peut pas accepter sur le sol européen la misère du monde - mais aussi humaine, facilitant le retour au pays avec des accords comme la Roumanie, la Bulgarie et d'autres pays.
Pascal MIZRAHI - Alors, les migrants disent qu'ils veulent rester encore dans l'église, qu'ils n'en sortiront pas ; est-ce que les forces de l'ordre vont intervenir quand l'ultimatum expirera ?
Jean-Paul DELEVOYE - S'il y a des problèmes de santé, ce qui est le cas, et qui mettent en péril, et la sécurité des personnes, mais aussi dans des conditions où les locaux ne sont pas adaptés pour l'accueil de ces populations, il est tout à fait important, quelquefois, de faire le bien des gens même contre leur propre volonté et, aujourd'hui, des réponses hospitalières, sanitaires, leurs seront proposées. Je crois qu'il faut aussi être tout à fait attentif au comportement d'un certain nombre de personnes qui n'hésitent pas à se servir de la détresse dans laquelle se trouvent les immigrés pour faire un peu d'agitation politicienne. Sur ce sujet, il faut beaucoup de responsabilité - c'est l'attitude des élus locaux - ; il faut beaucoup de convergences et de consensus de la totalité des forces associatives, politiques. Le ministre de l'Intérieur a pris une décision importante, c'est que dès qu'un réfugié sera identifié, on lui remettra une notice l'informant de ses droits en tant que réfugié. Et donc respect du droit pour les réfugiés, mais ça ne veut pas dire non plus qu'il n'y a pas de respect de droit pour les personnes qui habitent sur le littoral ; il faut trouver un juste équilibre des choses et c'est la politique du gouvernement.
Pascal MIZRAHI - Donc, vous dites que l'église pourrait être évacuée par les forces de l'ordre si les migrants restent à l'intérieur.
Jean-Paul DELEVOYE - Le maire de Calais lui-même a demandé à ce que cette évacuation soit traitée dans les 24 heures, alors que nous étions disposés à faire ça sur une durée un peu plus longue ; et donc aujourd'hui, effectivement, il faut prendre des décisions, il faut les assumer, et faire aussi en sorte de condamner toutes celles et ceux qui se servent un peu de la naïveté des réfugiés pour, d'abord, en tirer un profit personnel - c'est des circuits mafieux -, mais aussi quelquefois pour les inciter à refuser toutes les aides offertes par l'Etat Nous avons la preuve que, aujourd'hui, un certain nombre de personnes très infiltrées disent : "Surtout, refusez toutes les propositions de l'Etat français, elles ne sont pas bonnes !" Eh bien, je crois qu'il faut mettre un terme à cette manipulation de la misère humaine.
Pascal MIZRAHI - Alors, certains disent que la fermeture du centre de Sangatte, c'est la première tuile pour Nicolas SARKOZY, parce que ça ne règle rien.
Jean-Paul DELEVOYE - Je crois que, au contraire, c'est sa première réussite. Pendant quatre ans, le gouvernement précédent a laissé la CROIX ROUGE gérer seule ce problème, et nous voyons bien l'exaspération de l'ensemble des élus et de la population face à une montée grandissante d'un centre qui est prévu pour 800, il y a eu 1500 personnes, 2000, 2500 personnes qui vivaient dans des conditions déplorables. Et plutôt que de traiter le problème, eh bien on déplaçait les réfugiés et on les laissait se débrouiller quasiment par eux-mêmes aux mains des systèmes mafieux. Il faut savoir que, à l'intérieur du centre de Sangatte, il y avait des frontières où les mafias et les passeurs, lorsque les frontières n'étaient pas respectées, s'entretuaient. Dès le 8 mai, dès le lendemain de ma nomination, j'ai alerté Nicolas SARKOZY de ce grave problème de Sangatte ; immédiatement, il a pris les mesures nécessaires et, en quelques mois, le problème est réglé. Or il sera réglé, sur la fermeture, d'une façon rapide, mais sur la durée, il y a une période transitoire qu'il nous faut actuellement gérer. Et ensuite, il nous faut poser très clairement le problème de la politique de l'immigration à l'échelle européenne.
Pascal MIZRAHI - Alors, Jean-Paul DELEVOYE, Jean-Pierre RAFFARIN a fort à faire sur le terrain social, notamment en matière de retraite. Les retraites, ça vous concerne, est ce que vous êtes déterminé dans cette réforme des retraites ?
Jean-Paul DELEVOYE - Nous sommes d'autant plus déterminés que si nous ne faisons rien - ce qui était le cas des gouvernements précédents -, nos systèmes de retraite explosent.
Pascal MIZRAHI - Pas question de faire marche arrière sur le dossier ?
Jean-Paul DELEVOYE - Mais c'est une question de responsabilité, d'abord vis-à-vis de l'opinion, vis-à-vis des retraités eux-mêmes et vis-à-vis des futures générations. Si nous ne faisons rien, les retraités ne sont absolument pas garantis d'avoir droit à leur retraite dans les conditions actuelles. Deuxièmement, les générations futures verront exploser les factures. Et donc nous avons une mission et une responsabilité politique, vis-à-vis du pays, de sauver nos systèmes de retraite par répartition, et c'est le chantier que nous allons ouvrir à partir de février avec une décision qui sera prise en juin.
Pascal MIZRAHI - Alors, faut-il arriver à une uniformité entre le privé et le public ?
Jean-Paul DELEVOYE - Il faut d'abord, en terme de méthode, très clairement poser le diagnostic : est-ce que chacun partage la situation telle que nous la voyons et la préoccupation qui est la nôtre de voir que, dans un horizon d'une vingtaine d'années, eh bien, à l'évidence, les impasses financières sont insurmontables. Deuxièmement, quels sont les principes auxquels nous sommes attachés ; et effectivement, sur les principes, on voit bien que plusieurs principes sont aujourd'hui très clairement avancés : 1/ Le système par répartition, c'est-à-dire que chaque génération, chaque actif paie pour les retraités ; un système de liberté de choix : est-ce que je peux avoir la capacité de partir avant ou après l'âge légal de la retraite ; et puis un système d'équité : est-ce que, à cotisation égale, on peut avoir un système qui garantisse une retraite égale.
Pascal MIZRAHI - Est-ce que vous, vous êtes pour une uniformité entre le public et le privé ?
Jean-Paul DELEVOYE - Je crois que ce qui est important, c'est, au nom de ces principes vous savez, il ne faut pas prédéterminer les réponses au débat que nous allons ouvrir. Nous allons poser un diagnostic, le faire partager, ensuite réfléchir aux objectifs que nous voulons atteindre, et ensuite ouvrir les débats ; et là, il sera intéressant de voir quels sont les principes auxquels les organisations syndicales sont attachées, auquel le gouvernement est attaché et de voir si, sur ces principes-là, il y a moyen de s'entendre.
Pascal MIZRAHI - Alors, ça grogne quand même sur le terrain social, les syndicats disent que ça va être assez chaud ; il y a même Alain MADELIN, ce matin, qui dit qu'il y aurait peut-être un risque d'enlisement pour le gouvernement RAFFARIN. Qu'en pensez-vous ?
Jean-Paul DELEVOYE - Ce qui serait un risque d'enlisement, ça serait de ne prendre aucune décision. Nous sommes déterminés à prendre une décision au mois de juin. Mais nous sommes aussi déterminés
Pascal MIZRAHI - Le plan est prêt ou pas ?
Jean-Paul DELEVOYE - Pas du tout, puisque nous allons ouvrir le débat et engager les discussions avec les organisations syndicales de février à juin, c'est-à-dire plusieurs mois. Et nous sommes donc déterminés à prendre une décision au mois de juin, à faire le point sur nos convergences ou nos différences, et à livrer au Parlement, voire à l'opinion, les décisions à prendre pour sauver nos systèmes de retraite. Mais aussi, nous sommes déterminés à engager le dialogue le plus franc, le plus ouvert, le plus correct et le plus sincère et le plus honnête avec les organisations syndicales tout au long de ces mois.
Pascal MIZRAHI - Alors, dernière question. Vous vous occupez de la Fonction publique ; vous dites il y a trop de fonctionnaires en France, alors combien de postes vous allez supprimer et lesquels ?
Jean-Paul DELEVOYE - Si les missions de l'Etat se réorganisent, l'obligation, pour chaque responsable ministériel, c'est d'adapter ses moyens à ses missions ; et lorsque, à l'évidence, pour remplir certaines missions, il n'y a pas assez de fonctionnaires, il faudrait en mettre plus, et lorsqu'il y a trop de fonctionnaires, il faudra les diminuer. Nous devons aussi faire la chasse à tout ce qui permet la simplification administrative. Aujourd'hui, les délais de procédure, les démarches sont beaucoup trop compliqués et beaucoup trop lourds. D'ailleurs, on voit bien l'étude aujourd'hui parue : la France a perdu 10 points, 10 places sur la compétitivité internationale pour son économie à cause de ces lourdeurs administratives, à cause de la charge du coût du travail. Nous devons simplifier la vie des Françaises et des Français, simplifier la vie des entreprises, libérer les énergies, et l'Etat ne doit plus imposer le poids des procédures mais, au contraire, se mettre en partenariat. Et, bien évidemment, l'ajustement de ces missions doit se faire en fonction de cet objectif, et l'ajustement des moyens se fera par rapport à ça.
Pascal MIZRAHI - Merci, Jean-Paul DELEVOYE.
(Source http://www.fonction-publique.gouv.fr, le 31 décembre 2002)