Conférence de presse de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur les relations entre la France et la Grande-Bretagne, notamment dans le cadre d'un projet sur le libre échange entre les Etats-Unis et l'Union européenne, Paris le 24 mars 1998.

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Circonstance : Visite de M. Anthony Blair, Premier ministre de Grande Bretagne, à Paris le 24 mars 1998

Texte intégral

Pardonnez-nous si nous vous avons fait attendre. Le problème, c'est que nous vous rejoignons, alors que nous étions en pleine discussion. Vous aussi peut-être, du coup. Quand on est en discussion, on ne voit pas le temps passer.

Tony Blair, comme vous le savez, a été invité par le président de l'Assemblée nationale à s'exprimer devant l'Assemblée nationale cet après-midi. Il a rencontré le président de la République après ce premier échange avec la représentation nationale. Nous avons nous-mêmes en tête-à-tête d'abord, puis avec nos collaborateurs, dans un dîner qui suivra notre échange, donné une suite et un terme à cette journée. Nous pouvons évoquer ensemble toute une série de questions, soit qui relèvent de l'action que conduit Tony Blair en tant que président de l'Union en ce moment, soit de nos relations bilatérales, essentiellement entre Etats, même si nous pouvons avoir aussi des relations bilatérales plus particulières.

Nous sommes heureux de nous trouver devant vous. Le Premier ministre est notre hôte de marque.

(...)
Nous ne sommes qu'au tout début de l'examen de la possibilité d'un traité ou d'une approche de discussion sur le libre-échange entre les Etats-Unis et l'Union européenne. Nous avons entendu que c'était un projet du commissaire Leon Brittan. Les gouvernements de l'Union européenne n'en ont pas encore été informés, et en tout cas, n'ont pas encore été associés à cette initiative. Je ne doute pas qu'ils vont l'être.

Le gouvernement français s'exprimera. Il a déjà laissé entendre quelle était son approche. Nous sommes favorables à ce que les discussions et les progrès qui peuvent être encore faits dans le sens du libre-échangisme se mènent pour l'essentiel dans l'Organisation mondiale du Commerce, dans l'organisation mondiale faite pour cela, de façon à ce que les intérêts des uns et des autres soient pris en compte, que les offres et les concessions soient examinées dans le cadre multilatéral qui convient. Nous avons à la suite du Gatt créé - nous, la communauté internationale - une organisation mondiale du commerce. C'est là, normalement, que doivent se dérouler les "rounds", les discussions commerciales dont les pays de toute nature, développés ou en voie de développement, ont pris l'habitude depuis plus de 20 ans maintenant. Voilà pourquoi nous privilégions cette approche.

Q - Dans le discours de Tony Blair à l'Assemblée, dans cette approche de la troisième voie, quels sont les points qui pourraient susciter chez vous une modification de comportement ou de pensée ou de réflexion, voire une modification des réformes que vous comptez faire pour le pays ?

R - D'abord, avec nos amis britanniques du Labour party, et Tony Blair en particulier, nous avons avec eux une habitude de discussion depuis de longues années pour ce qui concerne nos amis du Labour, depuis des années plus récentes, depuis que Tony Blair assume la directive de cette formation et qu'il est devenu Premier ministre dans son propre pays. Les échanges entre nous sont en quelque sorte naturels. Nos capacités à nous influencer les uns les autres existent déjà depuis un bon nombre d'années. Ce n'est pas simplement le fait que Tony Blair soit devenu Premier ministre en Grande-Bretagne et que je sois devenu Premier ministre en France qui pose le problème de nos influence respectives.

De toute façon, il faut avoir à l'esprit que dans des grands pays comme la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne - parce qu'on évoque aussi la façon dont pourrait se situer tel ou tel leader en Allemagne - un responsable politique de pleine responsabilité va d'abord se définir par rapport à lui-même. Il va d'abord se définir par rapport à l'histoire, à la culture, aux traditions, aux problèmes, aux aspirations de son propre pays. Je pense qu'il ne viendrait pas à l'esprit d'un homme politique d'une grande nation de se définir par l'imitation d'un autre.

Par ailleurs, la Grande-Bretagne et la France sont des pays que beaucoup de choses rapprochent, que rien n'oppose et que quelques points différencient. Rien ne nous oppose : je ne vois pas sur de grands sujets d'antagonismes, d'oppositions entre la Grande-Bretagne et la France. Je parle pour le moment des gouvernements, je ne parle pas naturellement des formations politiques. Je vois beaucoup de choses qui nous rapprochent, non seulement parce que nous sommes deux grandes nations, avec deux grandes histoires. Pas simplement parce que nous sommes des pays démocratiques, mais aussi parce que nous sommes au fond des pays de statut comparable : des grands pays ayant eu une grande Histoire, de taille moyenne du point de vue démographique, n'ayant pas renoncé à une politique mondiale, avec un statut nucléaire, membres permanents du Conseil de sécurité, peut-être plus maritime (pour la Grande-Bretagne) et plus continental (pour la France - encore que nous aussi ayons une vision maritime.
Ce sont des pays qui ont une identité, même si, comme c'est parfois en France, une partie de l'opinion s'interroge sur cette identité. Nous sommes vraiment des pays qui abordons souvent les problèmes avec les mêmes éléments de puissance et le même recul historique.

Pour autant, nos histoires sont différentes. Il est normal donc qu'il y ait des différenciations entre nous. Mais si on prenait les problèmes agricoles, le problème de la Politique agricole commune, si on prenait même les relations avec les Etats-Unis - nos deux pays sont des amis fidèles et anciens des Etats-Unis - disons que pour autant, nous pouvons sur tel ou tel point avoir des approches sensiblement différentes.

Donc, beaucoup de choses nous rapprochent, rien ne nous oppose, et un certain nombre d'éléments nous différencient. C'est pourquoi nous sommes deux nations originales qui ont compté et continuent de compter dans la communauté internationale.

Pour le reste, je pense que Tony Blair, à sa façon, dans sa génération compte tenu de ce qu'a été l'histoire du Labour au cours des quinze dernières années, compte tenu de ce qu'a été l'effet et l'impact du conservatisme en Grande-Bretagne - et moi-même dans un autre environnement, avec une autre expérience -, je pense que nous sommes deux hommes qui voulons introduire dans nos pays des éléments de modernité. Simplement, nous ne le faisons pas avec les mêmes mots. Mais je pense que la démarche est la même. Je crois qu'il y a, entre Tony Blair et moi, une recherche d'équilibre entre l'individuel et le collectif, entre l'action de l'Etat et l'action des acteurs individuels, entre l'affirmation d'une identité et une ouverture vers l'extérieur. Donc, si vous voyez aussi des politiques d'emploi, les politiques d'éducation, les priorités - recherche, éducation - vous trouvez des éléments de fertilisation mutuelle extrêmement importants.

(...)
Q - (Au sujet des différentes politiques que l'on peut mener...)
R - Je complexifierais un peu le schéma - mais cela, c'est une tendance française ! - je vois quatre éléments : il y a de bonnes politiques. Il y a de mauvaises politiques. Il y a des politiques de gauche ; il y a des politiques de droite. Je ferais plutôt un tableau à deux entrées. Il peut y avoir de bonnes politiques de gauche, de mauvaises politiques de gauche, de bonnes politiques de droite, de mauvaises politiques de droite.

Q - Pensez-vous que l'invitation de Tony Blair en France par Laurent Fabius est une invitation à votre endroit pour évoluer vers un modernisme de gauche ?
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R - Le président de l'Assemblée nationale a souhaité inviter en France un certain nombre de personnalités internationales importantes. Quand vous en aurez fait la liste, vous aurez constaté leur variété. Ce serait d'une grande complexité de messages qui pourraient être adressés. Je crois que Laurent Fabius a certainement pensé à Tony Blair parmi les hommes et les dirigeants qu'il avait le plus envie d'inviter. Nous étions absolument heureux qu'il soit là aujourd'hui.

J'aurai d'ailleurs moi-même l'occasion d'aller en Grande-Bretagne, non dans les mêmes conditions, mais pour m'exprimer devant le nouvel Institut de politique internationale que le Labour party met en place. Cela fait partie de ces échanges. Donc, je crois que votre question est trop subtile !./.


(Source http://www.doc.diplomatie.gouv.fr, le 15 juin 2001)