Déclaration de M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie, sur les orientations et les mesures préconisées dans le rapport de M. Yves Martin sur l'évaluation de la politique publique de maîtrise de l'énergie, Paris le 24 février 1998.

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Circonstance : Remise du rapport d'évaluation de la politique de maîtrise de l'énergie, à Paris le 24 février 1998

Texte intégral

Je tenais en premier lieu à remercier très vivement et à féliciter chaleureusement Monsieur Yves MARTIN et à travers lui toutes les personnalités qui ont apporté leurs concours et leurs compétences à cette évaluation de la politique publique de maîtrise de l'énergie, accomplie au cours de ces trois dernières années.
Mais avant d'en tirer les enseignements, je tenais à vous assurer que vos efforts ne resteront pas vains. Car, en effet l'utilisation rationnelle de l'énergie et les énergies renouvelables ne sont pas des notions dépassées et une politique de l'énergie équilibrée ne peut se concevoir sans une action sur la demande.
La maîtrise de l'énergie n'est pas une notion dépassée
La politique d'utilisation rationnelle de l'énergie et de développement des énergies renouvelables répond en effet à des impératifs particulièrement actuels. La préoccupation traditionnelle d'assurer notre indépendance énergétique et la sécurité de nos approvisionnements en énergies fossiles reste présente. Même si la France produit aujourd'hui 50 % de l'énergie qu'elle consomme, le secteur des transports dépend encore presque à 100 % du pétrole importé. Et l'évolution des réserves pétrolières dans le monde fait que la dépendance sera de plus en plus grande à l'égard du Moyen-Orient.
La consommation mondiale d'énergie devrait augmenter de 50 % au cours des vingt prochaines années. Les équilibres écologiques seront gravement compromis si les tendances actuelles ne sont pas assagies. La qualité de l'air dans les grandes métropoles, l'épuisement progressif des ressources fossiles et la lutte contre le changement climatique sont largement conditionnés par notre capacité à utiliser au mieux l'énergie. En tant que Ministre chargé de l'Industrie, je crois que le progrès technologique est source de bénéfices pour la protection de l'Environnement.
Mais ce n'est pas tout, la maîtrise de l'énergie est un puissant outil de lutte contre le chômage. En effet, le contenu emploi d'un kWh produit par énergie renouvelable est double de celui des énergies fossiles et utiliser rationnellement l'énergie consiste le plus souvent à remplacer des énergies importées par de la matière grise locale.
Bref, l'abondance actuelle de l'énergie et son faible prix ne doivent pas faire illusion. A moyen ou long terme, nous n'avons pas d'autres choix que d'utiliser rationnellement l'énergie et de développer les énergies renouvelables.
En résumé, peut-on conduire une politique énergétique en s'appuyant uniquement sur la production d'énergie ? Cette question volontairement provocatrice appelle bien évidemment une réponse négative. Une politique responsable de l'énergie ne consiste pas seulement à satisfaire les besoins de la collectivité nationale en énergie au moindre coût en évitant les risques de rupture d'approvisionnement.
Mais il est tout aussi vrai que l'on ne peut conduire en France une politique efficace d'économie d'énergie et de développement des énergies renouvelables sans la participation active des grands producteurs d'énergie nationaux. La présence du Président ALPHANDERY à mes côtés aujourd'hui, ce dont je le remercie, témoigne de la volonté d'EDF de s'impliquer avec ses moyens et ses compétences dans la maîtrise de l'énergie..
I) LE BILAN
L'évaluation à laquelle Y. Martin et son équipe ont procédé a pour ambition de tirer les leçons du passé pour mieux éclairer l'avenir. Dans cet esprit, je retiens pour ma part de ses travaux trois enseignements principaux.
Des résultats positifs
En premier lieu, je me réjouis de constater que la France est avec le Japon l'un des pays industrialisés qui utilise le plus efficacement l'énergie. Les évolutions constatées depuis 1974 paraissent encore à notre avantage.
Ce succès, il est porté au crédit de la politique de maîtrise de l'énergie plus qu'à l'effet prix. Il est observé toutefois qu'il tient pour partie à la substitution de l'électricité à des combustibles fossiles permise par notre programme électronucléaire. Mais je ne m'en offusque nullement, je m'en félicite même, notamment lorsque je considère les effets de cette substitution sur notre balance commerciale et nos performances en matière de lutte contre l'effet de serre.
Certes, depuis quelques années l'effort public en faveur de la maîtrise de l'énergie s'est relâché et l'efficacité énergétique du pays stagne. C'est bien pour remédier à cette situation que le gouvernement a récemment annoncé sa décision de donner un nouvel essor à la politique de maîtrise de l'énergie.
Les instruments de la politique de maîtrise de l'énergie
Sur l'efficacité des instruments réglementaires, budgétaires ou fiscaux de la politique de maîtrise de l'énergie, l'instance d'évaluation porte un jugement nuancé, parfois même sévère.
Je m'accorde avec elle pour penser que la mission publique la plus légitime en ce domaine consiste à faciliter l'identification des possibilités d'économie d'énergie et de recours aux énergies renouvelables économiquement rentables. Dans un contexte d'abondance et de faible prix, les consommateurs industriels ou particuliers ne sont en effet pas portés spontanément à rechercher les informations nécessaires pour prendre les décisions appropriées.
L'instance regrette par ailleurs et à juste titre que la dimension énergétique n'ait pas été suffisamment prise en compte dans les diverses politiques publiques telles que le transport, l'urbanisme ou l'aménagement du territoire qui ont un impact fort et durable sur les consommations énergétiques. L'élaboration d'un schéma de service en matière d'énergie prévu dans la loi d'orientation, d'aménagement et de développement du territoire (LOADT), annoncée par Dominique Voynet lors du dernier CIAT, devrait permettre de remédier au moins partiellement à cette situation. Une réflexion approfondie a par ailleurs été lancée au sein du Ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie en vue de réformer la fiscalité énergétique.
L'agence de l'environnement de la maîtrise de l'énergie
En troisième lieu, l'instance porte un jugement globalement favorable sur l'efficacité des actions conduites par l'ADEME et elle regrette le démantèlement progressif des actions de maîtrise de l'énergie de cet établissement au profit de son activité en matière de protection de l'environnement.
Cette analyse est incontestable, c'est la raison pour laquelle le gouvernement a pris récemment des mesures fortes. L'ADEME a été doté d'une nouvelle équipe de direction. Comme le Premier Ministre l'a annoncé le 2 février dernier, dès 1999, sera mis en place un financement pérenne de l'ordre de 500 MF par an, déployé par l'ADEME, et affecté à la maîtrise de l'énergie et au développement des énergies renouvelables.
L'objectif est bien de recentrer l'ADEME sur sa mission en faveur de la maîtrise de l'énergie. Je sais que son nouveau Président M. Pierre RADANNE, dont je salue la présence aujourd'hui parmi nous, adhère à cettte orientation et y consacre déjà beaucoup d'efforts.

II)DES ORIENTATIONS
Il ne s'agit bien évidemment pas de mettre en place on ne sait quel mécanisme de rationnement ou d'encadrement incompatible avec une économie moderne.
Il ne s'agit pas non plus de vouloir, par dogmatisme, économiser l'énergie ou développer les énergies renouvelables à tout prix, dans toutes les applications possibles et à grand renfort de subventions publiques. Le rapport d'évaluation a affirmé d'ailleurs que les réalisations de prestige lourdement déficitaires ou les soutiens abusifs à des filières non compétitives constituent finalement des contre-références.
Au contraire, je considère qu'en matière d'utilisation rationnelle de l'énergie et de développement des énergies renouvelables, l'action de mon ministère doit être guidée par trois principes :
- l'efficacité économique, qui conduit à favoriser les modalités d'intervention qui présentent le meilleur rapport énergie économisée sur franc public investi ;
- la permanence dans l'action, indispensable à l'émergence des innovations et les filières industrielles créatrices d'emplois pérennes ;
- l'ouverture du champ des options énergétiques, de manière à se donner par la diversification tous les moyens de laisser les choix énergétiques ouverts à l'horizon 2010.
III) UNE STRATÉGIE D'ACTION MIEUX CIBLEE
L'instance d'évaluation a identifié au cours de ses travaux plus de 50 mesures de nature réglementaire, incitative ou fiscale qui ont été mises en oeuvre au cours de 20 dernières années. Un effort de sélectivité propre à éviter la dispersion des efforts et le saupoudrage des crédits s'impose !
Au-delà du soutien à la recherche et au développement technologique toujours nécessaire pour faire passer une innovation du stade de l'idée à celui du marché, le ministère chargé de l'Industrie orientera désormais son action autour d'une stratégie claire comportant trois orientations principales :
1/Promouvoir l'aide à la décision, il s'agit d'aider les utilisateurs d'énergie à identifier les gisements d'économies d'énergie rentables, et de donner aux consommateurs les informations nécessaires pour qu'ils orientent leurs décisions d'achat vers les produits les plus économes en énergie ;
Ainsi les Fonds Régionaux d'Aides aux Conseils gérés par les DRIRE et qui permettent d'aider une PMI à recourir aux services d'un consultant seront ouverts aux audits énergétiques, non obligatoires en fait de la réglementation.
2/Soutenir les technologies mûres, pour qu'elles se développent suffisamment pour devenir à court ou moyen terme pleinement compétitives ;
C'est l'objet du programme EOLE 2005 qui vise à doter notre pays d'un potentiel éolien de 250 à 500 MW à l'horizon 2005. Au terme de ce programme, le grand éolien devrait pouvoir se développer sans l'aide de l'Etat.
C'est aussi dans cet esprit, que j'ai demandé à EDF de renforcer son action dans le domaine du "capital développement" notamment pour les entreprises impliquées dans les énergies renouvelables.
3/Enfin, remédier aux imperfections du marché qui s'opposent à l'adoption des solutions énergétiquement optimales pour la collectivité.
Il est par exemple parfois moins onéreux pour la collectivité et plus favorable pour l'environnement de conduire des actions d'économie d'énergie auprès des abonnés que de renforcer les lignes électriques en défaut, notamment dans les zones rurales. C'est bien l'objet du FACE.
IV) DES MESURES D'APPLICATION IMMÉDIATE
Toutefois, eu égard aux enjeux, j'ai décider d'engager un premier programme d'action d'application immédiate :
J'ai ainsi demandé à mes services d'accélérer la mise à jour de la base juridique sur laquelle s'inscrit notre politique de maîtrise de l'énergie, conformément aux orientations prévues par la loi sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie.
Le premier décret d'application de cette loi vient d'être signé. Il réglemente les performances énergétiques des appareils de réfrigération. Trois autres décrets relatifs aux performances des chaudières industrielles, au contrôle des installations de combustion et aux réseaux de chaleur seront adoptés dans les prochaines semaines.
En second lieu, s'agissant de l'utilisation rationnelle de l'énergie, l'ADEME et EDF vont associer leurs initiatives pour conduire deux ambitieux programmes de "maîtrise de la demande d'électricité" et "d'aide à la décision".
En ce qui concerne les énergies renouvelables, plusieurs décisions ont été prises ces derniers mois : les conditions d'achat par EDF de l'électricité produite par énergies renouvelables et notamment la petite hydraulique ont été revalorisées ; des programmes relatifs aux chauffe-eau solaires, à l'électrification des sites isolés par photovoltaïque ont été mis en oeuvre et se déroulent dans d'excellentes conditions.
D'autres décisions vont prochainement la compléter :
- lancement d' une nouvelle tranche du programme EOLE 2005 de 100 MW
- mise en place d'un nouveau programme de valorisation de l'utilisation énergétique du biogaz;
- développement de l'usage énergétique des déchets de la filière bois.
Le détail de ces programmes va pouvoir vous être présenté par MM. Edmond ALPHANDERY, Claude MANDIL et Pierre RADANNE.
Le paysage énergétique de notre pays va connaître une mutation avec la création du marché intérieur de l'électricité et celui du gaz. La maîtrise de l'énergie doit à cette occasion redevenir une des composantes essentielles de notre politique de l'énergie. Elle doit elle aussi s'adapter aux données nouvelles.
Le gouvernement a la ferme volonté de relancer avec détermination et dans la durée une politique rénovée d'utilisation rationnelle de l'énergie et de développement des énergies renouvelables qui s'était essoufflée au cours de ces dernières années. Un bon objectif à moyen terme me semble être d'améliorer notre efficacité énergétique (c'est-à-dire la quantité d'énergie consommée pour créer un point de richesse) de 1% par an comme s'était le cas avant 1990.
Le Premier Ministre s'est ainsi prononcé le 2 février dernier en faveur d'une politique énergétique équilibrée, permettant au pays d'assurer son indépendance énergétique, de disposer d'une énergie compétitive, et de réduire le niveau des émissions contribuant à l'effet de serre. Tous ces objectifs ont pu être atteind grâce au choix du nucléaire. Le développement des énergies renouvelables permettra de compléter utilement ce choix national.
(Source http://www.industrie.gouv.fr, le 24 septembre 2001)