Texte intégral
A. Hausser - Le débat sur l'Irak aura lieu aujourd'hui à l'Assemblée et au Sénat ; il n'y aura pas de vote. En fait, c'est un vote virtuel sur un éventuel veto de la France. Le Parti socialiste dit qu'il faut absolument un veto. Pourquoi cette persistance ?
- "Notre sentiment, mais je crois que c'est le sentiment populaire, c'est que les Américains veulent à tout prix faire la guerre contre l'Irak, non seulement pour renverser S. Hussein mais pour remodeler toute cette région, pour réorganiser, comme si c'était chose simple, aisée, et qu'après, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Cette guerre est un risque énorme, c'est un risque de fracture supplémentaire entre le monde arabe, musulman et le monde occidental. Donc, nous pensons qu'il ne faut pas faire cette guerre. La France, jusqu'à présent, a eu une bonne position ; il faut qu'elle l'ait jusqu'au bout, il ne faut pas que tout d'un coup, elle se mette à flancher - c'est l'impression que j'ai avec ces déclarations. Il faut qu'elle aille jusqu'au bout, et donc, pour cela, qu'elle utilise une arme qui est celle de la paix, qui est le droit de veto."
Quand vous pensez à "ces déclarations", vous pensez à vos collègues de l'UMP qui sont un peu troublés par une éventuelle cassure transatlantique ?
- "Oui, c'est cela. Il faudra bien qu'ils s'expliquent. Si nous avons en conscience la conviction qu'il ne faut pas faire cette guerre, alors que nous avons toujours exprimé, de façon clairvoyante notre point de vue dans la guerre contre l'Irak lorsqu'il y a eu cette invasion du Koweit, ou alors lorsque nous avons tout fait pour enlever à Milosevic son pouvoir d'épuration ethnique au Kosovo, lorsque nous sommes intervenus solidairement après le 11 septembre avec les Américains en Afghanistan contre Al-Qaida... Nous ne sommes pas des pacifistes bêlants ou naïfs, mais nous pensons que le danger dans cette région si explosive, où le conflit du Moyen-Orient n'est toujours pas réglé, faire la guerre là-bas, c'est absolument désastreux. Le danger est immense, y compris pour la paix du monde. Que la France ait une position juste, qui est appuyée par l'Allemagne, par la Russie, par la Chine, et appuyée aussi par des dizaines de millions de personnes dans le monde, ce n'est pas un isolement. Alors si tout d'un coup, au milieu du guet, voilà qu'on se met à flancher et à revenir sur l'autre rive et puis tout abandonner, je pense que c'est grave. Si c'est ce qu'on est en train de nous préparer, je dis attention, je le dis solennellement, je dis aux responsables de l'UMP : soyez conséquents, soyez logiques, ayez le courage d'aller jusqu'au bout."
L'abstention, ce serait l'autre rive ?
- "Si on ne veut pas que cette guerre ait lieu, il faut que la France utilise tous les moyens pour convaincre d'abord une majorité au Conseil de sécurité qu'il ne faut pas faire cette guerre. Et si les Américains, avec leurs 200 000 hommes qui sont rassemblés sur place là-bas, veulent à tout prix la faire, ils passeront par le Conseil de sécurité, et là, si la France utilise son droit de veto, les Américains seront face à leur responsabilité historique. Voudront-ils, à ce moment-là, casser une des dernières grandes organisations du monde, les Nations unies ? Ou est-ce qu'au contraire, ils reculeront ? Si la France donne l'impression aujourd'hui de baisser les bras, d'avance de dire que si les Américains veulent à tout prix faire la guerre, on ne va pas isoler la France, alors évidemment la cause de la paix est déjà perdue. Cela veut dire qu'on a déjà baissé les bras, et c'est inacceptable."
En fait, il faut brandir la menace du veto jusqu'au dernier ressort ?
- "Oui. Vous parliez de vote au Parlement. Je me pose la question : si demain, la France n'utilise pas son droit de veto, si J. Chirac ne va pas jusqu'au bout, si les Américains font la guerre, que fera la France ? C'est une question. Si la France, au nom de la solidarité avec les Etats-Unis, décide d'engager ses troupes, alors là, je demande un vote au Parlement."
On peut l'imaginer ?
- "A entendre certaines déclarations de dirigeants de l'UMP..."
Ils sont quand même assez minoritaires.
- "Nous verrons. En tout cas, je fais tout pour que cette question ne se pose pas en ces termes. Ce que je crois, c'est qu'il faut à tout prix défendre la paix et puis aussi dire une chose très importante : l'Europe est face à sa responsabilité historique. Aujourd'hui, l'Europe manque au rendez-vous. La France est un peu seule, certes..."
L'Europe est divisée !
- "L'Europe est divisée, la France est un peu seule. Certes, elle a l'appui de l'Allemagne, mais on voit bien que l'Europe ne parle pas d'une seule voix. L'Europe qui pourrait peser sur les grandes questions du monde, sur la paix, sur le développement, sur un nouvel équilibre Nord-Sud, elle est absente. Et donc la nécessité pour les responsables politiques français, en particulier nous les socialistes, c'est de tout faire pour que dans les années qui viennent, on ne se retrouve plus dans cette situation aberrante où la seule puissance au monde qui existe, ce sont les Etats-Unis. Ce sont à la fois nos amis et nos alliés mais pour parler d'égal à égal, faut-il encore avoir la force suffisante."
Tout le monde le dit toujours, et finalement, l'Europe n'arrive pas...
- "C'est la grande cause du XXIème siècle. Je suis convaincu que pour les hommes et les femmes de progrès, construire une Europe qui soit une véritable Europe puissance, à la fois celle de la prospérité mais aussi une Europe qui pèse sur le plan politique et diplomatique, c'est une des grandes causes qu'il faut défendre et qui permettra peut-être de dessiner un autre monde, un monde plus équilibré, dans lequel, en particulier, les pays du Sud, ceux qui souffrent le plus, les plus pauvres, aient un véritable avenir."
Pour cela, il faut être plusieurs.
- "Il faut être plusieurs, mais je pense que les peuples se posent cette question aujourd'hui. C'est une question qu'il faut mettre en avant sur la scène politique française, mais aussi - c'est le cas pour le Parti socialiste - le faire avec tous nos homologues des partis socialistes et sociaux-démocrates."
Vous allez organiser une rencontre ?
- "Nous avons déjà organisé des rencontres, nous en ferons encore davantage, je l'espère."
Je voudrais qu'on en vienne aux affaires intérieures, et notamment aux problèmes économiques. Le Premier ministre a reconnu hier que les 3 % de déficit seront vraisemblablement dépassés en 2002...
- "Nous l'avions déjà dit depuis longtemps."
Oui, mais il dit aussi : pas de plan de rigueur.
- "Je ne peux pas croire sur parole le Premier ministre. Pour moi, c'est promesse, mensonge, austérité. Ce qui est en train de se passer, ce que les Français sont en train de constater, c'est que les promesses de J. Chirac sont inapplicables. Il a promis à tout le monde, donc monsieur Raffarin est bien dans l'incapacité de tenir ces promesses. Et puis, monsieur Raffarin, en présentant une loi de Finances en décembre, sur des calculs erronés, avec un taux de croissance de 3 %, le savait pertinemment. Donc, on a menti aux Français, on a fait croire que cela marcherait, et maintenant, qui va payer ? Ce sont les Français. Déjà, ils payent par l'augmentation du chômage, ils vont payer parce qu'on va remettre en cause toute une série d'acquis sociaux ; demain, on veut réformer la Sécurité sociale. Ce n'est pas dans le bon sens, cela rappelle de très mauvais souvenirs. L'heure de vérité pour le gouvernement Raffarin est arrivée ; on ne va pas continuer comme cela pendant des mois avec de la communication. On voit bien que le masque s'effrite peu à peu et que la vérité apparaît. Ce que je voulais dire ce matin, c'est on a trompé les Français, et aujourd'hui, on est en train de les mettre dans une très grande difficulté. Par exemple, le chômage qui monte : est-ce qu'il y a une politique de l'emploi ? il n'y a pas de politique de l'emploi."
Il y a une conférence qui est annoncée.
- "Des conférences, des rendez-vous, des rencontres, des colloques, c'est sûr, on en a beaucoup !"
Une question sur les retraites, puisque la réforme est annoncée et en préparation. Ce matin, le ministre des Affaires sociales, F. Fillon, dévoile un peu son plan en disant qu'il faut harmoniser les régimes publics sur le privé. C'est-à-dire que tout le monde devrait cotiser quarante ans.
- "Je crois qu'il faut tout mettre sur la table. Il ne faut pas simplement répondre par une seule question. Qu'il y ait plus d'égalité, tant mieux mais je crois qu'il faut tout mettre sur la table. Et si le Gouvernement continue de s'y prendre comme cela, par petites touches, en annonçant une mesure ici, une mesure là, sans créer un véritable dialogue et un véritable climat de négociation, en particulier avec les partenaires sociaux, je crois qu'il se prépare de vraies difficultés. Il faut donc que le Gouvernement présente la totalité des solutions qu'il envisage pour la réforme des retraites, et qu'il le fasse vite, parce que là, il est en train de créer un mauvais climat."
Il a donné un calendrier.
- "Oui mais on verra. Je pense qu'il faut que les choses soient plus nettes et le Gouvernement doit avoir le courage de dire ce qu'il veut faire sur les retraites. Pas simplement par petites touches, mais globalement, sérieusement, pour que chaque Française, chaque Français puisse faire son choix."
Vous ne ferez pas obstruction ?
- "Ce que nous voulons, c'est effectivement une réforme pour pérenniser le système de retraite par répartition, mais là où le Gouvernement n'est pas clair, c'est qu'on ne sait pas ce qu'il veut faire sur les fonds de pension, on ne sait pas ce qu'il veut faire sur le niveau des retraites. Et là, c'est la vraie question : quelles retraites va-t-on servir dans les années qui viennent aux Français ? Est-ce que ce sera une dégradation ? Est-ce qu'ils devront cotiser plus longtemps ? Est-ce qu'il pourront vivre avec leur retraite ? Il y a déjà tant de petites retraites en France... Donc, il faut d'abord se poser la question de l'âge de la retraite - nous, nous sommes attachés à l'âge de la retraite à 60 ans - mais aussi la question du niveau des retraites pour tous."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 26 février 2003)