Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, en réponse à une question sur la situation du Crédit Foncier de France et l'intervention de l'Etat afin d'éviter le dépôt de bilan, au Sénat le 23 janvier 1997.

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Circonstance : Occupation des locaux du Crédit Foncier depuis le 17 janvier 1977 et séquestration de son directeur du 17 au 22

Texte intégral

Monsieur le Sénateur, M. Jean ARTHUIS a excellemment répondu aux questions qui ont déjà été posées sur la situation du Crédit foncier de France.
Je voudrais juste apporter quelques éléments supplémentaires, d'abord pour dire, je le crois profondément, et c'est conforme à la vérité que, si le Gouvernement n'avait pas fait ce qu'il a fait depuis deux ans, le Crédit foncier aurait déposé son bilan.
Premièrement parce que le Crédit foncier est une entreprise privée, contrairement à ce que l'on croit parfois. Deuxièmement parce que, au 31 décembre 1995, il avait accumulé pour les raisons évoquées par M. Jean ARTHUIS, des pertes avoisinant 11 milliards de francs.
Mais, je confirme que ces pertes n'ont strictement rien à voir avec la réforme du prêt à taux zéro, pour la bonne raison que cette réforme n'a pris effet qu'à partir du mois d'octobre, que le Crédit foncier a distribué des prêts à taux zéro en 1996 et qu'il en a distribué autant que les PAP, qu'il avait distribués l'année précédente. Cette explication n'est donc en aucune manière valable.
Les pertes du Crédit foncier sont imputables aux opérations immobilières aventureuses qui ont été réalisées entre 1990 et 1993 par la précédente équipe dirigeante.
Ce qui devrait d'ailleurs - et, de ce point de vue, je suis tout à fait le propos de M. Jean ARTHUIS - nous conduire à rechercher de manière plus précise les responsabilités de ces pertes.
Dans la situation qui s'était ainsi créée et compte tenu de la disparition des fonds propres du Crédit foncier, l'application de la loi aurait dû conduire très normalement au dépôt de bilan du Crédit foncier. Je ne l'ai pas voulu, et c'est la raison pour laquelle le gouvernement a pris un certain nombre d'initiatives. D'abord, nous avons dit que nous assumerions les dettes du Crédit foncier. Celui-ci avait émis dans le public beaucoup d'obligations, vous le savez, et l'on compte de nombreux petits porteurs d'obligations du Crédit foncier.
Si l'État n'avait rien fait, ces petits porteurs auraient donc été justement inquiets. Mais nous avons dit : "nous assumerons". Ainsi, la situation a été apaisée.
Toujours pour éviter cette faillite, nous avons fait racheter les actions du Crédit foncier sur le marché par un organisme public, la Caisse des Dépôts et Consignations. Tel a été le but de l'OPA qui a été conduite voilà quelques mois et qui, il est vrai, compte tenu des règles boursières applicables en la matière - à tout le monde -, y compris aux opérateurs publics nous a conduits à une certaine discrétion.
Enfin, nous avons nommé une nouvelle équipe, un nouveau directeur à la tête du Crédit foncier pour y développer - c'était un objectif prioritaire - le dialogue social avec le personnel et trouver des solutions.
Aujourd'hui, tout cela a donc été fait, je le dis au personnel du Crédit foncier, qui nous écoute peut-être, pour sauvegarder ses intérêts, et éviter la situation qui eût été la pire, à savoir le dépôt de bilan du Crédit foncier. Ils s'en sont d'ailleurs aperçus puisque, pendant toute cette période, le calme social a régné. Puis une crise est apparue, et une incompréhension s'est établie devant la solution de reprise qui a été envisagée parce qu'il s'agissait bien de trouver une solution de reprise !
Je le dis ici devant la représentation nationale : est-il imaginable que, pour éponger les pertes liées à ses erreurs antérieures, le contribuable soit appelé à donner 8 milliards de francs pour recapitaliser le Crédit foncier ? Je ne le crois pas. Ce n'est pas possible ! C'est la raison pour laquelle nous avons cherché d'autres solutions.
Ces solutions n'ont pas été bien comprises et c'est dans cet esprit que j'ai demandé à une personnalité que vous connaissez, qui est tout à fait respectable, compétente et très ouverte, de jouer un rôle de conciliateur entre les parties pour "explorer", comme cela a été dit, toutes les solutions possibles. Nous en sommes là aujourd'hui.
J'examinerai avec beaucoup d'attention, lorsque M. le Ministre de l'Économie et des Finances me les présentera, les propositions du conciliateur.
J'aurai donc l'occasion d'en reparler devant la Haute Assemblée.
L'objectif doit être clair, et le rappel du passé doit l'être aussi. Si nous n'avions pas fait ce que nous avons fait, le Crédit foncier de France eût été en faillite et son personnel exposé aux licenciements. Nous l'avons sauvé, et c'est cet objectif là que nous avons en tête : traiter de manière convenable des hommes et des femmes qui n'ont pas démérité, eux !