Interview de M. Alain Juppé, président de l'UMP, à RTL le 8 octobre 2002, sur l'ouverture d'un dabat parlementaire sur l'Irak, la préparation du congrès fondateur de l'UMP et la politique gouvernementale.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Elkrief.-. Vous serez l'orateur cette après-midi à l'Assemblée nationale, pendant le débat sur l'Irak. Vous avez entendu des extraits du discours de G. Bush et je vais vous poser une question peut-être un peu caricaturale : est-ce que la France est sur la même longueur d'onde ?
- "D'abord, bonjour R. Elkrief. Je crois que la France est, en tout cas - et sans vouloir faire preuve de chauvinisme ou d'optimisme excessifs - entendue. Car si j'ai bien lu les déclarations du président Bush, il affirme "qu'une intervention militaire n'est ni imminente ni inévitable". Il parle de "coalition", "d'action avec ses alliés", et il rappelle que l'objectif est "le désarmement de l'Irak". Voilà des points sur lesquels la France ..."
Mais pas de changement de régime ?
- "Mais pas de changement de régime, puisque, je le rappelle, les résolutions du Conseil de sécurité exigent de l'Irak le désarmement, la fin du soutien au terrorisme, des éclaircissements sur le sort des disparus et des réfugiés lors de la guerre du Koweït. Bref, une série de points qui sont très précis mais n'exigent pas naturellement le changement du régime. Cela, c'est au peuple irakien, bien entendu, d'en décider. Donc, sur les objectifs, je trouve que la diplomatie française est entendue."
Finalement G. Bush se rapproche de la France ? C'est ce que vous nous dites un peu ce matin...
- "Il s'était déjà un peu rapproché de la position que nous défendions, lors de ses déclarations devant l'Assemblée générale des Nations unies - souvenez-vous, c'était il y a huit ou dix jours. A cette occasion, il a dit que son objectif était une action collective dans le cadre des Nations unies. C'est très exactement ce que nous défendons. Je ne veux pas dire que c'est la France qui fixe la ligne mais enfin, elle est entendue, notamment au Conseil de sécurité où elle est membre permanente, comme vous le savez."
Cette après-midi, une partie de la gauche demandera sans doute que la France utilise son veto au Conseil de sécurité, contre toute résolution qui pourrait conduire à la guerre. Cela est-il envisageable, possible ?
- "C'est vraisemblablement le contraire de ce qu'il faut dire aujourd'hui. Cette initiative me semble un petit peu intempestive. La diplomatie française dit quoi ? Elle dit que nous proposons une démarche en deux temps. D'abord, une première résolution, qui fixe exactement le cadre de l'action des inspecteurs sur le terrain. Et il faut absolument tenir bon sur ce point. Je voudrais rappeler que les inspecteurs ont été en Irak pendant plusieurs années et qu'en 1998, ils ont remis un rapport dans lequel on lit très clairement qu'il y a bien une menace irakienne, qu'il y a bien eu des tentatives irakiennes pour se doter d'une filière nucléaire, chimique ou bactériologique. Donc la menace existe..."
Mais c'est plutôt le temps. Est-ce vraiment urgent, est-ce maintenant ?
- "C'est tout à fait urgent puisque, depuis 1998 et le départ des inspecteurs, on ne sait pas ce qui se passe réellement sur le terrain. Il y a des rumeurs, des preuves ou des pseudo preuves apportées par tel ou tel. Le plus sûr moyen de savoir si le risque s'est reconstitué, si je puis dire, si l'Irak s'est à nouveau doté d'armes de destruction massive, c'est d'aller voir. Donc l'objectif numéro 1 est de faire que les inspecteurs reviennent et sans condition. L'Irak l'a accepté, je vous le rappelle. La France dit ensuite que si de nouveaux obstacles étaient mis au travail des inspecteurs, alors on verrait comment adopter une deuxième résolution. Et la France a toujours dit que, dans ce cas, elle n'excluait aucune option. Donc, je crois que c'est cela la bonne démarche. Il ne s'agit pas de tomber dans un excès d'unilatéralisme, ce mot est difficile à prononcer, ni dans un sens, celui de la guerre sous le seul drapeau américain, ni dans l'autre, celui du pacifisme déclaré, affiché et affirmé aux yeux du monde."
Justement, cette position française, pour vous, a-t-elle changé depuis le nouveau gouvernement ? Est-ce que, entre H. Védrine et D. de Villepin, il y a une inflexion ? La France se positionne-t-elle différemment aujourd'hui ? Certains diront peut-être qu'elle est plus pro-américaine.
- "Ce n'est pas tellement ce que j'ai appris ici ou là. Non, je crois qu'il y a un changement de style évidemment. On est passé du scepticisme distingué à l'action déterminée. Mais sur le fond, je trouve au contraire une assez grande continuité dans la position française. Nous considérons que le comportement de l'Irak est inacceptable ! Là-dessus, il faut que les choses soient tout à fait claires. Je viens de le redire : la menace irakienne existe ! Nous disons qu'il faut accepter les résolutions du Conseil de sécurité, que la communauté internationale soit inflexible sur ce point ... "
Sur le fond, pas de changement.
- " ... Mais nous disons qu'entre cette position-là et le renversement du régime irakien ou la déclaration de guerre à l'Irak, il y a un pas qui mérite réflexion."
On revient un peu à la politique intérieure, puisque vous êtes le président de l'UMP...
- "Provisoire."
"Provisoire", oui, puisqu'il y a un Congrès en novembre...
- "Le 17 novembre..."
Le 17 novembre, qui verra l'élection - c'est un grand suspense ! - d'un nouveau président.
- "Mais pour moi, il y a du suspense ! Il y aura peut-être d'autres candidats !"
Vous êtes candidat, c'est bien ce que j'ai compris ?
- "Nous allons décider d'être candidat sur un "ticket" - pour reprendre une expression américaine -, c'est-à-dire que nous nous présenterons à trois - J.-C. Gaudin comme vice-président, P. Douste-Blazy comme secrétaire général, et moi comme président -, pour bien montrer justement que l'UMP respecte toutes les histoires, toutes les traditions et toutes les sensibilités."
De chacune des composantes... On ne vous pas beaucoup entendu sur la "méthode Raffarin". Elle est très commentée à droite et à gauche évidemment. La semaine dernière, on l'a entendu dire aux manifestants du service public, quasiment "Je suis avec vous, je vous comprends, je vous entends". Comment vous, qui avez vécu cette expérience très difficile de décembre 1995, entendez-vous ce discours compréhensif ?
- "Je trouve qu'il est excellent et que J.-P. Raffarin tient la bonne ligne. J'entends dire ici ou là qu'il fait de "l'anti-Juppé". Alors, voilà, il y a la référence de ce qu'il ne faut pas faire, donc cela facilite peut-être les choses !"
Franchement, ce n'est pas un peu difficile à vivre ?!
- "Avec sérénité, non, avec sérénité."
Quand ce sont surtout ses amis qui le disent ?!
- "Ils le disent sans agressivité à mon égard. Je ne le prends pas en mauvaise part. Les circonstances étaient vraiment tout à fait différentes. Et donc, j'ai dit et redit que la méthode Raffarin me paraissait convenir tout à fait à ce qu'est aujourd'hui la société française, à ce qu'est le contexte, à la fois, économique et social. D'ailleurs, cela marche. Regardez ce qui s'est passé sur les 35 heures, la façon dont F. Fillon, en plein accord avec le Premier ministre, a conduit la réforme, a abouti à la faire accepter un peu par tout le monde. Le Medef a certes un peu regimbé au départ, mais il a fini par admettre que cela allait dans la bonne direction et les organisations syndicales aujourd'hui."
Vous utiliseriez le même type de méthode, si vous étiez aux commandes aujourd'hui ?
- "Je ne sais pas si je serais aussi bon."
Que de modestie, que de modestie !
- "J'essaye d'apprendre !"
Justement, vous disiez que quelques-uns "regimbaient" : il y a le Medef, mais aussi des députés de l'UMP, des journaux qui soutiennent le Gouvernement, mais qui sont un peu impatients et qui disent qu'il ne va pas assez vite, notamment en matière sociale et économique...
- "Ce n'est pas ce que je ressens dans le pays. Je passe la plus grande partie de mon temps à Bordeaux, je vois beaucoup de monde. Et je ne trouve pas autour de moi des gens impatients. Il y a des gens qui sont contents qu'il y ait une majorité, que celle-ci tienne ses engagements - on le voit notamment en matière de sécurité, où N. Sarkozy fait un boulot fantastique -, on le voit dans le domaine social - avec F. Fillon -, on le voit dans le domaine de la justice - avec la loi de programmation que D. Perben a fait voter..."
C'est votre trio gagnant, ce sont ces trois ministres...
- "Oui, mais il y a les autres aussi, bien entendu. On a préparé une loi de Finances qui est le mieux de ce qu'on pouvait faire, compte tenu des circonstances. Donc, les gens se disent : voilà, ça va dans la bonne direction. On ne peut pas tout faire en un jour. Et je ne ressens pas sur le terrain l'impatience qui caractérise toujours notre cher microcosme parisien !"
Vous le connaissez bien... "La Maison bleue" était le nom que vous auriez aimé pour l'UMP, mais...
- "On peut toujours rêver..."
Cela ne soulève pas l'enthousiasme...
- "Cela dépend, cela dépend. On peut toujours rêver, disais-je. C'est curieux, ce n'est pas très bien accepté dans le monde politique, au sens strict du terme, alors qu'en-dehors du monde politique, ça intéresse. Cela dit, je l'ai répété, ce sont nos militants qui voteront. Et si j'avais un pronostic à faire, il ne serait pas très favorable sur ce plan-là. Il y a d'autres hypothèses. On me dit toujours que "l'UMP est une marque qui gagne, alors pourquoi en changer ?". Je crois que l'argument a du poids."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 octobre 2002)