Interview de M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères, au quotidien georgien "24 heures" du 2 octobre 2002, sur les perspectives d'intégration de la Géorgie à l'Union européenne, sur la position française face à la crise entre la Russie et la Géorgie, la demande d'ahésion à l'OTAN de la Géorgie et les modes de règlement des conflits du Caucase,

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Voyage en Géorgie de M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères, les 2 et 3 octobre 2002

Média : 24 heures

Texte intégral

Q - L'adhésion à l'Union européenne et à d'autres institutions européennes représente l'un des objectifs stratégiques de la politique étrangère de la Géorgie. La Géorgie se rend bien compte également du fait qu'il y a un long chemin à faire avant de devenir membre de l'Union européenne, et que le processus d'intégration se fera en plusieurs étapes et prendra du temps. Comment voyez-vous ce processus d'intégration et quelle sera la position de la France sur ce point ?
R - Les relations de l'Union européenne avec la Géorgie reposent sur un accord de "partenariat" et de "coopération" qui prévoit une coopération à grande échelle dans tous les domaines (politique, juridique, économique, commercial, social, financier et culturel). L'Union donne par ailleurs une dimension régionale à ce partenariat en développant autant que possible de manière conjointe ses relations avec la Géorgie, avec l'Arménie et avec l'Azerbaïdjan.
L'Union souhaite une coopération toujours plus étroite avec la Géorgie pour l'aider à se rapprocher des standards européens, en matière de Droits de l'Homme, de fonctionnement des institutions publiques, de sécurité juridique et de développement économiques. Elle engage une aide importante au service de ces objectifs puisqu'aujourd'hui l'Union est le principal bailleur de fonds de la Géorgie qui a reçu 90 millions d'euros au titre du programme Tacis depuis 1991.
Concernant un éventuel processus d'intégration, les conflits internes doivent être résolus avant que ne puissent se renforcer la coopération et le partenariat avec l'Union européenne.
D'ici là, la Géorgie doit surtout saisir toutes les occasions que lui offrent les instruments européens existants (accord de partenariat et de coopération, programme Tacis, etc).
Q - Outre le programme TACIS, les relations des pays européens avec la Géorgie et les pays du Caucase se développent essentiellement au niveau bilatéral. Cela limite en quelque sorte le rôle de l'Union européenne dans les processus politiques et de sécurité de la région. Est-il question d'établir une politique étrangère et de sécurité unie vis-à-vis de la Géorgie et des pays du Caucase, en vue de renforcer la présence de l'Union européenne dans la région ? Comment voyez-vous les intérêts de la France et de l'Union européenne vis-à-vis du Caucase ?
R - Je pense que le développement des relations bilatérales ne limite pas le rôle de l'Union européenne dans le Caucase, bien au contraire. Cela contribue à une meilleure connaissance du pays et ce sont les mêmes Etats qui négocient ensuite ensemble à Bruxelles. L'action bilatérale et l'action multilatérale sont complémentaires. Cela est vrai avec tous les partenaires de l'Union européenne et pas seulement dans le Sud-Caucase. Il ne faut pas dissocier artificiellement Union européenne et Etats membres
Concernant la présence européenne, il est en effet question de renforcer l'implication de l'Union dans l'ensemble du Sud-Caucase. La Commission a établi des propositions dans ce sens, qui sont examinées en ce moment à Bruxelles et qui, nous l'espérons, se concrétiseront bientôt. Il est notamment question de nommer un envoyé spécial pour l'Union européenne dans le Sud-Caucase, de renforcer les programmes portant sur les infrastructures, etc.
La France et l'Union européenne ont intérêt à développer leurs relations avec le Sud-Caucase et en particulier avec la Géorgie. C'est une zone stratégique, riche en ressources naturelles, et dont la stabilité est un enjeu pour toute la région. Vous connaissez également les liens étroits, culturels et historiques qui unissent la France et la Géorgie et que nous souhaitons toujours renforcer.
Q - Quelle est la position de la France quant à la crise russo-géorgienne ? L'Union européenne peut-elle assurer une médiation entre les deux pays ?
R - La France, comme l'ensemble des pays de l'Union européenne, est attachée au respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de la Géorgie ; la présidence danoise l'a récemment redit en notre nom à tous de manière très ferme. Nous estimons à cet égard que le recours unilatéral à l'emploi ou à la menace d'emploi de la force porte atteinte à la stabilité de l'ensemble de la région. Le ministre des Affaires étrangères l'a dit à M. Ivanov en marge de l'Assemblée générale des Nations unies à New York.
Nous appelons en même temps la Géorgie à poursuivre avec détermination ses efforts pour lutter contre les zones de non-droit sur le territoire géorgien et contre la présence de terroristes et à coopérer avec les pays concernés par la lutte contre le terrorisme, dans un esprit de transparence et d'efficacité.
Il n'est pas encore question de médiation de la part de l'Union européenne ni de quelque autre Etat ou organisation internationale. Il faut cependant noter que l'Union européenne a toujours tenu à réagir fermement aux bombardements du territoire géorgien, de même qu'elle suit de près le dossier abkhaze.
Q - La Géorgie a exprimé son souhait d'entamer une procédure d'adhésion à l'OTAN. Cela s'explique en partie par son désir d'éviter les craintes et les ambiguïtés qui accompagnent constamment les relations russo-géorgiennes. Il est évident que ce processus sera tout aussi long et qu'il reviendra à la Géorgie de remplir un grand nombre de conditions. Quelle est la position de la France quant à l'adhésion de la Géorgie à l'OTAN ?
R - Nous nous réjouissons de l'étroite coopération entre la Géorgie et l'OTAN : plusieurs exercices de l'OTAN se sont déroulés ici. Je veux parler notamment de "cooperative partner 2001", et tout récemment, du 17 au 28 juin 2002 "cooperative best effort 2002".
Cela étant, il faut avoir l'honnêteté de reconnaître qu'il reste encore du chemin à parcourir avant que l'on puisse se poser la question de l'intégration de la Géorgie à l'OTAN. Les conflits internes doivent être résolus avant toute chose. D'ici là, la Géorgie doit tirer profit de toutes les possibilités que lui offre le partenariat pour la paix.
Q - La France participe activement au processus de règlement des conflits au Caucase. Elle est membre du groupe des Amis de la Géorgie, ainsi que co-présidente du Groupe de Minsk dans le cadre de l'OSCE. Malheureusement, le processus de paix n'a toujours pas abouti à une solution des conflits, ce qui fait persister le danger de reprise de tensions dans la région. Quelle est la position de la France quant aux conflits du Caucase, notamment abkhaze, surtout dans le contexte actuel où la partie abkhaze rejette le "document Boden" ?
R - La France déplore vivement la persistance de conflits et de tensions dans le Caucase et, depuis le début de la crise, elle n'a cessé de montrer sa disponibilité pour aider les parties à régler pacifiquement leurs différends.
En Abkhazie, le Groupe des Amis fait tout son possible pour amorcer la négociation, qui bute sur l'intransigeance de la partie abkhaze. Nous déplorons que le document Boden n'ait pu être remis aux Abkhazes et nous plaidons pour une démarche collective du Groupe des Amis à Soukhoumi, qui permette d'amorcer la négociation. Bien entendu, la France soutient pleinement Mme Tagliavini, la nouvelle représentante du SGNU.
Q - Comment appréciez-vous les relations franco-géorgiennes actuelles et les perspectives d'avenir ?
R - Nos relations bilatérales sont excellentes comme l'illustrent les visites régulières de personnalités géorgiennes dans notre pays et les relations parlementaires soutenues. Dans le domaine économique, nos relations devraient se densifier avec la construction de l'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan, pour laquelle nos entreprises ont déjà remporté certains appels d'offres.
Nous espérons aussi que nos relations culturelles continueront de s'intensifier car cet aspect-là nous est très cher; sur ce point il faut souligner le rôle joué par le centre culturel Alexandre Dumas, que je visiterai au cours de mon séjour à Tbilissi.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 octobre 2002)