Déclaration de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur l'évolution de la coopération avec l'Afrique, la solidarité et le dialogue nécessaires à la poursuite de l'aide au développement, Ouagadougou le 24 mars 1998.

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Circonstance : Réunion ministérielle de suivi de la 19ème conférence des chefs d'Etat de France et d'Afrique à Ouagadougou (Burkina Faso) les 23 et 24 mars 1998

Texte intégral

Lors de son premier voyage en Afrique, en tant que chef du gouvernement au Mali en décembre dernier, Lionel Jospin a été très explicite : il faut rompre avec la tradition paternaliste en Afrique, il faut établir des relations fraternelles et non paternelles, basées sur l'égalité sans ingérence ni indifférence.
Tout ceci a amené le Premier ministre en plein accord avec le président de la République à souhaiter que nous redéfinissions une politique de Coopération qui réponde à certaines nécessités : clarté, meilleure lisibilité, solidarité active aussi, fondées sur un dialogue entre partenaires responsables, adultes, dans une relation exigeante mais libre.
Je voudrais :
- d'abord justifier la nécessité de la réforme que nous avons décidée le 4 février 1998,
- ensuite, vous préciser les exigences qui guident notre action en matière de coopération,
- enfin vous parler de notre relation à l'Afrique.
1. Le monde change, notre coopération doit évoluer
La coopération est une dimension essentielle de l'action extérieure de notre pays. Au cours des dernières années ses objectifs et ses instruments se sont diversifiés, en s'efforçant de tenir compte des évolutions du monde contemporain : disparition des zones d'influence traditionnelles, ouverture des marchés, différenciation de plus en plus marquée au sein de l'ensemble des pays en développement.
Dans ce contexte, la coopération au développement continue à jouer un rôle majeur. Elle est l'expression de la solidarité de la France à l'égard des pays qui veulent s'engager dans la voie d'un développement durable et démocratique. Elle participe à la réduction de la pauvreté et porte une attention particulière aux populations les plus défavorisées.
Mais ce sont aussi les autres formes de coopération, dans un monde de plus en plus concurrentiel, qui doivent aujourd'hui être mobilisées. Elles concernent aujourd'hui le monde entier. Elles traduisent l'ambition de présence universelle qui anime notre pays ; elles contiennent les instruments indispensables de défense de nos intérêts et de nos valeurs.
C'est pourquoi le nouveau dispositif vise à conférer davantage d'efficacité à notre coopération tout en affirmant l'unité de l'action extérieure de la France. Le rapprochement entre les services actuels du secrétariat d'Etat à la Coopération et à la Francophonie et ceux du ministère des Affaires étrangères s'inscrit dans cette volonté d'adaptation à l'évolution du monde. Il conduira à la constitution d'un ensemble administratif et budgétaire unique sous l'autorité du ministre des Affaires étrangères, assisté d'un ministre délégué à la Coopération désormais chargé de l'ensemble de la coopération internationale.
Mais il importe que cette rationalisation politique et administrative traduise également l'importance intrinsèque de la coopération au développement, y compris au plan budgétaire, dans toutes ses dimensions, qu'elle témoigne de notre fidélité à nos solidarités traditionnelles tout en ménageant les adaptations nécessaires, et enfin qu'elle tienne compte du rôle spécifique des différents acteurs de la coopération.
Cette rationalisation s'exprimera par la mise en place de deux grands pôles : les Affaires étrangères et la Coopération, d'une part, l'Economie et les Finances, d'autre part, qui concentreront, chacun dans son domaine de responsabilité, les fonctions de définition, de gestion et du suivi de notre coopération.
Il convient également de traduire l'exigence de coordination et d'unité de notre action extérieure par une amélioration des procédures de coordination interministérielle. Un Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) a été créé à cet effet. Son secrétariat est assuré conjointement par le ministre des Affaires étrangères et par le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie. Son domaine de compétence porte sur l'ensemble de la coopération internationale et de l'aide publique au développement. Il veillera à la cohérence des priorités géographiques et sectorielles des diverses composantes de la coopération française, notamment par l'établissement annuel des orientations d'une programmation globale. Il déterminera la zone de solidarité prioritaire et il assurera une mission permanente de suivi et d'évaluation de la conformité de l'aide aux objectifs fixés.
Dans le même temps, il est nécessaire de promouvoir la mobilisation de tous les acteurs de la coopération - je pense aux villes, aux départements et aux régions, aux associations et aux ONG, mais aussi aux entreprises - en définissant un cadre de concertation.
Ce sera le rôle du Haut conseil de la Coopération.
Il s'agit enfin, dans un souci de plus grande efficacité, de moderniser notre dispositif de coopération au développement par une articulation plus claire entre le niveau de conception, d'orientation et de suivi d'une part, le niveau technique de maîtrise d'oeuvre d'autre part. Si le premier niveau doit demeurer au plan des départements ministériels, le second sera plus largement dévolu à des institutions spécialisées, au premier rang desquels une Agence française de développement qui remplace la CFD que vous connaissez bien.
Telles sont les grandes orientations qui vont présider à la rénovation du dispositif français de coopération.
Au-delà des aspects institutionnels et techniques, permettez-moi d'évoquer notre démarche politique.
2. Deux exigences s'imposent dans nos choix comme dans nos démarches
Une exigence de solidarité
On ne peut s'accommoder de la marginalisation économique et politique des pays condamnés à l'assistance et à l'aide humanitaire.
J'observe qu'en Afrique tout particulièrement, souvent les résultats de réforme y sont encore incertains. Le développement n'est pas suffisamment assis dans la durée. Les Droits de l'Homme ne s'y enracinent que progressivement. De graves conflits traversent encore certains pays, mettant en péril les avancées démocratiques.
On note bien sûr des réussites politiques et économiques incontestables, dans la zone franc en particulier. Cette Afrique là se fortifie, c'est la chance à saisir, c'est le mouvement que nous voulons conforter.
Pour affirmer le principe de solidarité qui fonde notre coopération au développement, une attention sera plus délibérément portée aux pays qui sont engagés dans des politiques exigeantes et qui ont avec nous les liens politiques les plus forts.
Le défi est de savoir comment nouer concrètement et entretenir durablement un contrat de confiance avec ces pays. Telle est la seconde exigence.
Une exigence de dialogue
Il est nécessaire de sortir de la logique de l'assistanat, pour fonder un partenariat véritable. Entre partenaires responsables et animés de valeurs communes doit et peut se tenir un dialogue exigeant.
Force est de constater que dans certains Etats, le dialogue souffre d'une faiblesse dans l'expression et dans la mise en oeuvre des stratégies nationales de développement. Pourtant, un véritable dialogue sur les stratégies doit permettre de sortir de la mécanique infernale des conditionnalités, jamais vraiment respectées et trop souvent renégociées, dont détournées de leur sens.
Dans ces conditions, nous considérons que le renforcement des capacités de management nationales est donc une orientation fondamentale pour permettre de faire de nos interlocuteurs de véritables partenaires exprimant des besoins justifiés par des évaluations et formulés dans des programmes conçus localement.
Ce partenariat doit reposer sur une base contractuelle. Ainsi, au sein des pays de ce que nous appelons désormais "la Zone de Solidarité Prioritaire", l'évolution de nos concours sera subordonnée à la négociation "d'accords de partenariat et de développement". Seront incluses dans ces accords, les préoccupations de démocratie, de développement durable et de bonne gestion publique. Selon le cas pourront y être traitées les questions de coopération militaire, de politique de migration ou encore de partenariat économique.
3. La réforme n'est pas l'abandon de l'Afrique
Je l'ai dit au début de mon exposé : la réforme sonne le glas des relations paternalistes.
Vous l'avez aussi noté, l'Afrique demeure au coeur de la zone de solidarité. En raison de liens étroits tissés par l'histoire, au nom de la fidélité à nos engagements, comme à nos amitiés.
Pour d'autres raisons aussi.
Il serait stupide de délaisser l'Afrique alors qu'elle doit avoir sa place dans la mondialisation, s'insérer dans le commerce mondial et recevoir des capitaux pour se moderniser. Elle aspire à entrer dans le champ de l'intérêt mutuel pour quitter celui de l'assistance.
Cette prétention est légitime. De nouvelles élites arrivent aux affaires, en politique, dans l'administration, dans les entreprises. Elles participent à ce que le vice-président d'Afrique du Sud, Thabo Mbeki, appelle "la renaissance africaine". Ce facteur humain est essentiel. Il est le gage que les progrès seront durables. L'Afrique occupe aussi une place particulière en termes d'environnement et de développement durable de la planète : la biodiversité est au sud ; les ressources non renouvelables africaines sont importantes, les problèmes de l'eau s'y posent avec acuité, la gestion des ressources naturelles est un enjeu majeur.
Une autre raison justifie enfin cet intérêt pour le continent africain. Trop souvent encore terre de conflits, l'Afrique est au coeur de la sécurité et de la paix. A cet égard, j'observe que nos relations accèdent aussi à l'âge adulte. Vous avez pu mesure l'évolution de notre présence militaire. Notre dispositif peut se redéployer autrement et ne plus être perçu comme l'instrument d'une intervention de notre part dans le destin des autres. Priorité à la prévention des conflits, donc priorité à la formation.
La France consent des flux substantiels d'aide publique au développement. La réforme qui va se mettre en place nous permettra de mieux assurer la cohérence et l'efficacité de nos ressources.
Voilà en quelques mots, réponse à certaines de vos questions. Il n'en reste pas moins que tout cela ne se résume pas dans le changement de l'organisation et la nouvelle répartition des rôles. C'est aussi une question de qualité dans les relations humaines qui fonde la confiance et l'engagement réciproque. Je sais qu'en Afrique notre coopération repose d'abord sur cette confiance et sur cet engagement.
Je vous remercie./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 septembre 2001)