Texte intégral
La France s'enlise-t-elle en Côte d'Ivoire ?
Jean-Luc Mélenchon. Il est possible que l'on se retrouve finalement dans une situation humiliante. Mais c'est faute d'avoir les idées claires. Le choix de Chirac a été de renvoyer dos à dos un pouvoir légitimement élu, représenté par le président Laurent Gbagbo, et des bandes armées financées par des pays étrangers. Si n'importe qui, avec dix kalachnikovs à 150 F, peut remettre en cause une autorité démocratique et que le rôle de la France consiste seulement à s'interposer, il y a de quoi être inquiet pour l'avenir de la démocratie en Afrique. L'armée française n'est pas là pour faire la circulation sur les routes ! S'interposer, c'est déjà consentir à la rébellion armée.
Le PS semble mal à l'aise sur le sujet ?
Je regrette que mon parti ait adopté une prudence lâche. Quand tout allait bien pour Gbagbo, les socialistes s'affichaient à tout moment avec lui. Maintenant que ça va mal, il n'y a plus personne !
La France risque-t-elle de se laisser entraîner dans une guerre contre l'Irak ?
Aujourd'hui, Saddam Hussein n'est pas un danger sérieux. Son pays est exsangue, il subit un embargo depuis dix ans ! La guerre sera donc exclusivement une démonstration de force américaine. Y participer, c'est faire un acte d'allégeance humiliant pour un peuple libre et indépendant comme nous le sommes. La France ne doit en aucun cas participer à une intervention aux côtés des Etats-Unis. Mieux, elle doit utiliser son droit de veto au Conseil de sécurité pour l'empêcher. J'ai hélas ! l'impression que Jacques Chirac est en train, une fois de plus, de changer d'avis.
Les salariés d'EDF ont refusé le plan qui leur était proposé sur les retraites...
Il existe sur ce dossier une suspicion immense de la part des gens concernés. La négociation nationale commence. La parole politique de la gauche est tributaire de ce que les syndicats eux-mêmes disent. C'est à eux de donner le ton. Pour moi, il n'y a absolument aucune raison d'accepter le moindre recul des acquis sociaux.
Le gouvernement Raffarin vous paraît-il solidement installé ?
Non. Sa légitimité politique est faible. Elle s'appuie sur les 19 % réalisés par Jacques Chirac. La droite profite surtout du KO de la gauche après son élimination le 21 avril. Dans d'autres circonstances, la bulle médiatique des raffarinades aurait éclaté beaucoup plus tôt. Cela dit, seuls les naïfs pouvaient croire qu'un gouvernement de droite ferait autre chose qu'une politique de droite. Mais ça va finir par se savoir ! Ils peuvent toujours faire courir M. Sarkozy sur toutes les chaînes de télé... Les gens commencent à se rendre compte qu'il n'obtient pas de résultats. Leur fonds de commerce sécuritaire va leur revenir dans la figure. Mais je crains que ce soit au profit de la famille Le Pen !
La gauche a-t-elle tiré les leçons du 21 avril ?
Beaucoup de dirigeants n'ont pas vraiment envie de savoir ce qui s'est réellement passé. Peut-être, parce qu'ils préféreraient que Lionel Jospin continue à porter tout seul le poids de leurs péchés... Ceux-là se disent qu'il suffit d'attendre que la droite dégoûte tout le monde pour revenir au pouvoir. Ils ne se rendent pas compte que la gauche a été rayée du paysage en tant qu'alternative, laissant face à face la droite et l'extrême droite. Je ne voudrais pas que l'on recommence une deuxième fois à se rassurer à bon compte en enterrant trop vite le FN. Pour moi, les coeurs et les consciences sont à regagner : il n'y a aucune rente de situation pour la gauche.
Pourquoi le PS est-il toujours si peu audible ?
Nous serons dans ce brouillard tant que nous n'aurons pas tranché entre deux orientations : l'opposition franche à l'alignement de la France sur les diktats de la mondialisation libérale ou l'accompagnement du libéralisme. Le PS est impuissant parce qu'il ne fait pas le choix. De cette impuissance, la politique de François Hollande est la quintessence. Dans un moment aussi délicat, quel que soit le sujet, sa réponse est toujours " ni ceci ni cela ". Il faut au contraire choisir un cap et s'y tenir.
Comment va se passer le congrès de Dijon, en mai ?
Dans l'intérêt de la gauche, il faut qu'il se passe bien. Nous serons donc responsables pour deux. J'espère que nous serons mieux respectés et qu'il y aura moins d'arrogance et de parisianisme contre la mouvance populaire que nous incarnons. Le risque, c'est de voir la gauche revenir à la situation des années 1960 : la division permanente entre d'un côté des soi-disant réformistes et de l'autre des soi-disant révolutionnaires. Résultat : ni réforme ni révolution, l'impuissance pour tout le monde et dans l'opposition pendant vingt-cinq ans !
Hollande peut-il être battu ?
A mon avis, sa ligne est très minoritaire depuis le 21 avril. Pour une autre pratique politique, il faut d'autres dirigeants, c'est logique, non ? Je n'en fais pas une affaire personnelle. François est un charmant garçon, tout le monde est d'accord sur ce point. Mais tant qu'à défendre la ligne dont il est le porte-parole, mieux vaudrait l'original que la copie, c'est-à-dire Laurent Fabius ou Dominique Strauss-Kahn. Pourquoi ont-ils besoin d'un faux nez nommé François Hollande ?
Croyez-vous au retour de Lionel Jospin ?
Je reste sous le charme de sa force et de son élégance politique. Mais je ne crois pas que nos commentaires l'influencent plus aujourd'hui qu'hier... Faisons comme lui : allons jusqu'au bout de ce qu'on croit juste de faire !
Propos recueillis par Frédéric Gerschel et Philippe Martinat Le Parisien , dimanche 12 janvier 2003
(source http://www.nouveau-monde.info, le 31 janvier 2003)
Jean-Luc Mélenchon. Il est possible que l'on se retrouve finalement dans une situation humiliante. Mais c'est faute d'avoir les idées claires. Le choix de Chirac a été de renvoyer dos à dos un pouvoir légitimement élu, représenté par le président Laurent Gbagbo, et des bandes armées financées par des pays étrangers. Si n'importe qui, avec dix kalachnikovs à 150 F, peut remettre en cause une autorité démocratique et que le rôle de la France consiste seulement à s'interposer, il y a de quoi être inquiet pour l'avenir de la démocratie en Afrique. L'armée française n'est pas là pour faire la circulation sur les routes ! S'interposer, c'est déjà consentir à la rébellion armée.
Le PS semble mal à l'aise sur le sujet ?
Je regrette que mon parti ait adopté une prudence lâche. Quand tout allait bien pour Gbagbo, les socialistes s'affichaient à tout moment avec lui. Maintenant que ça va mal, il n'y a plus personne !
La France risque-t-elle de se laisser entraîner dans une guerre contre l'Irak ?
Aujourd'hui, Saddam Hussein n'est pas un danger sérieux. Son pays est exsangue, il subit un embargo depuis dix ans ! La guerre sera donc exclusivement une démonstration de force américaine. Y participer, c'est faire un acte d'allégeance humiliant pour un peuple libre et indépendant comme nous le sommes. La France ne doit en aucun cas participer à une intervention aux côtés des Etats-Unis. Mieux, elle doit utiliser son droit de veto au Conseil de sécurité pour l'empêcher. J'ai hélas ! l'impression que Jacques Chirac est en train, une fois de plus, de changer d'avis.
Les salariés d'EDF ont refusé le plan qui leur était proposé sur les retraites...
Il existe sur ce dossier une suspicion immense de la part des gens concernés. La négociation nationale commence. La parole politique de la gauche est tributaire de ce que les syndicats eux-mêmes disent. C'est à eux de donner le ton. Pour moi, il n'y a absolument aucune raison d'accepter le moindre recul des acquis sociaux.
Le gouvernement Raffarin vous paraît-il solidement installé ?
Non. Sa légitimité politique est faible. Elle s'appuie sur les 19 % réalisés par Jacques Chirac. La droite profite surtout du KO de la gauche après son élimination le 21 avril. Dans d'autres circonstances, la bulle médiatique des raffarinades aurait éclaté beaucoup plus tôt. Cela dit, seuls les naïfs pouvaient croire qu'un gouvernement de droite ferait autre chose qu'une politique de droite. Mais ça va finir par se savoir ! Ils peuvent toujours faire courir M. Sarkozy sur toutes les chaînes de télé... Les gens commencent à se rendre compte qu'il n'obtient pas de résultats. Leur fonds de commerce sécuritaire va leur revenir dans la figure. Mais je crains que ce soit au profit de la famille Le Pen !
La gauche a-t-elle tiré les leçons du 21 avril ?
Beaucoup de dirigeants n'ont pas vraiment envie de savoir ce qui s'est réellement passé. Peut-être, parce qu'ils préféreraient que Lionel Jospin continue à porter tout seul le poids de leurs péchés... Ceux-là se disent qu'il suffit d'attendre que la droite dégoûte tout le monde pour revenir au pouvoir. Ils ne se rendent pas compte que la gauche a été rayée du paysage en tant qu'alternative, laissant face à face la droite et l'extrême droite. Je ne voudrais pas que l'on recommence une deuxième fois à se rassurer à bon compte en enterrant trop vite le FN. Pour moi, les coeurs et les consciences sont à regagner : il n'y a aucune rente de situation pour la gauche.
Pourquoi le PS est-il toujours si peu audible ?
Nous serons dans ce brouillard tant que nous n'aurons pas tranché entre deux orientations : l'opposition franche à l'alignement de la France sur les diktats de la mondialisation libérale ou l'accompagnement du libéralisme. Le PS est impuissant parce qu'il ne fait pas le choix. De cette impuissance, la politique de François Hollande est la quintessence. Dans un moment aussi délicat, quel que soit le sujet, sa réponse est toujours " ni ceci ni cela ". Il faut au contraire choisir un cap et s'y tenir.
Comment va se passer le congrès de Dijon, en mai ?
Dans l'intérêt de la gauche, il faut qu'il se passe bien. Nous serons donc responsables pour deux. J'espère que nous serons mieux respectés et qu'il y aura moins d'arrogance et de parisianisme contre la mouvance populaire que nous incarnons. Le risque, c'est de voir la gauche revenir à la situation des années 1960 : la division permanente entre d'un côté des soi-disant réformistes et de l'autre des soi-disant révolutionnaires. Résultat : ni réforme ni révolution, l'impuissance pour tout le monde et dans l'opposition pendant vingt-cinq ans !
Hollande peut-il être battu ?
A mon avis, sa ligne est très minoritaire depuis le 21 avril. Pour une autre pratique politique, il faut d'autres dirigeants, c'est logique, non ? Je n'en fais pas une affaire personnelle. François est un charmant garçon, tout le monde est d'accord sur ce point. Mais tant qu'à défendre la ligne dont il est le porte-parole, mieux vaudrait l'original que la copie, c'est-à-dire Laurent Fabius ou Dominique Strauss-Kahn. Pourquoi ont-ils besoin d'un faux nez nommé François Hollande ?
Croyez-vous au retour de Lionel Jospin ?
Je reste sous le charme de sa force et de son élégance politique. Mais je ne crois pas que nos commentaires l'influencent plus aujourd'hui qu'hier... Faisons comme lui : allons jusqu'au bout de ce qu'on croit juste de faire !
Propos recueillis par Frédéric Gerschel et Philippe Martinat Le Parisien , dimanche 12 janvier 2003
(source http://www.nouveau-monde.info, le 31 janvier 2003)